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                 ***remise a jour fréquentes du site****

priere neuvaine pour la glorification de l abbe Bellanger ( en bas de la page..)

envoyer moi vos temoignages, ils seront envoyes a mgr eveque d arras !!

*******gloire a dieu ********









 Le Vénérable Georges Bellanger

Prêtre esclave de Marie

1861-1902





Roger Laberge r.s.v.
Georges Bellanger
Homme de Bon Conseil
Préface
Demander au Père Roger Laberge d’écrire une “petite vie” du Vénérable Père Georges Bellanger, c’est l’inviter à relever un défi: se lancer pour la première fois dans une telle aventure, éviter de doubler ce qui par le passé a déjà été écrit sur le sujet, allier récit court et accessible à tous et fidélité historique. Et voici le résultat… Le lecteur voit se dérouler sous ses yeux, comme dans un court métrage, la vie de cet “Homme de Bon Conseil”… le temps d’un sourire!… une vie de quarante ans. L’auteur a eu la bonne idée de nous faire parcourir cette admirable biographie en la découpant en dix séquences, formées de plans succincts. Par exemple, au chapitre IV: L’éducateur, on observe tantôt le professeur, tantôt le directeur de la Maison des SS Anges ou l’accompagnateur spirituel. Je souhaite qu’après avoir feuilleté ces pages de l’album de famille du Père Jean-Léon Le Prevost Religieux, Religieuses, Associés, Laïcs engagés puissent dire au Seigneur: “Merci de nous l’avoir donné pour frère”. La confiance que nourrissait le Père Georges le poussa à abandonner petit à petit tous ses appuis humains pour s’enraciner davantage en Jésus par Marie. Et un théologien, appelé à donner son avis sur les vertus du Serviteur de Dieu, reconnaissait: “C’est une vie linéaire et toute simple; c’est un saint prêtre!”. Puisse cette humble violette du Jardin ensoleillé de l’Eglise être admirée de plus en plus.
Merci à l’auteur de nous la faire connaître et aimer davantage!
Yvon Laroche s.v.
supérieur général
Présentation
Georges Bellanger fut toute sa vie un homme de bon conseil.
Séminariste, il donnait le bon exemple à ses confrères.
Comme directeur des petits séminaristes, il sut les guider par l’enseignement et la formation.
Comme confesseur des séminaristes, il prodiguait ses bons conseils pastoraux pour développer chez ses pénitents une vie chrétienne sérieuse.
Devenu aumônier militaire, confesseur et conseiller spirituel, l’abbé Bellanger continua à donner aux jeunes soldats cet amour de Dieu et du prochain dont il vivait lui-même.
Plus tard le maître des novices poursuivra cette mission de former, de conseiller les personnes qui lui étaient confiées.
Le Vénérable Georges Bellanger fut homme de Bon Conseil, parce qu’il était grand adorateur et contemplatif du Christ-Eucharistie, “Conseiller merveilleux, Dieu fort… Prince de la Paix” (Isaïe 9, 5), parce qu’il était ouvert à l’Esprit Saint du Bon Conseil.
Son secret pour bien conseiller, il le prenait aussi dans sa dévotion spéciale à la Vierge Marie, Mère du Christ, Conseiller merveilleux et, elle-même, Mère de bon conseil.
Puisse-t-il nous inspirer de continuer sa mission de bons conseillers dans notre propre rayonnement spirituel.
++++++++++++++
Pour cette biographie toute simple, nous avons consulté le travail du Père Emile Anizan (1904) et celui de Mgr Trochu (1937) et nous nous sommes inspirés des lettres du Vénérable, ainsi que des recherches du Père André Flachot r.s.v., que nous retrouvons dans la Positio super vita et virtutibus, Volume n° II (Summarium Documentorum) Congrégation des Causes des Saints, 1988.
Nous remercions enfin tous les confrères qui ont aidé au décryptage du texte et à sa correction.
R. Laberge r.s.v.
postulateur
Généalogie des Bellanger
Antoine BELLANGER (Bellanger, Françoise, m. 1670)
Antoine 1672 – 1731 (Wattebled, Marie, m. 1705, †1732)
Antoine 1713 - (Delrue, M. Françoise m. 1736)
Pierre-François 1745 (Gomel, M. Louise, m.1788)
____________________|________________________
EUSTACHE PIERRE LOUIS ANTOINE
1790-1829 1789-1858
(FLAMENS Catherine (†1867) (BLONDEL Honorine Alex…)
| |
FÉLICIE 1825-1891 JULES 1818-1866
(mariage en 1847)
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Angèle 1849-1930
Paul 1851-1917
Hélène (carmélite) 1853-1917
Eugène 1855-1858
Julie-Eugénie 1859-1914
(Calonne Henri)
Georges (ptre rsv) 1861-1902
Arthur (ptre) 1863-1891
Un Homme de Bon Conseil
Vie du Vénérable Georges Bellanger
Religieux de S .Vincent de Paul
La France vit encore les effets de la Révolution de 1789 et de celles de 1830, de 1848. Elle cherche à se situer sur le plan social, à se donner des lois conformes à sa nouvelle image de société. Les ouvriers veulent améliorer leur situation sociale. Des journaux naissent, des poètes, des écrivains, décrivent la vie et les drames de la société. De son côté l’Eglise souffre encore de la persécution, au moins morale, et cherche de nouveaux modes d’expression avec les Conférences de Notre-Dame de Paris du Père Lacordaire, avec l’initiative de jeunes universitaires dans la Société de S.Vincent de Paul (aidés par la Servante de Dieu Rosalie Rendu, Jean-Léon Le Prevost, Bailly, etc…), avec la naissance de Congrégations religieuses pour l’enseignement, pour les missions extérieures, pour l’apostolat caritatif, dont les Frères de S.Vincent de Paul (Religieux de S. V. de P.), fondés par le Vénérable Jean-Léon Le Prevost en 1845.
Au diocèse d’Arras Mgr Parisis (1851-1866) oriente son église sur la liturgie romaine. Il prépare ainsi les fidèles à mettre en pratique le futur Concile Vatican I. Ensuite Mgr Lequette (1866-1882) accentuera la fondation d’associations de piété et d’oeuvres sociales comme les Congrès, les Conférences de S.Vincent de Paul, les patronages et les cercles, etc.
I – La Famille Bellanger
La famille Bellanger vit depuis plusieurs siècles dans le nord de la France. Les premiers membres connus semblent originaires de Dunkerque. Vers 1668 Jean Bellanger vient terminer ses jours au village d’Herbinghen. C’est à cette époque qu’Antoine Bellanger épouse une cousine, Françoise Bellanger, et ses descendants font souche à Licques, Herbinghen, Boursin, Fiennes. L’arrière grand-père de Georges, Pierre-François, né le 21 mars 1745, épouse Marie-Louise Gomel et exploite à Boursin une ferme appartenant au comte de Wavrans et les deux ancêtres du Serviteur de Dieu, Pierre-Louis-Antoine et Eustache naissent en cet endroit, respectivement en 1787 et en 1790. La propriété du comte de Wavrans est vendue quelques années plus tard. Pierre-François doit donc abandonner le Boulonnais en 1798. Heureusement il trouve à louer, non loin de St-Omer, la ferme de la basse-cour de l’ancienne abbaye de Clairmarais.
La tradition rapporte que lors de la persécution de Fructidor, août-septembre 1798, plusieurs prêtres proscrits ou anciens moines de Clairmarais sollicitèrent et obtinrent l’hospitalité des nouveaux fermiers. Des représentants de la famille Bellanger demeureront sur place jusqu’en 1875.
Pierre-Louis-Antoine Bellanger épouse Honorine Blondel et donne naissance à cinq enfants, dont le père de Georges, Jules, né à Arques le 19 janvier 1818.
Eustache épouse Catherine Flamens et donne naissance à deux enfants, Adolphe et Félicie. Celle-ci voit le jour le 8 juin 1825 à la Cloquette, sur la Commune de Clairmarais (Pas de Calais) et reçoit le baptême le lendemain en l’église de Noordpeene (Nord), église plus proche que celle d’Arques.
Lorsque Eustache décède, en 1828, la veuve Catherine quitte la ferme et se retire à Houlle (Pas de Calais) où elle développe un commerce de craie et de chaux. La jeune Félicie, de son côté, poursuit ses études au pensionnat des Ursulines de St-Omer; elle y passera quatre ans de sa jeunesse. Avec ses économies la veuve Catherine achètera une ferme à Looberghe, près de Boubourg, et y installera Félicie lors de son mariage avec Jules Bellanger. Ils se marient, en effet, en l’église paroissale de Looberghe (Nord) le 6 octobre 1847, munis de “la dispense du second degré de consanguinité accordée par Sa Sainteté Pie IX”, précise l’acte du mariage religieux,
car Pierre-Louis-Antoine et Eustache sont frères et les fiancés Jules et Félicie sont par conséquent cousins germains. Au moins sept enfants naissent de cet heureux mariage: Angèle, Paul, Hélène, Eugène, Julie-Eugénie, Georges et Arthur. Les deux premiers enfants voient le jour à Looberghe.
Lorsque Adolphe Bellanger se marie, il achète la part de la ferme appartenant à sa soeur Félicie. Le ménage Jules Bellanger - Félicie Bellanger va alors s’établir sur une ferme à quelques kilomètres de Looberghe, plus précisément à Bourbourg-Campagne.
Pour accéder à la ferme de Bourbourg, signale Mgr Trochu dans sa biographie (1937), il faut franchir sur un petit pont un fossé plein d’eau et ensuite traverser un jardin d’agrément entouré de beaux vergers. Alors on se trouve dans une cour où circulent librement poules et canards et sur laquelle s’ouvrent les bâtiments de l’exploitation: d’abord un logis central, composé d’un rez-de-chaussée et d’un étage mansardé; puis, à droite et à gauche, flanquant ce logis, de vastes étables, rejointes elles-mêmes par deux ailes qui sont encore des étables, des remises ou d’autres dépendances. Derrière le logis, on découvre deux petites constructions moins banales que le reste: le four à pain et le moulin à beurre avec sa grande roue, mue par un chien qu’on y enferme. Autour de la ferme isolée s’étendent des champs de culture, un bois que l’on côtoie en venant sur le chemin. C’est dans ce milieu rural que la famille va s’épanouir, que les parents vont travailler la terre, c’est dans ce milieu que les enfants vont jouer, s’intéresser aux animaux et aux plantes, rendre de petits services et faire leur apprentissage scolaire.
II – l’enfance de Georges
C’est fête aujourd’hui, 24 mai 1861, à la ferme de Bourbourg; un bébé vient de naître. Les heureux parents Jules et Félicie le présentent aux petits frères et soeurs, Angèle, 12 ans, Paul, 10 ans, Hélène, 8 ans et Eugénie, 2 ans L’enfant semble en bonne santé, et on se préoccupe de le présenter au Seigneur, à l’Eglise; il sera baptisé deux jours plus tard dans l’église paroissiale de Bourbourg et le régistre retiendra les informations suivantes: “Georges, Louis, Auguste, fils de Jules, propriétaire cultivateur, et de Félicie Bellanger, mariés en face de l’Eglise et habitants de cette paroisse. Il a eu pour parrain Jean François Augustin Lefebvre, grand oncle de l’enfant. La marraine, Louise Felhoën”. Cette dernière sera accueillie plus tard dans le foyer, on la considèrera comme un membre de la famille et agira comme institutrice: “les enfants furent éduqués au foyer par une “pieuse institutrice”, parce qu’ils habitaient trop loin de l’école”.
Le petit Georges s’ouvre à la vie, essaie de suivre les plus grands et reçoit une bonne éducation humaine et chrétienne. Il a bon coeur et manifeste une vraie piété. Cependant il doit encore progresser, forger son caractère. L’oncle maternel, Adolphe, soulignera “ son caractère difficile, sombre, même colère…” Et Georges lui même ajoutera: “Quand j’étais porté à la colère et à l’entêtement, mon père était très sévère à mon endroit. Comme, malgré les observations et les remontrances qui m’étaient faites, je ne voulais rien entendre, mon père me chassait de sa présence et j’étais condamné à rester dehors. A la nuit tombante, ma bonne mère ouvrait une fenêtre et faisait rentrer le délinquant”.
Les parents font de leur mieux pour bien éduquer leurs enfants et les mener sur le chemin de la vertu. Papa Jules se montrera un bon époux et un excellent chrétien. Maman Félicie, pour sa part, manifeste une grande foi. “Tous les matins, été comme hiver, elle se levait à trois heures, et partait à l’église qui était assez éloignée, entendait la messe et revenait pour mettre sur pied toute sa petite famille”. “Elle s’en allait à pied, ne voulant pas que papa la conduise en voiture, préférant qu’il reste à la maison, près des enfants”. A la maison l’Angelus, la prière du soir et le chapelet sont récités chaque jour en commun.
Georges se rappelle l’éducation chrétienne qu’il a reçue: “Ma mère me disait un mot du bon Dieu plus de cinquante fois dans une journée et je ne m’en apercevais pas… Il m’entrait dans le sang, ce mot du bon Dieu, ce mot à la louange, ce mot à la reconnaissance”.
Une veuve et des orphelins:
Les épreuves ne manquent pas; elles font partie de la vie de chaque famille et de chaque personne. Les Bellanger ont eu la douleur de perdre en 1858 un enfant de trois ans, Eugène. Voici qu’un grave accident vient de nouveau perturber la sérénité familiale; cette fois c’est le papa qui est gravement blessé. Un matin de novembre 1865, la voiture que conduit M. Jules Bellanger se renverse dans le fossé et le malheureux est projeté à terre, recevant en pleine poitrine l’un des montants; malgré les soins prodigués pendant plusieurs semaines une hémorragie interne continue ses dommages et le conduit à la mort le 25 février 1866.
La veuve reste avec six enfants, la plus vieille a 16 ans, le plus jeune, moins de trois ans, Georges n’a pas encore 4 ans. Avec esprit de foi maman Félicie surmonte sa douleur et fait face à tout: elle continue seule l’exploitation de la ferme, sans négliger l’éducation de ses enfants.
Georges grandit. À part les promenades et les ébats nécessaires, il s’intéresse à ses études et ne manque jamais une occupation importante, “la célébration de sa messe”. Pour lui la “messe” est plus qu’un jeu! Il se montre très sérieux, il “impose” même la présence des siens à cette activité quotidienne.
A neuf ans les colères sont plus rares, l’enfant se montre plus souple. On remarque aussi chez lui une dévotion particulière pour la Sainte Vierge; ainsi quand on explique des faits de la vie de Notre-Seigneur, Georges demande: “et la Sainte Vierge, où était-elle pendant ce temps-là?” On note également son attrait prononcé pour les cérémonies liturgiques, surtout pour la sainte Messe, la vraie! Il suit régulièrement le catéchis-me de la paroisse. La maman en est fière et fait remarquer au prêtre de la paroisse de Bourbourg, l’abbé Laurent-Louis-Joseph Hooft: “N’y aurait-il pas en cet enfant le germe d’une vocation sacerdotale?” Celui-ci répond: “Cultivez ce trésor; une mère chrétienne, en pareil cas, sait bien ce qu’elle doit faire: prière, exemple et vigilance”.
Dépaysement:
La vie continue, avec ses joies, ses peines et ses préoccupations. Depuis un certain temps, en effet, une cousine de Félicie, Clémence Bellanger, mariée à Ferdinand Degrave, invite la famille Bellanger à déménager et à venir vivre près d’elle. Au printemps de 1870, cédant aux instances, Félicie quitte définitivement la ferme de Bourbourg-Campagne pour aller s’établir à Moulle, sur la propriété que lui offrent les Degrave. La maison s’élève sur une sorte de presqu’île, dans la fourche de deux ruisseaux à l’extrême limite de la commune de Moulle, à une centaine de mètres de l’église de Houlle, centre de la paroisse voisine; malgré la distance, la famille fréquentera l’église paroissiale de Moulle.
III – La formation au sacerdoce
Un jour Georges avait demandé la faveur d’entrer au séminaire; cela se passait un peu avant d’arriver à Moulle, au début de 1870. En attendant la rentrée scolaire et contraint par les événements politiques: guerre de 1870, capitulation de Sedan, chute de l’Empire, siège de Paris, armistice franco-allemand, l’élève prépare son passage au petit séminaire. L’institutrice Louise Felhoën, en effet, n’est pas qualifiée pour l’enseignement supérieur; c’est Mgr Le Roy, curé de Houlle, qui s’en chargera temporairement en donnant des leçons particulières de latin et de grec.
Maman Bellanger décide donc de placer Georges au collège Saint-Bertin de St-Omer. La rentrée a lieu au début d’octobre 1871. La maman l’accompagne et se rend d’abord à l’église Notre-Dame de St-Omer, devant l’image de Notre-Dame des Miracles. A droite de la Vierge on aperçoit un tableau de saint Georges victorieux du dragon: “C’est ici, dit-elle, qu’il y a dix ans, je t’ai mis sous la protection de la Sainte Vierge et de ton saint Patron. Je vais refaire aujourd’hui la même chose pour que tu sois, à Saint-Bertin, un bon petit écolier”. Après quelques minutes de marche, Georges se trouve devant le collège; il découvre sa nouvelle demeure, un édifice à longue façade en brique rouge; il admire la cour d’honneur spacieuse et le cloître; c’est ici qu’il poursuivra ses études. Maman Félicie le présente au directeur de la Maison, l’abbé Henri Graux. L’ancien directeur se rappellera ce moment de la vie de Georges; il révélera: “j’ai reçu ce prêtre dès son enfance des mains de sa pieuse mère, lorsque jeune encore elle me le donna en me disant: “Surtout faites-en un bon chrétien; élevez-le pour Dieu”.
Le nouvel élève est placé en huitième année. On note qu’il a peu d’imagination et encore moins de mémoire; l’étude de la grammaire est difficile. Le rendement scolaire est donc loin de le placer au premier rang de sa classe, le petit nouveau acquiert cependant une place dans l’estime de ses supérieurs et de ses condisciples. Le bulletin du collège nous révèle que “moyennement favorisé du côté de l’intelligence, il lui est arrivé de n’avoir pas d’autres prix que ceux de sagesse et d’instruction religieuse… mais sa piété ne s’est jamais démentie. Il est l’élève modèle, de qui les camarades se gardent quand ils veulent faire un mauvais coup, et à qui l’autorité confie les fonctions de sacristain pour le mettre à même de satisfaire ses goûts de piété en le rapprochant de l’autel…”
C’est grande joie le jour de la Pentecôte, le 1er juin 1873, car Georges fait sa Première Communion. C’en sera une autre le 18 juillet, ce sera un moment aussi important pour sa vie chrétienne, l’évêque vient lui donner le Sacrement de la Confirmation; l’Esprit Saint commence une autre étape de la transfiguration du disciple.
Un miracle?
En 1876 Georges a quinze ans; il est en quatrième. Les études se poursuivent. Mais un jour, au retour d’une promenade, il tire la jambe. Il arrive au collège avec difficulté. La douleur l’oblige même à se mettre au lit et à faire venir le médecin, qui diagnostique une coxalgie, c’est-à-dire une arthrite tuberculeuse de la hanche. Georges est contraint de revenir à la maison familiale et à rester au lit. “Vous savez probablement qu’il y a 3 ans, j’ai été excessivement malade; ma chère Mère a voulu me soigner les 3 mois qu’a duré ma maladie”, rappellera-t-il le 26 août 1879. Les remèdes sont inutiles; on décide de l’opérer. Les résultats sont décevants, si bien que le docteur confie à la maman qu’il n’y a plus rien à espérer. Mme Bellanger se jette alors aux pieds de la Sainte Vierge et lui dit: “O notre Mère du Ciel, guérissez notre petit Georges… seulement s’il doit devenir un saint prêtre!”
On fait neuvaine sur neuvaine. Plusieurs personnes prient avec la famille; ils entreprennent même un pèlerinage à 7 ou 8 kilomètres, jusqu’à la paroisse voisine, pour y prier Notre-Dame des Sept Douleurs. Le mercredi 31 mai 1876, jour où l’on célèbre à Issoudun (Indre) la fête de Notre-Dame du Sacré-Coeur, Georges se sent soudainement guéri. Le docteur constate la guérison complète. “Je serais fort coupable si je n’aimais pas la Sainte Vierge: je suis son miraculé”, déclarera-t-il dans un de ses sermons. “A l’âge de quinze ans j’étais condamné à mort par les médecins; on allait bientôt clouer les quatre planches de mon cercueil, lorsque ma bonne mère me dit: “tous les médecins de la terre n’y peuvent rien; mais la Sainte Vierge est toute-puissante”.
A la rentrée d’octobre 1876, Georges peut revenir au collège et reprendre avec courage ses études; il lui faut persévérer encore trois ans, avant de songer au grand séminaire. L’étudiant, en effet, se sent toujours appelé au sacerdoce; avec un brin d’humour, il confie à sa mère: “Oui, maman, je pense toujours à dire la messe pour de bon!”.
Le grand séminaire:
Les études de base étant terminées, Georges peut enfin envisager le passage au Grand Séminaire. Dans le but de bien se former en théologie, deux de ses proches amis, Georges Raffin et Alphonse Evrard, partiront bientôt pour le Séminaire St-Sulpice à Issy-les-Moulineaux. Georges voudrait bien les suivre. Mais sa mère est malade; l’abbé Graux lui conseille de rester dans le diocèse d’Arras: “rencontrant seule [ma mère], je lui ai dit que j’avais beaucoup désiré aller à Issy, mais puisque M. Graux trouvait que c’était inutile et que je savais qu’elle en avait beaucoup de peine, j’allais faire tous mes efforts pour abandonner cette idée”, écrira-t-il le 15 août 1879.
C’est le 1er octobre 1879 que Georges se présente au grand séminaire d’Arras. Il admire ce monument long, gris, aux multiples fenêtres, qui se dresse à l’ombre de la cathédrale dédiée à saint Vaast. Il imagine déjà sa nouvelle vie de séminariste, de futur prêtre, et il se réjouit à la pensée qu’il pourra participer souvent aux cérémonies liturgiques de l’Eglise diocésaine.
Mais il lui faut “faire le pas”, entrer, c’est-à-dire, s’initier au séminaire. Et ce premier pas, c’est la retraite, qu’il veut faire sérieusement, comme il l’exprime à son ami Raffin: “Je pourrai me donner tout entier à Jésus et à sa sainte Mère et leur consacrer toute mon année et toute ma vie” (23 septembre 1879).
Puis commence l’initiation à la vie avec de nouveaux confrères et avec de nouvelles études. Georges fait tout son possible pour vaincre l’aridité des études, pour surmonter son manque de mémoire et pour supporter des névralgies. Il veut aussi se corriger de certains défauts et acquérir les vertus sacerdotales. “C’est de ma petite chambre que je vous écris ce soir; vous ne sauriez croire comme je suis heureux; ici c’est pour le Bon Dieu, et pour Lui seul, que je travaille. Ce n’est plus pour ce vil motif de l’oeil du maître qui de temps en temps était encore, hélas, la seule cause de ma bonne conduite” (27 octobre 1881).
Timide par nature, la fusion avec les confrères lui est particulièrement difficile: “Quant à mes relations, révèle-t-il en janvier 1881, j’essaie de vaincre ma sauvagerie habituelle pour aller avec tous les séminaristes indistinctement; j’aurai beaucoup de mal à y parvenir”. Sa passion pour la pénitence lui ferait dépasser les limites de la discrétion.
Pour l’aider dans sa dévotion eucharistique ou parce qu’on discerne chez lui une aptitude acquise au petit séminaire, les supérieurs lui confient la responsabilité de la chapelle: voici comment il s’en réjouit dans la lettre que nous venons de citer: “Ma charge de sacristain, jointe à mes devoirs de séminariste, ne me laisse plus de ces heureux moments que l’année dernière je vous consacrais. Mais je ne dois pas me plaindre, si cette charge m’impose quelquefois le sacrifice de ne pouvoir écrire à mes chers amis, elle me procure d’un autre côté de bien douces consolations et entre autres, celles de me trouver jusque sept ou huit fois tous les jours au pied du tabernacle de Jésus et d’être chargé d’entretenir les linges et les vases dans lesquels Il daigne descendre si souvent. Ne me trouvez-vous pas bien heureux, mon cher Georges? c’est moi qui le premier souhaite le bonjour à notre divin Maître et c’est encore moi qui le dernier lui dit au revoir le soir, avant de me coucher. C’est à ce moment surtout, où tout est calme dans le séminaire, à ce moment où je suis ordinairement seul au pied du tabernacle qui n’est plus éclairé que par la petite lampe du sanctuaire que j’aime à penser aux absents et à parler à Jésus pour eux...”(12 janvier 1881).
En plus des cours, le séminaire offre des causeries pour nourrir la vie spirituelle; Georges goûte les interventions de son supérieur, l’abbé Partenart, sur l’Eucharistie, entre autres. Mais on aborde également le sujet des ministères futurs.
Un jour, on invite un jeune prêtre de Paris, l’abbé Henri Lucas-Championnière; ce dernier attire l’attention des séminaristes sur la misère morale et spirituelle des pauvres, dont celle des jeunes gens appelés sous les drapeaux, les soldats. Georges restera marqué par cette préoccupation apostolique; il cherchera à rencontrer le conférencier, sans toutefois y réussir. Plus tard il apprendra qu’il s’agit d’un religieux appartenant à une jeune communauté, les Frères de S. Vincent de Paul, fondée à Paris en 1845 par le Vénérable Jean-Léon Le Prevost, dans le but de contribuer à soulager la pauvreté, sous quelque forme qu’elle se présente. Ainsi durant le Siège de Paris et la Commune, plusieurs de ces religieux, prêtres ou frères laïcs, servent comme infirmiers, assistent les soldats ou les accueillent dans leurs locaux, etc.
Parmi les autres conférenciers appelés au Grand Séminaire pour compléter la formation des futurs apôtres, notons également l'abbé Raoul de Préville, fondateur de l'oeuvre Notre-Dame des Apprentis de Boulogne-sur-Mer. En 1883, il passe aux Séminaires d'Arras, de Lyon, du Puy, de Clermont. Son sujet favori est l'utilité des patronages, les ressources nécessaires pour entreprendre ces oeuvres, les objections principales faites contre les patronages. L'abbé favorise aussi la création des conférences d'oeuvres dans les grands séminaires. Les membres sont des séminaristes volontaires; ils se réunissent une fois par semaine pour mieux connaître les mouvements des oeuvres de jeunesse et pour éveiller le zèle des futurs prêtres. Notons, en passant, que l'abbé de Préville [1845 - 1894] est prêtre depuis 1871; il vient d'entrer dans la Congrégation des Religieux de S. Vincent de Paul [noviciat en septembre 1881, profès en 1883].
Le 22 mai 1880 le Serviteur de Dieu reçoit la Tonsure cléricale; cette cérémonie de coupe de cheveux indique une rupture avec la vie antérieure, le passage à une nouvelle vie; le séminariste est admis parmi les membres du clergé.
Le 3 juin 1883 l’évêque lui donne les ordres mineurs (aujourd’hui réduits aux ministères de Lecteur et d’Acolyte). Le séminariste écrira dans ses notes spirituelles: “le Portier doit garder Jésus-Eucharistie... je serai votre garde du corps”. “Le Lecteur doit faire connaître au peuple la Sainte Ecriture... je veux la méditer tous les jours afin de faire aimer votre loi aux âmes que vous me confierez plus tard”. “L’Exorciste chasse les démons du corps des possédés... donnez-moi, ô Jésus, un très grand amour pour la pureté de mon coeur, et une générosité sans bornes dans les sacrifices que vous me demanderez..”. “L’Acolyte allume les cierges à l’autel; il doit, lui aussi, être une lumière dans l’Eglise... je m’efforcerai de donner à tous le bon exemple...”
En 1882, Georges s’inscrit dans l’association de l’Apostolat de la prière, fondée en 1844, pour obtenir le triomphe de l’Eglise et le salut des âmes. Pour le nouvel Associé, il ne s’agit pas d’une formalité supplémentaire, ni d’une autre occasion de “gagner” des indulgences, mais c’est un acte réfléchi, un “apostolat” de foi qui le marquera toute sa vie. Le 19 février 1884, il fait un pas de plus, il devient “Zélateur du Coeur de Jésus, de l’Apostolat de la prière et de la Communion réparatrice”, il accepte une certaine responsabilité d’animation auprès des autres membres Associés.
Le sous-diaconat: (ministère supprimé depuis)
Le séminariste Bellanger s’attend à être ordonné Sous-diacre le 19 mai 1883. Il écrit donc à son ami Géry Dambricourt: “ Dans trois mois, à pareil jour, une autre cérémonie autrement décisive viendra peut-être de se terminer pour moi! Peut-être me serai-je consacré au service de Dieu et des âmes pour toujours. C’est une époque désirée et redoutée tout à la fois et j’ai besoin d’être soutenu par les prières de tous ceux qui m’aiment, je ne doute pas que tu sois du nombre, aussi je m’adresse à toi avec confiance”.
Le 19 juin 1883 Georges remercie son ami Dambricourt pour le Bréviaire (l’Office des Heures) que ce dernier veut lui offrir: “Le cadeau vraiment magnifique qui m’attend chez moi m’a doublement touché. C’est
d’abord l’attention si délicate, de la part de ta Mère et de la tienne, de m’offrir un souvenir d’ordination et je t’assure que je n’ai pu m’empêcher de me reporter à une autre époque de ma vie que tu as voulu, aussi, marquer par un charmant souvenir, je veux dire l’époque de ma première communion... Ce pourquoi je dois encore te remercier, c’est pour la beauté du souvenir que tu m’as offert... Merci donc de tout coeur; ce souvenir, offert par un ami bien cher à l’époque de mon sous-diaconat sera toute ma vie un de ces objets qu’on ne peut revoir sans bonheur et qui vous rappelle tout naturellement l’aimable donateur. Comme je l’ai dit à ta Mère, je me souviendrai tout particulièrement de vous au jour de ma consécration définitive, et dans la suite, lorsque je réciterai le Saint Office”.
C’est plutôt le 15 juillet 1883 que Mgr Meignan, évêque d’Arras, conférera le Sous-diaconat. Les notes spirituelles du nouvel ordonné révèlent son propos: “Le sous-diacre fait voeu de chasteté perpétuelle et s’oblige à la récitation quotidienne du bréviaire. Avec votre sainte grâce, ô Jésus, avec votre aide, ô Marie, je serai, toute ma vie, chaste de corps, chaste d’esprit, chaste de coeur, et toute ma vie, pour obtenir cette chasteté, je réciterai avec amour et respect le saint Office...” Et le 27 juillet, il écrit: “même les joies les plus pures et les plus saintes de la famille n’ont rien de comparable au bonheur sans mélange que l’on goûte lorsqu’on se donne tout entier à Jésus et Marie. Demande au Bon Dieu que je sois fidèle et que toute ma vie je sois prêt à tout sacrifier, même ma vie, pour sa gloire et celle de la Sainte Eglise”.
L’abbé Georges passe ses vacances de 1883, comme d’habitude, dans sa famille, où il se repose, prie et visite parents et amis. Apprenant qu’un confrère séminariste se rend en pèlerinage à Lourdes, où il est allé en 1880, il lui confie sa propre expérience: “A Lourdes, comme vous le verrez facilement, on n’est plus sur terre; on y goûte un bonheur inconnu jusque là, et lorsque, s’en retournant dans sa famille, l’on traverse ces grandes cités où les hommes ne pensent qu’à la terre, on sent son coeur se serrer; et instinctivement il se reporte au pied de la blanche statue de la grotte. Recommandez, s’il vous plaît, à la Vierge Immaculée ma pauvre mère, mes frères et soeurs, votre ami. Présentez-lui mon sous-diaconat...”
Le diaconat:
Les études théologiques reprennent en octobre avec la préoccupation de préparer de façon plus prochaine la réception du Sacrement de l’Ordre. Le 26 novembre Georges annonce, en effet, des événements importants: “Quant à moi, mon cher Géry, le Bon Dieu ne tardera pas à opérer de nouveau en moi de bien grandes choses. Quelques jours encore et j’espère être diacre! Quelques mois et je serai prêtre. Je suis effrayé à la pensée que, de ce jeune homme que je suis, Notre Seigneur d’ici à peu de jours va faire un prêtre, c’est-à-dire un vieillard, qui chaque jour de sa vie fera descendre sur l’Autel le Dieu du Ciel et qui le donnera aux âmes par les sacrements. Quel beau jour que celui où moi, ton ami d’enfance, je pourrai pour la première fois te donner en nourriture le Dieu de l’Eucharistie”.
C’est le 22 décembre 1883 que notre séminariste reçoit le Diaconat. Il note dans son Carnet spirituel: “Je prends ce soir la résolution de me sacrifier tout spécialement dans mon amour-propre, en ne disant rien ni ne faisant rien pour m’attirer l’estime et l’affection des hommes, dans ma sensualité, en me privant le plus possible de toute superfluité dans la nourriture, et dans mon caractère, en étant toujours gai et aimable”.
Un retard?
Georges espère être ordonné en même temps que ses confrères, le 13 juillet 1884, mais il redoute l’écueil canonique de l’âge: il n’a que 23 ans! Il présente donc une demande de dispense à son évêque, Mgr Meignan; rien ne motive une réponse d’exception: “Le Bon Dieu n’a pas voulu que je fusse prêtre cette année. La dispense d’âge, qui m’était nécessaire, ne m’a pas été accordée. Et je serai diacre durant une année entière; on en a de la peine à Moulle. Heureu-sement ma famille sait supporter généreusement les sacrifices que Notre Seigneur sème
tous les jours sous les pas de ceux qu’il aime!”, écrit-il en juin... Plus tard, en 1900, le Serviteur de Dieu confiera à un séminariste qui vit la même incertitude: “J’ai été diacre deux ans et je pouvais être prêtre un an plus tôt, moyennant une démarche que mon confesseur ne m’engageait pas à faire. J’ai toujours attribué l’efficacité de mon ministère à ce sacrifice que le Bon Dieu m’avait imposé”.
Le sacerdoce:
“Je serai prêtre le 12 juillet prochain; aide-moi à me préparer au plus grand acte de ma vie, surtout en priant Marie” (24 avril 1885). A un mois du grand jour il ajoute: “Mon cher ami, le désir et la crainte se partagent mon âme. La sainteté du diacre qui est sur le point de recevoir le caractère divin du sacerdoce doit être si grande; recommande-moi souvent à la Vierge Marie durant ces derniers jours”.
Les préparatifs vont bon train: à l’intérieur de la chasuble qui lui est offerte, l’abbé fait écrire les mots: “Tuus sum ego, ô Maria, in aeternum! Je suis tout à Toi, ô Marie, pour l’éternité”. Sur son image-souvenir il fait inscrire sa devise: “Je suis tout vôtre, ô Marie!”. Des amis fidèles lui offrent un calice.
Enfin le jour si attendu arrive, Mgr Dennel confère le Sacrement à trente-cinq diacres: “Nous, Désiré Joseph Dennel, ... rendons public qu’en vertu d’un indult apostolique, le 12 juillet 1885, lors d’une célébration aux saints ordres et d’une messe pontificale en l’église cathédrale, selon les règles et le droit canonique, et par la grâce de Dieu, avons promu à l’Ordre sacré du Presbytérat notre cher frère dans le Christ, Georges, Louis, Auguste Bellanger, déjà chargé de l’ordre sacré du Diaconat et trouvé, après examen, à la hauteur de la tâche”.
Le nouveau prêtre est encore tout plein de joie et la communique à ses amis: “Voilà bientôt un mois que je suis prêtre, eh bien! je puis te dire que pas un jour je ne t’ai oublié au Memento de la Messe... Unissons-nous plus que jamais dans la prière; j’ai entre les mains désormais le corps et le sang de Notre Seigneur; sois persuadé que souvent ils sont offerts pour toi et ceux que tu aimes. Permets-moi de te bénir de tout mon coeur”.
Les projets ne manquent pas pour bien vivre la grâce reçue: “Nous vivrons d’une vie tout à fait régulière, écrit-il au confrère Delohen. Nous prierons ensemble, nous travaillerons ensemble, non seulement la théologie, mais même les sciences que nous devons enseigner à nos élèves. Pauvre ignorant, je n’ai pas l’intention de faire la classe de quatrième, mais plutôt d’être sur bien des points votre élève soumis. Que de choses j’aurai à faire cette année!”
IV – L'éducateur
Le Professeur
“Tu me demandes aussi à quelle partie de ministère mes supérieurs me destinent; confie-t-il à un ami, lorsqu’il apprend le report de son ordination au sacerdoce. Je puis te dire aujourd’hui d’une manière certaine que je passerai quelques années dans le professorat” (23 mai 1884). Dans le diocèse d’Arras, en effet, l’enseignement libre exige plusieurs collaborateurs. L’évêque nomme donc le diacre Bellanger professeur au petit séminaire d’Arras et il le charge de la classe de sixième. Aussi, à la fin de septembre, nous retrouvons l’abbé Georges à Marcq-en-Baroeul, près de Lille; il est venu participer à la retraite des professeurs. Et quelques semaines plus tard, le 30 octobre 1884, il décrit sa nouvelle fonction: “La vie est bien changée pour moi. Au lieu de profiter de la science des autres, je dois confier à de jeunes intelligences le peu de science que j’ai pu acquérir jusqu’ici. Je fais la classe de sixième et j’ai trente-deux enfants de dix à quatorze ans, remplis de bonne volonté et d’intelligence pour la plupart”. Envers ses élèves il manifeste une bonté surnaturelle et, grâce à son tempérament volontaire, il
sait se faire respecter. Un ancien élève, l’abbé Laigle le décrira, en 1904: “un professeur consciencieux, surtout bon, dévoué et cherchant par tous les moyens possibles de rendre sa classe intéressante et profitable”.
Directeur de la Maison des Saints-Anges
En 1887 l’abbé Bellanger reçoit du supérieur du Petit Séminaire, Monsieur Deramecourt, la charge de la Maison des Saints-Anges, située au 49 rue Baudimont, en face du séminaire. Cette maison a été fondée une vingtaine d’années auparavant, dans le but de préparer les petits de neuvième et de dixième à mieux profiter des études qu’ils feront au Petit Séminaire. Le nouveau directeur y reste jusqu’en 1890. Dans cette nouvelle fonction l’abbé Georges manifeste une grande autorité, il enseigne avec une grande clarté et il a les qualités d’un bon professeur. De plus il pousse ses jeunes à aimer la Sainte Vierge et il nourrit leur zèle apostolique en leur suggérant des intentions de prière: conversion d’un malade, d’un soldat... Il prépare les petits à leur Première Communion.
L’accompagnateur spirituel
Son influence s’étend aux autres divisions du petit séminaire, où le prêtre assure encore le ministère de la confession. En effet les deux tiers des élèves de la grande division, affirme M. Henri Marchand, demandent le Sacrement à l’abbé Georges. Celui-ci se montre également un très bon accompagnateur spirituel: “il recevait les élèves dans son bureau du rez-de-chaussée, causait familièrement avec eux en dehors de la confession et les amenait facilement à suivre ses orientations. Sa direction était virile, exigeante, afin de bien former la vertu nécessaire aux futurs prêtres, mais il saura également se montrer bon, compatissant à l’occasion”. Après une longue expérience du ministère, il écrira dans son carnet spirituel ces quelques mots: “J’aime mieux avoir à rendre compte à Jésus Christ d’une trop grande bonté, que d’une trop grande rigueur”. A son tour il propose la méditation du matin, et ses réflexions sont très appréciées des élèves et des confrères.
Le directeur spirituel développe une dévotion plus poussée envers l’Eucharistie. Dans les années 1890, il faut s’en souvenir, la communion quotidienne est inconnue; les élèves communient le dimanche et aux fêtes. L’abbé Georges luttera contre le courant et amènera les séminaristes à la communion fréquente, en commençant par inviter les élèves les plus pieux.
Le souci surnaturel du jeune prêtre se manifeste même durant les vacances. Le Chanoine Camille Vitel dira: “Aux grandes vacances il invitait les petits séminaristes à une récollection prêchée par lui-même et par M. Anizan [Emile]... les séminaristes peu fortunés étaient défrayés du prix de l’hospitalité et du billet de chemin de fer”.
L'abbé Georges continuera jusqu'en 1896 à s'occuper du Petit Séminaire. Il le souligne dans une lettre du 9 octobre 1895: “Je fais un grand sacrifice en ne répondant pas à votre si aimable invitation... La rentrée a eu lieu, au Petit Séminaire, et pour la besogne qui m’est imposée, il faudrait deux hommes”.
V – L’aumônier militaire
La pastorale auprès des soldats en France:
Depuis 1789, l’aumônerie militaire n’a guère été favorisée en France. En 1850 un laïc, Germain Ville, entreprend une croisade en faveur des soldats, attirant l’attention du clergé et des fidèles sur cette grande détresse spirituelle.
Un certain nombre de prêtres s’offrent comme aumôniers volontaires. En 1855 l’épiscopat et l’autorité militaire tombent d’accord pour ouvrir, non sans difficultés, les portes des forts de Paris à quelques aumôniers. Il faut attendre le 20 mai 1874 pour qu’une loi donne à la religion son droit de cité dans l’armée française: mais le même gouvernement ne fournit pas les ressources nécessaires à son application. L’Oeuvre de Notre-Dame des Armées se développe quand même et répand ses bienfaits. L’abbé Baron, aumônier de la caserne de l’Ecole militaire de Paris, fonde la Légion St-Maurice dans le but de former des apôtres dans l’armée; mais bientôt cette dernière initiative suscite les soupçons et est frappée d’interdiction. L’oeuvre de l’apostolat de l’armée périclite; on constate chez les catholiques une indifférence et dans l’administration de l’armée, une opposition, une malveillance. Le 9 juillet 1880, le gouvernement abolit la loi autorisant l’aumônerie militaire. Pour pallier au pire, certains organisent alors une aumônerie volontaire paroissiale pour le temps de paix.
Un service occasionnel (1886-1890)
Arras, capitale de l’Artois et centre militaire, possède depuis Vauban (1633 - 1707) une citadelle et la caserne Schram, où tiennent garnison le 3è Génie et le 33è d’Infanterie. En conformité avec la loi du 20 mai 1874 un aumônier officiel a été nommé, en la personne de l’abbé Charles Chatelain; ainsi de nombreux services sont offerts aux enfants du régiment des mineurs et aux soldats. Les Frères des Ecoles chrétiennes organisent dans leurs classes un cours du soir pour les illettrés et un local est organisé pour les soldats. Mais en 1881 l’abbé Chatelain meurt subitement. L’aumônerie est donc confiée à un vicaire de la paroisse Saint-Nicolas-de-Cité, M. Ricis. Cinq ans plus tard un nouveau vicaire, M. Zéphir Chatelain (sans lien de parenté avec l’abbé Charles), remplace le vicaire Ricis dans la fonction d’aumônier et trouve une oeuvre militaire à peu près délaissée. Pour remédier à cette triste situation, l’abbé cherche de l’aide occasionnelle pour le service auprès des soldats; un jour, pour la Toussaint, il demande à son ami du petit séminaire, l’abbé Georges Bellanger, de venir entendre les confessions des soldats. M. Bellanger répond avec simplicité et dévouement: il s’agit d’un service à rendre, un ministère tout simple. Mais voilà l’événement providentiel grâce auquel le jeune prêtre découvrira sa véritable vocation! “C’est à vous que je dois ma vocation, car j’étais l’homme le moins fait pour être aumônier des soldats”, dira-t-il, en exagérant un peu sur son manque d’aptitudes.
L’abbé Chatelain dirige l’oeuvre et veut la rendre plus attrayante; M. Bellanger continue son engagement occasionnel, sans négliger son premier ministère au petit séminaire. Il annonce la Bonne Nouvelle, il confesse, il veut donner une grande place à la Sainte Vierge. En la fête de l’Immaculée Conception il bénit officiellement une petite statue de Notre-Dame des Armées. L’année suivante, en l’anniversaire, l’abbé Bellanger reconnaît: “Il serait difficile de compter les grâces spirituelles et temporelles dont la Vierge Immaculée s’est plu à combler notre famille militaire”. L’Oeuvre reprend donc vie; elle se développe. En 1886 on compte cinq ou six soldats, au jour de l’inauguration de la statue de Notre-Dame des Armées, ils sont vingt, en mai 1887 l’oeuvre atteint une cinquantaine de membres, pour arriver en quelques années jusqu’à deux cents bénéficiaires.
Aumônier volontaire des soldats (1890-1900)
En 1890 Mgr Dennel décharge l'abbé Bellanger de la direction de la troisième division, la Maison des Saints-Anges, et le nomme officiellement aumônier militaire de la garnison d'Arras et responsable des oeuvres militaires du diocèse.
“Aumônier volontaire des soldats”: voilà le titre de l’abbé Bellanger, qu'on peut lire sur ses cartes de visite et petits billets.
Ecoutons la description que l'aumônier fait de son rôle, dans un rapport à Mgr Dennel, en 1889; c'est le fruit de l'expérience personnelle:
“Plus que tout autre, le soldat a besoin du prêtre, s’attache au prêtre, aime le prêtre comme homme de Dieu. Mais il est bon qu’il ait un prêtre, toujours le même, un prêtre spécial, qui connaisse toutes ses misères, toutes ses peines. Le soldat se confesse facilement et loyalement, mais il ne change pas volontiers de
confesseur. Il est bon qu’il ait un prêtre que les visites, même inopportunes, même interminables, ne dérangent jamais. Que de fois une visite qui me faisait gémir intérieurement sur la perte de mon temps, s’est terminée par une bonne confession.
Il faut encore au soldat un prêtre qui sache aller à sa recherche partout où il pourra le rencontrer: dans les églises, dans les salles d’hôpital, même au coin détourné d’une rue. Combien ont été rencontrés dans le coin de quelque église, où ils priaient le Bon Dieu de tout leur coeur. D’autres, au détour d’une rue, se voyant seuls, osaient nous saluer et nous engageaient ainsi à les aborder franchement et à les amener chez nous.
Près du prêtre s’occupant des soldats, il faut une oeuvre, il faut une maison où ceux qu’il groupera peu à peu pourront se réfugier durant les heures de liberté, heures les plus dangereuses de toutes. Que l’oeuvre soit modeste, cachée, non pas que l’on ait à craindre les autorités militaires, généralement très favorables aux prêtres qui s’occupent de soldats, mais plutôt les mauvais camarades qui, entrant comme des loups dans la bergerie, mettraient bien vite en fuite les timides agneaux.
Du reste la bonne Providence a en son pouvoir mille moyens de faire arriver au prêtre les soldats sur qui elle a des desseins de miséricorde, sans qu’il soit nécessaire de recourir au moyen de la publicité; nous l’avons constaté bien des fois dans notre oeuvre d’Arras”.
Les moyens surnaturels
Le secret de la réussite dans l’oeuvre militaire d’Arras, ce sont les moyens surnaturels: la prière, la confession, l’adoration, la communion et la prédication, par conséquent la présence assidue d’un prêtre rempli de foi et de zèle apostolique, sans oublier l’apostolat des laïcs. “Le surnaturel n’éloigne pas les soldats, affirme l'aumônier. Je dirai même que c’est la seule chose qui les attire”.
L'Eucharistie
“La Sainte Communion quotidienne, pour une très petite exception, continue l'abbé Bellanger, la Communion de tous les huit jours pour quelques-uns, de tous les quinze jours ou de tous les mois pour un nombre relativement considérable, et de ces communions à toute heure de la matinée, je devrais presque dire à toute heure de la journée, voilà ce dont je suis témoin depuis plus de deux ans. Et comme le Bon Dieu me fait, je pense, un devoir de tout vous dire [Monseigneur], je vous donnerai des chiffres, quoique les chiffres n’aient ordinairement pas grande valeur en cette matière”.
“Pendant le seul mois de Mars, saint Joseph s’est montré d’une manière admirable bon Père nourricier des soldats. Nous avons eu le bonheur de donner une centaine de fois le Vrai Pain de Vie à tous ces pauvres affamés, bien qu’on fût à la veille de la Communion Pascale”.
La visite au Saint Sacrement
L'aumônier recommande que, dans les oeuvres des soldats, Notre Seigneur ait la première place: “Plus le soldat vit d’ordinaire terre à terre, plus il est nécessaire de le plonger dans le surnaturel. Tout d’abord il vient au pied du Saint Sacrement comme l’homme de garde qui ne dit rien, qui ne fait rien, mais dont la tenue est correcte; un peu à la fois son coeur s’échauffe sous les bienfaisants rayons du Soleil Eucharistique et il finit par croire d’une foi pratique à la présence réelle de Notre Seigneur...” “Tous les jours Notre Seigneur est visité, même en dehors du moment de la prière du soir”.
“Il serait profondément édifiant, disait-il aux soldats, de vous voir tous vous diriger, quand vous entrerez dans cette maison, vers la chapelle, pour vous y agenouiller un instant seulement et dire un mot d’adoration et d’amour au bon Dieu... je serais peiné d’avoir votre première poignée de main”. Pour l’abbé Bellanger une Oeuvre, c’est d’abord une chapelle, et le tabernacle en est le coeur!
L'adoration
“Tous les mercredis, écrit-il à titre d'exemple, le Seigneur est adoré solennellement pendant une heure et ce jour-là les rangs sont trois ou quatre fois plus serrés qu’en temps ordinaire. C’est vraiment le Dieu de l’Eucharistie qui les attire”. Ne trouvant aucune église ni chapelle, qui puissent accueillir sans inconvénient des adorateurs nocturnes, M. Bellanger demande la permission de transformer en chapelle, pour une nuit par semaine, le salon d’un de ses grands amis, M. Marchand, qui habite au 23, Quai des Casernes. Tous les dimanches l’aumônier transporte le Saint Sacrement sous son manteau, accompagné de deux soldats. Et la nuit se passe en adoration et en prière du rosaire. Un peu avant l’aurore on y célèbre la sainte Messe, on y communie, puis on rentre à la caserne pour reprendre le service. Cette situation durera deux ans.
“Un an environ après la fondation [de l’oeuvre militaire], note l'aumônier, nous avions commencé à réciter solennellement le saint rosaire chaque jeudi soir devant le Saint Sacrement exposé... mais bientôt s’ajouta l’adoration et le rosaire de toute une nuit, chaque semaine. De cinquante à soixante soldats venaient par groupes de quinze à vingt, chaque nuit, dire le saint rosaire à tour de rôle...
La dévotion à la Sainte Vierge
La prière mise à l’honneur, c’est le chapelet, le rosaire, l’Ave Maria: “Pour sauver le soldat, répète l’aumônier, je ne crois plus qu’à la Sainte Vierge et à son rosaire”. “Le soldat, fidèle à méditer l’amour de son Dieu dans le rosaire qu’il peut dire partout et toujours, fidèle à prier sa Mère du Ciel, sera toujours un apôtre; et il faut que le soldat soit un apôtre pour persévérer. Le soldat fidèle au sacrement de la sainte Vierge, c’est-à-dire au rosaire, sera fidèle aux sacrements de Notre-Seigneur...
“Et la Sainte Vierge, cette bonne Mère à qui nous devons tout, comme ils l’aiment!, écrit encore l'abbé Bellanger. Presque tous ont leur chapelet. Ils le récitent partout. Il s’est même formé parmi eux une petite ligue qui consiste à réciter des Ave Maria dans les mille moments perdus de la journée pour la conversion des soldats. Le soir ils indiquent sur un petit carton le nombre d’Ave Maria récités, et à la fin du mois le carton est déposé aux pieds de Notre Dame des Armées. Le bien qu’a déjà opéré cette petite ligue, qui comprend aussi nos anciens, est considérable. Elle a transformé en apôtres certains soldats qui s’y sont enrôlés et nous lui devons en grande partie le beau résultat de la retraite pascale. Depuis plusieurs semaines, tous nos ligueurs dirigeaient de ce côté leurs Ave Maria...
Lors d’une Conférence au Congrès de St-Brieuc, (1898) M. Bellanger parle des grâces qui pleuvent sur son oeuvre: “Le milieu sur lequel le saint rosaire agit chez nous est aussi païen que possible. Les jeunes gens sans baptême et sans première communion sont nombreux... presque la totalité (de ceux qui sont baptisés) a abandonné tout devoir religieux... Eh bien! Les victoires de la Sainte Vierge sont tellement nombreuses qu’elles me feraient peur, si je ne savais qu’il se sème quelques milliers d’Ave Maria chaque jour pour mes païens et quatre-vingts à cent mille Ave Maria tous les mois...”
Quant à la confession, l’aumônier pourra dire lors de la même Conférence: “Depuis un an, je compte un peu plus de cinq cents soldats s’étant approchés des sacrements dans l’oeuvre militaire, je les ai confessés presque tous,
je puis affirmer qu’il y a eu plus de trois cent cinquante retours, et de bien des années, dont trente premières communions...”
Un autre grand moyen surnaturel reste pour M. Bellanger la prédication. Il veut éclairer et fortifier la foi; il se propose de prémunir ses jeunes contre les dangers dont ils sont menacés à la caserne; il veut former des apôtres et de bons citoyens chrétiens au retour à la vie civile. Sa prédication est appréciée, sa parole est simple, facile. Il n’improvise pas. Il prépare soigneusement ses sermons, il les écrit. Souvent il s’installe devant le tabernacle, en pensant à ceux qu’il veut atteindre et qu’il recommande à Notre-Seigneur et à la Sainte Vierge. Non seulement il prêche le dimanche et les jours de fête, mais il sait organiser des retraites, pour Noël, pour Pâques, pour les cons-crits et pour les partants.
Les retraites de conscrits commencent à Moulle, dans le château des Degrave, sur le terrain de la famille Bellanger. On fait les exercices au château, puis on s’en va coucher dans le grenier de M. Calonne. L’abbé partage le même dortoir que les retraitants. Fort de cette expérience, l'aumônier organise des retraites de conscrits dans diverses paroisses du Pas-de-Calais. Ainsi il annonce pour octobre et novembre 1896 cinq retraites, qui auront lieu à St-Venant, à Laventie, à Moulle, à Boulogne et à Arras. En 1897 il prévoit son programme d'automne: “Je suis débordé depuis quelque temps, aussi je me prive du bonheur de vous écrire ou plutôt le bon Dieu m’en prive. Je vais commencer toute une série de retraites mercredi prochain. Demandez que je fasse aimer ma divine Mère, surtout au petit Séminaire de Boulogne, où je serai de mercredi à dimanche. Nous aurons dans le Pas-de-Calais cinq retraites du départ et j’ai accepté celle d’Athis [près de Paris]; je ne crains pas la fatigue, mais ferai-je l’oeuvre du bon Dieu?”
Souvent l'aumônier se rendra à la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre à Paris avec un groupe ou l'autre de ses soldats, pour une retraite-pèlerinage d'un jour ou deux, avec adoration diurne et nocturne, avec confessions et messes, pèlerinage au Sanctuaire Notre-Dame des Victoires et un peu de repos, soit à Versailles, auprès d'un Père Eudiste, responsable de l'Oeuvre des Armées, soit dans une oeuvre parisienne, comme celle du Père Henri Lucas-Championnière, probablement au Bureau de L'Union des Oeuvres Ouvrières.
Un autre moyen important pour réussir un ministère, c’est l’amour des personnes confiées. Dès le début de son apostolat auprès des soldats, à l’approche de Noël 1886, M. Bellanger déclare à ses soldats: “Vous pourriez avoir pour vous entretenir, vous parler, bien des prêtres beaucoup plus savants, beaucoup plus saints que moi. Mais que vous puissiez avoir un prêtre qui vous aime davantage, permettez-moi de vous dire que je ne le pense pas... je suis et je veux être de plus en plus pour vous comme un frère aîné... et quelque chose de plus (parce que) je suis prêtre: je vous aime en prêtre, c’est-à-dire comme celui en qui le bon Dieu a mis quelque chose de son amour pour vous”. (I, Carnet 2).
Les auxiliaires
M. l’abbé s’inspire peut-être ici des principes de l’Apostolat de la prière, lorsqu’il cherche des auxiliaires pour prolonger son action; il veut s’associer des personnes ferventes pour travailler à la sanctification de l’Armée: parmi les premières à répondre, nous notons les Clarisses d’Arras et les futurs prêtres du diocèse.
M. Bellanger ne se contente pas de prier et faire prier pour les soldats de son oeuvre et ceux de la garnison d’Arras; Il pense à tous les soldats de l’Armée française. Aussi cherche-t-il à susciter un mouvement de prière, et il favorise l’Oeuvre de Notre-Dame des Armées. A cette fin, il rassemble des paroissiens de Houlle, village voisin de Moulle, où il a de la famille et où il passait la plus grande partie de ses vacances, au temps de son adolescence. “Le Bon Dieu, annonce-t-il en ce début de 1888, m’a envoyé exercer mon ministère de prêtre au milieu de cette partie si délaissée de la grande famille chrétienne... je voudrais obtenir que dans tous les foyers on
prie chaque soir en commun pour les défenseurs de la patrie. Voici les principaux motifs qui nous engagent à prier pour le pauvre soldat: a) les périls immenses que la jeunesse française court à l’heure actuelle dans nos garnisons (impiété, vice); b) de plus, je vous demande la prière au nom de l’Eglise, qui pleure sur la mort de ses enfants, parce qu’ils ne veulent plus être ses enfants...; c) je vous demande la prière au nom de la France. Je parle, bien entendu, de la vraie France et non pas de celle qui a chassé de l’armée française Dieu et ses prêtres...; d) je vous demande la prière au nom de la famille...”
Ne pouvant se faire missionnaire de cette croisade par la parole et en tous lieux, M. Bellanger se fait missionnaire par la plume. Il écrit aux prêtres, aux séminaristes, aux familles chrétiennes, aux religieux et aux religieuses, et cela se répète pendant plusieurs années, à l’approche de Noël, au printemps, durant les vacances, à l’automne... Les auxiliaires de l’oeuvre surnaturelle soutiennent l’abbé dans sa mission auprès des soldats. Il peut compter sur tout un réseau de personnes scribes et postiers: “La Sainte Vierge vous prépare encore un peu de travail pour le Ciel. Elle m’en a parlé et je lui ai dit qu’Elle pouvait compter sur vous. Elle le savait du reste. Laissez-moi vous dire un grand merci en son nom” (décembre 1894). “Me donnez-vous la permission d’embellir encore, et pas pour un peu, votre couronne éternelle? Si oui, ma famille vous remettra quelques milliers d’imprimés que je crains de voir dormir longtemps dans les bureaux [de poste] d’Arras. Mes frère et soeur seraient là pour compléter les adresses insuffisantes, pour vous aider, et moi je travaillerai et prierai pour vous”.
L'aumônier s’entoure d’auxiliaires sur place. Pour cela il met sur pied une cellule de la Légion St-Maurice, qui sera une véritable école d’apôtres, pour assurer la garde du Saint-Sacrement, pour donner le bon exemple, pour défendre les plus faibles. La légion compte jusqu’à vingt-quatre membres, qui forment un état-major de l’aumônier. Ils se réunissent tous les mardis pour discuter, pour se communiquer leurs impressions personnelles sur tel ou tel camarade, pour inviter l’un ou l’autre à faire partie de la ligue. C’est la méthode de l’apostolat du semblable par le semblable.
Le 11 février 1893, notre aumônier glisse le mot suivant à un ancien soldat, Charles Pichart: “Nous avons dans l’oeuvre actuellement un groupe de jeunes gens aimant véritablement le Bon Dieu, notre petite association intime, qui se compose de 40 braves des deux régiments. Toutes les semaines de 10 à 30 d’entre eux montent la garde aux pieds de Notre Seigneur durant toute la nuit du dimanche au lundi et on termine par la Communion. De sorte que nos quarante associés passent en moyenne deux nuits d’adoration près de Notre Seigneur chaque mois”.
“Nos premiers soldats étaient très dévots au rosaire, rappelle l'abbé Bellanger. Parmi eux se trouvaient deux bons enfants de l’Orne et de la Mayenne (il s’agit des soldats Groiseaux et Joseph Piel) ... ils chapeletaient tout le temps. Je les appelais, à part moi, mes “deux saints de l’Ave Maria”. C’était l’un d’eux qui donnait un jour ce mot d’ordre que j’ai redit des milliers de fois depuis: “Semons des Ave Maria, nous récolterons des soldats”... “ Ils ne se lassaient jamais de prier, ni de se sacrifier, ni de se donner pour leur Mère du Ciel. N’ayant qu’une passion: glorifier la Sainte Vierge et lui donner les âmes de leurs camarades; leur vie n’était qu’une suite d’actes héroïques. Tandis que le dimanche, j’allais matin et soir à la chasse aux soldats dans les diverses églises de la ville, mes deux saints offraient sans interruption la prière toute puissante du Rosaire et faisaient tomber dans les filets de la Très Sainte Vierge les plus beaux gibiers du Bon Dieu, je veux dire ses meilleurs enfants. Durant des nuits entières, ils se réunissaient pour dire des Rosaires, soit au pied de quelque tabernacle, soit dans les magasins militaires dont ils étaient les gardiens. Le rôle de gardiens les obligeaient de prendre leurs repas en particulier, ils en profitaient chaque vendredi pour jeûner au pain et à l’eau. Ils ne laissaient jamais s’écouler un jour sans faire la Sainte Communion, tantôt le matin, tantôt à midi, quelques fois le soir. Toujours en quête de camarades à amener au prêtre et au Bon Dieu, leur vie n’était qu’un long acte de charité, ils étaient dans notre Nazareth les grands auxiliaires de la Vierge Marie. Heureuses, encore une fois, les oeuvres qui ont des saints
dans leurs fondations. Nos deux saints furent pour beaucoup dans la grâce insigne qui devait être accordée à l’oeuvre: l’entrée du Dieu de l’Eucharistie dans la maison”.
Les divers lieux de culte de l'aumônier
L’hôpital d’Arras
Dès le début de son ministère auprès des soldats, l’un d’entre eux tombe malade et doit être hospitalisé. Tout naturellement l’abbé Georges lui rend visite. C’est le départ d’un apostolat très fructueux. Par sa bonté et son zèle, il sait gagner les soldats. Il se rend à l’hôpital vers 13.15 h, pour ne pas déranger ni être dérangé. Il passe de lit à lit, il apporte douceurs matérielles et morales. Le Fr. Emile Thomas, Frère de S. Vincent de Paul, affirmera lors de l’Enquête diocésaine en vue de la Canonisation du Serviteur de Dieu: “On peut dire qu’il avait une grâce spéciale pour toucher les soldats malades, que nuls n’ont égalé”. On le surnommera “Père l’Attrape”, non pas avec nuance péjorative, mais dans un sentiment d’admiration. Mais cet apostolat n’est pas au goût de tout le monde. Ainsi le Journal l’Avenir du mercredi 21 janvier 1891 écrit: “Nous avons déjà signalé l’intrusion, dans les salles militaires de l’hôpital d’Arras, d’un remuant personnage qui, bien que n’ayant aucun titre à pénétrer auprès des soldats malades, ne s’installait pas moins à leur chevet et se livrait là à la propagande que l’on devine...”
L’installation définitive de l’oeuvre militaire d’Arras
L’aumônier adjoint avait fait ses premières armes dans un pauvre local de la Rue des Ecoles (renommée par la suite: rue Ferdinand Buisson). Ce local devient trop petit et l’oeuvre militaire déménage, en 1890, dans une maison plus vaste, au 28, rue des Bouchers-de-Cité, non loin du petit séminaire, où l’abbé continue de loger, de prendre ses repas, d’entendre les confessions d’un bon nombre d’élèves du petit séminaire. C’est dans ce nouveau local que l’aumônier exerce son apostolat pendant neuf ans. Et pour améliorer son service spirituel il songe à construire dans la cour ou le jardin une chapelle, tout au moins une salle suffisamment grande, qui servirait de chapelle, et où on conserverait le Saint Sacrement, où l’on pourrait se rassembler pour prier, méditer, louer la Sainte Vierge. Et les projets vont de l’avant: “tout ce que l’on pourrait y faire en pastorale!”... et la construction se réalise. C’est fête le 8 mars 1891, lors de l’inauguration. Hélas! La joie ne durera que quarante-cinq jours! Le 23 avril un ordre du ministre de la guerre, Freycinet, en impose la fermeture et la désaffection. L’abbé Joseph Wargniez, qui a bien connu l’aumônier, déclarera: “L’armée lui donna bien de la peine lors de la fermeture de sa chapelle, contrairement à tout droit, ce lieu de culte étant dans une maison particulière et n’ayant aucun accès sur la rue”. M. Bellanger “accepta l’épreuve comme venant de Dieu, il demeura plus calme que ses amis... il se tut, il pria, il se soumit, mais fort pour agir comme pour endurer, il tira le bien du mal, il donna à son oeuvre une extension qu’elle n’avait jamais eue” (Abbé François Delattre). “La chapelle est toujours telle que vous l’avez connue; nous n’avons pas essayé sa réouverture” (28 oct. 1891); entretemps l’aumônier cherche un autre moyen de conserver le Saint Sacrement pour son oeuvre.
Un petit oratoire
Le 31 mai 1891 il ouvre un petit oratoire au rez-de-chaussée dans un petit local près de son bureau; dix prie-Dieu peuvent y prendre place. L’autel est en bois, de couleur blanche, tout comme le tabernacle. La décoration comporte beaucoup de tentures. Au dessus de l’autel on aperçoit l’image de Notre-Dame du Bon Conseil. Le Serviteur de Dieu y célèbre la sainte Messe. Les confessions et la direction spirituelle ont lieu dans le bureau de l’aumônier. Un soldat, en fonction à Arras de 1892 à 1895, avoue qu’il arrive quelquefois à l’abbé de prier tard et même de dormir dans un coin de l’oratoire, sur le plancher, enveloppé tout habillé dans une couverture. En 1893 un soir, un incendie se déclare. Un soldat venu prier découvre le feu dans les draperies. A son appel d’urgence
tous accourent, suivis par l’aumônier. A l’arrivée de ce dernier le feu s’arrête net, et il défend aux témoins de publier ce détail.
La chapelle du Petit Séminaire
Les Baptêmes et Premières Communion des soldats se célèbrent dans la chapelle du Petit Séminaire. Pour cette circonstance la chapelle est pleine de soldats et, malgré l’heure avancée, onze heures du matin, plusieurs viennent communier. (Rappelons la discipline du jeûne eucharistique en vigueur alors: pour se présenter à la Communion, il faut être à jeun de tout aliment depuis minuit).
Une chapelle dans l’oeuvre
Entre-temps et après mure réflexion l’abbé décide de transformer le grenier de l’oeuvre militaire en chapelle. Ce local se trouve au premier étage, au dessus de deux salles, à droite de l’entrée. On le nettoie et le décore... avec encore beaucoup de tentures et papier-tenture. Les fenêtres donnant du côté de l’autel sont obstruées. C’est dans cette chapelle recueillie que le Seigneur va accorder un nombre incalculable de grâces et de bénédictions.
La maison de la rue des Bouchers-de-Cité reçoit des soldats jusque vers 1903. Ensuite elle devient le siège du cercle catholique. L’autel de la chapelle du grenier, avec son tabernacle, ses candélabres et ses reliquaires sont conservés maintenant chez les Religieux de S. Vincent de Paul, rue du Coclipas, à Arras.
La chapelle de la citadelle
En vertu d’une convention entre les autorités religieuses et militaires, M. Bellanger se rend chaque dimanche célébrer une messe dans la chapelle de la citadelle. Trop peu de personnes y participent. Après une profanation de l’autel, Mgr l’évêque Williez prend la décision de cesser le service pastoral. Dom Cléton, devenu moine bénédictin à Wisques (PdeC) se souvient: “Je l’ai accompagné souvent pendant les vacances le dimanche matin, quand il allait dire la messe à la chapelle de la citadelle... Après son action de grâces, je l’accompagnais jusqu’à Notre-Dame des Ardents, où il célébrait une seconde messe pour les soldats toujours nombreux...”
La chapelle de Notre-Dame des Ardents
Dès la fin de novembre 1890, l’aumônier obtient la permission d’occuper la chapelle de N.D. des Ardents pour la célébration du dimanche. Elle est mieux située, plus centrale pour les soldats. La messe a lieu à midi pour faciliter la présence des soldats. Mais bientôt des civils tiennent à s’unir aux premiers invités. “30 novembre 1890, note le père E. Pruvost, les soldats sont 52. 11 janvier 1891: nous sommes 130 à la messe de midi”. Ce nombre augmentera jusqu’à atteindre 200, selon certains, 300, selon d’autres.
L’image de Notre-Dame du Bon Conseil
Après avoir suivi l'aumônier militaire dans les différents lieux de son apostolat, nous nous arrêtons un moment sur l'image de Notre-Dame du Bon Conseil, qui concrétise sa dévotion à la Sainte Vierge.
A la rue des Ecoles, l’aumônier avait installé une statue de Notre–Dame des Armées. Lorsqu’il inaugure la nouvelle résidence de l’oeuvre militaire sur la rue des Bouchers-de-Cité, en 1890, M. Bellanger remplace la statue par l’image de Notre-Dame du Bon Conseil. Cette image lui plaît beaucoup; elle lui a été vendue par un colporteur italien en 1884 ou 1885. Il confie à Mlle Druon en 1896: “trois petites images, copies d’une Madone vénérée dans notre chapelle, en qui j’ai une confiance sans borne, chaque fois que j’ai besoin de conseils. Essayez et vous verrez que vous constaterez les mêmes bons effets”. L’année suivante il précise sa dévotion ainsi: “Je me sens de plus en plus attiré vers cette douce Madone dont les traits sont si célestes, et mon rêve serait de la voir
vénérée dans toutes les églises et chapelles de notre diocèse. Pendant la semaine de la Pentecôte je vais tenter quelque chose dans ce sens près de Monseigneur; je vais lui demander à nouveau l’Office et la Messe dans l’Ordo diocésain” (2 juin 1897). “L’image de Notre-Dame du Bon Conseil m’a accompagné partout. Elle a été honorée et invoquée partout; elle a entendu toutes les confidences des pauvres âmes et que de fois j’ai senti son influence! (novembre 1897)”.
Un jour M. Bellanger conçoit le projet d’encadrer dans un splendide reliquaire son image de la Vierge; il lance une circulaire à ses anciens soldats, à ses amis, à sa famille et à d’autres personnes, expliquant son plan; quatre cents sous-cripteurs lui font parvenir leurs oboles et ainsi l’heureux concepteur peut compter sur une somme de 4.000 francs pour réaliser son rêve. L’orfèvre Favier, de Paris, s’empresse d’exécuter la précieuse commande qui veut souligner la royauté de Marie par la couronne, la puissance de protection de Marie par les clefs et la maternité de Marie par le coeur. Des lis et des roses encadrent les paroles Ave Maria et deux anges soutiennent le cadre et reposent sur un socle en bronze où on peut lire les inscriptions latines: son règne n’aura pas de fin et le disciple la prit chez lui.
Une dizaine de personnes sont présentes à la gare pour accueillir l’orfèvre et le précieux emballage: M. Georges Bellanger, des professeurs du petit séminaire, M. Marchand, le dévoué auxiliaire laïc, M. Henri Barjavel, rédacteur du journal La Croix d’Arras, l’abbé Edmont et le frère Emile Thomas, tous deux membres de la Congrégation des Frères de S. Vincent de Paul et M. Edmond Cléton, un proche de l’oeuvre. Tous accompagnent la Madone vers l’oeuvre en priant discrètement; puis on s’affaire à déballer l’image: c’est une merveille! L’orfèvre est satisfait de son travail, M. Bellanger est bien heureux du résultat. La nouvelle décoration de Notre-Dame est déposée dans la chapelle du grenier, sur le côté droit de l’autel. Pendant huit jours on prépare le couronnement de la Vierge par la récitation incessante de l’Ave Maria de 6.00 h à 21.00 h. La cérémonie se déroule le 6 mars 1898 à 14.00 h dans un climat d’émotion: “J’ai plus envie de pleurer que de parler, dit l’aumônier en commençant. Voilà douze ans que la Sainte Vierge est tout dans notre oeuvre. Voici douze ans qu’elle y répand ses bienfaits avec une générosité sans égal. Voici douze ans qu’elle a mis dans mon coeur quelque chose de son amour à l’égard de ses enfants les plus délaissés...” Alors deux simples soldats, deux caporaux et deux sous-officiers s’approchent successivement de la Sainte Image pour lui offrir les clefs, le coeur et la couronne. A partir de ce moment la bonne Mère du Bon Conseil est la maîtresse des lieux: “C’est elle l’Aumônier militaire!” se plaît à répéter l’humble Assistant aumônier.
Un zèle qui rayonne en dehors de l’Armée
Plusieurs groupes de personnes bénéficient du ministère de l’abbé Georges Bellanger, dont:
Les religieuses. Ces dernières le demandent souvent pour la prédication. Entre autres soulignons les soeurs Bénédictines, les soeurs du Bon Secours, les Ursulines et surtout les Clarisses.
Les jeunes. Qu’il suffise d’énumérer les élèves du Collège Saint-Bertin, ceux du petit séminaire de Boulogne-sur-Mer, les jeunes de l’orphelinat St-Joseph de Calais, les orphelins d’Auteuil (Paris) les adolescents du patronage Saint-Joseph de la rue du Coclipas (Arras), ceux du patronage Notre-Dame de la Salette de la rue de Dantzig (Paris), les élèves du collège St-Joseph d’Arras, etc.
Congrès. Il apporte sa généreuse contribution aux grands séminaristes d’Arras, à des religieux, aux Congrès des Oeuvres, aux Congrès des associations ouvrières catholiques. C’est ainsi que durant la semaine du 11 au 17 septembre 1898, il écrit à sa soeur religieuse: “Je suis à St-Brieuc pour recommander le St-Rosaire et plaider la cause de nos soldats au Congrès qui s’y tient cette semaine. Je dis chaque matin la Sainte Messe et prie un bon moment dans l’église de Notre-Dame de l’Espérance”.
Congrès des Oeuvres, mercredi le 13 septembre1899:
“A quatre heures trois quarts elle (la quatrième Commission) entre en séance, et M. le Curé de Saint-Germain, président, fait lui-même la lecture d’un rapport envoyé par M. Bellanger, d’Arras, ... Ce fut pour les assistants la lecture spirituelle de la retraite. Tout est surnaturel dans son action et dans ses moyens. La dévotion au Rosaire, au S. Sacrement, la confession fréquente, l’apostolat mutuel, voilà ce qui est servi abondamment dans ce qu’il appelle l’hôpital moral du soldat, et dont il est le premier infirmier”.
(Actes du Congrès de Montpellier, Comptes rendus des travaux, pp. 23 et 24 - Rapport sur la Nécessité des oeuvres militaires, pp. 295 - 303.)
Les fidèles des paroisses. On demande l’abbé pour des neuvaines, des triduum, des “adorations perpétuelles”. Ainsi on le retrouve à Humières (PdC) à Robecq, à Blangy-sur-Ternoise, à Hamblais, à Yeuse, sans oublier à Houlle et à Moulle.
A titre d’exemple de son ministère en paroisse, voici un extrait d’une lettre du 31 août 1897: “Je rentre de prêcher une neuvaine en l’honneur de Notre-Dame de Lourdes au milieu d’une contrée bien éprouvée par la trahison de deux misérables prêtres qui s’y sont mariés, neuvaine fort pieuse qui a été l’occasion de nombreux retours, en particulier chez les hommes. J’ai compté près d’un millier de confessions et de communions, beaucoup de vies retournées de fond en comble. Je n’ai prêché que deux choses: le chapelet et la prière en commun, c’est-à-dire le Saint Rosaire et l’Oeuvre de la Sainte Famille, tant recommandée par le Souverain Pontife. J’ai obtenu des chefs de 500 familles au moins, et cela au confessionnal, la promesse de commencer le soir même la prière en commun. J’ai répondu du haut de la chaire à toutes les objections qu’on m’apportait et le dernier jour de la neuvaine, devant 4000 [sic] personnes au moins, j’ai supplié de faire rentrer le Bon Dieu dans la famille par la prière du soir en commun. Beaucoup de grands jeunes gens se sont...”
Une croisade nationale. Le Serviteur de Dieu songe à mettre sur pied une croisade de toute la France en l’honneur de la Sainte Vierge pour bien terminer le dix-neuvième siècle. “Il me trotte dans la tête une idée monumentale...” “j’ai écrit à toutes les maisons mères, suppliant les supérieures générales de demander à toutes leurs religieuses une grande croisade de prière de rosaires pendant toute l’année”. “Que nous multiplions les mercis et les demandes de pardon à la Sainte Vierge! Que nous lui redisions sans cesse: Adveniat regnum tuum!
L’abbé Georges sera obligé de restreindre cette grande entreprise pour raison de santé.
Besoin de ressourcement spirituel:
Faut-il s’étonner que le Serviteur de Dieu sente la nécessité de s’arrêter de temps en temps pour se ressourcer spirituellement?
Retraites spirituelles:
Il se retire souvent à la Chartreuse de Notre-Dame des Prés, à Neuville-sous-Montreuil (PdC). C’est là qu’en 1890, lors d’une retraite de six jours en compagnie de confrères prêtres, MM. Guilbert, Delattre, Vasseur et Piedfort, c’est là qu’il rencontre Dom François de Sales Pollien et qu’il en fait son conseiller spirituel. Il revient le consulter au moment de prendre des décisions importantes. En 1893, il annonce un séjour prolongé à Paris: “Je pars demain matin pour Paris; je vais faire une longue retraite de dix jours pour me convertir. Je me recommande beaucoup à vos prières”.
L’Abbé Bellanger peut ainsi vérifier l’état de son âme, sa réponse au Seigneur et le travail de purification. M. Charles Guillemant rappelle ses efforts pour dominer son caractère: “Je l’ai vu plusieurs fois... crachant le sang; il restait souriant, aimable, patient. Il avouait cependant que cette dernière vertu était contre sa nature. Il avait la répartie prompte, l’esprit fin et caustique; s’il avait suivi sa pente, il aurait été facilement intransigeant, absolu et personnel...”
Il développe son goût prononcé pour la pénitence. En 1897 il s’esprimera de cette façon:
“J’ai été frappé d’une pensée que je lisais dans les annales de Sainte Philomène, au point de vue de la pénitence: “On donne trop à la nature sous prétexte de nécessité, il n’y a jamais eu de saint qui n’ait traité rudement son corps”. Et cette parole du Curé d’Ars: “Il n’y a rien que le démon craigne autant que la privation dans la nourriture et le sommeil”.
Soyez tranquille: je cite ces bonnes pensées, mais n’ai pas le courage de les mettre en pratique. Au point de vue de la pénitence, j’ai toujours eu belle réputation, mais rien que cela. Je commence aujourd’hui même une série de jours de prières pour savoir ce que la Sainte Vierge me demande au point de vue pénitence et pour avoir le courage de faire ce qu’elle m’aura dit”.
Pendant plusieurs mois ou années il se donne comme programme de jeûner le dimanche (à cause de la messe de midi à Notre-Dame des Ardents). Lundi: la discipline, Mardi: porter une chaîne de fer pendant deux heures (il n’a pu obtenir davantage), Mercredi: discipline, Vendredi: chaîne, Samedi: ceinture de fer. Coucher sur la dure chaque nuit, à moins de grande fatigue (souvent par terre, même dans son bureau ou la chapelle). Rechercher la gêne en tout et toujours... ne jamais me plaindre... ne jamais parler de moi et recevoir volontiers les observations, même si elles sont sans fondement, jamais un mot de murmure contre mes supérieurs ou mes égaux. Je veux prier saint Benoît Labre pour obtenir la vie de pénitence”. Ses conseillers spirituels et ses supérieurs devront l’aider à trouver la juste mesure. Son obéissance lui sera bien utile.
Pèlerinages:
Il fait le pèlerinage à Lourdes en 1880, 1891, 1893, 1895 et 1900. “A Lourdes, écrit-il dans son Carnet, c’est un peu comme au ciel, on ne songe pas à dormir, on veille, on prie la nuit comme le jour, soit au pied du Très Saint Sacrement, soit au pied de la grotte...” et en 1897 il ajoute: “Quelque chose me dit à tout instant... que je suis fidèle à une grande grâce que m’a faite la Sainte Vierge, la grâce apportée par la Vierge de Lourdes et par le pape, de comprendre qu’au milieu du paganisme de notre époque, il n’y a que l’Ave Maria pour nous sauver. J’ai la conviction que l’Ave Maria est un véritable sacrement qui opère la Grâce...”
En août 1895, il monte au Sanctuaire de Notre-Dame de la Salette dans les Alpes (Isère), lieu de l’apparition de la Vierge Réconciliatrice des pécheurs le 19 septembre 1846.
Par la même occasion le pèlerin passe à Ars et médite sur la vie et l’apostolat du curé Jean-Marie Vianney: “Beaucoup cherchent aujourd’hui le moyen de sauver la France, l’Europe, le monde... faire qu’un nombre, que la plupart des prêtres soient des saints... Voyez ce que peut un seul prêtre, ce qu’a pu le saint Curé d’Ars!”
L’abbé Georges a découvert en 1886 le Traité de la Vraie dévotion à la Sainte Vierge. La lecture de ce petit volume change sa vie: il se consacre à la Vierge selon la formule montfortaine: tout faire avec Marie, en Elle, par Elle et pour Elle!... jusqu’à se consacrer par un voeu perpétuel privé, le 6 septembre 1890, lors d’une retraite à la chartreuse de Dom Pollien. En 1897 le Serviteur de Dieu peut réaliser son rêve et aller en pèlerinage au tombeau de saint Louis Marie Grignon de Montfort, à Saint-Laurent-sur-Sèvre, en Vendée. Il revient et résume ainsi son enthousiasme: Saint Louis “a tellement aimé le pauvre peuple délaissé et trompé, et il a si bien employé les moyens qui seuls peuvent le ramener au bon Dieu: une prière populaire, le chapelet médité et chanté, des chants populaires pleins de doctrine, ses cantiques sont le catéchisme chanté; une dévotion populaire, son admirable dévotion de consécration absolue à la Sainte Vierge, (la bonne Mère est si bien comprise du pauvre peuple), des signes populaires comme de magnifiques calvaires! Une prédication populaire, les grandes vérités, la vie de Notre-Seigneur et de la Sainte Vierge”. “Je travaille beaucoup en ce moment et je cherche à réaliser ce que j’ai appris du bienheureux de Montfort: Prêcher toute la religion, mais en ramenant tout à la Sainte Vierge”.
Besoin de ressourcement physique
L’abbé Bellanger, on le devine facilement, est souvent surchargé; il y fait allusion dans une lettre du 3 août 1895: “Ma vie, depuis un an, est un surmenage continuel”. Pour y remédier il faudra trouver des moments de repos; il aura également besoin de se retrouver parfois avec les siens.
Des motifs apostoliques le conduiront à Moulle et Houlle, par exemple des retraites de conscrits. Il en profitera pour saluer sa famille. Il ira quelques fois prêcher à Landrethun (Yeuse) et il s’arrêtera alors chez l’oncle Adolphe et les cousins. Il trouve souvent son repos dans les retraites spirituelles: “M’accordez-vous la permission en septembre, après une autre neuvaine que je dois donner et le départ de mes soldats aux manoeuvres, de prendre quelques jours de vacances à la Trappe ou à la Chartreuse, pour me recueillir et demander au Bon Dieu ce qu’il faut que je fasse pour devenir un saint et sauver beaucoup d’âmes” (1897).
Plus tard la maladie le conduira chez Angèle et Paul pour des périodes d’une semaine, de quelques mois, d’un an.
L’abbé reste uni aux siens dans les joies et les peines. Il annonce la naissance des enfants de sa soeur Julie (Henri Calonne). Il pleure le décès du petit Paul, la maladie de Julie. Il aura la douleur de perdre le 11 juillet 1891 son frère l’abbé Arthur Bellanger, âgé de 28 ans, et onze jours plus tard sa sainte mère: “Ma pauvre et bien-aimée mère est partie retrouver mon frère Arthur ce matin à 4 heures... Nous avons tout perdu!”. Au décès de tante Elise Bernet Bellanger, il écrit à l'oncle Adolphe et aux cousins: “Je ne vous ai pas quittés un seul instant, j’ai pleuré avec vous tous, j'ai prié pour vous et avec vous” (1895).
VI- Le religieux
Une vocation aux lointaines racines
A travers toute sa vie de prière et son zèle pour le prochain, le bon abbé pense à devenir religieux. Il y songe depuis un certain temps. Quelqu’un a émis l’hypothèse que ce désir pouvait être la recherche inconsciente d’un avenir assuré pour son oeuvre militaire.
L’abbé François Delattre, qui songeait, lui aussi, à devenir religieux, fait remonter cet appel à quelques années en arrière, peut-être aux années du Grand Séminaire. L’abbé Bellanger écrira le 17 février 1894: “Nous [l’abbé Delattre et moi] avons donc entretenu Monseigneur de notre décision prise au pied du Tabernacle après plusieurs années de réflexion et de prière...” Lors de l’Enquête diocésaine pour la Cause de Canonisation du Serviteur de Dieu, l’abbé Joseph Wargniez parle ainsi: “vers 1892, il se crut appeler à la vie religieuse, désirant une vie plus dépendante et plus parfaite...” Un billet du Père Eustache Pruvost, assomptionniste, repousse ce moment à quelques années auparavant: “En 1891 l’Abbé Bellanger pouvait dire à l’un de ses soldats qui achevait son service militaire: “Si vous alliez chez les Assomptionnistes?... Vous y seriez bien à votre place!... Et puis, comme je n’ai pu entrer chez eux, vous m’y remplaceriez... “Et, disant cela, il tirait de la petite bibliothèque qui surmontait son bureau de travail un petit fascicule: le Directoire des Augustins de l’Assomption”. Peut-être faudra-t-il remonter jusqu’aux premières années du ministère et même aux années du Grand Séminaire.
L’Esprit Saint a guidé l’abbé Bellanger dans sa vocation sacerdotale, il le guidera dans sa vocation à la Vie religieuse. Ainsi en 1886 l’abbé pense à devenir Tertiaire du Carmel. En la même année, il découvre le traité de la vraie dévotion de saint Louis-Marie Grignon de Montfort et le 31 juillet il se consacre à la Vierge Marie : tout faire avec Marie, par..., pour... Avec la permission de son conseiller spirituel, à la fin d’une retraite de six jours à la chartreuse de Montreuil, le 6 septembre 1890, il se consacre par voeu perpétuel de consécration à la Sainte
Vierge. Ici nous devons remarquer la prudence du Serviteur de Dieu; dans sa formule, rédigée en langue latine, il précise ainsi: ... “ à moins que cette forme de donation ne se trouve un jour en opposition avec les obligations d’un état plus parfait auquel Dieu m’appellerait...”
Il avait déjà réfléchi à la vie religieuse chez les Assomption-nistes, il se garde une nouvelle disponibilité.
A la même époque l’abbé consulte le jeune Joseph Wargniez: “Je dois avouer, déclare ce dernier, que je ne l’ai guère encouragé dans ce projet, désirant garder au diocèse un prêtre si saint, qui était le modèle du clergé diocésain...” Il se confie également à l’abbé Corbec, qui deviendra un compagnon de ministère: Quelle famille religieuse pourrait répondre complètement à ses diverses aspirations? N’y aurait-il pas lieu de susciter une association de prêtres réunissant en elle tout ce qu’il souhaitait: action et contemplation, apostolat des pauvres, des délaissés, des jeunes gens, des soldats: humilité, abnégation, dévouement absolu, pénitence, amour spécial de la Très Sainte Vierge, les trois voeux de religion pratiqués sérieusement? Il voudrait une association où l’on vénère la Vierge des Sept Douleurs, où l’on réciterait chaque jour le Stabat Mater et le chapelet des Sept-Douleurs... N’est-ce pas une prétention de sa part de vouloir fonder une telle association? N’est-ce pas une entreprise au dessus de ses forces? Y a-t-il un signe de la part de Dieu pour fonder? L’abbé Corbec lui conseille de chercher quelque chose d’approchant! Le Serviteur de Dieu repasse dans son esprit toutes les congrégations qu’il connaît, mais il ne trouve dans aucune la satisfaction de tous ses désirs.
Or, un homme d’oeuvres est demeuré dans sa mémoire comme un idéal de vie intérieure et de zèle sacerdotal. Il n’a jamais oublié ce prêtre, dont la parole si ardente à dépeindre l’abandon spirituel de nos soldats, l’avait frappé, lors de son passage au Grand Séminaire d’Arras en 1880, l’abbé Henri Lucas-Championnière.
Devenu aumônier militaire, Georges Bellanger écrit à ce prêtre expérimenté, qui connaît si bien l’âme des soldats; il reçoit des encouragements précieux concernant sa méthode d’apostolat à base de surnaturel. A l’automne 1891, en présentant un projet de Ligue de prière et de pénitence en faveur de l'armée, l’abbé Bellanger signale: “Dans une brochure intitulée: “De l'Apostolat auprès des militaires” que vient de faire paraître M. l'abbé Lucas Championnière, secrétaire du Bureau central des Associations Ouvrières Catholiques, nous lisons les lignes suivantes, par lesquelles l'auteur termine son appel en faveur des soldats...” Continuant le contact, il demande à l’occasion à l’abbé Lucas-Championnière d’accueillir, pour quelques heures, dans son oeuvre les soldats d’Arras qui se rendent en pèlerinage à Montmartre (1891-1892).
Un jour l’abbé Georges demande à ce conseiller des précisions sur l’Institut religieux dont il fait partie. C’est ainsi qu’il connaît mieux les Frères de S. Vincent de Paul, aujourd’hui appelés Religieux de S. Vincent de Paul: le but de la Congrégation, les règles, les dévotions en honneur, l’histoire et le genre de vie qu’on y mène, toutes choses qui l’intéressent vivement et semblent répondre admirablement à ses aspirations. Composée de prêtres et de frères, tous membres d’une même famille, cette congrégation a pour fin spécifique d’atteindre, par le moyen des oeuvres essentiellement missionnaires, tous les membres de la famille ouvrière, de l’enfance jusqu’à la vieillesse, pour répondre à leurs besoins temporels et spirituels. La Congrégation est née le 3 mars 1845 à Paris sous l’inspiration de Jean-Léon Le Prevost. Ses premiers membres sont Clément Myionnet, Jean-Léon Le Prevost, Maurice Maignen, Louis Paillé et, en 1850, un premier prêtre, Henri Planchat, qui sera fusillé le 26 mai 1871, à la fin de la Commune. A la mort du fondateur, en 1874, on compte 80 religieux; au moment où l’abbé Bellanger s’intéresse à cette Communauté, on en dénombre 131, dont 40 prêtres et 91 frères.
M. Bellanger, dans une lettre du 6 février 1894, remercie l’abbé Lucas-Championnière en ces termes: “Que je remercie le Coeur de notre Mère du Ciel de m’avoir envoyé à vous, après tant de désirs que rien ne pouvait satisfaire [...] car vous avez été pour moi l’interprète du Bon Dieu. Je n’aurais jamais songé à votre famille religieuse, si je ne vous avais connu, si vous ne m’aviez fait aimer vos belles oeuvres...”
Ici il est honnête de signaler ce que déclarera le postulant Bellanger lui-même dans le Bulletin d'admission au noviciat. A la question de l'histoire de sa vocation, il répondra: “visites de M. de Préville, puis de M. Championnière au Grand Séminaire d'Arras”. Donc deux Religieux de S. Vincent de Paul ont influencé la vocation religieuse de l'abbé Bellanger. Nous constatons cependant que le dernier a échangé plus souvent pour raisons pratiques.
Après mûres réflexions et prières, M. Georges Bellanger commence des démarches auprès des Supérieurs de la Congrégation des Frères de S. Vincent de Paul. C’est le 3 février 1894 que le bon abbé se rend à Paris en compagnie de l’abbé François Delattre; tous deux désirent devenir Frères de S. Vincent de Paul. Le 6 février, l’abbé Georges partagera au Père Alfred Leclerc, Supérieur Général, ses premières réactions:
“Quel délicieux souvenir, quel calme m’a laissé notre visite à votre Maison-Mère et à vous, mon vénéré Père. Merci mille fois de tout le bien que vous nous avez fait et de celui plus grand encore que vous nous avez promis. Je sens que je suis vôtre jusqu’au fond de l’âme, que je trouverai chez vous de quoi satisfaire les deux plus grands désirs de ma vie: mener la vie religieuse et me donner jusqu’à la mort aux pauvres abandonnés que Notre Seigneur a tant aimés.
Je veux être votre fils dès maintenant, aussi je compte avoir désormais recours à vos bons conseils en toute circonstance. Je ne vous demande que de prier beaucoup pour moi, afin que je sois le moins indigne possible de la belle vocation que le Bon Dieu m’a réservée dans sa miséricorde et son amour; je sais que vous le faites, j’ai compris samedi matin, surtout, que vous nous aimiez déjà comme vos fils et que nous pouvions compter avant tout sur les prières de notre Père”.
Après un tel accueil de la part de la Congrégation des Frères de S. Vincent de Paul et la possibilité de devenir religieux chez eux, les deux abbés se rendent auprès de leur évêque, Mgr Alfred Williez. Le 17 février, ils rendent compte au Père Leclerc de leur rencontre: “Nous avons donc entretenu Monseigneur de notre décision prise au pied du Tabernacle après plusieurs années de réflexion et de prière. Il a fait quelques objections pas bien fortes... nous avons appuyé beaucoup sur notre double désir de mener la vie religieuse et de consacrer notre vie aux oeuvres des abandonnés... Il a fini par nous dire qu’il ne refusait pas de nous donner satisfaction, mais qu’il demandait quelques jours de réflexion, qu’après ces quelques jours il nous dirait sa décision...”
Le 24 février l’abbé Bellanger écrit de nouveau au Père Général et résume sa deuxième rencontre avec son évêque:
“Voici l’entretien tel qu’il a eu lieu avec Sa Grandeur. J’ai dit à Monseigneur que je venais chercher sa décision, et d’une manière fort aimable il m’a répondu qu’il avait parlé à ses Vicaires Généraux de notre projet, qu’unanimement ils avaient donné un avis défavorable à nos désirs, objectant à Monseigneur que la promesse faite par vous de nous laisser à nos oeuvres militaires pourrait ne plus avoir de valeur au moindre changement qui arriverait dans la vie de la Congrégation ou dans notre vie; qu’en conséquence, il avait décidé de retarder le consentement qu’il donnerait peut-être plus tard. J’ai rappelé à Sa Grandeur ce désir si ancien chez nous, dont je l’avais entretenu à notre première entrevue, de vivre de la vie religieuse, ajoutant que des prêtres chargés comme nous d’oeuvres où presque toutes les âmes sont à ramener au Bon Dieu, avaient besoin de mener une vie plus parfaite que le reste du clergé... J’ai obtenu cette réponse: “Rien ne vous empêche de vivre dès maintenant en union de règle et de coeur avec les Frères de S. Vincent de Paul... Mais je ne vois que cela de possible pour le moment. Nous déciderons le reste plus tard”. Voilà le résumé de mon entretien.
En terminant j’ai encore eu cette parole [de Monseigneur]: “Je m’aperçois que je vous fais de la peine; l’acte d’obéissance que je demande sera une excellente préparation au voeu d’obéissance”.
Vous voudrez bien me dire, mon Père, ce que vous pensez de cela... ce qu’il faut faire... Mon impression est que Monseigneur dirait facilement “oui”, mais je le crois moins Evêque que certains de ses Vicaires Généraux, qui ne diront jamais ce “oui” tant désiré. Quand je dis “jamais”, je parle humainement.
Il y a dans mon âme tout au plus un peu de tristesse, mais pas de découragement. Veuillez prier plus que jamais pour l’un de vos fils”.
Le 12 mai le Serviteur de Dieu peut annoncer son projet, retardé dans l’exécution, mais qui prend déjà forme, puisqu’il est devenu “postulant; il révèle le projet: “je viens vous faire part d’une décision prise par moi dans ces derniers temps, décision qui répond à un des plus chers désirs de ma vie de prêtre, mais qui n’aura sa réalisation qu’un peu plus tard, Monseigneur m’ayant ordonné d’attendre quelque temps.
J’ai l’intention d’entrer dans la Congrégation des Frères de St Vincent de Paul... J’ai fait ma demande, je suis postulant, je ferai au milieu de mes chers soldats l’une des deux années de noviciat, puis on me remplacera dans l’oeuvre militaire pendant quelques mois. J’irai compléter mon noviciat et faire mes voeux à Paris et je reviendrai ensuite dans ma chère oeuvre militaire. Quelques intimes seulement connaissent ma résolution; je désire qu’elle demeure secrète pour les autres; je voulais vous en faire part au lendemain de mon voyage à Paris [début février 1894], je n’en ai pas trouvé le temps”.
Mais les mois passent et la réponse ne vient pas; serait-ce le présage de la fin du projet? Il s’en inquiète auprès du Père Général le 3 août 1895: “Par le coeur et par le désir d’être un jour votre fils en religion, je suis de plus en plus près de vous... Mardi [6 août] je pars pour Lourdes et... La Salette... Les deux pèlerins sont d’Arras et je serai très probablement l’un des deux. Quel bonheur si vous étiez directeur de pèlerinage; je pourrais vous avoir et m’entretenir avec vous de l’avenir qui n’est clair ni pour M. Delattre ni pour moi...”
Réalisation de la vocation à la vie religieuse:
Voyant que la réponse tarde encore, le Serviteur de Dieu, au début de février 1896, demande aux clarisses d’Arras de prier pour une faveur spéciale, qui lui tient à coeur; il suggère une campagne d’Ave Maria. A la fin du mois 30.000 Ave Maria ont été adressés à la Mère du Ciel, mais rien ne s’annonce... il faut continuer l’intercession de la Vierge. Et voici qu’à la fin du deuxième mois la réponse arrive... providentiellement.
M. Planque, imprimeur à Arras, appartient depuis sa jeunesse à la Société de S. Vincent de Paul. Cette société, par la conférence d’Arras, possède et dirige, rue du Coclipas, au numéro 14, un patronage d’apprentis, fondé en 1840, qui lui crée beaucoup de difficultés. Devenu Président de la Conférence, M. Planque entreprend de résoudre le problème et envisage de confier la direction du patronage à une communauté religieuse; il s’adresse tout naturellement aux Frères ou Religieux de S.Vincent de Paul. Des contacts sont pris avec les Supérieurs majeurs dès le mois d'août 1895. Mais la communauté manque de personnel, la conférence ne dispose pas suffisamment d’organisation ou de ressources financières. Le 19 mars 1896, M. Planque revient à la charge; il part pour Paris, à la maison-mère des religieux. Le Père Général est absent, mais l’Assistant, le Père Emile Anizan, l’accueille. Au cours de la conversation ce dernier laisse s’échapper cette phrase: “Si vous obteniez de Monseigneur d’Arras qu’il nous donnât M. Bellanger, cela faciliterait beaucoup la fondation, je crois, mais en dehors de cette hypothèse, entre nous, je ne crois pas la chose possible. Nous n’avons pas de personnel”.
Dès le 22 mars suivant M. Planque fait part à l’évêque de la confidence du Père Anizan. Mgr Williez répond immédiatement: “Tout de suite, je permets à M. Bellanger d’entrer chez les Frères de S. Vincent de Paul, pourvu qu’on prenne l’engagement de ne le retirer jamais d’Arras. C’est pour moi une affaire de conscience. Je ne puis aller au-delà. M. Bellanger est nécessaire à notre oeuvre militaire, qui vit par lui”. Et l’évêque de demander à M. Planque: “Dites-le à M. Bellanger: Que ça va lui faire plaisir, à ce saint abbé!”
Mis au courant, l’abbé Bellanger réagit immédiatement, en écrivant ce petit mot au Père Leclerc ou à son Assistant: “Je prends le seul petit carton que j'ai sous la main pour écrire d'abord: “Magnificat anima mea Dominum”, puis pour vous assurer que demain ma première intention à la Sainte Messe sera pour vous. Je vais m'efforcer de dire mes mille Ave Maria en suppliant la Sainte Vierge de faire pleuvoir sur vous mille bons conseils”. Le 24 mars 1896, il glisse un mot au Père Anizan: “Je n'ai que le temps d'écrire ces quelques lignes au R. Père Supérieur. Veuillez en prendre connaissance et dire à M. Lucas Championnière le sacrifice que je fais en ne trouvant pas un instant pour lui dire mon bonheur et ma reconnaissance. La Sainte Vierge le fera en mon nom; je la prie bien pour lui et pour vous qui m'avez tant aidé de toute manière” et au Père Leclerc il dit: “J’ai vu Monsei-gneur hier (23 mars) et mon âme déborde de reconnaissance! Ma bonne Mère du Ciel me donne tout espoir que je serai bientôt des vôtres...”
Le même jour le Père Anizan écrit au Père Général, qui se trouve à l’extérieur: “L’affaire d’Arras semble absolument rouler sur des rails et je ne puis l’arrêter”. Le Père Leclerc répond: “Le doigt de Dieu et de la Sainte Vierge est ici! Il y a peu d’intervention providentielle plus éclatante dans les vocations. Que le bon Dieu est bon de nous encourager par ces témoignages de sa Providence”. Mgr Williez écrit en avril: “Je crois que Dieu a mis avec une grande miséricorde la main à cette affaire... C’est un trésor que je vous cède!”.
Le Noviciat :
A la suite de la réponse affirmative de son évêque, l’abbé Bellanger se retire à la chartreuse de Montreuil et consulte encore une fois Dom Pollien: Ce dernier le rassure en lui disant: “En suivant cette vocation, il n’est pas douteux que vous accomplissiez la volonté de Dieu, seule chose à laquelle il faut tenir. Donc pas d’hésitation, allez carrément!”.
Le 21 avril, le Supérieur des Religieux de S. Vincent de Paul, après avoir consulté son Conseil, accepte officiellement l'offre et la condition de l'évêque d'Arras pour la fondation à Arras. Le 25 avril l'Evêque confirme la libération de son prêtre.
Le même jour, le Serviteur de Dieu communique avec le Père Général des Frères de S. Vincent de Paul: “Vous êtes vraiment trop bon pour le pauvre prêtre que le Bon Dieu amène chez vous, et le Bon Dieu, encore meilleur! Mon âme est dans l’allégresse à la pensée que je vais devenir tout à fait le Prêtre des pauvres. Il est bien décidé que j’entre chez vous le 4 mai. Je suis allé voir Monseigneur le 23 au soir; il m’a dit avoir donné lecture de votre lettre aux membres de son Conseil dans la matinée, et après quelques instants d’entretien, a approuvé tous les arrangements pris pour mon noviciat. Il a seulement demandé que je revinsse assez de temps tous les quinze jours pour confesser ou tout au moins voir au Petit Séminaire tous mes pénitents des classes supérieures. Ce sera chose facile, si j’ai une heure ou deux le samedi soir et tout mon dimanche.
Sa Grandeur m’a parlé de monsieur [l’abbé] Delattre et de ce qui a été dit. J’ai conclu que Monsieur Delattre n’avait qu’à demander son entrée dans la congrégation pour l’obtenir. Monseigneur n’a pas dit un mot d’une condition quelconque qu’il exigerait pour son départ, comme pour le mien. Il a seulement demandé s’il serait possible de le laisser à St-Omer après son noviciat, sans fonder, comme à Arras, une petite communauté [S. V.].
Le lundi 4 mai le postulant se présente au noviciat de Paris. Le 8 mai, l'Evêque envoie une lettre de “nihil obstat” pour l'entrée au noviciat du postulant. Le temps de préparation ou postulat se poursuit jusqu’au 19 mai; le Conseil général, réuni en ce jour, vote à l'unanimité la remise du crucifix (ou début du temps du noviciat) pour l’abbé Georges Bellanger “prêtre venu du diocèse d'Arras, postulant depuis deux ans, mais qui n'a pu se dégager que dernièrement” dit le Procès-Verbal. Mais ce sera un noviciat spécial; il est prêtre, il demeure aumônier militaire, il doit s’absenter souvent.
Tous les quinze jours, par exemple, il va à Arras poursuivre sa mission d’aumônier militaire. Son maître de noviciat, le Père Louis Jardin, n’y voit pas trop d’inconvénients, puisque les autres novices vont chaque dimanche rendre service dans les maisons de Paris.
En 1900, apprenant avec une grande peine la maladie de ce bon Monsieur Jardin, il révèle toute son estime pour lui: “Ayez la charité de le lui dire, j’aime tant mon ancien maître des novices et le Bon Dieu seul sait le bien qu’il m’a fait, surtout par ses exemples d’humilité. Que de fois en direction, en conversation, j’aurais pu le prendre pour le novice! Si notre cher Monsieur Jardin doit mourir, veuillez lui demander pour moi un dernier conseil, un dernier mot du Bon Dieu et priez-le de m’obtenir du Ciel un amour vrai pour la Très Sainte Vierge”. Dans une autre lettre, il redit sa vénération: “La pensée de Monsieur Jardin ne me quitte pas pour ainsi dire; je cherche à lui payer avant le départ une petite portion du bien qu’il m’a fait [comme maître au noviciat], et puis je prie pour le noviciat qui va faire une perte que comprendront seuls ceux qui ont été à l’école de Monsieur Jardin”.
Au début d’octobre 1896 cependant, notre novice quitte Paris. Il écrit à ce propos au capitaine Auger le 3 octobre 1896: “Si j’ai bonne mémoire, je vous ai écrit deux mots en quittant Arras pour le noviciat [en mai 1896]. Ce soir je ne vous enverrai encore que deux mots à la veille de quitter mon trop court noviciat pour rentrer à Arras. Je pars demain préparer le logement de la petite communauté qui se composera de trois religieux dont deux prêtres. Notre maison s’appellera la Maison de l’Ave Maria. Je continuerai à m’occuper des militaires, nous essaierons aussi toutes les oeuvres de pauvres...” Le 10 octobre il est à Arras et envoie un mot au Père Anizan: “Que nous désirons tous, que je désire surtout votre arrivée à Arras et celle de mes deux frères! [le Père Joseph Edmont et le Frère Emile Thomas] Lundi soir [12 octobre] la maison pourra vous recevoir; il n’y manquera rien. La bonne Providence est venue à notre secours d’une manière merveilleuse...”
Le temps du noviciat ne se termine pas avec le changement de résidence; il durera jusqu’au 2 juillet 1898. Maintenant la formation à la vie religieuse se poursuit dans la communauté d’Arras et avec les conseils du Père Emile Anizan: “Je veux travailler à devenir un saint. Les saints font défaut. J’ai demandé la sainteté...” (janvier 1897). Il confie de nouveau au Père Anizan le 11 mai 1897: “A propos, encore un détail bien important sur l’état de mon âme: j'ai grand peur de la souffrance et la pensée que pour devenir un saint il me faudra beaucoup souffrir, me cause une véritable frayeur”. Ses lettres laissent voir son humilité, une grande simplicité et une liberté du coeur pour obéir à Dieu à travers les décisions des supérieurs ou les circonstances de la vie quotidienne.
Durant ce temps de noviciat, M. Bellanger apprend à connaître le charisme apostolique de la Congrégation. Ce qui le frappe surtout, c’est l’attention portée aux plus pauvres. “J’ai l’intention, disait-il en 1894, d’entrer dans la Congrégation des Frères de St Vincent de Paul, congrégation qui, aux trois voeux ordinaires de religion, en ajoute, pour ainsi dire, un quatrième, celui de ne s’occuper que du peuple, que des classes abandonnées”. En mai 1896, il revient sur ce sujet en ces termes: “Je ne comprends presque plus chez le prêtre du ministère une autre vocation que celle de frère de S. Vincent de Paul. Il me semble que Notre Seigneur, par ses exemples et ses paroles, a surtout envoyé ses prêtres aux délaissés de la terre”. Lors d’un pèlerinage au tombeau de saint Louis de Montfort, il partage sa méditation ainsi: “Savez-vous ce qui m’étonne depuis que je suis ici, c’est que le bienheureux n’ait pas fondé les frères de S. Vincent de Paul. Il a tellement aimé le pauvre peuple délaissé et trompé, et il a si bien employé les moyens qui seuls peuvent le ramener au bon Dieu...” En lisant la vie de saint Alphonse de Liguori, il exprime le voeu suivant: “La Vie de saint Alphonse, qui devrait être le patron, l’un des patrons de notre Congrégation, tant il a aimé le peuple, me fait beaucoup de bien. Je rêve de devenir un tout petit saint Alphonse; hélas! je ne fais que le rêver”.
La profession religieuse:
“Le mois de Mai arrive; il y aura deux ans que je suis novice... écrit l’abbé Bellanger au Père Anizan le 15 avril 1898. Comme je désire vous voir, pour que, vous ayant bien dit comment je suis loin de ce que doit être un
religieux, vous vous prononciez à mon endroit et me disiez ce que j'ai à faire près du Père Supérieur! Je tiens à vous dire, en passant, que j'ai écrit bien régulièrement au Père Supérieur, je l'ai mis au courant de tous mes travaux, il a tout approuvé, tout encouragé”.
Le Père Anizan, de son côté, a écrit au Père Leclerc le 20 avril: “Monsieur Bellanger est absolument ferme dans sa vocation. Il se sent où Dieu le veut, et le recul de M. Delattre n’a en rien ébranlé sa détermination. Il m’a consulté sur la question de son noviciat. Je lui ai conseillé de vous demander un mois de séjour à Vaugirard avec un ou deux retours à Arras si c’était nécessaire. Ce conseil lui agrée fort et très probablement il ira faire un tour à Paris pour régler cette affaire avec vous...”
Le 2 mai le novice est en retraite; il écrit au Père Général: “Monsieur Anizan m’avait autorisé à venir passer à la Chartreuse quelques jours de réflexions et de prières durant le mois de Marie. Mes soldats partent en marche pour plusieurs jours. Je suis parti d’Arras, arrivé à Montreuil et compte retourner à Arras samedi prochain”. Et le 11 mai, il demande au Supérieur Général la grâce de se consacrer à Dieu: “Autorisé par notre cher maître des novices et par mon confesseur d’Arras, je viens vous demander la faveur de faire ma profession religieuse dans la Congrégation des Frères de Saint Vincent de Paul. Je n’ai jamais eu d’autre désir, depuis que le Bon Dieu m’a choisi pour son prêtre, que celui de consacrer ma vie à tous ceux qui sont le bel héritage de notre Congrégation”.
M. Bellanger prévoit, le 12 mai, “un séjour à Paris de quelques jours, peut-être de quelques semaines, avant mes voeux de religion...” Comme il doit prêcher une retraite de communauté à Valloires en juin, l’on ne sait si le novice réussit à prendre ce moment de retraite au noviciat, avant de prononcer ses voeux.
Enfin le jour de la profession religieuse arrive. L’abbé Bellanger est prêt pour le don total. Il signe l’acte de sa profession dans la joie et l’assurance que peuvent inspirer le Seigneur et sa Sainte Mère: “Je soussigné Georges, Louis, Auguste Bellanger, prêtre, ai prononcé mes voeux de trois ans en qualité de Frère ecclésiastique, en présence du supérieur général de la congrégation des frères de Saint Vincent-de-Paul dans la chapelle de la maison de Chaville, le 2 juillet 1898”.
Trois ans plus tard, le Père Bellanger est appelé à renouveler ses Voeux; il s’engage donc par voeux temporaires pour sept ans. La cérémonie se déroule dans la chapelle de Notre-Dame de La Salette à Paris. Mais est-ce pour raison de santé chancelante? Ou plutôt par prudence, à cause de la loi Waldeck-Rousseau et la décision de passer en Belgique? Toujours est-il que, à peine quelques semaines plus tard [fin août?] ses supérieurs l’invitent à prononcer des voeux perpétuels: “Je suis appelé à prononcer mes voeux perpétuels le 7 septembre. Aidez-moi à m’y préparer. Que je sois uniquement et toute ma vie l’homme de la gloire de la Sainte Vierge”.
A la fin d’une retraite de communauté à Chaville le 7 septembre quelques religieux font ou profession perpétuelle, ou pour sept ans, ou pour trois ans. Notre frère Georges Bellanger est là et il se donne définitivement au Seigneur dans la Congrégation du Père Jean-Léon Le Prevost: “Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il.
Je, Georges Louis Auguste Bellanger, désirant marcher à la suite du divin Sauveur, fais le voeu de garder pendant toute ma vie la pauvreté, la chasteté et l'obéissance dans la Congrégation des Frères de Saint-Vincent-de-Paul, consacrée au service des pauvres.
Dominus pars haereditatis meae et calicis mei, tu es qui restitues haereditatem meam mihi. (Le Seigneur est ma part d’héritage et de ma coupe; tu es celui qui me remettra mon héritage)”.
Le don total était là dès le début; et les étapes ont été franchies. Le religieux poursuit son union avec le Christ et l’Eglise, selon sa vocation de Frère de S. Vincent de Paul.
VII- Une maladie sournoise
Georges Bellanger a une santé fragile, même si, quelques semaines après ses premiers voeux, il dit: “Rien ne me fatigue, je suis d’acier”. Il déploie un zèle extraordinaire et s’impose un lourd programme de pénitences. A son point de vue il n’en fait jamais assez ni pour le Seigneur ni pour Notre-Dame; son ambition est de s’user jusqu’à la corde, expression qui revient à diverses reprises dans sa correspondance. Dans ces conditions le moindre malaise ou refroidissement risque de prendre de dangereuses proportions. C’est ce qui se produit durant l’hiver 1898-1899. Depuis novembre 1897, pour éviter une fatigue excessive à cause de sa jambe (on se rappelle qu’il boite depuis sa coxalgie à l’âge de quinze ans) et pour sauver du temps, le Serviteur de Dieu ne vient à la communauté de la rue du Coclipas que pour le repas du midi. Autrement il reste à l’oeuvre militaire de la rue des Bouchers-de-Cité, no 28, où il couche souvent à même le plancher. Il attrape un rhume qu’il néglige et qui, en mars 1899, tourne en extinction de voix; il doit donc abandonner la prédication. Il est aussi affecté d’une petite toux nerveuse, il perd le sommeil et l’appétit: il confie au Père Anizan le 18 mars 1899. “J’ai tardé un peu à vous écrire, parce qu’on a voulu à tout prix que je fusse fatigué cette semaine et on m’a condamné au repos. Voici ce qu’il y a de vrai: ayant attrapé un tout petit rhume et un enrouement la semaine dernière, j’ai voulu parler à mes soldats dimanche [12 mars]; ça m’a fatigué, j’ai été trois ou quatre jours sans appétit. M. Edmont m’a obligé à voir la faculté, qui m’a dit de me reposer, de ne plus prêcher pendant quelques jours et m’a engagé à aller courir dans les champs et dans les bois pendant quelques jours dès que je le pourrai. M. Edmont (Supérieur à Arras) m’engage à aller à Moulle la semaine de Pâques... j’ai tellement le désir de glorifier ma Mère du Ciel et de réparer tout l’égoïsme de ma vie, que je ferai tout pour ne pas me réduire à l’impuissance durant les années qui me restent à passer sur la terre..” et le 27 mars il continue: “Le Père Supérieur me demande mes idées sur les conditions de mon repos. Je vous les ai dites... Mes deux familles, celle de mes frère et soeurs, celle de mon oncle, habitent des pays très sains (Moulle et Yeuse), dans les champs et dans les bois; j'y serai soigné avec le coeur et à charge à personne. Mais tout ce que le Supérieur décidera avec vous sera pour le mieux.
A part la voix qui n'est pas encore revenue comme je le voudrais, mais qui va cependant mieux de jour en jour, tout va vraiment fort bien. Je n'ai plus de sueur, plus de toux, je mange non plus par raison, comme au commencement de la semaine dernière, mais avec grand appétit. Aussi n'y a-t-il qu'une voix pour dire que depuis plus d'un an, on ne m'a pas vu aussi bonne mine.
Voici le programme d'une journée: le matin, deux oeufs, verre de vin et café...
A 10 h. un grand verre de malaga et un morceau de pain.
A midi un repas solide, à la viande, laquelle viande est toujours la plus fortifiante, de même qu'au repas du soir.
Je bois aux deux repas réunis une bouteille de bon vieux vin apporté, comme le malaga, par les coeurs généreux qui m'entourent. On me fait aussi une crème comme dessert, dans laquelle entrent beaucoup d'oeufs.
A 4 heures, je prends un morceau de quelque chose pour attendre le souper dont j'ai parlé plus haut.
Enfin à 9 h. du soir on me fait un lait de poule et j'avale ainsi une dernière fois deux oeufs crus.
Eh bien! mon bon Père, êtes-vous tranquille? Presque scandalisé, n'est-il pas vrai! Comprenez-vous qu'en suivant pareil régime la convalescence ne sera pas longue?...
M. Bellanger ne se préoccupe pas trop de son ministère auprès des soldats: “J’ai tellement la conviction que c’est la Sainte Vierge l’aumônier militaire d’Arras, et que si je fais quelque bien, c’est par mon Rosaire...” Le 9 avril, il dit: “Que ce petit arrêt dans ma vie m’aura fait du bien!” Et le 22 avril il demande la permission de rentrer définitivement à Arras; ce retour aura lieu le 6 mai.
En juin il obtient la permission de prêcher “en second” à Houlle pour la neuvaine de Notre-Dame des Armées. Ensuite il se rend, toujours accompagné d’un confrère de ministère, à la paroisse de Landrethun-les-Ardes, dans le domaine d’Yeuse, chez son oncle Adolphe, qu’il considère comme son deuxième père, depuis le décès de son papa. Là auprès du château il y a une petite chapelle dédiée à Notre-Dame de Lourdes. Les abbés offrent une neuvaine pour la famille et les gens de la région avec prédication et confessions... la fatigue laisse des traces.
N’ayant pu participer à la retraite de communauté en fin de juillet, le Père Bellanger va passer quelques jours en retraite et repos chez dom Pollien, à la chartreuse de Montreuil. Puis le Père Général lui demande de participer au Congrès de Montpellier et d’accepter l’offre d’un rapport sur son apostolat auprès des soldats: “Inutile de vous dire que j’irai à Montpellier avec entrain, puisque vous me dites d’y aller. Je prépare mon rapport sur la nécessité des oeuvres militaires, et si la Sainte Vierge me vient en aide, comme c’est probable, j’affirmerai la vérité qui est fort triste, à savoir que la plupart de nos garnisons n’ont pas d’aumôniers, que la parole de Pie IX est toujours vraie: “les soldats: ce sont les plus délaissés”.
Le 9 septembre une quinte de toux agace le Père et il crache un peu de sang. Durant la nuit le sang sera plus abondant; il sera contraint au grand repos pendant un mois. C’est alors que son évêque, Mgr Williez, viendra lui rendre visite à l’oeuvre militaire, dans son réduit. Mais il faut encore beaucoup de repos. Aussi le 11 octobre 1899 retourne-t-il à Moulle: “Demain, souligne-t-il, je quitte Arras pour aller me reposer. Le médecin est tout à fait satisfait de mon état; il le dit tout autour de moi. Il est convaincu qu’après le repos, qui sera ce que la Sainte Vierge voudra, je serai plus fort qu’avant. C’est une belle histoire que celle de ma maladie, je vous la raconterai dans ma prochaine lettre. Le Bon Dieu ne se fait pas comprendre d’ordinaire tout de suite, je crois le comprendre ici... La visite du docteur est venue interrompre ma lettre. Il m’a dit: “Vous partez dans les meilleures conditions possibles. Reposez-vous et vous serez aussi solide qu’auparavant”. Le malade n’ira donc pas au Congrès.
Après une semaine de grand air, il se sent déjà mieux et il le dit: “il me faut mon exil pour me rappeler mon étrange maladie. Les nuits sont fort bonnes, l’appétit est excellent, les forces reviennent tous les jours... Mais je me reproche de ne pas remercier assez la Sainte Vierge, en l’aimant de toute mon âme... Elle m’a laissé sur la terre pour réparer l’égoïsme de ma vie passée et la glorifier de toute manière, pour souffrir aussi. Quand autour de moi on paraissait s’inquiéter... je me disais: je ne mourrai pas tout de suite, je n’ai pas assez souffert pour le Bon Dieu... Ma vie ici sera, je l’espère, une vie de prière; je serai pour quelque temps le chartreux de la Congrégation. J’ai commencé aussi l’étude des psaumes au point de vue du Rosaire. Cette étude fait mes délices et me permettra plus tard de ne plus prêcher que le Rosaire”.
En décembre, il connaît certaines imperfections de santé: “peu de chose, mais on a eu peur, et moi aussi...” Les semaines passent... le repos devient lourd pour l’aumônier plein de zèle; le 26 décembre il laisse entrevoir un peu de tristesse: “J’ai vu deux fois le médecin depuis que je suis ici... La première fois il m’a dit qu’il avait de ma poitrine, avant de l’avoir visitée et après tout ce qu’on lui avait dit sur les accidents survenus à Arras, une opinion bien mauvaise, mais qu’heureusement son opinion avait bien changé après la visite. Il m’a donné comme certaine ma guérison complète après du repos. La seconde fois, c’était il y a huit jours, il a trouvé l’état général meilleur encore et m’a fait espérer la reprise de mon ministère après les grands froids (donc au printemps). Quant à moi, je m’efforce de m’abandonner, surtout quand je sens la tristesse me monter au coeur. Je sens que la Sainte Vierge me guérit; j’attends qu’elle veuille bien faire de moi sa bête de somme, comme par le passé”.
Il profite du temps de Noël pour reprendre contact avec ses anciens soldats et leur rappeler leurs propos de vivre chrétiennement: “Depuis avant Noël, je suis fort occupé avec tous mes pauvres enfants, dont bon nombre sont des prodigues, et Notre Seigneur nous a fait une loi de laisser là ses enfants fidèles pour courir au devant
des prodigues”. A un intime il souligne, en janvier 1900: “Je suis malade depuis plusieurs mois, condamné à ne plus offrir pour ceux que j’aime que mes prières et mes souffrances”. À une demoiselle il ajoute: “Je suis encore dans ma famille jusqu’après l’hiver; je vais tout à fait bien; seulement, je me suis dit que le Bon Dieu voulait que je me refasse une nouvelle jeunesse pour travailler ensuite à sa gloire, et je me repose à l’excès”. Et il poursuit sa croisade de prières pour la conversion des soldats et pour la réparation des péchés en la fin du siècle. De plus il collabore à différentes réunions par des articles: “Mon article vous arrivera d’ici dimanche. Qu’on a de mal à écrire, quand on ne le fait plus. J’ai pris beaucoup dans le rapport du Congrès de Montpellier. Je pose cette question: “Que faut-il d’indispensable pour fonder et faire vivre une oeuvre militaire?”
Par obéissance, il parle de sa santé à son conseiller, le Père Anizan: “La santé du corps va fort bien; cependant je demeure ici jusqu’à la fin de Mars, d’abord parce que le docteur Planque (différent de M. Planque, Président de la Conférence de S.Vincent de Paul d’Arras) le docteur Planque tient beaucoup, paraît-il, aux six mois de repos (il faut vous dire pourtant qu’il ne m’a pas vu depuis le mois d’Octobre); ensuite parce que je sens que je remonte un courant que je descendais depuis longtemps”. Au début de février, le Père commence à être nerveux; il écrit à une Supérieure de communauté religieuse: “Je vais commencer demain (11 février, fête de N. D. de Lourdes) une neuvaine à la Sainte Vierge pour que, si telle est sa volonté, le médecin, me trouvant parfaitement guéri, me permette de reprendre mon ministère en la fête de l’Ave Maria [25 mars]. “Une petite prière pour que je puisse être rendu définitivement à ces pauvres délaissés des casernes”. “Je vais à Arras vendredi (16 mars) pour interroger l’horizon chez Monsieur Planque; j’ai bon espoir, le médecin de la famille, que j’ai consulté la veille du carême [le Mardi Gras, 27 février?], a trouvé la poitrine presque guérie, beaucoup plus guérie qu’il ne l’espérait et selon lui, je puis reprendre tout doucement le ministère des soldats à la fin de mars. Il me recommande seulement de n’accepter pendant quelques mois aucun ministère extraordinaire et de suivre un bon régime pour la nourriture et le repos. Si M. Planque confirme, je compte rentrer à Arras définitivement le 24, à moins qu’on me conseille d’achever le carême ici”.
Vers le 20 mars commencent à arriver de bonnes nouvelles de la part des médecins: “Monsieur Planque a été fort content de l’état de la poitrine, l’a trouvée beaucoup plus guérie qu’il ne l’espérait, après cinq mois; pas complètement guérie cependant; il reste, dit-il, deux ou trois petites imperfections tout au bas du poumon, mais ces imperfections disparaîtront cet été, en évitant toute fatigue, en continuant un bon régime. M. Planque autorise mon retour à Arras après les fêtes de Pâques, et la reprise de mon ministère près des soldats; il demande seulement que je ne prêche pas dans de vastes locaux pendant les premiers mois et que je profite de toutes les circonstances, assez nombreuses en été, pour aller continuer ma cure d’air à la campagne”.
Mais un fait va changer les projets apostoliques du Père Bellanger. Monsieur Jardin, le maître des novices est gravement malade: “ Qui le remplacera au noviciat? Que je prie aussi à cette intention! Toute la Congrégation de l’avenir est là...”
VIII- Le Maître des novices
Recherche d’un nouveau maître des novices:
La maladie a obligé l’aumônier militaire à s’éloigner de son champs d’apostolat depuis plusieurs mois. Le médecin a compris que l’oeuvre militaire “tuait” son aumônier. Pourrait-il raisonnablement reprendre le même ministère? “Qui remplacera le maître des novices?” se demandait le Père Bellanger, et tout le monde. Le Père Alfred Leclerc cherche lui aussi qui pourrait prendre cette responsabilité. Voici que le maître des novices, sur son lit de mourant, suggère son remplaçant: “Je m’en irai content si vous donnez M. Bellanger au noviciat”. Sans attendre que le poste soit vacant, le Supérieur Général s’empresse de sonder le terrain; ce qui provoque le désarroi du Serviteur de Dieu: “Votre lettre m’a désolé; je n’ai pas cru devoir y répondre hier, tant ma pauvre tête et mon pauvre coeur étaient malades. J’ai préféré semer des Ave Maria et attendre que la nuit et surtout le Saint Sacrifice aient apporté
conseil. Je ne vous parlerai pas, mon Père, du sacrifice qui va m’être imposé, un prêtre, un religieux surtout, n’a pas le droit de s’arrêter à ces sortes de considérations. Mais nos pauvres soldats qui perdent à tour de rôle tous les prêtres; mais toutes les oeuvres de Messes, de prières, fondées pour l’armée dans notre diocèse, qui sont exposées à souffrir, peut-être à périr! Sans doute un autre fera aussi bien que moi, mais quand je songe au nombre d’années qu’il faut pour gagner la confiance, j’ai peur que durant plusieurs années nos soldats, si délaissés, auront moins encore que par le passé de secours surnaturels.
Et puis, mon Père, songez donc à la responsabilité qui va peser sur moi! Je ne connais pas bien, j’ai peur de ne pas avoir l’esprit de la congrégation et je devrais le donner aux autres; j’ai été un si pauvre religieux jusqu’aujourd’hui et je devrais faire des religieux! De plus le maître des novices doit être si prudent, si doux, si humble et je sais par une expérience quotidienne que je suis tout à fait l’homme du premier mouvement. Je ne connais rien des habitudes du noviciat, j’y ai demeuré de cinq à six mois, mais presque toujours occupé à des ministères extérieurs.
Sans doute, bien cher et vénéré Père, votre affection et votre confiance m’attachent davantage encore, si possible, à vous et à la congrégation, mais je vous demande au nom de cette même affection de ne pas m’imposer la responsabilité de former des religieux et des prêtres. Vous ne tarderiez pas à regretter de m’avoir mis à la place du saint Monsieur Jardin. La maladie que le Bon Dieu m’a envoyée m’a fait faire de sérieux retours sur moi-même et j’ai rencontré à chaque page de ma vie passée l’égoïsme”.
Le 6 avril, le même Général revient sur le sujet dans une lettre à un autre confrère, le Père Alexandre Nunesvais: “J’ai fixé mon choix sur M. Bellanger, l’aumônier militaire d’Arras. Mais les difficultés sont grandes: l’évêque d’Arras, qui l’a en haute estime, a mis comme condition de son entrée qu’il demeurerait dans le diocèse. Sa poitrine a été fortement atteinte et quoiqu’il aille mieux, je ne crois pas qu’il puisse reprendre son ministère actif. J’espère que cette considération décidera le consentement de l’évêque”. Ce serait une faveur insigne pour notre congrégation. Notre frère fait l’impression d’un saint”.
Le 8 avril le Père Bellanger, qui médite beaucoup sur son changement possible, se déclare disponible à obéir: “Je ne vous parlerai pas des propositions du Père Supérieur, puis-que vous me les faisiez en même temps que lui. J’ai répondu de manière surtout à dégager ma conscience, et maintenant je suis prêt à tout ce que le Bon Dieu demandera de moi [...] je suis allé voir M. Benoist, l’ex-archiprêtre de la Cathédrale, qui fut pendant trois ans mon directeur au Grand Séminaire. M. Benoist savait quelque chose de vos projets, je ne sais comment, et pendant une heure, de son lit de souffrance, il m’a adressé la recommandation de mettre ma confiance en la Sainte Vierge et de ne faire aucune difficulté aux propositions du Père Supérieur. Il m’a presque reproché ma première lettre [du 28 mars] et tout à fait la seconde [du 31] où je transmettais au Père Supérieur la pensée que j’avais eue de remettre jusqu’en Septembre mon départ d’Arras, afin d’avoir le temps de disperser les hommes et les choses. Il est d’avis que je ne resserre pas des liens spirituels détendus par mon long repos et qu’après quelques semaines de printemps passées ici, si le Père Supérieur le juge bon, je m’embarque directement pour Paris. M. Benoist qui a vu tout dernièrement Monseigneur et qui lui a parlé de moi, pense que Monseigneur ne fera pas grande difficulté, s’il espère que je continuerai à m’occuper un peu des oeuvres de prière et des retraites du départ de son diocèse”.
Le Père Louis Jardin décède le17 avril 1900. Trois jours plus tard son ancien novice réagit ainsi: “J’ai appris trop tard la mort du bon Monsieur Jardin pour avoir même la pensée d’assister à ses funérailles. J’ai eu le bonheur d’offrir déjà deux fois le Saint Sacrifice pour le repos de son âme... Que dans le Ciel, où son humilité l’a certainement conduit, il veuille bien intercéder pour celui qui devra lui succéder et dont il voit sans doute maintenant toutes les misères, toutes les impuissances. Je vous remercie de m’avoir annoncé vous-même cette
mort qui laisse un si grand vide dans notre congrégation. Vous êtes vraiment trop bon de me donner ainsi votre temps que tous se disputent à Paris et au loin!”
Il avait été question que le Père Bellanger voit son évêque au sujet de son éventuelle obédience au noviciat. Ce dernier pense que cette démarche revient au Supérieur Général lui-même: “Je préfère mille fois que vous entreteniez vous-même Monseigneur de vos projets. Si un jour je vous ai dit que je pourrais peut-être le faire, j’émettais en même temps la pensée d’un séjour de quelques mois à Arras pour arranger toutes choses. Or cette pensée a été blâmée... De plus, je craindrais trop de laisser la nature reprendre le dessus, d’abonder dans le sens de Monseigneur, apportant des objections à ce même départ et de ne pas me trouver plus tard où le Bon Dieu me veut”.
Un mois plus tard le Père Leclerc correspond avec le Père Nunesvais et parle de sa rencontre avec l’évêque d’Arras: “J’arrive de courir après l’évêque d’Arras et l’archevêque de Cambrai. Il me fallait négocier avec Mgr Williez le changement de M. Bellanger [...] Mgr, en dépit d’influences contraires, m’a dit: “C’est une grande perte pour Arras, mais je ne puis pas faire objection” Le Vicaire Général (Mgr Ferdinand Lejeune), ami intime de M. Bellanger, m’a parlé de même, en ajoutant: “M. Bellanger est un saint. Il fait des miracles dans l’ordre spirituel; il ferait des miracles comme ceux que nous lisons dans la vie des saints, je n’en serais pas étonné”. Le 29 mai, c’est le Père Anizan qui échange avec le Père Général: “J’ai appris avec une grande joie ce qui s’est passé à Fruges avec Monseigneur et même avec M. Lejeune, et je vois de plus en plus la main de Dieu... Dieu veut que la congrégation devienne de plus en plus féconde et, pour cela, il veut la mettre entre les mains de sa divine Mère. C’est là, je n’en doute pas, la mission de M. Bellanger, mission qui aura une influence pour l’avenir. C’est pour cela qu’il entré chez nous, qu’il a connu les oeuvres par expérience et que Dieu a permis sa maladie...”
Le Père Leclerc attend le nouveau maître des novices le 1er juin. Mais le 9 juin le Serviteur de Dieu fait savoir que le médecin ne veut pas le voir partir “avant la guérison complète du rhume ou plutôt de l’influenza que j’ai rattrapée”. Il ajoute que ce n’est pas dommage que je sois retenu par cette indisposition, les beaux jours qui commencent enfin à arriver devant compléter la guérison de la poitrine et hâter le retour complet des forces... si je prenais des précautions pendant quelques mois encore”. Il semble que le Supérieur Général n’ait pas prisé cette influence du médecin: “Je vais lui écrire [au Père Bellanger] de décider lui-même, sans s’asservir au docteur” (12 juin au P. Anizan). Le 19 juin le Père Bellanger répond: “Vous ne sauriez croire la peine que m’a faite votre lettre de ce matin! Vous ignorez certainement ce que je souffre d’être condamné si longtemps à l’inaction. Je vous ai lu en me rendant à la messe d’exposition; votre lettre m’a mis dans une grande perplexité. D’une part vous me commandez de partir, d’autre part je sens depuis mon rhume que je dois prendre des précautions infinies pour éviter le moindre refroidissement. Au sortir de la messe, je suis allé voir M. le Curé et lui ai demandé ce que je devais faire en conscience. Il m’a ordonné d’aller voir le médecin et de vous envoyer sa décision... Si vous croyez que je doive partir quans même, je vous arriverai jeudi...” D’un problème à l’autre, le maître des novices n’arrivera que le 1er octobre.
Entre-temps le Père Général demande conseil à l’ancien aumônier militaire sur son remplaçant: “Vous me demandez de vous envoyer mes pauvres idées au sujet de mon successeur. Je pense d’abord que plutôt il arrivera, mieux ce sera... L’oeuvre militaire est en souffrance malgré le dévouement à toute épreuve de Monsieur Corbec, qui ne pouvait faire bien un double ministère et qui a été retenu une grande partie de l’hiver près des soldats malades. Il y a encore dans l’oeuvre quelques bons éléments qui vont disparaître au départ de la classe. Peut-être qu’ensuite il serait difficile de retrouver l’esprit de l’oeuvre.
Je pense ensuite que l’oeuvre militaire d’Arras a besoin d’un homme pas tout à fait novice au point de vue de la parole (etc.) à cause de son double champ d’action: la maison de famille et l’église Notre-Dame des Ardents.
La messe militaire du dimanche ayant comme assistants non seulement les soldats, mais un nombre considérable de laïcs et des officiers, et l’aumônier devant y parler, il faut à ce dernier autant de discrétion que de force quand il flagelle les vices du soldat et une très grande réserve quand il parle des choses de la vie militaire.
Je pense surtout qu’il faut aux soldats un homme aussi surnaturel que possible; je ne crois pas qu’il puisse faire vivre son oeuvre de la vie du Bon Dieu sans une somme considérable de prières au dedans et au dehors, tant le diable est maître dans ce milieu militaire” (2 juin 1900).
Maître des novices:
Après bien des retards, dus aux accidents de santé, le Père Georges Bellanger se présente enfin au Noviciat le 1er octobre 1900. Le Père Emile Anizan, assistant général et conseiller spirituel, l’attend à la Gare du Nord, heureux de l’accueillir en bonne forme, gai et désireux de se mettre au travail. Mais “il tousse encore et est faible... je crois qu’à votre retour il sera bon de le faire examiner par un médecin de Paris”, souligne-t-il à son Supérieur Général le lendemain.
Premiers pas:
A sa première conférence aux postulants et novices, il étonne ses auditeurs par ces paroles: “En abordant mon ministère parmi vous, je commencerai par me démettre des fonctions que viennent de me confier mes supérieurs. Rassurez-vous, je ne prétends commettre aucun acte d’insubordination; au contraire, je ne fais que remettre choses et personnes à leur vraie place”.
Alors se tournant vers l’image de Marie, qui règne dans la salle du noviciat, le Père Maître explique: “Au début de ses fondations, sainte Thérèse avait coutume de mettre à la place de la prieure une statue de la Très Sainte Vierge. Eh bien, moi, votre pauvre maître en titre, je déclare que je dépose ma démission entre les mains de notre Mère du Ciel. C’est Elle qui sera maîtresse des novices et qui, de nous, fera des saints”.
Quinze jours plus tard le même écrit à son Supérieur Général: “Je pense du noviciat qu’il est très beau et je crois pouvoir ajouter: bien bon. En tout cas, il renferme des âmes d’élite, que vous connaissez mieux que moi. La bonne volonté ne laisse pas à désirer depuis mon arrivée et la charité non plus, surtout à mon endroit. Tous ces bons petits frères sont remplis de délicatesse pour leur maître des novices, mieux portant que jamais en apparence, manquant cependant encore un peu de ses anciennes forces... Seulement, il ne suffit pas que celui sur qui repose la responsabilité du noviciat mange et boive bien, il faut avant tout qu’il soit un saint; il veut le devenir ici, où tout lui viendra en aide; demandez à la Sainte Vierge qu’il ne mérite pas trop souvent le reproche de Notre Seigneur à saint Pierre: “spiritus promptus caro infirma”.
Programme de formation:
“Donner à mes frères, les novices, l’amour de la Sainte Vierge et de sa Congrégation” tel est le but recherché par le maître des novices. “Nous voici tous deux envoyés par le Bon Dieu à de nouveaux ministères, se plaît à souligner le Père Bellanger à son ami Raffin, ordonné en 1884, le 14 décembre 1900; supplions notre Mère de faire de nous des hommes de Dieu, tels qu’il en faut aujourd’hui pour sauver les âmes et remettre Dieu à sa place. Je n’ai que 24 paroissiens: 16 ecclésiastiques, 8 frères laïques; je trouve que c’est plus de monde comme responsabilité que 2000 soldats.
Dans la formation à donner, le maître des novices insiste sur les droits de Dieu. Les diverses Révolutions sociales ont tenté d’affirmer l’autonomie de la raison contre l’invasion de la religion; le Père-maître veut rendre à Dieu la place qui lui est due dans le monde et dans la vie de chaque âme en particulier. Pour cela il travaille à déraciner l’égoïsme dans le coeur de ses jeunes, pour le remplacer par la recherche de la gloire de Dieu dans toute action à
poser. “N’aurais-je fait qu’inculquer solidement à mes novices la notion de la gloire de Dieu et de son souverain domaine, je croirais n’avoir pas perdu mon temps”, rapporte l’abbé François Delattre au Procès informatif en vue de la canonisation.
L’adoration du Très Saint Sacrement devient vite un point majeur de la formation. La chapelle ne reste jamais vide, sinon à l’heure des cours. On prend l’habitude de tourner vers le Tabernacle sa première et sa dernière pensée du jour; on se ménage quelques instants pour une petite visite au Dieu de l’Eucharistie à la fin des travaux, etc. On demande l’autorisation de passer du temps à la chapelle durant le jour et même durant la soirée ou la nuit.
Comme la Très Sainte Vierge est la Maîtresse officielle de formation, il est normal d’entendre son “assistant” insister sur la dévotion mariale, en particulier par la consécration à la Sainte Mère et par la prière du rosaire. A titre d’exemple, la première fête de l’Annonciation, celle qui suit l’arrivée du père maître, est solennisée; un témoin la décrit ainsi: “Le 25 mars 1901 fut pour moi un jour inoubliable. A minuit, notre cher maître entonna l’Angélus, puis chanta l’évangile de l’Incarnation. Il paraissait transformé, tant la foi, l’amour et la joie perçaient sur son visage et dans sa voix”. C’est en cette nuit mémorable que le Serviteur de Dieu consacre solennellement et officiellement son noviciat à la Vierge Marie. La journée tout entière se passe en adoration, en prières et en la compagnie de Marie.
Une autre fête mariale donne l’occasion de développer la dévotion envers Elle: “J’ai reçu votre bonne lettre aux premières Vêpres de l’Immaculée Conception (1901) et je vous assure qu’elle nous a fait prier, et la nuit et le jour. Tous ici ont dit les mille Ave Maria dans l’intention de confier à la Sainte Vierge la Congrégation et, avant toutes les autres, ses oeuvres particulièrement menacées. Il a fait bon chez nous hier et la Sainte Vierge n’a pas dû être trop mécontente de ses fils du noviciat. La fête de l’Immaculée Conception avait été préparée par bien des sacrifices et des prières; la plupart de nos jeunes gens voulaient en faire le jour de leur consécration solennelle et définitive à la Sainte Vierge et [le jour] du voeu de chasteté jusqu’au 25 mars”.
Comme son fondateur, le Père Jean-Léon Le Prevost, le maître des novices veut former des religieux pleinement donnés; il dit à l’un d’eux: “Vous avez bien tort de vous enfouir dans la vie religieuse, si vous ne voulez vivre qu’en demi-religieux. Soyez tout d’une pièce!”. A cette fin, chaque matin une prière sera récitée pour conjurer la Sainte Vierge de vouloir bien écarter du noviciat tous ceux qui ne seraient pas plus tard de bons et vrais religieux.
Il ne manque pas, non plus, d’insister sur la charité fraternelle: “Que votre oeil soit bon!...vous ne pouvez connaître les intentions de vos camarades, de vos frères. On ne peut vivre en communauté si la charité n’y règne pas”. Le maître ne veut que des hommes de prière, d’humilité et de travail. Il veut faire d’eux des saints, des hommes mortifiés, capables de renoncement et de sacrifices. On croit entendre ici le Vénérable Jean-Léon Le Prevost, lorsqu’il cherchait des personnes pour fonder sa Congrégation: “Si elles sentaient en elles la voix intérieure (de l’Esprit Saint) qui les appelle, et à laquelle on ne résiste pas; si elles étaient animées de l’es-prit de sacrifice et de renoncement pour tout quitter et se livrer à Jésus-Christ, sans regret, sans inquiétude, avec amour et entier abandon” (Lettres, 11 novembre 1844). De Moulle, où il est en repos, le Père Georges écrit au Père Anizan: “Je pense beaucoup au noviciat où il y a d’excellents éléments de sainteté. Mais que j’ai peur d’arrêter les grâces de Dieu par ma froideur et mes difficultés! N’importe!... Si du noviciat de cette année pouvaient sortir seulement quelques saints, et si tous les ans la Sainte Vierge nous accordait la même faveur, que d’ouvriers, que de soldats se convertiraient ensuite!” “Comme je sens la nécessité de faire du noviciat une pépinière de saints pour les oeuvres de l’avenir! Je vais m’efforcer de me pénétrer davantage de l’esprit si surnaturel de notre saint Fondateur [le Vénérable Jean-Léon Le Prevost], pour l’inspirer autour de moi. Les novices qui lisent en ce moment la vie de Monsieur Pialot [Jules, prêtre, 1853-1877], commencent à avoir de la dévotion à ce bon petit
saint de notre famille... Nous avons d’admirables saints chez nous et nous ne pensons pas à les faire connaître, à les faire aimer et prier. Quand je dis nous, je parle de moi, qui ai la mission de faire aimer notre chère famille”.
Le formateur insiste sur les moyens surnaturels dans les oeuvres apostoliques et avant tout sur la prière, car c’est Dieu qui convertit et sanctifie les âmes. “N’ouvrons qu’une demi-heure plus tard à nos jeunes gens, s’il est nécessaire, afin de ne pas négliger nos exercices”. La puissance de Dieu se joue avec la faiblesse des moyens.
Il recommande à ses novices l’apostolat par la prière; à chaque jour il indique une intention spéciale, comme sa famille religieuse et ses oeuvres, la conversion des ouvriers, les soldats, les vocations, etc. “Les novices, dit-il au père Anizan, vont redoubler de prières pour votre retraite à partir de ce soir. Je n’ai pas assez insisté; je réparerai. Les quelques négligents dont je vous ai parlé un jour paraissent avoir compris enfin que seul l’esprit de foi doit les guider. J’avais annoncé aux six très fervents, que je réunis de temps en temps, que le Bon Dieu visiterait sans doute quelqu’un ou quelques-uns d’entre eux...”
Le Père donne aussi à ses novices l’occasion d’exercer pratiquement l’apostolat; ils vont de temps en temps dans les Oeuvres de la Congrégation ou auprès des pauvres: “Chaque semaine nos novices portent aux quatre coins de Paris les aumônes du Cardinal et, en rentrant, viennent me rendre compte de ce qu’ils ont trouvé tout le long de leur route. Ici c’est toute une famille sans mariage chrétien, sans baptême, plus loin, des malades qui n’ont pas vu le prêtre, qui parfois refusent sa visite. Vous ne sauriez croire le nombre incalculable d’enfants sans Baptême et sans Première Commu-nion...” (17 mars 1901).
La santé du maître des novices laisse toujours à désirer. Ses supérieurs lui proposent, en juin 1901, de s’absenter quelques jours: “Un repos de 15 jours me paraît bien difficile à trouver maintenant et j’avais écrit pour préparer les miens à un retard. Le novice d’Epernay arrivera avant le 15, et le 2 juillet expirent mes voeux de trois ans. Et les 26 novices du noviciat! Dites-moi, si, à moins d’un ordre du Père Supérieur, je dois accepter des vacances en ce moment; ça tranquillisera ma conscience”. Le 2 juillet 1901 il renouvelle ses voeux d’une voix oppressée et presque éteinte. Le Père passera donc quelques jours dans sa famille du 27 juillet au 11 août 1901.
Au retour une énorme tâche l’attend: organiser l’exode du noviciat à Tournai, en Belgique, à la suite de la Loi du 1er juillet 1901.
Une Loi contre les congrégations religieuses:
De quoi s'agit-il? A la suite de critiques venues des Jésuites et des Assomptionnistes, par leur Journal La Croix, le ministre républicain Waldeck-Rousseau engage une lutte contre toutes les congrégations. Les frapper, c'est atteindre la catholicité en un centre vital. Tel est le vrai dessein de la loi du 1er juillet 1901 sur les associations. Liberté complète est donnée à toutes les associations, sauf les associations religieuses ou congrégations.
Pour celles-ci, un régime d'exception est établi: aucune ne peut se fonder sans une loi, et même pour celles qui sont déjà autorisées, aucun établissement ne peut être ouvert sans un décret. La raison invoquée de cette lutte ou persécution, c'est que les voeux de religion diminuent la personne humaine. “Notre droit public, disait Waldeck-Rousseau en 1882, proscrit tout ce qui constituerait une abnégation des droits de l’individu... droit de se marier, d’acheter, de vendre, de faire le commerce, d’exercer une profession quelconque, de posséder; en un mot tout ce qui ressemblerait à une servitude personnelle... Tel est la voie de la congrégation. Elle n’est pas une association formée pour développer l’individu, elle le supprime...”
Dans une lettre du 9 décembre 1900 aux Clarisses d'Arras le Père Georges fait état de la menace: “J’ai l’intention d’organiser une immense croisade de Rosaires pour sauver la vie religieuse, si menacée en France par
la loi qui va être votée prochainement. Sans religieux, sans religieuses pour écarter la foudre, la France est perdue”.
En 1901 Waldeck-Rousseau va de l'avant. D'ailleurs, par un rare illogisme, il permet à certains congréganistes de subsister, moyennant une autorisation de l’Etat. La plupart des congrégations refusent de demander cette autorisation, estimant la loi injuste et abusive. Il faut donc tout abandonner et partir en exil.
Le déménagement du noviciat en Belgique:
Les préparatifs s’organisent; le 23 septembre le Maître des novices écrit à un jeune, absent du noviciat: “Nous sommes en plein déménagement et il faut que j'aie l'oeil à tout. Il y aura encore assez de meubles brisés, même après toutes les précautions.
Priez, redoublez de fidélité au Saint Rosaire pour la Congrégation et le noviciat... Nous aurons bientôt le bonheur de vous voir revenir; nous partirons ensemble pour l'exil; mais le Dieu du Tabernacle va s'exiler avec nous, et puis plus que jamais nous ne ferons au noviciat qu'un coeur et qu'une âme”. Le 27 septembre, une lettre au postulant Fernand Desrousseaux nous illustre la situation précaire du grand dérangement: “Je n’ai plus rien, ni mobilier, ni papier convenable; je vous écris sur un bout de planche et sur une feuille de papier laissée par la providence au milieu des ruines de notre maison. C’est que, voyez-vous, notre mobilier prend aujourd’hui le chemin de l’exil; la maison-mère a quitté la France ce matin; le noviciat va la suivre lundi ou mardi prochain...” Et au Père Adolphe Imhoff, déjà arrivé à Tournai, le maître des novices demande: “Monsieur Nominé [le frère Pierre] me prie de vous demander deux choses:
1° Que vous cherchiez à assurer au moins une paillasse aux quatre frères de la Maison-Mère et aux dix-neuf novices et Maître des novices arrivant lundi soir. Monsieur Nominé désire que nous couchions à Tournai pour travailler le lendemain, dès le réveil.
2° que vous fassiez prendre à la gare un panier de linge qui vous a été expédié en grande vitesse aujourd’hui”.
Pour assurer le plus tôt possible le rythme de la prière, le Père ajoute: “Dans le cas où vous verriez l’évêque de Tournai: pourriez-vous obtenir au noviciat les permissions:
1° de conserver le Saint Sacrement et de dire la Sainte Messe chez nous.
2° de l’adoration diurne et nocturne chaque semaine (nous userons de cette dernière (permission) autant que le Père Supérieur le jugera convenable; je sais qu’en ce moment il désire l’adoration nocturne comme nous l’avons depuis quatre mois).
3° de toutes les bénédictions du Saint Sacrement que nous avons ici, les mêmes qu’à la Maison-Mère.
4° d’ériger le Chemin de la Croix (permission que vous demanderiez pour vous ou pour moi).
5° de plus, voudriez-vous m’obtenir les pouvoirs de confession, au moins pour les membres de la Congrégation et les personnes qui pourraient venir me voir de France”.
Au moment de quitter Vaugirard, le maître des novices salue les nouveaux profès en route pour les études théologiques à Rome et il exprime les sentiments qui l’animent: “Je ne saurais vous dire comme le coeur se serre à la pensée que la France nous chasse. Je crains bien de faire tout à l'heure comme nos vieux frères, partis jeudi dernier [26 septembre], qui tous ont pleuré toutes les larmes de leur coeur”.
Le voyage vers Tournai a lieu le 30. Le Noviciat loue et occupe l’ancien hospice de Montifaut au numéro 16, rue des Augustins: “Notre maison est l’idéal d’un noviciat. Tout a un cachet de grande austérité, un vrai cachet monastique”. Les jeunes couchent sur la paille en attendant le mobilier qui commence seulement à arriver; ils sont gais et joyeux.
Une lettre aux nouveaux scolastiques nous décrit l’installation du noviciat: “Partis de Paris à 3 heures le lundi 30 septembre, nous arrivions à Tournai, dans notre Maison de Notre-Dame du Rosaire exactement à minuit, à l’instant où s’ouvrait le mois de N. D. du Saint Rosaire. La Sainte Vierge était au milieu de nous (son image), celle qui vous a donné tant de conseils l’an dernier, nous l’installâmes au milieu des briques et mortier, formant nous-mêmes sa couronne vivante et au milieu d’un fervent Rosaire. Les clés de la maison, et surtout les coeurs de ses enfants, lui furent remis comme dans la nuit de l’Annonciation. Après ce premier acte, le plus important de tous, auquel tous les novices tenaient au moins autant que moi, nos bons frères eurent l’honneur de partager la couche de l’Enfant-Jésus pendant huit nuits, deux bottes de pailles et une couverture firent rêver de Bethléem. Inutile de vous dire que je n’eus pas l’honneur de coucher sur la paille [il occupe la chambre du Supérieur Général]; aussi je ne vous en raconterai pas les impressions. Le 4 octobre seulement notre mobilier commença à arriver et il fallut travailler, vous devinez comment, vous qui avez aidé au déménagement. Heureusement le dimanche arriva [6 octobre] avec sa belle fête de N. D. du Rosaire [7 octobre]; tout près de notre paille, nous avions préparé une crèche provisoire à Notre Seigneur, et depuis lors, depuis la première messe ici, Jésus ne nous a pas quittés, et nous sommes heureux et nous sommes tranquilles...” A son Supérieur Général, il ajoute: “Le noviciat se maintient, la prière n'a guère été interrompue, il n'y a eu aucune misère quelque peu regrettable, nous avons repris aujourd'hui notre règle, malgré la présence des petits novices et des ouvriers. La perfection sera difficile encore pendant quelques jours, l'essentiel, c'est la bonne volonté... et, si Monsieur Anizan peut nous donner la retraite à la fin du mois, je crois que le terrain sera bien préparé...” “Dans quelques jours ce sera vraiment la maison de N. D. du Rosaire; nos novices ont délibéré pendant une heure l’autre jour [samedi le 12] pour savoir comment on appellerait les différentes pièces de la communauté. On s’est arrêté aux noms des mystères du Rosaire...”
Et la vie du noviciat redevient de plus en plus régulière: “Après les grandes fatigues, nos frères ont voulu reprendre aussitôt leurs mêmes habitudes; l’heure sainte a recommencé dimanche [13 octobre] et tandis que je vous écris, le Saint-Sacrement est exposé dans la chapelle, où il reçoit depuis hier soir [vendredi] les adorations de notre petite communauté. Nous continuerons à avoir l’adoration diurne le mercredi, la nocturne dans la nuit du vendredi au samedi...”
Le Père Bellanger remplit sa fonction dans l’humilité et la confiance: Dieu est là; la Vierge Marie est Maîtresse des novices. Déjà on a perçu la forte influence surnaturelle du maître des novices. Cependant malgré les faits signalés, il réagit: “Un mot que vous me dites dans votre bonne lettre d’hier m’a fait grand bien, mais est pour moi un mystère. Est-il possible qu’ayant passé mon année dans le plus triste terre à terre, j’aie cependant fait du bien? Si oui, que la Sainte Vierge est bonne! Et ma résolution hier a été de me remettre à l’aimer de toutes mes forces” (3 août 1901).
D’autre part les forces physiques ne suffisent pas à la tâche; la maladie poursuit sa course inexorable.
IX- Dernière maladie et mort
Dès les premiers jours de mars 1902, le Serviteur de Dieu, à sa grande désolation, cesse de célébrer régulièrement la Sainte Messe. Il connaît des nuits douloureuses, il ne dort plus, sa marche devient haletante et de plus en plus pénible. Le novice qui lui sert d’infirmier note au Père Anizan, le 8 avril: “Depuis quelque temps il a des crises qui n’étaient pas habituelles; c’est une toux moins fréquente peut-être, mais qui lui fait monter le sang à la tête”. Le 12 avril, l’ordre du médecin est formel: il faut conduire le malade dans sa famille. Les supérieurs acquiescent, voulant tout faire pour le sauver. Lui seul présente des objections: “Je veux travailler ici jusqu’à la fin. J’ai le pressentiment cette fois que, si je pars, je ne reviendrai plus”.
Le 14 avril, le Père se retrouve à Moulle, dans sa famille, chez sa soeur Angèle et son frère Paul. La maison est tout près de l’église paroissiale; le cimetière, où reposent quelques-uns des siens, est là, à côté. Il sera
facile d’y faire une marche, d’aller célébrer la Messe, d’invoquer ses chers disparus. Quelques jours plus tard il communique avec le Père Anizan: “Je suis toujours au désert, là où je mérite d'être, sans messe, sans communion, sans bréviaire, sans novices. Je vais mieux cependant à bien des points de vue; le sommeil, l'appétit, vont bien mieux, la toux a presque disparu la nuit et une bonne partie de l'expectoration. Je viens de voir le médecin et lui ai demandé dans combien de temps je pouvais espérer, sans accidents, reprendre ma place à Tournai. Il m'a répondu: “Au plus tôt dans trois ou quatre semaines”. Et il écrit à son Supérieur Général le 27 avril: “Merci de tout l’intérêt que vous portez à ma pauvre santé. Vous m’avez donné des vacances; elles m’ont fait grand-peine au début, mais je n’ai pas tardé à constater que les décisions des supérieurs sont celles de Dieu. Le médecin n’a pas trouvé la poitrine en mauvais état, il a même dit qu’il y avait amélioration, mais il a constaté une fatigue générale, excessive, et il a pris des moyens excessifs pour me reposer: plus de messe, plus de communion, plus de bréviaire, le repos absolu, presque la défense de penser... Je ne suis pas gai, mon bon Père, si je savais mieux communier à la Volonté Divine, je chanterais mon épreuve, mais hélas!” Aux novices, il dit: “il y aura lundi quatre semaines que je n'aurai pas reçu Notre Seigneur et que le bréviaire m'aura été enlevé. Ce n'est pas gai, mais enfin c'est la volonté du Bon Dieu, c'est donc excellent. Je suis persuadé que vos Ave Maria me ramèneront, à la fin du mois, au milieu de vous...”
La permission de célébrer la sainte Messe à domicile aiderait beaucoup notre malade: “Je suis au repos, et comme l’église de Moulle est très froide, je suis privé de la Sainte Messe depuis trois semaines. Je vous en conjure, faites cesser ce jeûne, le plus pénible pour un prêtre. Mon état de santé n’est pas mauvais, la poitrine est plutôt meilleure, mais j’étais arrivé à un degré de fatigue tel que tout était détraqué, l’estomac, le foie, etc... Ici je remonte, mais on parle de plusieurs semaines, peut-être de plusieurs mois de repos...”
Le maître s’inquiète aussi pour le noviciat: “Quel bien faisais-je encore à leurs âmes [aux novices] quand vous m'avez enlevé au noviciat? Naturellement je désire les retrouver, surnaturellement je voudrais un autre à ma place...” “Je m'abandonne le plus possible, mais j'ai le noviciat fort à coeur. Ah! si le Père Supérieur avait quelqu'un, je ferais mon sacrifice; je ne crois pas au bien que je faisais”.
Qui le remplacera? demandait le Père Bellanger au sujet du maître des novice Louis Jardin. Maintenant il se demande: qui me remplacera? Entre-temps le Père Chamussy, le socius, fait bien son possible et le Père Emile Anizan intervient au besoin. Un remplaçant provisoire lui est donné en la personne du Père Charles Maignen: “Je suis bien heureux de l’arrivée de Monsieur Maignen au noviciat; j’en bénis le Bon Dieu et mes Supérieurs. Mais je désire que votre influence [Père Anizan] n’y diminue pas, je sais le bien que vous y faites, depuis mon départ surtout. Voudriez-vous régler la question de mes communications avec les novices. Je les désire aussi peu nombreuses que possible, mais je désire savoir, comme les novices désireront savoir, s’il y aura un contrôle [la lecture de la correspondance]. Je tiens à ajouter, et c’est tout à fait sincère, que le contrôle ne me dérange en aucune façon. Je vous demande uniquement que les novices et moi sachions à quoi nous en tenir”.
Le maître des novices s’inquiète de faire désinfecter sa chambre avant que Monsieur Maignen ne s’y installe le 13 mai. Et il l’accueille en ces termes: “Quel don du Saint Esprit vous êtes pour notre noviciat et que je vous remercie d’y être venu!”
Le grand malade s’attend à un miracle, pour reprendre son service; il le confie au Père Maignen: “soyez sûr que je ferai tout au ciel et sur la terre pour vous rendre bientôt à des intérêts plus grands. J’ai été guéri miraculeusement d’une maladie mortelle à l’âge de 15 ans, dans la nuit du 31 mai; ma famille demande et attend la même intervention de la Sainte Vierge. Le 31 mai est la fête de N. D. du Sacré-Coeur... le Saint Bréviaire m’a été rendu le jour de la Pentecôte [18 mai], mais pas encore la Sainte Messe, que je puis dire chez moi. Je trouve le médecin un peu féroce, je lui obéis cependant”.
Les épreuves s’accumulent pour la famille Bellanger; le 21 mai le Père Georges en fait part au Père Socius: “Il y a bien des nuages au-dessus des foyers de ceux qui me sont le plus chers. Le bon et vénéré patriarche de la famille, non pas mon père, mais celui qui le remplace depuis que le Bon Dieu nous fit orphelins, et il y a de cela 36 ans, vient de s’éteindre après quatre jours de maladie. Et que les desseins du Bon Dieu sont impénétrables! Lui, qui avait la faveur insigne de posséder chez lui le Dieu de l’Eucharistie, a dû quitter la terre sans pouvoir emporter le Viatique de l’éternité. Il est mort d’une maladie de coeur et on n’a osé lui donner la Sainte Communion”. ... Aux cousins dans le deuil il ajoute: “Je viens vous dire combien Angèle et moi, nous unissons nos prières et nos larmes à vos larmes et à vos prières. Je ne pourrai encore offrir le Saint Sacrifice, mais le Bon Dieu aura égard au sacrifice que je fais en ne l’offrant pas; je ne pourrai davantage assister aux funérailles et aller vous dire combien mon coeur est près des vôtres pendant ces tristes jours, mais je prendrai mon Rosaire ... Vous devinez si Angèle s’impose un immense sacrifice en demeurant ici; elle le fait pour moi, malgré tous mes efforts pour vous l’envoyer”. Et le 26 mai, il parle d’une maladie sérieuse de son autre soeur: “Vendredi, jour des funérailles, ma soeur Eugénie, la mère des dix enfants dont un faisait dimanche (hier) sa première Communion, s’alitait, se disant bien souffrante; le médecin, qui l’a vue depuis une ou deux fois tous les jours, n’est pas sans de très vives inquiétudes: le poumon droit est bien pris, l’appétit, zéro, le moral, fort triste. Ma pauvre soeur s’est épuisée à soigner tous ses plus jeunes enfants, qui ont été malades à tour de rôle... Je demeure très calme au milieu des inquiétudes de tous au sujet de ma soeur, et mes journées se passent tout entières au grand air...”
Le 31 mai est passé... le 2 juin il le souligne à ses novices: “La Sainte Vierge n'a pas encore fait, le 31 mai, le petit miracle que lui avaient si bien demandé vos ferventes et innombrables prières. Il y a cependant du mieux et je crois un mieux assez sérieux; ainsi vous avez tous constaté qu'à Tournai je ne pouvais plus faire le tour du jardin une seule fois sans me trouver à bout de respiration; ce matin je me suis promené pendant plus d'une heure avec bonnes jambes et bonne haleine. Je demeure privé de la Sainte Messe et de la Sainte Communion, c'est vraiment un jeûne de longue durée...”
Malgré toutes ses peines physiques et morales, le Père manifeste à l’occasion son humour. Ainsi en mai, il écrit: “selon ce que vous aurez vu, vous pourrez renseigner Monsieur Maignen, qui entendra plus qu’il ne verra” [Le Père Charles avait en effet une vue très faible]. En juin 1902 à ses novices il dit: “Auriez-vous la charité de remercier vos frères de l’envoi des photographies... Sans deux ou trois, qui sont très heureusement pris du fou rire, on vous croirait tous des saints!”. “Que je deviens paresseux! Ajoutez à cela les forces qui ne sont pas brillantes et vous aurez les raisons de tous mes retards. Ce temps pluvieux et froid, dont tout souffre depuis quelques jours, ne m’avance guère; je demande à la bonne Providence un rayon de soleil qui, je crois, me ferait grand bien. Et, tandis que je me repose d’une manière presque scandaleuse...”
“Ma soeur va bien mieux, sans être guérie, peut-il dire le 12 juin. Sa vie désormais devra être comme la mienne, une précaution continuelle... Quant à moi, je suis toujours à peu près le même; ces mauvais jours que nous venons d'avoir ne m'avancent pas. Je n'ose plus dire: “C'est bien long!” ce serait une faute contre l'abandon. Et mes novices qui viennent si souvent réveiller mon coeur! Je les aimais d'une façon trop naturelle, le Bon Dieu m'a écarté. J'ai fait la Sainte Communion le jour de la fête du Sacré Coeur, je dirai la Sainte Messe peut-être bientôt, mais la permission ne sera accordée d'abord que pour les jours d'obligation. Je ne suis plus qu'une ruine, surtout au moral; ce n'est pas peu dire! aimez-moi tout de même, j'en ai besoin; au milieu de vos courses, de vos fatigues à peine permises, pensez un peu à votre pauvre infirme, qui voudrait bien remonter son âme, mais qui n'a pas le courage du sacrifice”. Au delà de la maladie, l’édifice spirituel se solidifie dans la souffrance, sous la main du grand ouvrier, l’Esprit Saint.
La poésie se mêle à l’humour et à l’esprit de foi. Voici l’échantillon donné aux novices le 14 juillet: “Je suis dans un joli petit bois, à deux pas d’une pièce d’eau, n’ayant d’autre table que mes genoux. L’encrier eut été un
meuble gênant; vous me pardonnerez la lettre écrite au crayon, comme en pèlerinage... Je demeure et veux demeurer ici l’ami qui pense à chacun de vous comme à un frère bien-aimé, l’ami qui prie, l’ami qui souffre pour que vous deveniez des saints. Quand redeviendrai-je votre maître des novices? je n’en sais rien... Tout chez moi continue à aller mieux, j’espère dire la Sainte Messe tous les jours de cette semaine. Du reste, je n’ai qu’à me laisser faire et quand le Bon Dieu aura parlé, je rentrerai au Rosaire, [au noviciat], peut-être à la grande désolation de quelques-uns! Mais voici que je vais dire mes méchancetés... Je vous entends murmurer: mais est-il heureux, notre maître des novices, dans les bois, sur des rives fleuries, sous des arbres chargés de fruits vermeils! Détrompez-vous, chers amis, je n’ai ici d’autre contentement qu’un contentement de foi, celui de faire la volonté du Bon Dieu, et quand cette Divine Volonté me montrera la frontière, dans la direction de Tournai, soyez sûrs que je ne me le ferai pas dire deux fois. Le coeur me donnera des ailes, à défaut de jambes...”
Au lendemain de la fête de saint Vincent de Paul [19 juillet] le Père Général reçoit le bulletin médical suivant: “Je fais une maladie où l'oeuvre de reconstitution est si lente; il serait impossible de changer un peu les nouvelles. Les lettres seraient un peu comme les confessions des dévotes... La respiration est toujours difficile quand je fais seulement quelques pas et la toux ne me laisse guère tranquille le jour; les nuits sont bonnes sur ce point. Un petit air de fièvre que j'ai rapporté de Tournai et qui est le résultat de la faiblesse, me visite encore souvent. Et le noviciat est là, ayant besoin de moi, puisque de plus grands intérêts réclament M. Maignen. Je m'abandonne... Je m'efforce de prier un peu mieux. Quelle épreuve que la maladie au point de vue de la prière! Si je n'avais ma bonne soeur près de moi, j'ignore si j'arriverais chaque jour au bout d'un Rosaire. Je dis fidèlement le Saint Bréviaire, et cette semaine je n'ai manqué que la Sainte Messe de jeudi...”
La phtisie est entrée depuis quelques jours dans sa phase terminale; elle est galopante; tout espoir est perdu. La dernière célébration de la Sainte Messe du Père a lieu le 24 juillet; le lendemain, au moment de commencer la messe, il ressent un malaise et un crachement de sang. Le 26, le Père Anizan vient le voir; une nouvelle et plus abondante hémorragie force le malade à reprendre le lit. On lui fait des applications de glace. Immobile sur sa couche toute teinte de sang, résigné à tout, il tient son crucifix d’une main et de l’autre, un petit tableau de Notre-Dame du Bon Conseil, sur lequel il fixe de temps en temps un regard de détresse, d’abandon et d’amour. Le malade se remet un peu. Il semble en profiter pour relire lentement le traité de la vie dévote de saint Grignon.
Nous voici maintenant au 28 juillet; il remercie le Père Anizan de sa visite du 26 et lui donne de mauvaises nouvelles: “A peine étiez-vous parti, dimanche, qu'un petit accident, semblable aux précédents, mais un peu plus accentué, est survenu à la poitrine. Aussi je suis en repos absolu; c'est en fraude que je vous écris; je suis privé de la Sainte Messe depuis quatre jours. Le médecin n'a pas changé d'idée au sujet de la poitrine, qu'il trouve bonne; il a entrepris de soigner l'estomac et le foie; je me laisse faire sans gaieté, avec tristesse... Ma pauvre âme ne mérite plus autre chose...”
La maladie poursuit son oeuvre impitoyable. Le Père trouve encore la force de plaisanter dans ce qui semble être sa dernière lettre, écrite de son lit et affranchie à la poste le 3 août: “Je reviens du Pôle Nord; j’ai quitté hier le pays des glaçons [une forte fièvre, traitée par application de glace]; le médecin me dit mieux et me donne espoir; il me permettra de me lever, s’il ne survient rien cette semaine...”
Le 8, une nouvelle et très forte hémorragie vient augmenter la faiblesse; le malade ne quitte plus le lit, la respiration devient courte et plus précipitée. Les jours qui suivent sont des moments d’agonie, pendant lesquels le patient se montre vraiment digne de ce qualificatif: aucune plainte, aucune impatience; il est abandonné à tout ce que ses “infirmiers” veulent. Une semaine plus tard, le 15 au matin, on s’aperçoit que le malade s’exprime avec difficulté. M. l’abbé Herbette, curé de la paroisse, vient visiter le malade, qui en profite pour lui demander de recevoir le sacrement du pardon.
Le lendemain, à 06.30 h M. le curé apporte l’Eucharistie. Vers huit heures le médecin le trouve si oppressé et le pouls si mauvais qu’il lui dit en privé: “Monsieur Georges, vous m’avez dit que vous comptiez sur moi pour vous prévenir quand il serait temps de recevoir les derniers sacrements, je crois qu’il est grand temps”. “Bien, merci, docteur, c’est fort facile”. Le médecin sort les larmes aux yeux. Le Père Bellanger appelle ensuite sa soeur Angèle d’une voix forte et calme: “Le docteur dit qu’il est temps de recevoir l’Extrême-Onction; préviens M. le Curé de suite!”
A 09.30 h le mourant reçoit le sacrement des malades, entouré de sa famille. Aussitôt après, le Père demande: “Monsieur le Curé, je veux renouveler mes voeux de religion” et lentement il prononce la formule, ajoutant à la fin: “Je meurs religieux, enfant de ma congrégation”. Puis il déclare à toute la famille qui l’entoure: “Vous êtes tous là, n’est-ce pas? Vous voyez que je ne puis guérir, mais j’accepte tout ce que le Bon Dieu voudra et je fais le sacrifice de ma vie pour que vous alliez tous au Ciel. Vous savez que j’ai toujours beaucoup aimé la Sainte Vierge, eh bien, je vous recommande de l’aimer aussi beaucoup et de dire votre chapelet tous les jours de votre vie”. Puis serrant son chapelet dans ses mains, il ajoute: “Je vais paraître devant le Bon Dieu; une seule chose me console et me rassure, ce sont mes Ave Maria. A ce moment il n’y a que cela de vrai!”.
Ses paroles l’ont fatigué, il bénit toutes les personnes présentes, puis il se tait. Le reste de la journée se passe en souffrances, en prières, en invocations, en recommandations: “Priez afin que je ne perde pas courage!” “Ma bonne Mère, venez me chercher!” “Marie, ma Mère, je vous aime!”. Au curé qui se trouve près de lui, le moribond confie: “J’ai peur de perdre patience; puis-je être tranquille? Quand j’aurai perdu connaissance, donnez-moi une dernière absolution sous condition”.
Le mourant s’adresse ensuite à sa soeur qui a été si attentive pour lui et qui lui a promis de nombreuses intentions de messes: “Merci, mais surtout donne-les toutes à la Sainte Vierge. Si M. Anizan n’arrive pas avant ma mort, tu lui diras que je l’aime beaucoup, que je le remercie de tout le bien qu’il m’a fait et que je ne l’oublierai pas auprès de la Sainte Vierge. Dis-lui aussi que je fais le sacrifice de ma vie pour le bien de ma chère Congrégation et pour le noviciat. Qu’il dise aussi à mes novices que je ne leur demande qu’une chose, c’est qu’ils n’oublient pas leur chapelet! Dis à ma chère soeur Hélène (la carmélite) que je l’aime beaucoup et que je prierai beaucoup pour elle. A toutes les personnes qui parleront de moi, demande un chapelet pour la Sainte Vierge et pour qu’elle règne dans le monde! Promets-moi que depuis mon dernier soupir jusqu’à mon enterrement le rosaire sera récité sans arrêt autour de mon corps. Quand je serai au cimetière, fais graver sur ma petite croix de bois ces simples mots: Ave Maria. Mais, après tout, ne fais rien sans en parler à mes supérieurs, de peur qu’il y ait là prétention”.
En après-midi deux prêtres de St-Omer viennent le visiter: “Vous venez voir un moribond, qui en a encore pour une couple d’heures. Au revoir, au ciel! n’est-ce pas?” Vers 19.00 h le mourant est à toute extrémité. Son regard devient vague et trouble; il balbutie encore quelques paroles: “Je ne sais bientôt plus où je suis... Fiat!... Marie!... ma Mère...”
Ce sont ses derniers mots. Vers 19.30 h, le Serviteur de Dieu expire doucement au son de l’Angélus, le lendemain de la fête de l’Assomption. Il avait souhaité “faire sa pâque” ainsi: “Que je voudrais mourir au son de l’Angélus du soir!”
Il s’éteint à l’âge de quarante et un ans, deux mois et vingt-trois jours.
En attendant les funérailles et selon le désir du défunt, on récite autour du lit funèbre des Ave Maria. Quelques novices sont déjà arrivés et s’unissent à la prière de la famille et des voisins. La mise en bière a lieu juste avant de porter la dépouille à l’église.
X - Réputation de sainteté
Au moment de déposer le corps dans le cercueil, on lit une notice biographique, probablement due à la plume du Père Emile Anizan, et qui sera déposée avec la dépouille:
“Georges-Louis-Auguste Bellanger, né le 24 mai, fête de Notre-Dame Auxiliatrice, 1861, et élevé sur les genoux d’une sainte mère, donna dès son enfance des gages de sa sainteté future.
Atteint, vers quinze ans, d’une maladie réputée incurable, il dut sa guérison à l’intervention évidente de la Très Sainte Vierge à laquelle il voua dès lors un amour qui ne fit que grandir jusqu’à sa mort, et qui le fit comparer plus d’une fois au bienheureux de Montfort.
Ordonné au grand séminaire d’Arras le 2 juillet 1885, il commença à donner les preuves d’une sainteté non commune. Sa piété admirable, son zèle apostolique, surtout son amour extraordinaire pour la Très Sainte Vierge, attiraient toutes les âmes à lui.
Dieu lui donna une grâce spéciale pour la conversion et la sanctification des soldats auxquels il consacra la plus grande partie de sa vie sacerdotale.
Avide de perfection et de dévouement au service des âmes délaissées, il était entré dans une congrégation vouée à l’apostolat du peuple et des soldats. Dès son entrée au noviciat, il donna l’impression d’un saint. Cette impression ne fit que grandir avec le temps. Prêtre modèle, il devint parfait religieux. Il associa à son action apos-tolique la Vierge Marie sous le titre de Notre-Dame du Bon Conseil, à laquelle il donna des témoignages d’amour mémorables.
Nul ne pourra dire les fruits qu’il produisit dans les retraites et missions qu’il prêcha. Deux années durant, il exerça les fonctions de maître des novices, d’abord à Paris, puis en exil, où la persécution le chassa. L’empreinte qu’il a laissée aux âmes formées par lui ne s’effacera jamais.
Apôtre surtout de la dévotion à Marie et du rosaire, il avait grâce pour les communiquer aux âmes. Atteint depuis longtemps dans sa santé, il ne quitta le champs d’action que quand l’obéissance l’y obligea. Jamais on ne put saisir une plainte sur ses lèvres pendant ses longues souffrances, et la parole de l’Evangile se réalisa pleinement en lui; il est mort en saint, comme il avait vécu, entre son crucifix de religieux et la douce image de Notre-Dame du Bon Conseil qui ne le quitta jamais.
Au lendemain de l’Assomption, 16 août, le samedi soir, à l’heure et au son de l’Angélus, sa pratique de dévotion la plus chère, après avoir renouvelé ses voeux de religieux, et offert à diverses reprises le sacrifice de sa vie, la Reine du Ciel vint, à son appel, chercher celui qui signait toujours: “Georges Bellanger, prêtre de Marie”. C’est les larmes aux yeux que, mille fois, il avait chanté: “J’irai la voir un jour”. De la bouche de tous ceux qui l’ont connu jaillit le même cri: “C’était un saint!”
Le moribond avait supplié ses proches à propos de cette réputation de sainteté: “Je vous demande à tous de détruire d’une manière formelle cette assertion, que j’ai déjà entendu émettre, que je suis un saint. Vous me ferez, sans cela, souffrir longtemps en Purgatoire, en me privant de prières. J’ai pu faire du bien, mais ce n’est rien en comparaison des grâces que j’ai reçues de Dieu”. Malgré les protestations du mourant, loin de s’éteindre, cette renommée se poursuivra dans la mémoire et grandira dans la dévotion des fidèles.
Les obsèques
Les obsèques sont fixées au mercredi 20 août, en l’église de Moulle. Elles sont à la fois simples et grandioses. Le Supérieur Général des Religieux de S. Vincent de Paul, le Père Alfred Leclerc, le Père Emile Anizan (Assistant Géné-ral et l’un des conseillers spirituels et confident du Serviteur de Dieu), les novices, venus de Tournai, de nombreux prêtres du Clergé diocésain d’Arras, plusieurs amis et paroissiens, tous veulent rendre un dernier hommage public à l’ami qui vient de les quitter. Le chanoine Henri Graux, le même qui a accueilli le jeune Bellanger à St-Omer, qui l’a accompagné de ses conseils tout au long de la vie, l’abbé Graux le conduit maintenant à son dernier repos en prononçant l’allocution officielle. Au cimetière on voit s’avancer au bord de la tombe le capitaine Magniez, venu représenter cette armée tant aimée du défunt. L’officier se fait l’écho de tous les soldats soutenus, consolés et sauvés par leur aumônier: “L’abbé Bellanger, dit-il péniblement, c’était le prêtre; c’était le saint aussi qui un jour peut-être sera sur les autels!”. On descend le cercueil dans la fosse et tous se mettent à dire spontanément un dernier chapelet.
Dans quelques jours, selon le désir du défunt et l’autorisation de ses supérieurs, car il a dit à sa soeur Angèle: “ne fais rien sans en parler à mes supérieurs, de peur qu’il y ait là prétention”, on identifiera la tombe par cette simple inscription: AVE MARIA.
Une réputation de sainteté qui s’amplifie
Le jour même de la mort du Serviteur de Dieu, son évêque, Mgr Williez, écrit: “C’est un saint prêtre que nous perdons. Je l’estimais, je l’aimais beaucoup. Il a répandu sur tout le diocèse un parfum de vie sacerdotale qui y fera du bien longtemps. Nous prierons pour lui, mais j’espère qu’il ne nous oubliera pas auprès de Dieu”.
Un des Vicaires Généraux du même diocèse ajoute : “Je prie pour lui, mais ne faut-il pas plutôt le prier lui-même et implorer son assistance auprès de Dieu? N’est-il pas de ceux auxquels la voix publique décerne le plus bel éloge qu'on puisse faire d'un homme qui vient de disparaître: “C’était un saint “. Un autre Vicaire Général s’exprime ainsi: “Il n’y aurait aucune surprise pour moi si j’apprenais que des miracles se font sur la tombe de l’abbé Bellanger”.
Et les confrères religieux ne font pas défaut dans ce concert. Le Père Emile Anizan se fait l’interprète de tous le 27 décembre 1902: “C’est un modèle qui est venu à son heure, au moment de l’épreuve [la persécution contre les Congrégations] et quiconque chez nous voudra suivre pleinement la volonté de Dieu n’aura qu’à penser à lui et à se modeler sur son amour de la gloire de Dieu, sur sa confiance si surnaturelle et son respect si affectueux à l’égard de ses supérieurs, sur son dévouement absolu aux soldats et au peuple, sur son esprit surnaturel dans les oeuvres, et aussi sur son amour exceptionnel pour la Très Sainte Vierge”. “De tous côtés, peut-on lire dans une lettre d’un confrère en religion, on n’entend qu’une voix pour répéter que le saint est mort!”
Une réputation fondée
Le décret sur l’héroïcité souligne quelques vertus: “La croix de la phtisie, portée avec amour et résignation, eut raison de sa vie toute consacrée à l’imitation du Christ et au service des âmes. Il marcha devant Dieu, fidèle à sa vocation et à ses engagements et il fit des progrès constants dans la perfection chrétienne, pratiquant avec persévérance et très grand empressement les vertus chrétiennes. La foi fut vraiment la lumière de son sacerdoce et de son ardente activité pastorale. Il adhéra fermement à la Révélation divine et au magistère de l’Eglise et il obéit avec promptitude à la Volonté de Dieu et à celle de ses supérieurs. La Liturgie, la prière eucharistique et mariale, la méditation des vérités éternelles furent l’aliment de son âme et de son apostolat. La consécration à Marie, faite selon l’esprit de saint Louis-Marie Grignon de Montfort, fut un moment important pour sa sanctification personnelle et pour ses travaux apostoliques. Un amour ardent pour le Seigneur le poussa jour et
nuit à travailler pour la gloire de Dieu, à célébrer saintement les divins mystères, à administrer assidûment le Sacrement de Pénitence, à porter en tous lieux la bonne semence de l’Evangile et de la doctrine chrétienne, à se mortifier pour devenir instrument plus docile dans les mains de Dieu. Il servit Dieu dans la personne des soldats, des pauvres, des petits et des pécheurs et il fut plein de sollicitude pour la conversion de ces derniers. Il faisait tout avec prudence, persévérance, amabilité et humilité. Il évitait l’improvisation dans les décisions à prendre, dans la prédication et dans l’accompagnement spirituel, et ne se fiant pas à lui-même, il demandait continuellement les lumières divines. Il fut juste envers Dieu et envers le prochain, soigneux et attentif à accomplir ses tâches quotidiennes, sincère, tempérant, pauvre, obéissant, chaste. Comme il avait mis son espoir en Dieu, il fut patient dans la maladie et fort dans les difficultés où il se trouva, en accomplissant ses fonctions. Détaché des choses de ce monde, il désirait la vie éternelle, qu’il accueillit le 16 août 1902, chéri des siens et orné de la réputation de sainteté».
(Décret, 21 décembre 1998)
Conclusion
Entre 1938 et 1942 le diocèse d’Arras conduisait une enquête officielle sur les vertus du Serviteur de Dieu et portait à la connaissance de la Congrégation des causes des saints le résultat de ses recherches. En 1972 ce même Dicastère demandait de poursuivre les recherches sur le plan historique. En 1988 la Positio était déclarée complète et accueillie au Vatican. En 1998 des experts théologiens et des Cardinaux et évêques donnaient leur avis favorable à la reconnaissance des vertus du Père Georges Bellanger. Le 21 décembre 1998 le Souverain Pontife proclamait le Serviteur de Dieu “héroïque dans ses vertus”.
Le décret commence ainsi: “Je suis venu allumer un feu sur la terre” (Luc 12,49). Parmi ceux qui ont accueilli en eux le feu de la vérité et de la charité, allumé sur la terre par le Seigneur Jésus et qui l’ont répandu dans le Peuple de Dieu, nous devons compter le prêtre Georges Bellanger, qui, par sa vie de sainteté et son apostolat dans la ville où il a vécu, a répandu la lumière de l’Evangile et a été témoin de l’amour du Christ Rédempteur en faveur du Genre humain”.
L’Eglise lui donne le titre de Vénérable. Elle demande maintenant au Seigneur de sanctionner les vertus du Serviteur de Dieu en accordant un miracle à son intercession. Elle pourrait alors glorifier le Père Georges Bellanger et le proclamer BIENHEUREUX.

Prière
pour demander la glorification
du Vénérable Georges Bellanger
Seeigneur, tu as inspité à ton serviteur,
le Vénérable Georges Bellanger
un zèle ardent pour les novices,
les séminaristes et les soldats;
tu as mis dans son coeur
une tendre dévotion
envers le Saint Sacrement
et une confiance inébranlable
en la très Sainte Vierge,
qu'il invoquait souvent
sous le titre de
Notre-Dame du Bon Conseil,
obtiens-nous, par son intercession,
la grâce que nous demandons...
(guérison, autre faveur...) Amen!
† Jean Paul Jaeger
Arras, 26 janvier 1999
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livre

L'aumônier Militaire De L'ave Maria,Georges Bellanger (1861-1902)



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decouvrir la vieille ville de moulle en images


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