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Le purgatoire d'après les Révélations des saints

Abbé Louvet
Vers 1860
Corriger son opinion sur l’enfer
 
AVERTISSEMENT AU LECTEUR : Cet ouvrage manifeste l'interprétation ancienne des dogmes sur le purgatoire. Il est qui donne souvent une impression d'implacable rigueur judiciaire.
Certaines considérations sur la masse des damnés ont été rejetées par le concile Vatican II. D’autres considérations sur la matérialité des peines de certaines âmes se comprennent à condition de relire la parole de Jésus (Luc 6, 36): « Montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés; remettez, et il vous sera remis. Donnez, et l'on vous donnera; c'est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante, qu'on versera dans votre sein; car de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous en retour. "
Il est probable que les âmes de cette époque, souvent peu compatissantes et axées sur la recherche de la perfection vertueuse, se sont imposé ce genre de purgatoire correspondant à la mesure de leur mentalité.
Mais l'ouvrage contient un florilège très riche et très actuel d'histoires tirées des visions des plus grands saints.
 
 
Table des matières
 
 
PREFACE de la 1ère édition_ 3
PREFACE de la 3ème édition_ 4
Nihil Obstat 7
Chapitre 1 : De la mort et du jugement particulier 7
Chapitre 2 : Où est le purgatoire ?_ 18
Au centre de la terre ; Près de l’enfer ; Exceptionnellement sur terre. 18
Chapitre 3 Les peines du purgatoire - Leur Rigueur 19
Entrée de l'âme dans le purgatoire - Peines du purgatoire - Double peine, peine du dam, peine du sens - Rigueur des peines du purgatoire. - Exemples nombreux à ce sujet. - Châtiments des plus petites fautes - Nécessité de prier pour les plus saints. 19
Les peines les plus intenses 21
Chapitre 4 Des peines particulières de chaque péché 29
Des peines particulières à chaque péché Vue d'ensemble du purgatoire d'après sainte Madeleine de Pazzi. - Que les peines sont ordinairement conformes aux péchés commis. -Châtiments symboliques. - Des peines particulières à chaque péché. - Du péché de vanité - Du scandale. - Des paroles légères. - Du mensonge. - De la violation des voeux. - De la vie mondaine. - Des scrupules. - De la tiédeur. - De ceux qui remettent leur conversion à la mort. - Des fautes contre la justice et contre la charité. - Conclusion. 29
Chapitre 5 Des différentes divisions du purgatoire 37
Des trois grandes divisions du purgatoire d'après sainte Françoise Romaine. - Du purgatoire supérieur. - Des âmes qui ne souffrent que la peine du dam. - De celles qui n'ont que des peines légères. - De la région moyenne du purgatoire. - De la région intérieure et de ses trois sous-divisions. - Du purgatoire des laïcs. 37
Chapitre 6 Du purgatoire des personnes consacrées à Dieu_ 44
Du purgatoire des religieux et des prêtres. - Sévérité de la justice divine à leur égard et raisons de cette sévérité ! - Du purgatoire des religieux et religieuses. – Des fautes que Dieu punit particulièrement en eux. – De la tiédeur au service de Dieu. – Des manquements aux vœux d’obéissance et de pauvreté. – Des fautes contre la charité. – Du purgatoire des prêtres, la grandeur de leur vocation donne la mesure de leur châtiment. ce châtiment croit avec la dignité des personnes. – Du purgatoire des évêques. – Du purgatoire des Papes. – Des fautes que Dieu punit plus sévèrement dans ses prêtres. – Tiédeur, négligence dans la récitation de l’office. – La célébration de la sainte messe. – Des fautes contre le prochain. – Du trop de sévérité. – Défaut de zèle, fautes contre la charité. – Exemples nombreux. 44
Chapitre 7 Etat surnaturel des âmes du purgatoire 53
Elles sont constituées extra viam. De la, impuissance absolue a méditer et a satisfaire par leurs propres œuvres. - Sciences des âmes du purgatoire. - Connaissent – elles Dieu, la cause de leur condamnation, leur sort éternel, la durée de leurs peines ? Connaissent-elles les pèches les unes des autres ? Voient-elles ce qui se passe sur la terre ? Connaissent les bonnes œuvres que l’on fait pour elles ? Ont-elles la science des futures contingents ? Comment ont-elles ces diverses connaissances ? Opinions diverses a ce sujet. – Vertus des âmes du purgatoire – Foi, Espérance, Charité, religion, soumission a la volonté de Dieu, contrition, humilité, patience, zèle, et amour du prochain, reconnaissance envers leurs bienfaiteurs. Si des maintenant, les âmes du purgatoire peuvent prier pour nous- Expose des diverses opinions. 53
Chapitre 8 Les joies du purgatoire 60
Trois sujets de joies pour ces âmes : premièrement, elles sont confirmées en grâce, sûres de leur salut, incapables de pécher désormais. - Seconde joie du purgatoire, joie d'expiation. Les pénitents en ce monde trouvent leur bonheur à souffrir pour expier leurs fautes. Il en est de même, à plus forte raison, des âmes du purgatoire, de plus elles voient que ces souffrances effacent leurs souillures et les rendent de plus en plus agréables à Dieu, et cela ajoute à leur bonheur. - Troisième joie du purgatoire, joie de l'amour, la charité qui remplit le cœur de ces âmes leur rend tout facile. - Que le purgatoire est un vrai martyre. - Conclusion de sainte Catherine de Gênes. 60
Chapitre 9 La durée du purgatoire 65
Double aspect sous lequel on peut la considérer. - De la durée du purgatoire considérée en elle-même. Elle varie entre quelques heures et plusieurs siècles, mais ordinairement elle est très longue. – Exemples d’âmes condamnées jusqu’au jour du jugement. - Raison de cette longueur. - De la durée du purgatoire, considérée dans l’appréciation qu’en font les âmes. - Que le plus court instant passé dans le purgatoire paraît sans proportion aucune avec le même espace de temps passé sur la terre. - Exemples à l’appui. 65
Chapitre 10 Rapports des âmes du purgatoire avec Dieu_ 70
Que le purgatoire manifeste admirablement toutes les perfections de Dieu, et particulièrement sa sainteté, sa sagesse et sa bonté. - Comment la miséricorde trouve place dans le purgatoire sans léser le justice - De la justice distributive dans le purgatoire. - Si Dieu accepte nécessairement les suffrages qu’on lui adresse pour un défunt particulier. Opinions diverses de théologiens et exemple de l’appui. - De l’amour que Dieu porte aux pauvres âmes du purgatoire et du désir qu’on les soulage 70
Chapitre 11 Rapports de l'Eglise triomphante avec l'Eglise souffrante 75
De l’assistance des saints anges. -Si les bons et les mauvais anges pénètrent dans le purgatoire. – Des services que les saints anges rendent à ces âmes. – Raison de l’intérêt que les anges et les saints portent aux âmes du purgatoire. – De l’assistance des saints, spécialement des saints patrons et fondateurs d’ordre. – De l’assistance de la très sainte Vierge. – Marie, reine du purgatoire. – Le samedi, les fêtes de la sainte Vierge, et la fête de l’Assomption, au purgatoire 75
Chapitre 12 Rapport des âmes du purgatoire avec l'Eglise militante : des apparitions des morts 80
Des apparitions des morts. La question des revenants dans l'histoire et devant la foi. -Du mode de ces apparitions. - Des illusions diaboliques. - De l’évocation des morts. - Du Spiritisme. -Règles pour discerner les vrais apparitions des fausses. 80
Chapitre 13 La protection des âmes du purgatoire 88
La reconnaissance, vertu du purgatoire, proportionnée à la sainteté de ces âmes et à la grandeur du don qui leur est fait. – Les âmes du purgatoire nous protègent dès maintenant. À plus forte raison quand elles sont entrées au ciel. – Exemples de protection dans l’ordre temporal, dans l’ordre spirituel. – Assistance à la mort. 88
Chapitre 16 Des œuvres que l'on peut faire pour soulager les âmes du purgatoire Des différentes manières de soulager les défunts. De l'offrande des bonnes oeuvres en général 94
Comment nous pouvons appliquer aux âmes du purgatoire le mérite de nos propres œuvres. - Que ce don ne nous appauvrit pas. - Des conditions requises pour qu'une œuvre puisse être appliquée aux défunts. - Exemples des saints. - Quelles sont les œuvres que l'on peut appliquer ainsi. 94
Chapitre 19 De la prière 102
Mérite de cette œuvre. – Que la plus petite prière est très utile aux défunts. – Qualités que doit avoir cette prière pour être efficace : persévérance, ferveur, état de grâce. – Exemples des saints. – Des différentes prières que l’on peut appliquer utilement aux défunts. – De l’office des morts. – Du chemin de la croix. – Du rosaire. – Des suffrages du troisième, septième et trentième jours. – Des anniversaires. – Des neuvaines. – Du mois des âmes du purgatoire. 102
Chapitre 20 Le saint sacrifice de la messe et la communion pour les défunts 108
instituant des messes votives que l'on peut dire à cette attention. 108
Chapitre 21 Des Indulgences 110
Théologie de l’indulgence – Comment elle est applicable aux défunts. – Valeur et efficacité de cette œuvre. – Exemples des saints. – Conditions requises pour gagner les indulgences et les appliquer aux morts. – Des principales indulgences que l’on peut appliquer ainsi. – De la bulle Sabbatine. 110
Chapitre 22 Du vœu héroïque 115
Nature et excellence de ce vœu. - Exemples des saints. - Réponse aux objections des théologiens. - Que ce vœu ne nous appauvrit pas, mais qu'au contraire, il augmente nos richesses. - Privilèges accordés par les Souverains Pontifes à ceux qui le font. 115
Chapitre 24 Sortie du purgatoire 121
Délivrance des âmes du purgatoire. –Leurs anges gardiens viennent les chercher, quelquefois la sainte Vierge, quelquefois même Notre Seigneur. –Etat de l’âme glorifiée. Des jours plus spécialement assignés à la délivrance des défunts. Du rang qui leur est assigné dans le ciel. – Conclusion. 121
 
PREFACE de la 1ère édition
La foi catholique, en établissant d'abord au Concile de Florence, puis au Concile de Trente, la vérité du dogme du purgatoire, a laissé à dessein dans une ombre discrète la plupart des questions qui se rattachent à ce lieu d'épreuves, par lequel passent presque tous les prédestinés après la mort.
Sur tous les points de détail, et même sur la nature des peines, par lesquelles sont purifiées ces pauvres âmes, elle a laissé la plus grande latitude aux docteurs et aux théologiens. Mais à côté de l'enseignement officiel de l'école, il y a dans la sainte Eglise de Dieu une riche mine de matériaux, je veux parler des révélations des saints et de leurs rapports surnaturels avec les âmes du purgatoire : j'ai pensé à exploiter ce trésor. Retenu loin de mes occupations ordinaires par une longue maladie, que l'on prévoyait devoir être mortelle, ma pensée s'est tournée tout naturellement vers ces sombres bords où je croyais bientôt aborder. Pour mon édification personnelle, j'ai lu presque tout ce que les saints nous apprennent du purgatoire. J'ai été effrayé et consolé en même temps : j'ai été effrayé des sévérités de la justice, j'ai été consolé des splendeurs de la miséricorde. Il n'en est pas en effet du purgatoire comme du séjour dont il a été écrit : Quia in inferno nulla erit redemptio. La miséricorde et la justice s'y rencontrent, et s'y donnent la main dans un accord fraternel. Ce travail m'a fait du bien. on m'a dit qu'il pourrait en faire à d'autres, et la bonté de Dieu, m'ayant rappelé à la vie pour le servir encore quelques jours sur la terre, j'ai voulu lui payer ma dette de reconnaissance, en mettant en ordre ces quelques notes. Si cet humble travail pouvait encourager quelques âmes à servir plus fidèlement Notre Seigneur, et à éviter avec plus de soin le péché, je me croirais payé bien au-delà de ma peine.
C'est ce que je demande à la Vierge Immaculée en lui offrant ces pauvres pages, que je commence à écrire le jour de la fête de Notre-dame de la Merci (24 septembre 4). Marie qui s'est déclarée publiquement la protectrice des esclaves chrétiens détenus autrefois chez les Maures, est aussi et à meilleur titre la protectrice et la rédemptrice de ces pauvres âmes tombées, pour un temps, dans une captivité bien plus dure. Puisse-t-elle bénir mes efforts, et en inspirant à ceux qui me liront un salutaire effroi de la justice de Dieu, les détourner du péché et les amener à prier beaucoup pour la délivrance des âmes du purgatoire. Nous les oublions trop vite, et nous croyons trop facilement quelles ont satisfait entièrement à la justice rigoureuse de Celui qu'elles ont offensé, et qui leur fait payer après la mort jusqu'au dernier denier, usque ad novissimum quadrantem, la dette que la légèreté, l'immortification et la tiédeur leur ont fait contracter envers Lui pendant leur vie. Je ne me dissimule pas les imperfections et les lacunes de ce travail. Mon métier n'est pas d'écrire mais de prêcher. Ces notes prises au courant de la maladie, ont été rédigées plus tard au milieu des labeurs de la vie apostolique, bien souvent le soir, en prenant sur mon sommeil, d'autres fois en barque, le long des grands fleuves de la Cochinchine, en me rendant d'un poste à un autre. A trois mille lieues de la France, loin de toute bibliothèque, je n'ai pu vérifier toujours l'exactitude de telle citation. J'ai dû me contenter des notes prises auparavant, et des souvenirs que mes lectures avaient laissés dans ma mémoire.
Si quelque erreur de détail s'est glissée dans ce travail, le lecteur charitable voudra bien l'excuser. Il a fallu, pour me décider à le livrer à l'impression, les instances trop bienveillantes peut-être de mes amis, et les encouragements de celui que Dieu m'a donné pour supérieur et pour père. J'espère que le divin Maître bénira mon obéissance.
Biên-Hoa (Cochinchine), août 9.
___________________________
PREFACE de la 3ème édition
Ce petit ouvrage sur le purgatoire a vraiment été béni de Dieu. Sans aucune publicité, sans réclames d'aucune sorte, puisque je suis à 3 mille lieues de Paris, il a fait tout seul son chemin dans le monde. Deux éditions, enlevées en quelques années, me prouvent qu'il répondait aux besoins de certaines âmes. Des lettres nombreuses, des confidences reçues au saint tribunal m'ont appris, à ma grande surprise, qu'il a contribué à ramener à Dieu plusieurs pécheurs. Certes, s'ils m'avaient consulté, je me serais gardé de leur mettre entre les mains ce livre, qui est écrit pour les gens de la maison, et non pour ceux du dehors. Mais Dieu se sert de tous les instruments, même des plus faibles, pour faire son œuvre. C'est ce qui me décide à faire paraître une troisième édition, revue avec soin, et corrigée, de manière à tenir compte des observations que j'ai reçues de différents côtés, et dont je suis très reconnaissant à ceux qui me les ont envoyées.
Ces observations peuvent se ranger en deux classes : Plusieurs m'ont reproché ma sévérité, et ont même prononcé, à ce sujet, le nom de Jansénisme. Cela m'a bien surpris, car théologiquement je suis, grâce à Dieu, aussi éloigné que possible de cette hérésie, qui a été pendant deux siècles, le fléau de la piété en France. Je crois, il est vrai, à l'encontre des apologistes modernes, page VI, au petit nombre des élus. Mais on ne peut disconvenir que cette opinion a pour elle l'antiquité et la majeure partie des Pères et des théologiens. La vérité ne varie pas avec les caprices d'une époque. Parce que notre sensiblerie est en train de rayer la peine de mort de nos codes, ce n'est pas une raison pour nous faire un christianisme fin de siècle, dans lequel l'enfer n'existe presque plus que pour les pires scélérats, et qui a d'ailleurs, comme le bagne, ses jours de relâche (Voir Bougaud. - Le christianisme présenté aux gens du monde).
Quant au purgatoire, ce n'est plus qu'une salle d'attente, plus ou moins confortable, dans laquelle les âmes s'arrêtent quelques instants, avant de prendre l'express pour le Ciel. Tout le monde en Paradis, et surtout le moins d'expiation possible. De peur de rebuter les âmes, on voile, avec soin, toute la partie sévère du dogme chrétien. On croit les attirer, en dissimulant, autant que l'on peut, les responsabilités de l'avenir. Certes l'intention est bonne, et je n'ai ni la volonté, ni le droit de blâmer les apologistes qui, sur des questions demeurées libres, pensent autrement que moi. Mais, je demande à jouir de la même liberté. Sur les expiations du purgatoire, je m'en tiens à la doctrine de saint Augustin, de saint Thomas, de saint Bonaventure et de Suarez, qui enseignent que la plus petite des peines du purgatoire dépasse toutes les souffrances de cette vie, et qu'à considérer leur nature, ces peines sont analogues à celles de l'enfer, moins le désespoir et la durée. - Tel est l'enseignement unanime des saints et des docteurs - on voit que, si je suis sévère, je le suis en bonne compagnie.
Si l'on a tant de difficulté, de nos jours, à comprendre les responsabilités et les châtiments de l'autre vie, cela vient, j'en ai peur, des fausses idées qu'on se fait des droits de Dieu et de ceux de sa justice. En France, où nous ne savons jamais garder la mesure, on a vu presque sans transition succéder au Dieu étroit et dur du Jansénisme, la figure d'un Dieu bon enfant, avec qui il n'y a pas à se gêner. Comme ces fils qui, à force de se familiariser avec leurs parents, en arrivent à ne plus les respecter, ni les craindre. On est trop porté, de nos jours, à traiter avec Dieu d'égal à égal. Certes, j'aurais horreur de resserrer les cœurs et de les éloigner des voies dilatées de l'amour. Mais je demande que l'on n'oublie pas que si Dieu est infiniment bon, il est, au même titre, infiniment saint et infiniment juste. Il n'a rien de la sensiblerie de nos papas modernes, qui, pour épargner une larme à leurs fils, laissent insulter par eux les droits de l'autorité paternelle. Gardons-nous donc soigneusement de ces atténuations, de ces diminutions de la vérité, comme dit le roi-prophète (1). Si l'amour est le couronnement de la vie parfaite, (2) la crainte du Seigneur, une crainte raisonnable et vraie, est le commencement de la sagesse. (3).
Voilà ce que j'ai à répondre à ceux qui m'accusent d'être trop sévère.
Un second reproche m'a été fait au sujet de l'autorité qu'il convient d'attribuer aux diverses révélations que je cite. On a dit, et avec raison, que toutes ces histoires n'étaient pas d'égale valeur, que quelques-unes sont par trop invraisemblables, et que j'aurais mieux fait de les passer sous silence.
(1) Quoniam diminutae sunt veritates. Ps II. 2.
(2) Quod est vinculum perfectionis. Coloss. 3. 14.
(3) Initium sapientiae timor Domini. P. 11. 10
J'ai tenu largement compte, dans cette édition, des observations qui m'ont été faites à ce sujet. Un certain nombre de traits, empruntés la plupart à des auteurs italiens, ont été mis de côté, bien qu'on les trouve dans d'autres ouvrages sur le purgatoire, Je me suis appliqué, du mieux que j'ai pu, à donner sur chaque point important, la pure doctrine des saints, telle qu'on la trouve dans leurs œuvres.
Maintenant, pour être juste et ne pas me faire dire ce que ne n'ai jamais pensé, il faut avoir soin de ne pas s'exagérer l'autorité des Révélations, même de celles qui appartiennent à des saints canonisés. On sait avec quelle discrétion l'Eglise en use à cet égard, c'est la doctrine universelle des mystiques, en particulier de sainte Thérèse et de saint Jean de la Croix, que l'erreur peut parfaitement se glisser dans des documents de ce genre, quelque respectables qu'ils soient d'ailleurs. Quand il s'agit, comme dans la plupart des faits que je cite, de saints canonisés, la bonne foi de l'extatique n'est pas en cause. Il rapporte certainement ce qu'il a vu, tel au moins qu'il a cru le voir. Mais est-il certain qu'il ait toujours bien vu ? D'ailleurs quand il rapporte ses visions, et traduit en langage de la terre ce qui lui est apparu dans les joies de l'extase, l'instrument qu'il a en sa possession ne trahira-t-il pas quelquefois sa pensée ? Sainte Angèle de Foligno et plusieurs autres extatiques se sont plaint amèrement de cette pauvreté du langage humain pour rendre les mystères de l'invisible. De là les imperfections qu'on trouve dans la plupart de ses œuvres. On a remarqué que les différentes visions de la Passion de Jésus-Christ sont loin de concorder chez les principales voyantes : sainte Brigitte, la vénérable Marie d'Agréda et Catherine Emmerich. Il semble prouvé que les idées de l'esprit, les habitudes de l'entourage, se reflètent inconsciemment dans ces compositions. Qu'est-ce à dire ? Que l'extatique s'est trompée ou a voulu tromper ? Pas le moins du monde. Mais, comme le remarque très justement le P. Olivier (1), on demande à l'extase ce qu'elle ne peut donner :
"De ce que sainte Brigitte voit le crucifiement avec les yeux des artistes byzantins, et Marie d'Agréda avec ceux des artistes espagnols, il ne s'ensuit pas que leur âme n'a pas été merveilleusement pénétrée d'amour et de compassion, comme elle eût pu l'être, si elles se fussent trouvées avec Madeleine au pied de la croix. "
Sous l'inspiration surnaturelle, qui l'élève au-dessus des sens pour lui révéler les réalités du monde invisible, le voyant conserve sa nature, ses habitudes d'esprit, et jusqu'au cachet littéraire de son époque. Lisez, dans ce volume, les révélations de sainte Perpétue sur le purgatoire. A la pureté des lignes, à la sobriété des détails, vous croirez voir une fresque des catacombes. Parcourez, un peu plus loin, le purgatoire de sainte Françoise Romaine ou celui de sainte Madeleine de Pazzi, vous y trouverez l'exubérance et la fantaisie du Moyen-Age. C'est un de ces drames touffus, comme les imagiers en pierre de taille en sculptaient des centaines au portail de nos vieilles cathédrales. Ouvrez après cela les visions de (1) La Passion de la bienheureuse Marguerite-Marie. La correction de la forme, la sobriété des détails vous rappelleront tout de suite que l'ouvrage date des premières années du grand siècle. C'est que l'homme demeure toujours sous le saint, et que le phénomène mystique laisse à chacun sa personnalité et ses habitudes d'esprit.
Il ne faut donc pas demander aux révélations des saints ce qu'elles ne comportent pas. Ce ne sont pas des thèses de théologie, ce sont des effusions pieuses, des élévations, dans lesquelles l'âme, arrachée pour un instant aux choses extérieures, entrevoit quelque chose des mystères de l'autre monde, mais en gardant toujours le cachet de sa personnalité et le reflet de ses habitudes intellectuelles. C'est ce qu'a parfaitement établi Benoît XIV, dans son grand Traité de la canonisation des saints.
Je souscris donc très volontiers à ce qu'a écrit à ce sujet Mgr Gay : "A part les points de doctrine définis, et ils sont peu nombreux, la théologie du purgatoire est l'une des pages les plus humiliantes de la science sacrée : je veux dire l'une de celles où notre ignorance et notre insuffisance sont le plus impitoyablement constatées (1). "
Est-ce à dire que la lecture des révélations des saints au sujet du purgatoire, est inutile, et même dangereuse, comme on l'a écrit ? Je ne le crois pas, ces révélations que l'Eglise n'accepte pas comme sources de son enseignement théologique, n'en sont pas moins tenues par elle en très haute estime, à cause de la sainteté des personnages dont elles émanent et des grandes leçons quelles renferment. (1) La vie et les vertus chrétiennes, IIe vol., chap. XVII
Dans ces matières sur lesquelles l'enseignement des théologiens a peu de choses à nous dire, le regard des saints, cet œil du cœur illuminé par l'amour[1][1], a entrevu bien des choses qu'il est bon de recueillir. D'ailleurs si les détails varient, avec le caractère et les habitudes d'esprit du voyant, les grandes lignes du tableau se retrouvent partout les mêmes : la sévérité des jugements de Dieu, la rigueur des expiations du purgatoire, la nécessité de fuir le péché pour épargner ces supplices, le devoir pressant de nous souvenir de nos chers défunts et de procurer leur soulagement par tous les moyens qui sont en notre pouvoir. Voilà ce qui fait le fond de toutes ces révélations, et ce qu'il faut en retenir. Qu'importe ici la part plus ou moins grande qui reste à la personnalité de l'extatique ? En nous faisant assister aux spectacles qu'il a contemplés dans les rayonnements de l'extase, en nous répétant les cris de détresse qu'il a entendus monter des profondeurs de l'abîme, il touche nos cœurs, les arrache à leurs préoccupations égoïstes, à cette dissipation habituelle, à cette fascination de la niaiserie qui, selon la pensée de l'Ecriture, énerve les plus belles intelligences. Il nous force à réfléchir sérieusement aux responsabilités de l'avenir, à la sainteté infinie de Dieu, à la gravité du péché, même véniel, toutes choses que l'on est trop porté à oublier dans l'habitude de la vie. Oubli fatal qui est la cause de la plupart de ces fautes. Si nous pensions plus souvent à nos fins dernières, à ce qui nous attend au lendemain de la mort, jamais nous ne pécherions, dit l'Esprit Saint. C'est précisément pour raviver le souvenir de ces fins dernières, que ce petit livre a été composé.
Il s'adresse particulièrement aux chrétiens, à ceux pour qui la question de l'enfer ne se pose pas, à ceux par conséquent qui sont destinés à expérimenter un jour les expiations du purgatoire.
Je me suis proposé un double but : faire réfléchir un peu ces chrétiens sur les souffrances que, de gaîté de cœur, ils se préparent par leurs fautes de chaque jour, et surtout ranimer leur charité à l'égard des pauvres défunts. Hélas ! On les oublie bien vite à notre époque. Notre vanité se console par de pompeuses et théâtrales funérailles. On couvre de fleurs ce cadavre suivant un usage païen, que les siècles chrétiens n'ont jamais connu, et qui répugne à la liturgie de l'Eglise. Quant à l'âme immortelle et responsable, on la laisse en tête-à-tête avec son Juge, sans messes, sans prières. Tout pour le cadavre, rien pour l'âme. C'est là une des nombreuses manifestations du matérialisme contemporain, qui, à la faveur de la mode, envahit jusqu'aux familles chrétiennes. On a hâte d'oublier ses morts, on se rassure en les canonisant de suite : "C'était un si brave homme. Il est au ciel". C'est contre ce matérialisme pratique, et l'oubli d'un devoir sacré, que j'ai voulu protester en composant ce livre.
Tân-dinh (Cochinchine), juin 2.
Nihil Obstat
 
Vicariat Apostolique Saïgon, 15 août 9 de CONCHINCHINE OCCIDENTALE
Mon Cher Confrère,
J'ai lu, pendant les longues heures de ma dernière traversée de Saïgon à Marseille, les premiers cahiers de votre traité du purgatoire. Par sa doctrine, qui me paraît sûre, comme par l'ensemble des exemples qu'il rappelle ou qu'il apprend, votre travail me semble ne pas devoir rester à l'état de manuscrit.
La lecture en sera utile à toute âme qui a la foi : les paresseux, les lâches, les tièdes et ceux qui sont presque arrivés à l'indifférence pratique, en seront profondément impressionnés. Les fervents, dans le clergé ou dans la vie religieuse, se sentiront portés à plus de perfection.
Je crois donc, mon cher confrère, que vous ferez œuvre utile et salutaire à plusieurs, en livrant au public chrétien le fruit de vos recherches.
C'est dans l'espérance que vous obtiendrez ce résultat, que je vous renouvelle l'assurance de mon entier dévouement.
Isidore, évêque de Samosate, Vicaire apostolique
Le purgatoire d'après les Révélations des saints
Abbé Louvet
Chapitre 1 : De la mort et du jugement particulier
La personne du juge, du lieu du jugement. — Matière du jugement — Des prières des vivants. — De l’intercession de la Sainte Vierge et des Saints. — Présence de l’ange gardien et du démon. — De la sentence. — Du grand nombre des réprouvés. — Du petit nombre de ceux qui vont au Ciel tout droit. — Combien descendent chaque jour au purgatoire ?
 
La dernière heure a sonné pour le chrétien mourant ; L’Église a répandu sur lui ses dernières bénédictions avec les dernières prières, il a reçu pour la dernière fois le pardon de ses fautes, pour la dernière fois aussi il a senti le cœur de Jésus reposer sur son cœur dans le sacrement de l’Amour ; l’ami de la première communion, en apprenant que son ami est malade, a quitté son tabernacle pour venir le visiter ; porté entre les mains de son prêtre, il a passé inaperçu dans les rues de nos grandes cités, ou bien, suivi de quelques fidèles, il est acheminé le long des sentiers de la campagne ; il est entré dans cette chambre funèbre, transformée pour le moment en sanctuaire, il a reposé un instant sur ses lèvres que la mort va glacer, et dans un dernier et mystérieux colloque avec l’âme, il a laissé entrevoir les mystères de l’avenir et les splendeurs de l’Éternité bienheureuse ; pour assurer encore mieux la victoire de son enfant, l’Église a oint ses membres de l’huile sainte comme on faisait, aux temps antiques, pour les athlètes qui se préparaient au combat. C’en est fait ; le prêtre s’est retiré, le laissant seul en face de la mort ; autour de son lit, ses parents parlent à voix basse et se détournent pour cacher leur larmes ; on récite les dernières prières ; déjà son oreille a entendu le formidable appel : partez, âme chrétienne ; tout à coup, un soupir s’exhale, il retombe inanimé sur sa couche. Il est mort.
Alors les sanglots de la famille se mêlent ; on s’approche avec terreur de ce quelque chose d’inanimé, qui n’est déjà plus qu’un cadavre ; on ferme ces yeux qui ne s’ouvriront plus avant le grand jour du réveil général ; on joint ces mains dans l’attitude de la prière ; le plus souvent, pour cacher aux survivants l’horreur de la mort, on jette un voile sur ce visage déjà défiguré ; puis les amis, les voisins se retirent en faisant l’éloge de ce défunt ; à cette heure, il faudrait avoir été bien mauvais pour ne pas jouir d’un petit panégyrique en règle, et si la Congrégation des Rites devait connaître de tous les procès de canonisation qui se font ainsi dans les huit jours après la mort, le travail de plusieurs milliers de consulteurs n’y suffiraient pas.
Voilà le côté extérieur de ce grand drame de la mort ; mais, quelque saisissant qu’il soit pour nous, ce n’en est pourtant que le côté le moins intéressant. Nous avons laissé le défunt étendu sur son lit funèbre, les mains jointes, le crucifix sur la poitrine, dans l’attitude qu’a si bien saisie le chantre des harmonies.
Les saints flambeaux jetaient une dernière flamme.         Le prêtre murmurait ces doux chants de la mort, Pareils aux chants plaintifs que murmure une femme à l’enfant qui s’endort.
De son pieux espoir son front perdait la trace
Et sur ses traits, frappés d’une auguste beauté,
La douleur fugitive avait empreint sa grâce,
La mort sa majesté.
 
C’est là tout ce que voit le poète dans la mort, mais il y a autre chose ; nous avons sous les yeux le corps qui se glace et qui va bientôt tomber en décomposition ; qu’est devenue l’âme immortelle et incorruptible ? C’est là la question vraiment intéressante pour nous dans cette étude sur le Purgatoire.
La foi nous apprend qu’à l’instant où elle s’est séparée du corps, l’âme a paru devant son juge, et les révélations des Saints confirment toutes ce grand fait du jugement particulier, immédiat et sans appel ; mais ici se présentent plusieurs questions intéressantes qu’il convient d’étudier par ordre.
Avant tout, ce qui attire l’attention, ce qui doit fixer tout d’abord le regard de l’âme, c’est la personne du juge. Nous voyons dans les Saintes Écritures que ce Juge n’est autre que Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il est écrit dans saint Jean, que le Père ne juge personne, parce qu’il a abandonné tout jugement à son Fils : Pater non judicat quequam, omne judicum dedit Filio, et nous lisons au livre des Actes que le Christ a été constitué de Dieu le juge des vivants et des morts : constitutus est a Deo judex vivorum et mortuorum. Hermas dans son livre du Pasteur, saint Grégoire le Grand, dans ses Dialogues, saint Jean Damascène, saint Jean Climaque, et, dans des temps plus rapprochés, sainte Gertrude, sainte Lutgarde, sainte Françoise Romaine, sainte Thérèse, toutes les saintes âmes à qui Dieu confirment par leurs révélations particulières ces données de la foi.
Les Théologiens se demandent si l’humanité de Notre-Seigneur se manifeste visiblement à chaque âme, et là-dessus ils sont partagés. Le Cardinal Bona, dans son savant traité du discernement des esprits, s’exprime ainsi : « A la fin du monde, Jésus-Christ paraîtra dans son corps, avec sa gloire, lorsqu’il viendra juger les vivants et les morts, mais il est incertain s’il apparaît à chaque homme en une forme visible, comme quelques-uns l’on écrit. On n’est pas non plus assuré de la manière avec laquelle Notre-Seigneur exerce ce jugement particulier de chaque homme ; on sait seulement que cela se fait en un moment et en un clin d’œil. C’est pourquoi une apparition intellectuelle de ce souverain juge suffit pour ce jugement. » (cf. ouvrage cité, ch. xx.) On voit par ce passage que le savant cardinal évite de se prononcer, bien qu’il penche évidemment pour la négative. Néanmoins il ne manque pas de théologiens de mérite qui pensent que le divin Maître se révèle à chacun dans la vérité de sa chair transfigurée et glorieuse ; cette seconde opinion a pour elle des raisons plausibles ; il est certain que c’est comme homme, en vertu des mérites de son immolation et de sa mort que Jésus-Christ a le droit de juger tous les hommes ; il y a donc au moins une raison de convenance, à ce qu’ils comparaissent devant son humanité glorifiée, et qu’ils voient, dans leur réalité, ces plaies bénies qu’ils lui ont infligées par leur péchés : Videbunt in quem transfixerunt. Il est inutile de se poser l’objection de ces quatre-vingt mille âmes, qui d’après les calculs des statisticiens, comparaissent chaque jour au tribunal suprême, sur tous les points du globe, ce qui semblerait réclamer pour l’humanité sainte du Sauveur une sorte d’ubiquité ; celui qui n’est pas arrêté par le mystère de l’eucharistie, en vertu duquel Jésus-Christ est rendu réellement présent à la fois sur des milliers de points ne s’arrêtera pas davantage à cette difficulté. J’inclinerai donc vers la seconde opinion qui me paraît plus conforme à la grandeur du juge et à l’analogie des autres mystères chrétiens ; mais quel que soit le mode suivant lequel le divin Sauveur se révèle à l’âme, une chose est certaine ; c’est au moment où les yeux du corps se ferment à la lumière d’en bas, le regard de l’âme s’illumine, et elle aperçoit soudain devant elle l’adorable figure de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Ceci nous amène à nous demander où se fait le jugement. La réponse est facile ; le jugement se fait au lieu même où l’âme vient de quitter son corps ; en effet, qu’est-il besoin d’aller chercher au loin un tribunal ? La terre est au Seigneur, dit l’Écriture, et il remplit le monde de sa présence ; ce qui nous empêche de le voir, oublieux que nous sommes, ce sont les murs de cette prison de chair, dans laquelle nous sommes renfermés ; mais, à l’heure de la mort, le voile qui nous cachait les réalités invisibles s’écarte, et l’âme se trouve immédiatement sous les regards de son juge. Quel instant ! Quel saisissement ! Alors commence ce redoutable jugement dont la pensée faisait trembler les saints dans leur désert. D’un seul coup d’œil, le regard de l’âme embrasse tous et chacun de ses actes, avec toutes les circonstances qui les ont accompagnés, et il lui faut rendre compte de tout, même d’une parole inutilement prononcée par mégarde plus de vingt ans auparavant, et complètement oubliée depuis. Qui aurait pu croire à une exactitude si rigoureuse, si la vérité éternelle ne nous en avait avertis d’avance ! Omne verbum otiosum quod locuti fuerinthimines, reddent de eo rationem in die judicii.
Et cela doit être ainsi ; s’il est vrai, en effet, comme l’enseignent les Thomistes, et, comme me paraît beaucoup plus probable, qu’il n’y a pas d’actes indifférents, mais que chacune de nos actions a sa moralité bonne ou mauvaise, comptez, si vous le pouvez, le nombre effroyable d’actions dont il faudra rendre compte, pendant une vie de cinquante à soixante années, et quelquefois plus. Mais comment l’âme pourra-t-elle embrasser d’un seul regard l’ensemble des actes d’une vie tout entière ? Elle les verra dans l’intelligence infinie de Dieu, aux rayons de ce soleil de vérité qui les illumine tous, et qui n’en laisse échapper aucun. C’est là ce livre où tout est écrit, et qui sera mis alors sous les regards de l’âme.
 
Liber scriptum proferetur,
In quo tuum confinetur,
Unde mundus judicetur.
 
L’âme y verra chacun de ses actes, et de plus, elle découvrira toutes les circonstances qui les ont accompagnés et qui en ont modifié plus ou moins la moralité. J’ai lu dans la vie d’un saint personnage, qu’en ce jour du jugement, les péchés paraissent bien plus graves que pendant la vie, mais aussi, par une juste compensation, les vertus véritables y brillent d’un éclat bien plus vif. Rien de plus conforme aux données de la Théologie ; les Théologiens [7] nous apprennent, en effet, que la moralité de chacun de nos actes se tire de plusieurs chefs :
1° de la fin pour laquelle on agit, et qui suffit quelquefois à changer complètement la moralité de l’acte ; comme si, par exemple, on faisait une bonne œuvre par vanité, ou par quelque autre intention mauvaise ;
 2° de l’objet de l’acte considéré en lui-même, et
3° des circonstances qui accompagnent cette action, et qui peuvent en augmenter ou en diminuer beaucoup le mérite ; comme lorsque l’on fait quelque bonne action, par exemple, un acte de religion, avec tiédeur et négligence, ou encore lorsque l’on se complaît dans des retours de vanité, après que l’on a fait quelque bien. Or au jugement de Dieu tout cela est connu et pesé, en sorte que les actes où tout a été bon, la fin, l’objet et les circonstances, apparaissent dans toute leur beauté, au lieu que ceux où tout a été mauvais, sont révélés dans toute leur laideur.
Et maintenant, entendons la terrible parole du Juge, qui sera adressée à chacun de nous : Redde rationem villicationis tuæ, jam enim non poteris villicare. Le temps du mérite ou du démérite est passé, l’épreuve est finie, irrévocablement finie, rendez vos comptes. Redde rationem : Rendez compte de tous vos péchés ; j’étais là, présent, quand vous les commettiez, j’ai tout vu ; impossible de me rien cacher ; péchés contre Dieu, péchés contre le prochain, péchés contre vous-même, péché contre vos devoirs d’état, contre vos obligations particulières. Oh ! Quelle masse effroyable de péchés, depuis le premier péché que nous avons commis à l’aurore de notre raison naissante, jusqu’à ce dernier péché que nous commettrons peut-être sur notre lit de mort, au moment de paraître devant notre Juge. Sainte Thérèse raconte qu’elle vit dans l’enfer un enfant de trois ans, qui, dans un âge aussi [8] tendre, avait trouvé le temps de devenir l’ennemi de Dieu ; et saint Augustin, dans ses immortelles Confessions, s’accuse de fautes qu’il avait commises dans un âge encore plus tendre. O misère du cœur de l’homme ! Un tout petit enfant est déjà un grand pécheur, tantillus puer, et tantus peccator ! N’est-ce pas le cas de s’écrier, avec le prophète, que le nombre de nos iniquités surpasse de beaucoup celui des cheveux de notre tête. Iniquitates meae multiplicatoe sunt super capillos papitis pei.
Redde rationem : Rendez compte du bien que vous auriez dû faire et que vous n’avez pas fait. Un prêtre était sur son lit de mort, et son confesseur essayait en vain de l’exciter à la confiance en Dieu ; il lui parlait du bien qu’il avait fait pendant sa vie, des âmes qu’il avait sauvées. « Ah ! s’écrie le mourant, d’une voix déchirante, vous ne me parlez pas du bien que je devais faire, que je pouvais faire et que je n’ai pas fait ; ce qui me fait trembler en ce moment, ce sont mes omissions ! » chose affreuse à dire et plus encore à penser : dans les tribunaux de la terre, on n’est interrogé d’ordinaire que sur ce que l’on a fait, mais ici, au tribunal de Dieu, il faudra rendre compte de tout ce que l’on aura pas fait par une négligence coupable. Dieu mettra en regard toutes les grâces accordées à l’âme : le baptême, l’instruction chrétienne, tant de confessions, tant de communions, tant de bonnes pensées qu’il nous a envoyées, tant de facilités qu’il nous a données pour faire le bien, et de l’autre côté nos œuvres ; et malheur à celui dont les œuvres ne seront pas trouvées pleines, car il sera beaucoup demandé à celui qui a beaucoup reçu ; et c’est justice.
Redde rationem : Rendez compte du bien que vous avez fait, mais que peut-être vous n’avez pas bien fait ; voyons ces prétendues vertus dont vous étiez fiers pendant la vie.
Oh ! Que d’alliage dans cet or ! C’est un axiome de théologiens, que le mal existe dès qu’il y a dans un acte la moindre défectuosité, au lieu que le bien, pour être bien, doit être bien fait dans tout ses détails : bonum ex integra causa, malum ex quocumque defectu. S’il en est ainsi, et nous n’en saurions douter, combien d’actions vertueuses en apparence, qui seront devant Dieu de véritables péchés, parce qu’elles auront été faites par une mauvaise fin. Les pharisiens faisaient beaucoup de bonnes œuvres, mais, parce qu’ils n’agissaient que pour plaire aux hommes et s’attirer le renom de saints personnages, je vous déclare en vérité qu’ils ont reçu leur récompense. Receperunt mercedem suam. Combien d’actes vertueux dans leur objet, seront encore rejetés de Dieu, parce qu’ils auront été accomplis dans de mauvaises circonstances, avec tiédeur, par routine, ou parce qu’ils auront étés faits à contre-temps, ou encore avec ces pensées de vaine complaisance qui en font perdre presque tout le fruit !
Redde rationem : Est-ce tout ? Hélas ! Voilà bien de quoi accabler une pauvre âme ! Mais quelles sont ces voix qui montent de l’abîme ? c’est la voix du scandale, c’est le cri du sang : Seigneur, justice et vengeance, s’écrient les damnés du fond de l’enfer, justice et vengeance contre ce père, contre cette mère, dont la fatale négligence nous a laissé grandir dans le vice et nous a perdus ; justice et vengeance contre cet ami qui a partagé nos plaisirs coupables, à son tour de partager maintenant nos supplices ; justice et vengeance contre ce compagnon dont les mauvais conseils et les mauvais exemples nous ont appris à connaître le mal et à l’aimer ; justice et vengeance contre ce malheureux dont les propos impies nous ont empêchés de nous convertir et de nous sauver ; ah ! C’est à cause de lui que nous sommes condamnés aux supplices de l’enfer ; [10] est-ce qu’il va monter au ciel pendant que nous brûlerons ici dans les flammes éternelles ! Hélas ! Pauvre âme, que répondrez-vous à ces formidables accusations, et n’aviez-vous pas assez de vos fautes, sans vous charger encore de celles des autres ?
Voilà le jugement de Dieu, tel qu’il sera très certainement pour chacun de nous ; c’est là, quand on y réfléchit, ce qui fait comprendre les angoisses des saints, et les austérités de leurs pénitences ; leurs histoires sont pleines de révélations épouvantables sur la rigueur des jugements de Dieu. Entre tant d’exemples, j’en choisirai deux seulement.
J’ai lu, dans la vie des Pères du désert, qu’un religieux nommé Etienne, fut transporté en esprit au jugement de Dieu ; il était sur son lit de mort, réduit à l’agonie, lorsqu’on le vit se troubler et répondre à un interlocuteur invisible ; ses frères en religion qui l’environnaient en priant, entendaient avec terreur ses réponses. — « J’ai fait telle action, c’est vrai, mais je me suis imposé tant d’années de jeûne. » — « Je ne conteste pas ce fait, mais j’ai pleuré cette faute pendant tant d’années. » — « Ceci est vrai encore, mais en expiation j’ai servi le prochain trois ans. » — Puis après un moment de silence : « Oh ! Pour ceci, je n’ai rien à répondre ; vous m’accusez à juste titre, et je n’ai rien à dire pour ma défense, que de me recommander à la miséricorde infinie de Dieu. »
Saint Jean Climaque, qui rapporte ce fait, comme témoin oculaire, nous apprend que ce religieux avait passé quarante ans dans son monastère, qu’il avait le don des langues et plusieurs autres grands privilèges ; qu’il se distinguait entre tous par la régularité de sa vie et les rigueurs de sa pénitence, et, après cela, il conclut en ces termes : « Malheur à moi ! Que deviendrai-je et que puis-je [11] espérer, misérable que je suis, si l’enfant du désert et de la pénitence reste sans défense devant quelques fautes légères ? Il compte une longue suite d’années passées dans les austérités de la retraite ; Dieu l’a enrichi de privilèges et de dons singuliers, et il quitte ce monde en nous laissant dans l’incertitude de son salut ! »
Mais peut-être on dira, pour se rassurer, que ce bon religieux, n’était pas encore mort, ses terreurs au jugement de Dieu n’ont été qu’un effet de son imagination échauffée par la fièvre.
Voici l’histoire authentique d’une âme rappelée du jugement de Dieu, par une faveur toute spéciale, pour recommencer son épreuve terrestre ; il s’agit de la vénérable Angèle Tholoméi, religieuse dominicaine, et sœur du Bienheureux de ce nom.
Elle avait grandi dans la vertu, et par sa fidélité à correspondre à la grâce, elle était parvenue à un degré de perfection remarquable, lorsqu’elle tomba dangereusement malade ; son frère l B. Jean-Baptiste Tholoméi, qui était déjà puissant en œuvres devant Dieu, ne put, malgré ses instantes prières obtenir sa guérison ; elle reçut donc avec piété les derniers sacrements et un peu avant d’expirer elle eut une vision : elle vit la place qui lui était réservée en Purgatoire, en punition de certains défauts qu’elle n’avait pas assez corrigés pendant sa vie ; en même temps elle eut une vue d’ensemble du Purgatoire, et des différents supplices que les âmes y endurent ; après cela elle mourut en se recommandant aux prières de son saint frère.
Pendant que l’on portait son cadavre pour l’enterrer, le B. Jean-Baptiste s’approcha du cercueil, et au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, commanda à sa sœur d’en sortir ; aussitôt elle s’éveilla comme d’un profond sommeil, et revint à la vie. [12]
Cette âme sainte racontait du jugement de Dieu des choses qui font frémir ; mais ce qui, plus que tout le reste, prouvait la vérité de ses paroles, ce fut la vie qu’elle mena depuis ; sa pénitence était vraiment effrayante ; non contente des industries ordinaires aux austérités des saints, des veilles, des cilices, des jeûnes, des disciplines, elle avait inventé des secrets pour martyriser son corps ; pendant l’hiver, elle se plongeait jusqu’au cou dans un étang glacé, et y demeurait de longues heures à réciter le psautier, d’autre fois elle se jetait dans les flammes, et s’y roulait jusqu’à ce que sa chair fût toute brûlée ; son pauvre corps était devenu objet d’horreur et de pitié ; on la blâmait hautement, mais comme elle ne s’en inquiétait guère, et se contentait de répondre à ceux qui trouvaient qu’elle en faisait trop : « Ah ! Si vous connaissiez la rigueur des jugements de Dieu, vous ne parleriez pas ainsi ! Qu’est ce que cela ? Qu’est-ce que cela ? Je voudrais en faire cent fois davantage. »
Après quelques années passées dans ces terribles pénitences, elle fut appelée pour la seconde fois devant son Juge, et nous pouvons espérer qu’elle le trouva moins sévère, puisque l’Église, en la proclamant vénérable, a déclaré qu’elle avait pratiqué les vertus chrétiennes à un degré héroïque. Ce qu’il y a de bien remarquable dans cette histoire, c’est qu’il ne s’agit pas d’un pécheur mourant dans la haine de Dieu, il s’agit d’une bonne et fervente religieuse, tout appliquée aux devoirs de son état, et qui, pour quelques imperfections légères au jugement des hommes, subit les rigueurs du jugement de Dieu. Hélas ! Pauvre pécheur que je suis, qu’en sera-t-il de moi, si les autres [13] justes sont ainsi traités ! (Vita V. Angelae Tholoméi.)
Qu’ils sont donc terribles, les jugements de Dieu ! Et quand on songe qu’à chacun des battements de notre cœur, cette grande scène se renouvelle ! A chaque seconde, en moyenne, une âme quitte la terre, et paraît devant Dieu. Représentez-vous un vaste champ de bataille : les deux armées sont en présence, la mitraille éclate des deux côtés, les boulets passent en sifflant, traçant leur sillon sanglant dans les rangs ; à chaque instant, des hommes tombent pour ne pas se relever. C’est là un spectacle affreux, et qu’on n’oublie plus, quand une fois on a eu le malheur d’en être le témoin : Eh bien, agrandissez la scène ; le monde est un vaste champ de bataille, où la mort frappe sans relâche ; à la fin du jour, quatre-vingt mille hommes, cela fait trois mille cent trente-trois hommes par heure, cela fait cinquante-cinq hommes par minute, cela fait un homme par seconde ; chaque fois que nous respirons, nous pouvons dire qu’un homme expire. Ah ! Si nous y pensions ! Comme nous serions pris d’une immense compassion, et comme nous prierions avec ferveur pour tant de malheureux qui comparaissent devant leur Juge !
Mais, hélas ! Nous n’y pensons guère ; nous rions, nous nous amusons, et, un jour, on nous rendra la pareille : pendant que nous serons dans les transes de l’agonie, d’autres riront et prendront du bon temps à leur tour. Prions pour les agonisants, afin qu’un jour on prie aussi pour nous, à cette heure terrible où nous en aurons si grand besoin.
Cependant que fera l’âme pour adoucir les rigueurs de ce jugement ? Si l’on s’en rapporte simplement aux données de la théologie, il semble que l’on se trouve là sans [14] autre défense que ses bonnes œuvres. Il ne serait pourtant pas téméraire de penser que, dans certains cas, la justice relâche un peu de ses droits, en prévision des prières que les survivants offriront pour le défunt.
Nous lisons dans Gennade (Defensio concilii Florentini, sect. V) que l’empereur de Constantinople Théophile, iconoclaste et hérétique endurci, obtint ainsi un jugement favorable, grâce aux prières réunies de la pieuse impératrice Théodora et du patriarche saint Méthode ; ce trait est trop consolant pour que je ne le rapporte pas ici.
L’Empereur Théophile fut un des iconoclastes les plus acharnés, et des persécuteurs les plus odieux de l’Église catholique. Sa femme l’impératrice Théodora, se consumait en jeûnes et en prières pour obtenir sa conversion ; elle fut exaucée ; sur la fin de sa vie l’empereur détesta ses erreurs, et mourut dans de vrais et profonds sentiments de pénitence. Après sa mort Théodora pria et fit prier beaucoup pour le repos de son âme.
À quelque temps de là, l’impératrice eut un songe : L’Empereur Théophile lui apparut couvert de chaînes, et traîné par une troupe de démons, au tribunal de Dieu ; tous avaient à la main des instruments de torture ; en même temps, il lui semblait qu’elle même suivait ce triste cortège, en essayant, mais en vain, d’arrêter la rage de ces mauvais esprits. On arriva ainsi devant le tribunal du Juge ; celui-ci avait un visage irrité et les démons lui présentèrent le malheureux, en demandant à grands cris une sentence de condamnation contre le persécuteur qui avait versé le sang des saints. Alors Théodora, s’approchant du trône à son tour, se jeta aux pieds du Christ, lui représentant humblement la pénitence de son mari à l’heure de la mort, les prières qu’elle ne cessait d’offrir et de faire offrir chaque jour pour le repos de cette âme ; soudain le [15] regard du juge s’adoucit : « Femme, répondit-il, votre foi est grande : mulier, magna est fides tua ; votre époux avait mérité d’être condamné, mais, à cause de vous, en considération des prières de mes prêtres, je lui accorde sa grâce. » Puis s’adressant aux exécuteurs de sa justice ; « Déliez-le commanda-t-il, et rendez-le à sa femme. »
Le lendemain matin, l’impératrice raconta ce songe au saint patriarche Méthode, qui avait beaucoup souffert de l’empereur à cause de sa foi, et qui s’en vengeait en évêque, multipliant ses prières et ses bonnes œuvres pour Théophile. Or, cette même nuit, il avait eu un songe, lui aussi ; il lui semblait être dans l’église de Sainte-Sophie, lorsqu’un ange lui apparût et lui dit : « Tes prières, ô pontife, ont été exaucées, et Théophile a obtenu sa grâce. » Le lendemain matin, il s’était rendu à l’église et y avait trouvé la confirmation de sa vision ; il avait la pieuse coutume d’écrire sur un petit livret les noms des principaux iconoclastes, et de déposer ce livre sur l’autel, pour les recommander à Dieu en offrant le divin sacrifice ; l’empereur était naturellement en tête de cette liste ; or, ce jour-là, son nom se trouva miraculeusement effacé ; on eut ainsi la plus grande assurance possible que l’empereur Théophile, malgré ses fautes, avait trouvé un jugement miséricordieux, grâce aux prières que l’on avait offertes pour lui.
Ceci nous amène à nous demander si, à cette heure du jugement, l’âme se trouve seule en présence de son juge, ou si les esprits d’en haut y sont présents. On ne peut guère douter que l’ange gardien ne soit là pour assister l’âme sur laquelle il a veillé pendant la vie, et il est bien à craindre que l’on n’y rencontre aussi le démon, particulièrement ce démon qui, selon l’opinion de plusieurs théologiens de mérite, est attaché à Lucifer à chaque [16] âme pour la tenter et l’entraîner dans l’abîme, horrible contrefaçon de l’ange protecteur, bien digne des ruses de celui que Tertullien appelait le singe de Dieu. Les révélations des saints, d’accord en cela avec les sculpteurs de nos vieilles cathédrales, sont pleines de récits qui nous montrent ces deux esprits en présence au Tribunal de Dieu. Je choisis, parmi ces révélations, celle qui fut accordée à sainte Brigitte (Révélations, liv. VI, ch. XXXV).
Il s’agit d’un soldat dont elle vit l’âme comparaître devant son juge, au moment de la mort. Cet homme avait pratiqué plusieurs vertus pendant sa vie ; il était charitable, priait souvent et avec ferveur, et, au milieu de la licence des camps, il s’adonnait au jeûne et à la mortification ; néanmoins, il avait aussi bien des fautes à se reprocher, comme on va voir. La sainte aperçut son âme au tribunal de Dieu, ayant à sa droite son ange gardien qui lui servait d’avocat, et, à sa gauche, le démon qui faisait la fonction d’accusateur, accusator fratrum, comme l’appelle saint Jean dans l’Apocalypse ; celui-ci lui reprochait particulièrement trois fautes : premièrement, d’avoir péché par les yeux, en regardant avec complaisance des nudités et autres objets dangereux ; deuxièmement, d’avoir péché par la langue, en prononçant des paroles obscènes, des jurements et des malédictions ; troisièmement, de s’être souillé de toutes sortes de luxure et de larcins. L’ange gardien rapportait, pour sa défense, les actes de vertu qu’il avait accomplis pendant sa vie, et particulièrement sa tendre dévotion à la très sainte Vierge, dévotion qui lui avait valu, à l’heure de la mort, la grâce de la contrition.
La cause ainsi entendue, le souverain juge prononça la sentence ; il fit grâce à cet homme de l’enfer ; mais il le condamna à un long et douloureux purgatoire, et déclara [17] que l’expiation serait conforme aux fautes commises. Alors, la Mère des miséricordes se présenta, demandant à son Fils un adoucissement à tant de supplices ; elle rappelait que ce soldat s’était toujours montré son dévot serviteur, et qu’il jeûnait régulièrement la veille de ses fêtes. Notre-Seigneur, à la prière de sa mère, adoucit la rigueur de sa sentence, et il ajouta que, pour obtenir la délivrance complète de cette âme, il faudrait beaucoup de prières, d’aumônes et de pénitences.
On voit, par cet exemple, que la sainte Vierge assiste quelque fois au jugement pour secourir ses fidèles serviteurs ; il paraît qu’il en est de même des saints à qui l’on a témoigné une particulière dévotion pendant la vie. Une célèbre vision nous montre le roi Dagobert, déjà entraîné dans les flammes de l’enfer, pour ses crimes : lorsqu’il est arraché aux mains des démons par les saints martyrs Denys et Maurice, assisté du glorieux pontife saint Martin, qu’il avait honorés particulièrement tous trois pendant sa vie, leur élevant, dans ses États, de magnifiques basiliques. Cette histoire m’a paru digne d’être rapportée ici tout au long. On la trouve dans le benedictin Aymon (Histoire des Français, liv. IV, ch. XXIV).
Un évêque de Poitiers, nommé Ansoald, avait fait le voyage en Sicile pour s’occuper des affaires de son église ; à son retour, une tempête furieuse l’assaillit dans la Méditerranée, et le jeta dans une petite île à moitié déserte ; il y trouva un pieux ermite, avec qui il s’entretint longtemps des choses de Dieu et de la félicité des saints ; à la fin, la conversation tomba sur le pays d’où il venait, et sur le roi de France, Dagobert, dont le prélat fit le plus magnifique éloge ; l’ermite l’interrompant : « Vous paraissez ignorer, dit-il, que depuis votre départ de France, ce prince est passé à une vie meilleure. » [18]
 « L'évêque paraissant tout surpris de cette nouvelle, le solitaire, pour le convaincre, lui rapporta une vision qu'il avait eue, quelque temps auparavant. « Un matin, fatigué d'une longue veille passée en prières, je m'étais endormi, lui dit il. soudain, je vois paraître devant mes yeux un vénérable vieillard qui me prend par le bras, me secoue et m'éveille en me criant : vite, debout, levez-vous et mettez-vous en oraison afin d'implorer la divine miséricorde pou le roi Dagobert, dont l'âme a paru aujourd'hui devant Dieu. je me lève, je commence à prier, lorsque j'aperçois tout à coup, sur les flots de la Méditerranée, une troupe de démons conduisant le roi dans une barque et se dirigeant vers le volcan de Stromboli, d'où s'élancent continuellement des flammes et de la lave. En même temps, ils le poussaient, le frappaient, le torturaient de toutes les manières. Le malheureux prince invoquait avec des gémissements, les saints patrons de France, saint Denys, saint Maurice et saint Martin, les suppliant de se souvenir des magnifiques églises qu'il leur avait bâties de son vivant et de le secourir en cette extrémité. Un moment après, le ciel se couvre de nuages, la foudre éclate, les démons sont renversés, et l'on voit apparaître tout brillants de la gloire des bienheureux les trois saints que le roi avait invoqués : Oh ! Qui êtes-vous, s'écrie-t-il d'une voix suppliante, venez-vous enfin à mon secours ? — Nous sommes les martyrs, Denys et Maurice, et celui-ci est l'évêque Martin de Tours : parce que tu nous as invoqués, et que de ton vivant tu t'es montré notre fidèle serviteur, nous venons, à ton appel, te tirer des mains des démons et te conduire à l'éternité bienheureuse. Aussitôt, malgré les cris de rage des esprits infernaux, ils leur arrachent leur victime encore toute tremblante et, plaçant le prince au milieu d'eux, ils l'emportent au ciel en chantant : Beatus quem elegisti et assumpsisti, Domine. inhabitabit in atriis tuis, replebitur in bonis domus tuæ. »
Tel fut le récit du solitaire. L'évêque, étant rentré dans son diocèse, fit connaître cette vision. On remarqua qu'elle correspondait justement à la mort de Dagobert. C'est pourquoi on grava toute cette histoire sur le marbre de son tombeau où je l'ai vue et où chacun peut la voir aussi. Quant à l'intervention de la très sainte Vierge, les traits en sont trop multipliés pour pouvoir être racontés tous ici. Je me contenterai d'ajouter le fait suivant à l'histoire du soldat citée plus haut. J'ai trouvé cette histoire dans saint Ligurie. (V. Paraphrase du Salve Regina.) Une sainte religieuse, nommée sœur Catherine de saint Augustin, avait l'excellente dévotion de prier pour tous les défunts qu'elle avait connus sur la terre. Or, en son pays, vivait une femme de mauvaise vie, nommée Marie. Les scandales de cette malheureuse étaient tels que les habitants de l'endroit, indignés de sa conduite, la chassèrent du pays. Elle se retira dans les bois, et au bout de quelques mois mourut sans assistance et sans sacrements dans une grotte abandonnée. On traita son cadavre comme celui d'une bête morte, et on l'enterra dans un champ sans aucune prière. Personne ne doutait que la vieille pécheresse, après une pareille fin, ne fût irrémédiablement damnée, aussi on ne pensa pas à prier pour elle, et la sœur Catherine pas plus que les autres. Quatre ans se passèrent. Au bout de ce temps, la sœur aperçut un jour une âme du purgatoire qui lui dit en gémissant : « Sœur Catherine, je suis bien malheureuse. Vous avez la charité de recommander à Dieu tous ceux de votre connaissance qui viennent à mourir, il n'y a que moi pour qui vous ne priez pas ! » — « Eh ! Qui êtes-vous donc ? » — « Je suis cette pauvre Marie, qui mourut seule dans la grotte. » — « Eh ! quoi, Marie, vous êtes sauvée ! » — « Je suis sauvée par l'intercession de la Vierge Marie. Quand je me vis près de la mort, seule, sans aucun secours spirituel ni corporel, considérant en même temps le nombre et l'énormité de mes péchés, je me tournai avec confiance vers la mère de Dieu, et je lui dis : ô ma reine, vous êtes le refuge des pécheurs et des délaissés. Vous voyez qu'en ce moment suprême, je suis abandonnée de tout le monde, vous êtes mon unique espoir. Vous seule pouvez me secourir. Ayez pitié de moi, je vous prie. La bienheureuse Vierge exauça ma prière, et m'obtint la grâce de la contrition parfaite, c'est ainsi que je mourus et que je fus sauvée. Cette divine Mère ne borna pas là ses miséricordes. Quand je comparus au jugement devant Dieu, elle obtint de son Fils que ma peine dans le purgatoire serait considérablement abrégée. Mais comme la justice de Dieu ne peut plus rien relâcher de ses droits, j'ai souffert en intensité ce que j'aurais dû souffrir en durée. Présentement, je n'ai plus besoin que de quelques messes, et aussitôt qu'on les aura dites, je serai délivrée de toutes mes peines. Soyez assez charitable pour les faire célébrer pour moi, et je vous promets, quand je serai au ciel, de prier sans cesse Dieu et Marie pour vous. » Sœur Catherine s'empressa de faire dire les messes demandées, et quelques jours après, cette âme bienheureuse lui apparut montant au ciel, et la remercia de sa charité.
Ces exemples sont consolants. Mais en les rapprochant des enseignements de la théologie, on ne peut s'empêcher de rabattre un peu de la confiance qu'ils sembleraient devoir inspirer aux pécheurs. Il est certain que le sort éternel de l'homme est irrévocablement fixé au moment de sa mort. Croire que les prières des survivants, que l’intercession même de la sainte Vierge et des saints peuvent obtenir le salut éternel à une personne décédée dans l’état du péché mortel, ce serait se tromper grossièrement[2][2]. Il faut donc interpréter les visions que je viens de rapporter, et toutes celles du même genre, comme une expression symbolique des grâces obtenues par l’intercession des bienheureux au pécheur mourant, pour l’amener au repentir, et par le repentir, au salut. Penser autrement, ce serait aller contre l’enseignement unanime des docteurs. Du reste, il ne faut pas se représenter ce jugement se déroulant peu à peu dans un ordre successif, comme cela se fait dans les tribunaux d’ici-bas. C’est une suite de l’imperfection humaine de ne pas pouvoir arriver à la connaissance de la vérité que pas à pas et par une série d’investigations. Mais à la lumière de Dieu, il en sera bien autrement. En un clin d’œil, in ictu oculi, la cause sera entendue. Pas besoin d’appeler des témoins : le juge était là. Il a tout vu. Pas d’interrogatoire : d’un seul regard, l’âme verra toute sa vie, ses fautes et ses vertus, ce qui la condamne et ce qui l’absout. Pas de plaidoiries pour ou contre. Inutile d’essayer de fléchir la personne du juge. L’arrêt suit nécessairement la constatation de l’état de l’âme. Dieu ne se laisse pas émouvoir comme les hommes. Il agit en vertu des décrets éternels : à telle mesure de mérites, tel degré de gloire, à telle quantité de fautes, telle mesure de châtiments. L’âme voit en même temps son état et sa sentence. Cette sentence est différente selon les différents états de l’âme à la mort : à celui qui meurt dans le péché mortel, n’en eût-il qu’un seul, la sentence de réprobation : Va, maudit, au feu éternel, que j’avais préparé pour Satan et pour ses anges. Tu as voulu lui obéir sur la terre, va maintenant, misérable, partager ses supplices dans l’enfer. A l’âme qui meurt dans l’état de grâce, et qui n’a plus ni une seule souillure, ni une seule expiation à subir pour ses fautes passées, la parole de l’amour et de l’éternelle béatitude : Courage, bon et fidèle serviteur. parce que pendant les jours de ta vie mortelle, tu as été fidèle en de petites choses, je vais maintenant t’établir sur de grandes. Entre dans la joie de ton Seigneur, intra in gaudium Domini tui. Enfin, à ceux qui meurent en état de grâce mais qui ont encore des fautes vénielles à se reprocher ou qui n’ont pas encore suffisamment expié leurs fautes passées, la parole de l’amour et de la récompense différée : Pauvre âme, un jour tu jouiras de ma gloire, car tu es chère à mon cœur. Mais tu n’es pas encore assez pure en ce moment : aucune tache ne saurait subsister sous le regard de ma sainteté infinie. Va donc te purifier dans les flammes expiatrices. Le temps de ton supplice sera proportionné au nombre et à la gravité de tes fautes.
Dans quelles proportions chacune de ces trois sentences sera-t-elle prononcée ? Et quelle est en particulier la part de purgatoire au jugement de Dieu ? Question bien intéressante et bien grave. Les théologiens sont très partagés sur la solution : les uns, inclinant davantage du côté de la miséricorde, les autres, du côté de la justice. La question est loin d’être tranchée. Je dirai simplement ce qui me paraît le plus probable, en m’appuyant sur les données de l’expérience, et sur les révélations des saints. Un premier point, qui me paraît malheureusement trop certain, c’est que le très grand nombre de ceux qui paraissent devant Dieu tombent immédiatement dans les abîmes de l’enfer. Je sais bien que l’Apologétique moderne s’est efforcée de voiler cette vérité évangélique du petit nombre des élus, que notre siècle énervé ne saurait plus le supporter, parait-il. Le P. Faber dans son beau traité Créateur et créature s'efforce de prouver en s'appuyant surtout sur des raisons de convenance qu'au moins le plus grand nombre des catholiques est sauvé. Le P. Lacordaire, dans une conférence restée célèbre, a cru devoir prendre le contre-pied du fameux sermon de Massillon mais la beauté de son éloquence n'a pu séduire mes convictions et je m'en tiens à la parole du Maître : beaucoup d'appelés, peu d'élus multi enim sunt vocati pauci vero élect.
On lit dans la vie des Pères du désert que saint Antoine, le grand patriarche de la Thébaide, eut une vision à ce sujet. Il lui semblait que le monde était couvert comme d'un immense réseau. Les âmes tombaient toutes dans ces rets à peine si deux ou trois parvenaient à y échapper, semblables à ces rares oiseaux que nous voyons traverser le ciel dans une brumeuse journée de novembre. Si nous y réfléchissons, nous verrons bien que cette vision est l'expression exacte de ce qui se passe dans la réalité. La terre compte environ un milliard deux cents millions d'habitants. Sur ce grand nombre, il y a plus de 400 millions de chrétiens. C’est donc 800 millions de païens qui vivent et qui meurent hors de la voie du salut. Faisons aussi larges que vous voudrez la part des païens honnêtes qui n'ont pu connaître le Christ. Ajoutons-y les enfants qui meurent avant de s'être souillés du crime du paganisme. Cette troupe d'élite que je suppose un peu bénévolement former la moitié soit 750 millions n'en reste pas moins exclue du ciel puisque personne ne peut être sauvé que par la foi au Rédempteur. Le mieux qui puisse lui advenir, c'est de tomber après la mort dans les Limbes, c'est-à-dire après tout dans le vestibule de l'enfer[3][3]. Voilà pour les païens qui forment à eux seuls les deux tiers de la population totale du globe. La moitié est très certainement damnée pour ses vices et l'autre moitié, en tenant compte des petits enfants, si elle échappe à l'enfer, demeure à jamais exclue du ciel. Mais pour quiconque a vu de près ces malheureuses populations, il est clair que mon appréciation est bien indulgente. L'excuse de la bonne foi devient de jour en jour plus difficile car la bonne nouvelle a été annoncée partout. Quant à l'honnêteté morale des païens, quand on les connaît, on sait a quoi s'en tenir à cet égard. Restent un peu plus de 400 millions de chrétiens. Sur ce nombre, voyons combien se sauvent. De ces millions de chrétiens, 100 millions sont hérétiques et 80 millions schismatiques.
Leur salut aux uns comme aux autres est bien exposé car il leur faut l'excuse de la bonne foi et pour les hérétiques qui n'ont pas su garder les sacrements de la sainte Eglise. Il leur faut de plus la contrition parfaite pour rentrer en grâce avec Dieu après qu'ils l'ont offensé mortellement. Or chacun sait que c'est là un moyen assez difficile. J'arrive aux millions de catholiques c'est-à-dire au sixième de la population totale du globe c'est là le peuple choisi, le petit troupeau à qui il a été dit de ne pas craindre. Mais grand Dieu que de boucs parmi ces brebis ! On peut mettre en principe qu'à notre époque, les trois quarts des catholiques vivent dans l'habitude du péché mortel, sans confessions et sans pratiques religieuses. C'est au moins la proportion pour la France, en prenant dans chaque diocèse le catalogue des communions pascales et je ne crois pas que sous ce rapport la France soit dans une condition pire que les autres états catholiques. S'il y a ailleurs un peu plus de pratique, je crains bien qu'il n'y ait comme compensation plus de sacrilèges. Au fond, notre pauvre patrie, malgré ses défaillances, est encore restée la nation catholique, celle ou le dévouement de l'esprit chrétien est le plus vivant. Prenons donc la proportion pour la France et généralisons. Les trois quarts des adultes catholiques ne se confessent plus. Voilà la triste vérité. Je sais bien qu'il reste au fond des âmes la foi et qu'on se confesse presque toujours à l'heure de la mort. Hélas, quelles confessions ! Je le dis avec tristesse mais je le dis parce que c'est ma conviction intime. Je crois peu à ces conversions à l'heure de la mort. Les anciens pères, les vieux théologiens sont unanimes à déclarer qu'il faut s'en défier. Je ne vois pas pourquoi les hommes du XIXe siècle seraient privilégiés en cela. Telle vie, telle mort, voilà l'oracle de l'Esprit de Dieu et le témoignage de l'expérience. Pour moi, j'ai vu bien des malades dans cette situation. Je ne sais si j'oserais garantir le salut éternel de dix. Presque toujours la contrition fait défaut. Le bon propos n'existe pas. La charité est nulle. Ce qui le prouve, c'est que si par hasard quelqu'un de ces pénitents in extremis revient à la santé, il est excessivement rare de le voir persévérer. La conversion n'était pas sérieuse. Au fond, ces pauvres gens n'aiment pas Dieu. Parce qu'ils ont encore un peu de foi, ils le craignent mais ils ne l'aiment pas de cet amour initial qui, d'après le concile de Trente, suffit à l'attrition. Ils voudraient « bien mourir » parce qu'ils ont peur de l'enfer mais ils ne se soucient pas de « bien vivre ». S'ils pouvaient analyser ce qui se passe, alors dans leur conscience, ils y verraient cette arrière pensée : « Je me confesse parce que cela est nécessaire. Il y a la famille, les convenances sociales. On ne peut pourtant pas se faire enterrer comme un chien et puis qui sait personne n'est revenu nous dire ce qu'il y a de l'autre coté de la vie ». « Mais si tu reviens en santé », murmure la conscience… « Ma fois si je reviens en santé, ce sera comme par le passé. Ces choses là sont bonnes pour mourir mais elles me gêneraient singulièrement pour vivre ». Il sort de là une absolution nulle. Remarquez que je ne dis pas sacrilège car je veux mettre les choses au mieux. Je les suppose même de bonne foi ce qui du reste est fréquent avec leur incroyable ignorance des choses de Dieu. Mais même avec la bonne foi, on retiendra qu'après une vie tout entière passée dans l'oubli de Dieu, une absolution nulle est un mauvais passeport pour le ciel.
Paraissez maintenant, justes de la terre, petit troupeau demeuré fidèle, femmes pieuses, religieuses ferventes, ministres des autels. Sans doute voilà les prédestinés. Hélas ! Là encore il y a des âmes pour l'enfer. Que dis-je ? Si j'en crois les saints docteurs, la plus grande part serait encore pour l'enfer : capita sacerdotum pavimenta inferorum. Qui a prononcé ce blasphème ? C'est saint Jean Chrysostome, un de ceux qui ont le mieux connu le prêtre et ses misères. Hélas, hélas ! Qui nous dira les illusions des âmes pieuses, les mystères des fausses consciences, les aveuglements volontaires, les replâtrages et les puanteurs des sépulcres blanchis. Optimi pessima corruptio. Qui nous dira la profondeur de corruption où peut descendre une âme de choix quand, refusant de correspondre à la grâce, elle se met dans l'impossibilité de répondre à la sublimité de sa vocation. Le prêtre surtout, dès qu'il cesse d'être l'homme de Dieu devient presque infailliblement l'homme de Satan. Chez lui le péché mortel est presque inséparable du sacrilège de l'endurcissement. Voyez Judas. C'est l'histoire du mauvais prêtre. J'en appelle à saint Ligurie, à tous les confesseurs des retraites ecclésiastiques. Trouvent-ils exagérée la parole de saint Jean Chrysostome que je viens de rappeler ? Pour moi, en considérant non pas une époque mais toutes les époques de la vie de l'Eglise, non pas telle ou telle contrée mais toutes les contrées du monde catholique, j'en viens à me dire que ces paroles ne sont que l'expression juste d'une triste mais irréfragable vérité.
O Dieu, où sont vos élus ? Ah je comprends maintenant cette révélation de saint Bernard citée par le P. Lejeune. Ce saint ayant eu la révélation du sort éternel de toutes les âmes qui avaient comparu à deux jours différents devant le tribunal de Dieu remarqua avec horreur que sur ces quatre-vingt mille, trois seulement parmi les adultes furent sauvées le premier jour et deux le second jour. Et encore, de ces cinq âmes ainsi sauvées en deux jours, aucune n'alla au Ciel directement. Voilà pour le grand nombre des réprouvés.
Ceci bien établi, je dis en second lieu que parmi le petit nombre des élus, l'immense majorité descend en purgatoire en sorte que le grand nombre de ceux qui vont tout droit au Ciel est si petit qu'il ne compte vraiment pas. Voici ce qu'on lit dans la vie de sainte Thérèse (chap. XXXVIII) : "Je ferai observer que de tant d'âmes je n'en ai vu que trois aller directement au Ciel sans passer par le purgatoire : Celle du religieux dont je viens de parler, celle du vénérable Pierre d'Alcantara et celle de ce Père Dominicain plus haut mentionné" (il s'agit du Père Pierre Ybanez un de ses confesseurs). Quand on réfléchit au grand nombre de visions du purgatoire qu'elle eut dans sa vie et au grand nombre des saintes âmes qui vivaient alors dans l'Eglise, ce témoignage de sainte Thérèse est décisif et dispense d'en chercher d'autres. Il y a plus. Nous voyons que les saints canonisés eux-mêmes ne sont pas toujours exempts des peines du purgatoire. On lit dans saint Pierre Damien que saint Séverin, archevêque de Cologne, y demeura quelque temps malgré son zèle apostolique et ses admirables vertus.
L'histoire du diacre Paschase rapportée par saint Grégoire dans ses dialogues (livre IV chap XI) est aussi étonnante. Après sa mort, sa dalmatique placée sur son cercueil avait fait des miracles. Après cela, comment ne pas croire qu'il était déjà dans la gloire. Il n'en était rien cependant et il lui restait encore une longue expiation à faire comme il le déclara à saint Germain de Capoue. Après cet exemple, qui pourrait se flatter d'échapper au purgatoire ? Tout ceci est triste mais à quoi servirait de voiler la vérité si les jugements de Dieu sont si formidables ? Demandons donc avec crainte et humilité d'être du petit nombre des élus et, pour assurer notre salut, vivons dans la crainte comme ont vécu tous les saints en méditant ces paroles du Prophète-Roi : Domine confige timore tuo carnes meas.
 
Chapitre 2 : Où est le purgatoire ?
Au centre de la terre ; Près de l’enfer ; Exceptionnellement sur terre.
Voilà à grands traits l'histoire du culte des morts dans l'Eglise. On voit par là que les définitions du concile de Trente, la tradition et les révélations des saints concordent ensemble pour établir d'une manière irréfragable la foi au purgatoire. L'existence du purgatoire une fois bien établie une question fort intéressante se présente : Où est situé le purgatoire ? L'Eglise s'est bien gardée de rien définir à cet égard. Les théologiens abondent chacun dans leur sens. La question est parfaitement libre. J'essayerai donc à l'aide du raisonnement, appuyé sur les révélations des saints, d'établir ce qui me parait le plus probable. La tradition de tous les peuples, les enseignements des anciens docteurs, l'étymologie même du mot, placent l'enfer au centre de la terre. Sainte Françoise Romaine, dans ses révélations, nous apprend que le purgatoire est un simple département de l'enfer. Selon elle, l'enfer est divisé en quatre compartiments ou zones. Au centre même est le séjour des damnés ; puis en s’approchant de la surface du globe, on rencontre le purgatoire, le limbe des anciens patriarches, et enfin le limbe des petits enfants morts sans baptême. Tout ceci est parfaitement conforme au sentiment de saint Thomas d'après lequel le feu du purgatoire est le même que celui de l'enfer. D’où il s'ensuit que le purgatoire et l'enfer sont voisins. Ce sentiment s'accorde très bien avec les données de la science moderne sur le feu central.
Il faut admettre néanmoins qu'il y a des exceptions et que la justice de Dieu permet quelquefois que l'expiation d'une âme se fasse aux lieux mêmes ou elle a péché (Illust. miracula, lib. XXVIII, cap. XXXVI). D'autre fois, surtout pour ceux qui sont morts de mort violente, il parait que c'est au lieu même ou ils ont été tués que se fait l'expiation. Les légendes de tous les grands champs de bataille, de tous les endroits où le sang a coulé par le crime, nous parlent de voix plaintives entendues la nuit pour demander des prières. En faisant aussi large que l'on voudra la part de la superstition et de la frayeur, il me paraîtrait dur de rejeter en bloc tous les faits de ce genre que l'on rapporte d'autant plus qu'un bon nombre ont pour garants des auteurs sérieux. C'est ainsi que Trithème dans sa CHRONIQUE (année 8), raconte l'histoire de nombreux soldats apparaissant à des religieux sur le champ de bataille où ils étaient tombés pour réclamer des prières et dans un ouvrage plus récent la Vie du P. Joseph Anchieta surnommé, à cause de son zèle apostolique, l'apôtre du Brésil, on voit de malheureux assassinés se dresser sur le bord du lac ou leurs dépouilles avaient été jetées pour réclamer les prières du saint prêtre.
Faut-il en conclure qu'il n'y a pas de lieu spécial assigné à la purification des âmes ? Ce serait aller trop loin et généraliser des exceptions. Le très grand nombre des révélations qui concernent le purgatoire assigne aux âmes qui y sont condamnées un lieu spécial ou elles sont réunies pour souffrir et pour expier. Un très grand nombre d'autres révélations assignent à ce lieu les entrailles de la terre. L'Eglise semble insinuer cette opinion dans sa liturgie quand elle demande pour les défunts, que la miséricorde de Dieu les arrache des portes de l'enfer (A porta inferi erue, Domine, animas eorum) et quand elle leur fait pousser leurs gémissements des profondeurs de l'abîme De profundis clamavi ad te Domine.
Nous conclurons donc avec saint Thomas "que quant au lieu du purgatoire, il n'y a rien d'expressément déterminé dans l'Ecriture et l'on ne peut à ce sujet apporter de raisons décisives. Cependant, il est probable et tout à fait conforme au sentiment des saints et aux révélations faites à plusieurs que le lieu du purgatoire est double. Le premier et c'est la loi commune, est voisin de l'enfer en sorte que c'est le même feu qui tourmente les damnés dans l'enfer et qui purifie les justes dans le purgatoire. Le second lieu du purgatoire n'existe que par une sorte de dispense et c'est ainsi que nous lisons que des âmes ont été punies en différents lieux soit pour l'instruction des vivants soit pour le soulagement des morts qui sont mis ainsi en état de réclamer nos suffrages et de voir diminuer leurs peines " (IIIa parte, in suppl. De Purgat., art. 2.)
A Bruxelles, on voit se former une congrégation dont le but est de prier pour la délivrance des âmes du purgatoire car, disent les statuts de cette association, s’il y a dans l’Église des ordres religieux très saintement établis pour la rédemption des captifs, à combien plus forte raison doit-il y avoir des congrégations et des confréries qui s’emploient non pas à tirer des fers les corps des chrétiens mais à délivrer leurs âmes du purgatoire. Ces pieuses confréries se multiplient en France, en Espagne, par tout le monde chrétien et partout elles sont enrichies de privilèges et de nombreuses indulgences par les Evêques et les Souverains Pontifes. Notre dix-neuvième siècle qui a tant de misères morales et qui malgré cela ou peut-être à cause de cela restera le siècle des bonnes œuvres, n’a pas voulu demeurer en arrière de ces magnifiques mouvements. Jamais peut-être les personnes pieuses n’ont davantage prié pour les morts. La pratique du voeu héroïque en faveur des défunts, pratique qui n’existait guère qu’à l’état d’exception, s’est si bien généralisée qu’on a vu des communautés entières faire ainsi aux défunts l’abandon de tout le mérite, de leurs bonnes œuvres. En beaucoup d’endroits s’est établi l’usage de consacrer le mois de novembre tout entier au soulagement des âmes du purgatoire. Enfin, dans ces dernières années, un ordre religieux s’est formé dont le but est de procurer par la prière et le sacrifice le soulagement de ces pauvres âmes. On lira avec intérêt dans l’excellent petit livre du P. Blot intitulé les Auxiliatrices du purgatoire, l’histoire de cette nouvelle famille religieuse dont les débuts eurent l’honneur d’être inspirés, soutenus et bénis par le saint curé d’Ars fin 1840.
En voilà assez pour prouver que, si les impies cherchent à effacer parmi le souvenir des morts, si les indifférents les oublient facilement et ne s’occupent guère de prier pour eux, Dieu a voulu remédier à ce mal en suscitant des âmes généreuses qui ont adopté pour ainsi dire ces déshérités du purgatoire et qui ont entrepris de faire pour ceux que l’on oublie si vite ce que chaque famille faisait pour les siens aux âges de foi.
 
 
Chapitre 3 Les peines du purgatoire - Leur Rigueur 
Entrée de l'âme dans le purgatoire - Peines du purgatoire - Double peine, peine du dam, peine du sens - Rigueur des peines du purgatoire. - Exemples nombreux à ce sujet. - Châtiments des plus petites fautes - Nécessité de prier pour les plus saints.
Nous avons laissé l'âme au tribunal de Dieu, attendant avec anxiété sa sentence. Supposons qu'elle est condamnée au purgatoire. Voici ce qui va arriver aussitôt que le juge a parlé. L'âme est conduite au lieu qui lui est assigné pour son expiation. Sainte Catherine de Gênes, dans son admirable Traité du purgatoire, nous apprend que l'âme court s'y précipiter d'elle-même tant elle se fait horreur aux clarté de la sainteté infinie et tant elle a hâte de se purifier de ses souillures. Voici ses paroles[4][4]. " Comme l'esprit net et purifié ne trouve son repos qu'en Dieu pour lequel il a été crée, ainsi l'âme qui est en péché n'aura d'autre place que l'enfer. Dieu le lui assigne pour sa fin à l'instant de la séparation de l'esprit et du corps. L'âme qui a quitté son enveloppe en état de péché mortel se rend au lieu qui lui est destiné. Elle y est conduite par la nature même du péché et si dans ce moment elle ne trouvait pas cette disposition émanée de la justice de Dieu, elle demeurerait dans un enfer pire que celui qui existe car elle serait en dehors d'une ordonnance qui participe de la divine miséricorde et ou la souffrance est moindre que la peine méritée. "
"Il en est de même du purgatoire. L'âme séparée du corps n'étant pas nette, voit en elle un empêchement qui ne peut lui être ôté que par le moyen du purgatoire. Elle va volontairement s'y jeter. Si ce lieu préparé pour la délivrer de l'obstacle qui la sépare de Dieu n'existait pas, un enfer pire que le purgatoire s'engendrerait en elle au moment même car elle comprendrait que cet obstacle ne lui permettrait pas de s'approcher de son but et de sa fin"
"Je dirai plus encore de la part de Dieu. Le Paradis n'a point de portes mais quiconque veut y entrer entre car le Seigneur est tout miséricorde et il se tient vis-à-vis de nous les bras ouverts pour nous recevoir dans sa gloire"
"Mais je vois aussi que cette divine essence est d'une telle pureté que l'âme qui trouve en soi le moindre atome d'imperfection se précipiterait en mille enfers plutôt que de demeurer avec une tache en la présence de la Majesté infinie"
"Trouvant donc le purgatoire disposé pour lui enlever ses souillures, elle s'y élance et elle estime que c'est par l'effet d'une grande miséricorde qu'elle découvre un lieu ou elle peut se délivrer de l'empêchement qu'elle voit en elle"
Les révélations des saints confirment ces vues de sainte Catherine de Gênes sur la spontanéité avec laquelle l'âme se précipite au purgatoire pour y demeurer jusqu'à ce qu'elle ait expié toutes ses fautes. Voici ce que j'ai lu dans sainte Gertrude : Une jeune religieuse de son monastère qu'elle aimait singulièrement à cause de ses grandes vertus, était morte dans les plus beaux sentiments de piété. Pendant qu'elle recommandait ardemment cette chère âme à Dieu, elle fut ravie en extase. Elle aperçut la défunte devant le trône de Dieu environnée d'une brillante auréole et couverte de riches vêtements. Cependant, elle paraissait triste et préoccupée. Ses yeux étaient baissés comme si elle eut honte de paraître devant la face de Dieu. On eut dit qu'elle voulait se cacher et s'enfuir.
Gertrude toute surprise demanda au divin Epoux des vierges la cause de cette tristesse et de cet embarras extraordinaire : "Très doux Jésus, pourquoi dans votre bonté infinie n'invitez-vous pas votre épouse à s'approcher de vous et à entrer dans la joie de son Seigneur ? Pourquoi ne lui ouvrez-vous pas vos bras et la laissez-vous à l'écart triste et craintive ?"
Alors Notre Seigneur fit signe à cette bonne religieuse de s'approcher et il lui souriait avec amour mais elle, de plus en plus troublée, hésitait. Enfin, toute tremblante, elle fit une grande inclinaison et s'éloigna. Alors sainte Gertrude encore plus étonnée s'adresse directement à l'âme : "Eh bien ! Ma fille, le Sauveur vous appelle et vous vous éloignez. Vous avez désiré ce bonheur toute votre vie et maintenant que vous êtes appelée à en jouir vous n'avez plus que de la froideur, ne voyez-vous pas le bon Jésus qui vous attend ?" « Ah ma mère, répondit cette âme, je ne suis pas encore digne de paraître devant l'Agneau immaculé. Il me reste des souillures que j'ai contractées sur la terre pour s'approcher du soleil de justice. Il faut être plus pur que le rayon de la lumière. Je n'ai pas encore cette pureté parfaite qu'il aime à contempler dans ses saints. Sachez que lors même que la porte du Ciel me serait ouverte toute grande, quand il dépendrait de moi de m'y élancer d'un bond, je n'oserais le faire avant d'être entièrement purifiée des plus petites taches. Il me semble que le choeur des vierges qui suit l'Agneau en tous lieux me repousserait bien loin. "
"Eh quoi ! reprit la sainte abbesse, je vous vois pourtant environnée de lumière et de gloire !"
"Ce que vous voyez répondit l'âme, n'est que la frange du vêtement de l'immortalité. C'est bien autre chose quand on voit Dieu, qu'on vit en lui et qu'on le possède à jamais. Mais pour cela, il ne faut pas avoir une souillure. "
L'âme est donc portée d'elle-même à se plonger dans les flammes du purgatoire. Cependant d'après sainte Françoise Romaine et plusieurs autres saints, l'ange gardien est chargé d'introduire l'âme en ce lieu d'expiation. Ce qui du reste ne contredit nullement ce que je viens de dire. Sainte Anna-Marie Taigi vit ainsi l'âme d'un excellent prêtre conduite en purgatoire par son ange gardien. Il semble par là que le démon n'a pas de pouvoir sur ces saintes âmes qui ont triomphé de ses ruses et de ses assauts pendant la vie. Conduite par son ange gardien, cette âme prédestinée court au lieu des expiations et une place lui est assignée selon la nature de ses fautes. O Dieu, quelle terrible impression doit alors se faire dans cette âme. Il n'y a qu'un instant, alors qu'elle vivait encore dans la chair, elle reposait dans un bon lit et chacun de ceux qui l'assistaient s'ingéniait par tous les moyens possibles à adoucir les souffrances de son agonie. Maintenant la voici plongée dans les flammes, n'ayant pour couche que des brasiers ardents sans aucun soulagement sans aucune autre consolation que l'espérance de voir dans un temps bien éloigné peut-être finir ces indicibles tourments. Ah, si l'on pensait souvent à cette heure effroyable, on ne pécherait pas et l'on se consumerait en pénitences et en expiations pour effacer les derniers restes de ses souillures. Et pour ceux qui sont là auprès de ce cadavre, s'ils y pensaient, quelle prédication convaincante! Mais au lieu de cela, l'esprit de foi est si peu vivant dans les âmes qu'on éprouve d'ordinaire un sentiment de soulagement, en pensant que le pauvre malade en est quitte des souffrances de la vie.
On dit, je l'ai entendu bien des fois : « Il est bien heureux, il ne souffre plus ». Parole païenne, parole exécrable, que je n'ai jamais entendue sans frémir ! Il ne souffre plus ! Et qu'en savez-vous ? Avez-vous donc la certitude que cette âme était assez pure pour entrer de suite au Ciel ? Ah ! Chrétiens, en présence de ce cadavre qui ne souffre plus, c'est vrai, pensez donc à cette âme qui commence, à cette heure, à savoir ce que c'est que souffrir, car les souffrances de la maladie la plus aiguë ne sont rien, en comparaison des peines de l'autre vie. Pensez au purgatoire où cette âme fait son entrée à cette heure. Pensez à ces flammes dévorantes au milieu desquelles elle doit habiter désormais, et au lieu de prodiguer au défunt ces louanges banales, qui ne sauraient lui servir, tombez à genoux près de ce lit funèbre, et commencez par une prière fervente ce grand ministère de soulagement, que vous devez continuer, jusqu'au jour où vous pourrez penser qu'à force de prières, de bonnes œuvres et d'expiations de votre part, cette âme est enfin arrivée à la béatitude. Alors seulement vous pourrez vous reposer et dire : il est bien heureux, il ne souffre plus.
Les peines les plus intenses
En effet, d'après l'enseignement de tous les docteurs, les souffrances du purgatoire sont sans proportion aucune avec ce que l'on appelle de ce nom sur la terre. D'après saint Thomas, qui résume ici tout l'enseignement de l'école, les peines du purgatoire sont les mêmes que celles de l'enfer, à la durée près. Après les théologiens voulez-vous consulter les mystiques ? Voici ce que dit sainte Catherine de Gênes à ce sujet : "Les âmes éprouvent un tourment si extrême qu'aucune langue ne pourrait le raconter, ni aucun entendement en donner la moindre notion si Dieu ne le faisait connaître par grâce spéciale. " (Traité du purg., II.)
"Aucune langue ne saurait exprimer, aucun esprit ne saurait se faire une idée de ce qu'est le purgatoire. Quant à la grandeur de la peine, elle égale l'enfer. " (Même traité. VIII.)
Il y a dans le purgatoire comme dans l'enfer une double peine, la peine du dam qui consiste en la privation de Dieu, et la peine du sens.
La peine du dam est sans comparaison la plus grande. Elle est d'autant plus vive que ces âmes, étant dans l'amitié de Dieu, ressentent un besoin plus vif de s'unir à Lui. Voici la belle similitude qu'emploie à cette occasion sainte Catherine.
"Si dans le monde entier il n'y avait qu'un seul pain, dont la simple vue dût rassasier toutes les créatures, et si, d'autre part, l'homme ayant par nature, quand il est sain, l'instinct de manger, ne mangeait point, et que cependant il ne pût ni tomber malade ni mourir, sa faim croîtrait toujours, parce que jamais son instinct de manger ne diminuerait, et sachant que le pain en question le rassasierait, et sachant que le pain en question pourrait lui être ôté, il serait nécessairement dans une peine intolérable. Plus il approcherait de ce pain, sans le voir, plus aussi s'enflammerait en lui le désir naturel qui le pousserait constamment vers cet aliment, objet de toute son envie. Mais s'il était sûr de ne jamais voir ce pain, il aurait en ce point, un enfer accompli, comme les âmes damnées, lesquelles sont privées de l'espérance de voir jamais Dieu, notre Rédempteur, qui est le vrai pain. Les âmes du purgatoire, au contraire, ont l'espérance de voir le pain et de s'en rassasier complètement, mais elles souffrent une faim très cruelle, et sont dans une grande peine, tant qu'elles ne peuvent pas se nourrir de ce pain qui est Jésus-Christ, vrai Dieu Sauveur et notre amour"[5][5].
L'Eglise ne s'est pas prononcée sur la nature de la peine du sens. Au concile de Florence, la question fut longuement débattue entre les Grecs et les Latins, mais pour ne pas mettre obstacle à la réunion projetée des deux Eglises, on s'abstint de rien décider. Néanmoins tous les Théologiens enseignent que cette peine est celle du feu, comme pour les damnés. Il y aurait donc témérité à s'écarter de cette opinion, qui a pour elle toute l'école. D'après saint Grégoire le Grand, saint Augustin et saint Thomas, ce feu est substantiellement le même que celui de l'enfer. L'éternité seule fait la différence. Et maintenant que nous avons entendu les Théologiens, il faut en venir aux révélations des saints et descendre, à leur suite, dans ces sombres et brûlants cachots. C'est un triste spectacle, mais il est trop instructif pour que nous le laissions passer. Après tout, empruntant la pensée de saint Augustin au sujet de l'enfer, je dirai qu'il vaut encore mieux descendre par la pensée dans ces mystérieux abîmes pendant la vie, que de s'exposer à y descendre en réalité après la mort.
J'ai trouvé le fait suivant dans l'historien du Père Stanislas Chosca, Dominicain, et je le rapporte parce qu'il est bien propre à nous inspirer une juste terreur des rigueurs du purgatoire[6][6]. Un jour qu'il priait pour les défunts, une âme lui apparut toute dévorée de flammes. Le saint lui demanda si ce feu était plus pénétrant que celui d'ici-bas. "Ah ! s'écria cette âme, tous les feux de la terre comparés à celui du purgatoire sont comme un souffle rafraîchissant. "
- "Eh quoi ! Est-ce possible, reprit le religieux, je voudrais bien en faire l'épreuve, à condition que ce fût autant d'ôté à mon expiation future. "
- "Un homme mortel ne pourrait sans mourir aussitôt en supporter la moindre partie. Cependant pour te convaincre, étends la main. "
Stanislas, sans s'effrayer, lui tend la main, sur laquelle le défunt laisse tomber une goutte de sa sueur, ou au moins d'un liquide qui en avait l'apparence. A l'instant celui-ci pousse un cri perçant et tombe sans connaissance, tant la douleur est affreuse.
Les religieux de la maison accourent, on s'empresse autour de lui, on lui prodigue tous les soins que réclame son état. A la fin il revient à lui, et tout plein encore de terreur, il raconte l'effrayant événement dont il a été le témoin et la victime : "Ah ! disait-il avec une éloquence convaincue et convaincante, ah ! Mes Pères, si nous connaissions la rigueur des châtiments divins, jamais nous ne pécherions. Faisons pénitence pendant la vie, pour n'avoir pas à la faire dans l'autre, car ces expiations sont terribles. Combattons nos défauts pour nous en corriger, et surtout gardons-nous des petites fautes, car le Juge éternel en tient compte. La majesté divine est si sainte qu'elle ne souffre pas la moindre tache dans ses élus. Ils fuiraient d'eux-mêmes le séjour de la gloire immortelle, s'il leur était donné d'y pénétrer en cet état…"
Ayant ainsi parlé, il se mit au lit et vécut encore un an, dans des souffrances intolérables que lui causait l'ardeur de sa plaie. Avant d'expirer, il exhorta encore une fois ses frères à se souvenir des rigueurs de la justice divine, et il mourut dans la paix des enfants de Dieu.
L'historien, sur la foi duquel je rapporte cette histoire, dit que cet exemple terrible ranima la ferveur dans tous les Monastères, et que chaque religieux s'excitait à l'envie à servir Dieu avec ferveur, pour éviter ces supplices vraiment effroyables.
Un fait presque semblable arriva à la bienheureuse Catherine de Racconigi[7][7].
Un soir qu'elle était étendue dans son lit, avec une grosse fièvre, elle se mit à penser aux ardeurs du purgatoire. Bientôt, selon son habitude, elle s'éleva de la méditation à l'extase, et elle fut conduite par Notre Seigneur dans le purgatoire. Elle vit ces brasiers ardents, ces flammes dévorantes, au milieu desquelles sont retenues les âmes à qui il reste quelque expiation après la mort. Pendant qu'elle contemplait ce lamentable spectacle, elle entendit une voix qui lui dit : "Catherine, afin que tu puisses procurer avec plus de ferveur la délivrance de ces âmes, tu vas ressentir tout cela pour un moment". A l'instant une étincelle se détache et vient la frapper à la joue gauche. Ses compagnes qui se tenaient auprès d'elle pour la soigner, virent très bien cette étincelle, et elles virent en même temps avec terreur son visage enfler d'une manière prodigieuse. Il demeura plusieurs jours dans cet état, et la bienheureuse racontait à ses sœurs que les souffrances qu'elle avait endurées, et elle avait beaucoup souffert jusqu'à ce jour, n'étaient rien en comparaison de ce que cette simple étincelle lui faisait éprouver. Jusque-là, elle s'était occupée d'une manière toute spéciale de soulager les âmes du purgatoire, mais à partir de ce moment, elle redoubla de ferveur et d'austérités pour accélérer leur délivrance, car elle savait par expérience le grand besoin qu'elles ont d'être délivrées de leurs supplices.
Voici encore un trait que j'ai trouvé dans la vie de saint Nicolas Tolentino, et qui est bien intéressant pour le sujet que je traite dans ce chapitre[8]. Un samedi qu'il reposait pendant la nuit, il vit en songe une pauvre âme en peine, qui le suppliait de dire, le lendemain matin, la sainte messe pour elle, et pour plusieurs autres âmes qui souffraient de manière affreuse dans le purgatoire. Nicolas reconnaissait très bien la voix, bien qu'il ne pût se rappeler celui à qui elle appartenait. "Qui êtes-vous donc, demanda-t-il ?" - "Je suis, répondit l'âme, votre défunt ami, le frère Pellegrino d'Osimo. J'avais mérité, par mes fautes, les châtiments éternels de l'enfer. Je leur ai échappé par la miséricorde de Dieu, mais je n'ai pu éviter l'expiation douloureuse qui me reste à faire pour un long temps. Je viens, en mon nom et en celui d'âmes malheureuses, vous supplier de dire demain la sainte messe. Nous en attendons notre délivrance, ou au moins un grand soulagement. "
"Que le Seigneur, répondit le saint, vous applique lui-même les mérites de son sang, mais pour moi je ne puis vous secourir en vous disant demain cette messe de Requiem, car je suis l'officiant de semaine, et demain dimanche je ne puis célébrer au chœur la messe des défunts".
- "Ah ! venez au moins avec moi, s'écria le défunt, avec des gémissements et des larmes, je vous en conjure par l'amour de Dieu, venez contempler nos souffrances et vous ne me laisserez pas plus longtemps dans de pareilles angoisses.
Alors, il lui sembla qu'il était transporté dans le purgatoire. Il vit une plaine immense où une grande multitude d'âmes de tout âge, de toute condition, étaient livrées à des tortures diverses et épouvantables. Il faudrait la plume du change de l'enfer et du purgatoire pour redire les tourments indicibles de ces pauvres âmes, et encore l'imagination du Dante paraît pâle pour rendre de pareils tableaux. Je n'essayerai donc pas de le faire. Qu'il me suffise de dire que toutes ces pauvres âmes imploraient tristement le bienheureux Nicolas.
« Voilà, lui dit le frère Pellegrino, la situation de ceux qui m'ont envoyé vers vous. Or comme vous êtes agréable à Dieu, nous avons la confiance qu'il ne refuserait rien à l'oblation du saint sacrifice faite par vous, et nous sommes sûrs que la divine miséricorde nous délivrerait. »
A ce lamentable spectacle, le saint, dont la bonté était grande, ne pouvait retenir ses larmes : il se mit aussitôt en prière pour soulager tant le malheureux, et le lendemain matin, il alla trouver son prieur pour lui raconter ce qui s'était passé. Celui-ci, partageant son émotion, le dispensa, pour ce jour-là et pour toute la semaine, de sa fonction d'hebdomadaire, afin qu'il pût offrir le saint sacrifice, et se consacrer tout entier au soulagement de ces pauvres âmes. Le saint se rendit à la sacristie, et célébra avec une extraordinaire dévotion la messe demandée. Pendant toute la semaine, il continua d'offrir le saint sacrifice à cette intention, s'occupant en outre, jour et nuit, à toutes sortes de bonnes œuvres et de macérations. Il prolongeait ses oraisons, jeûnant au pain et à l'eau, se donnait de sanglantes disciplines, et portait autour des reins une chaîne de fer étroitement serrée. Plusieurs fois, pendant cette semaine, le démon essaya de le trouver dans ces saints exercices, mais il tint bon avec courage, et à la fin de la semaine, le frère Pellegrino lui apparut de nouveau, mais non plus livré à d'effroyables tortures. Il était revêtu d'une robe blanche, et tout environné d'une splendeur céleste dans laquelle se jouaient une quantité d'âmes bienheureuses. Toutes le saluèrent en l'appelant leur libérateur, et en s'élevant au ciel, elles chantaient le verset du psalmiste, (Salvasti nos de affligentibus nos, et odientes nos confudisti.) Vous nous avez délivrés de ceux qui nous……
Je terminerai ce que j'ai à dire des rigueurs du purgatoire par l'histoire suivante[9][9].
A Zamora, ville du royaume de Léon, en Espagne, vivait, dans un couvent de dominicains, un bon religieux qui s'était lié d'une étroite et sainte amitié avec un franciscain, comme lui, homme de grande vertu. Un jour qu'ils causaient entre eux des choses éternelles, ils se promirent mutuellement que le premier qui mourrait, apparaîtrait à l'autre, s'il plaisait à Dieu, pour l'instruire de son sort en l'autre monde. Ce fut le frère mineur qui mourut le premier. Il tint sa promesse, et un jour que le fils de saint Dominique préparait le réfectoire, il lui apparut. Après l'avoir salué avec affection, il dit à son ami qu'il était sauvé mais qu'il lui restait beaucoup à souffrir, pour une infinité de petites fautes dont il n'avait pas eu assez de repentir pendant sa vie. "Rien sur la terre ne peut donner, lui dit-il, une idée de ces tortures. En voulez-vous une preuve sensible ?" Il étendit la main droite sur la table du réfectoire. La marque s'y enfonça aussi profondément que si l'on y eût appliqué un fer rouge. On peut se faire une idée de l'émotion du dominicain. Cette table se conserva à Zamora jusqu'à la fin du siècle dernier. Depuis, les révolutions l'ont fait disparaître, comme tant d'autres souvenirs intéressants pour la piété.
Mais peut-être on dira que ces affreux supplices sont réservés aux grands pécheurs, à ceux qui ayant accumulé leurs dettes pendant la vie, ne se sont convertis qu'à la mort, et n'ont pas eu le temps de faire pénitence. Hélas, il faut encore perdre cette illusion. Ce sont des fautes relativement légères qui sont punies avec cette rigueur. On a pu voir dans les exemples cités plus haut qu'il ne s'agit pas de grands pécheurs, ce sont de bons religieux, de fervents chrétiens, qui subissent ces rudes expiations. Mais les faits que je vais rapporter, mettront encore mieux cette vérité dans son jour.
On lit dans la vie de la vénérable Agnès de Jésus, religieuse dominicaine, que pendant plus d'une année elle s'imposa de grandes pénitences et adressa à Dieu beaucoup de ferventes prières pour le repos de l'âme du père de son confesseur, le Père Panassière. Cet homme lui apparaissait souvent, sollicitant instamment ses suffrages. Un jour, il lui appliqua simplement la main sur l'épaule, et c'en fut assez pour qu'elle ressentît pendant plus de six heures les ardeurs intolérables du purgatoire. Il fut enfin délivré après treize mois de tortures. Sur quoi les auteurs des mémoires sur la vie de la Mère Agnès font remarquer la rigueur des jugements de Dieu : cet homme avait vécu saintement dans le siècle. C'était un confesseur de la foi, car il avait été rudement éprouvé par les protestants de Nîmes, jusque-là qu'on s'était emparé de ses biens, qu'on l'avait jeté en prison et vexé de toutes manières. Avant de mourir, il avait supporté avec patience une longue et douloureuse maladie, et nonobstant tant de mérites acquis, nonobstant les jeûnes, les prières, les disciplines de la charitable Agnès, nonobstant les messes nombreuses célébrées par le Père Panassière, son fils, il resta ainsi plus d'un an livré à d'effroyables tortures.
Voici un exemple plus remarquable encore. Pendant que cette même Mère Agnès était Prieure de son couvent, une de ses religieuses, nommée sœur Angélique, vint à mourir, et le lendemain, le confesseur de la communauté ordonna à la Mère d'aller prier sur son tombeau. Elle y fut aussitôt, et se trouvant là, seule, à genoux, pendant la nuit, elle fut saisie d'une frayeur subite.



C'était vraisemblablement l'ennemi des âmes qui voulait détourner la Prieure de son charitable office. Mais habituée depuis longtemps à ses ruses, elle tint ferme, et offrit à Dieu cet effroi comme expiation, lui représentant, en même temps, que ce n'était pas la curiosité mais l'obéissance qui la portait à s'enquérir de l'état de cette âme et que, puisqu'il lui avait plu de la faire bergère de cette pauvre brebis, il était naturel qu'elle s'en mît en peine après sa mort. A l'instant elle vit devant elle la défunte, en habit de religieuse, et elle sentit comme une flamme ardente qu'on lui portait au visage. Alors la sœur, avec une grande humilité, lui demanda pardon des peines qu'elle lui avait causées pendant la vie, et à la mort, la remerciant de l'assistance qu'elle avait bien voulu lui donner. La Mère Agnès, de son côté, lui demandait pardon, toute confuse, prétendant dans son humilité ne lui avoir pas rendu tous les offices auxquels elle était tenue, par sa charge de supérieure. Cependant la sœur Angélique la remerciait en particulier de ce que souvent, pendant sa vie, elle lui avait répété cette parole des saints livres : " Maudit soit celui qui fait l'œuvre de Dieu négligemment". Elle l'invitait en même temps à continuer de former les sœurs à servir Dieu avec diligence, et à l'aimer de tout leur cœur. "Si on pouvait comprendre, lui dit-elle, combien grands sont les tourments du purgatoire, on serait toujours sur ses gardes"[10][10].
On sait quelle était la ferveur des premières compagnes de sainte Thérèse, de ces âmes d'élite qu'elle s'était associées, pour la réforme du Carmel. Cependant, malgré leur sainteté, malgré leur héroïque pénitence, presque toutes passèrent par les supplices du purgatoire. Voici ce que la sainte raconte de l'une d'elle[11][11] : "Une religieuse de ce monastère, grande servante de Dieu, était décédée, il n'y avait pas encore deux jours. On célébrait l'office des morts pour elle dans le chœur, une sœur lisait une leçon et j'étais debout pour dire le verset. A la moitié de la leçon, je vis l'âme de cette religieuse sortir du fond de la terre et aller au Ciel. Dans ce même monastère venait de mourir à l'âge de dix-huit à vingt ans une autre religieuse, vrai modèle de ferveur, de régularité et de vertu. Sa vie n'avait été qu'un tissu de maladies et de souffrances patiemment endurées. Je ne doutais pas qu'après avoir ainsi vécu, elle n'eût plus de mérite qu'il ne lui en fallait pour être exempte du purgatoire. Cependant, tandis que j'étais à l'office, avant qu'on ne la portât en terre et environ quatre heures après sa mort, je vis son âme sortir également de terre et aller au Ciel".



Un lecteur dira peut-être, qu'après tout, voilà un purgatoire assez léger, et que ces deux saintes âmes s'en sont tirées à bon compte, mais qu'il réfléchisse d'une part à la sainteté de vie de ces premières Carmélites et de l'autre à l'atrocité des supplices du purgatoire, et il sera épouvanté des rigueurs de la justice divine. Hélas ! Si nous étions condamnés à mourir dans les flammes, et que la cruauté du bourreau pût nous y conserver la vie pendant deux jours, ou même pendant quatre heures, quels ne seraient pas nos cris et notre désespoir. Et qu'est-ce que le feu de la terre, en comparaison de celui de l'autre vie ? Un souffle rafraîchissant, lenis aura, dit la révélation faite au Père Stanislas Chocosa, dont j'ai parlé plus haut. J'insiste sur ce point parce que la sévérité de la justice de Dieu, s'exerçant ainsi sur les plus saintes âmes, est bien propre à faire réfléchir les pauvres pécheurs comme nous, qui, par nos fautes répétées, nous préparons, sans y penser, un effroyable purgatoire. C'est pourquoi avant de conclure, je veux encore citer deux ou trois faits à l'appui.
 
Une religieuse dominicaine[12][12], nommée sœur Paule était morte à Mantoue, après une longue vie sanctifiée par les plus excellentes vertus. Le corps avait été porté à l'église et placé à découvert dans le chœur, au milieu de religieuses. Or, pendant que l'on chantait le Libera pour l'absoute, selon les rites de la sainte Eglise, la bienheureuse Etiennette Quinzana, qui était liée d'une étroite amitié avec la défunte, s'agenouilla auprès de la bière, et se mit à recommander à Dieu son amie, avec toute la ferveur dont elle était capable. Mais voici que, tout à coup, la défunte laissant tomber le crucifix qu'on lui avait mis entre les mains, étendant la main gauche, et saisissant la main droite de la bienheureuse, la serre avec tant de force qu'on ne peut lui faire lâcher prise. Pendant plus d'une heure, ces deux mains restèrent étroitement serrées. En même temps, la sœur Etiennette entendait au fond de son cœur une parole non articulée qui disait : "Secourez-moi, ma sœur, secourez-moi dans les affreux supplices que j'endure. Oh ! si vous saviez la rage de nos ennemis invisibles à l'heure de la mort, et la sévérité du Juge qui veut notre amour, avec quel soin les moindres fautes sont discutées, et quelle expiation on est condamné à en faire avant d'arriver à la récompense ! Si vous saviez comme il faut être pur pour obtenir la couronne immortelle ! Priez bien pour moi maintenant. Placez-vous entre la justice de Dieu et les fautes de sa servante : priez, priez et faites pénitence pour moi qui ne peux plus m'aider". Toute la communauté voyait avec stupéfaction cette étreinte des deux mains, bien que personne n'entendit les plaintes de la défunte. Enfin le supérieur intervient et, au nom de l'obéissance, commanda à sœur Paule de lâcher Etiennette. Aussitôt la morte obéit, et sa main retomba inanimée dans son cercueil. L'histoire de la bienheureuse rapporte qu'elle fut fidèle à la prière de son amie. Elle se livra à toutes sortes de pénitences, d'œuvres satisfactoires, jusqu'à ce qu'une nouvelle révélation vînt lui apprendre que sœur Paule était enfin délivrée de ses supplices et admise dans la gloire.
Je voudrais que les âmes pieuses se pénétrassent parfaitement de ces exemples et en profitassent pour s'amender. Les petites imperfections, ces fautes de chaque jour qu'elles portent chaque semaine au saint tribunal, sans en avoir, hélas ! bien souvent, une contrition suffisante, trouvent là une expiation rigoureuse. C'est ce que l'on verra dans l'histoire suivante[13][13].
Cornélie Lamprognana était une sainte femme qui vécut à Milan, à l'imitation de sainte Françoise Romaine, dans la profession parfaite des trois états de vierge, d'épouse et de veuve. Elle était très étroitement unie par une amitié surnaturelle, avec une religieuse du tiers ordre de saint Dominique. Un jour qu'elles s'entretenaient ensemble des choses de l'autre vie, elles se promirent que, si Dieu l'agréait, la première qui mourrait apparaîtrait à l'autre. Cinq ans après cette promesse, Cornélie fut appelée au tribunal de Dieu, et au bout de trois jours, elle apparut à sa compagne agenouillée dans sa cellule au pied d'un crucifix. - "O Madame Cornélie, que je suis heureuse de vous revoir ! Dites-moi bien vite où vous êtes placée ? Sans doute vous êtes déjà dans le sein de ce Dieu que vous serviez avec tant de zèle et d'amour ?" - "Pas encore, répondit l'âme. Oh ! Combien les jugements de Dieu sont différents de ceux des hommes ! Je suis retenue dans le lieu de souffrances, et j'y dois rester encore quelque temps, en expiation des fautes de ma vie, qui aurait pu être plus fidèle et plus fervente". Puis prenant son amie par la main, elle ajouta : "Venez avec moi. Vous verrez des choses surprenantes". Elles arrivèrent dans un vaste jardin tout rempli de vignes en fleurs. Des caractères étaient gravés sur chaque feuille. "Lisez, dit l'apparition". La sœur se pencha et à sa grande surprise, elle lut sur ces feuilles ses propres fautes, ces imperfections de chaque jour. Stupéfaite, elle demandait ce que cela signifiait. "Il n'y a point, ma sœur, à vous étonner ainsi, reprit la défunte. N'avez-vous pas lu bien des fois les paroles de Notre Seigneur à la Cène : Je suis le cep et vous êtes les branches ? Chacune de nos actions bonnes ou mauvaises est une feuille de cette vigne mystique. Pour entrer au ciel, il faut de toute nécessité que les feuilles du mal soient effacées ou consumées par le feu : mais, ma chère sœur, consolez-vous. En y regardant de près, vous verrez qu'il vous reste peu à effacer, car vous avez fidèlement persévéré dans vos promesses virginales, et vous avez servi votre bon Maître de votre mieux : vos manquements sont encore nombreux cependant, mais pas autant que les miens, parce que j'ai parcouru sur la terre des états bien différents : vous allez vous en convaincre de suite". Elles firent quelques pas en avant, et se trouvèrent de nouveau dans un endroit rempli de vignes qui serpentaient de toutes parts, en sorte que les feuilles couvraient le sol. La sœur s'approchait avec empressement pour voir ce qui était écrit sur ces feuilles. "Arrêtez, lui dit son amie, mon divin Sauveur ne veut pas que vous connaissiez à cette heure toutes mes offenses. Il m'épargne cette confusion. Lisez seulement ce qui est tout de près de vous". Elle regarde, et voit les manquements dans le saint lieu, les irrévérences, les distractions, les discours inutiles tenus à l'église. - "O bon Jésus, s'écria la religieuse, comment faire pour anéantir tout cela ? Pourquoi, après vos communions, vos confessions si fréquentes, les indulgences que vous avez dû gagner, vous reste-t-il encore à expier tant de fautes, " - "Votre réflexion est juste, mais il faut savoir que, par tiédeur et par routine, je n'ai pas tiré tout le fruit que je devais de mes communions et de mes confessions : quant aux indulgences, j'en ai gagné très peu, trois ou quatre au plus, par suite de mes distractions habituelles et de mes manques de ferveur. Il faut donc que je fasse maintenant la pénitence que je n'ai pas faite alors que cela m'était si facile. "
Voici un second fait à peu près semblable[14][14].






Deux saintes vierges, la vénérable Catherine Paluzzi, fondatrice d'un couvent de dominicaine dans le diocèse de Nerpi (Etats Romains), et une religieuse nommée Bernardin, très avancée, elle aussi, dans les voies intérieures, étaient liées l'une à l'autre d'une de ces amitiés surnaturelles qui prennent racine au fond des âmes chrétiennes, et qui, dans les desseins de Dieu, servent si merveilleusement à faire progresser dans la piété ceux qui sont appelés. L'historien de la vénérable compare ces deux belles âmes à deux charbons enflammés qui se communiquent leurs ardeurs, et encore à deux lyres accordées pour résonner ensemble et faire entendre un hymne d'amour perpétuel en l'honneur du Seigneur. Ainsi ces deux excellentes religieuses s'excitaient l'une l'autre à servir leur divin Epoux, et, comme ces amitiés toutes célestes ne sauraient être brisées par la mort, elles s'étaient promis de diminuer à s'aimer et à s'assister mutuellement après la vie, ajoutant qu'avec la permission de Dieu, celle qui serait entrée la première dans son éternité apparaîtrait à l'autre, pour lui faire connaître son sort et l'instruire des mystères d'outre-tombe. Ce fut Bernardine qui fut appelée devant Dieu la première. Après une douloureuse maladie, chrétiennement supportée, elle mourut, en promettant à Catherine de venir l'instruire de ce qu'elle serait devenue après son jugement. Les mois se passèrent, les semaines s'accumulèrent, rien n'annonçait que la défunte se souvint de sa promesse. Cependant Catherine redoublait de prières, conjurant nuit et jour Notre Seigneur d'avoir pitié de son amie, et de lui permettre de venir la visiter, comme Bernardin le lui demandait sans doute, car elle était trop fidèle pour oublier sa promesse. Un an s'écoula ainsi. Le jour anniversaire de la mort de Bernardin, Catherine était recueillie dans l'oraison, lorsqu'elle aperçut un puits, d'où s'échappaient des torrents de fumée et de flammes, puis elle vit sortir de ce puits une personne d'abord tout environnée de ténèbres : peu à peu l'apparition se dégagea de ces nuages, s'éclaira, et enfin parut brillante d'un éclat extraordinaire. Dans cette personne, Catherine reconnut alors son amie, et courant à elle : - "Comment êtes-vous restée si longtemps sans m'apparaître, lui demanda-t-elle ? D'où sortez-vous ? Que signifie ce puits, cette fumée enflammée ? Est-ce que vous achevez seulement aujourd'hui votre purgatoire ?" - "Il est vrai : depuis un an, je suis retenue dans le lieu des expiations. Répondit l'âme, et ce n'est qu'à cette heure que je vais être introduite dans la céleste Jérusalem. Pour vous, persévérez dans vos saints exercices, et sachez que vous êtes très agréable à Dieu, et qu'il a sur vous de grands desseins".
Mais voici qui est plus extraordinaire encore, et si je n'avais comme garant de ce fait l'autorité du savant cardinal Jacques de Vitry, qui le rapporte sur la foi de la vénérable Marie d'Oignies, je ne voudrais pas y ajouter foi, tant il s'écarte de nos idées habituelles. Les grâces les plus merveilleuses, les faveurs les plus insignes accordées à une sainte âme, pendant la vie et à l'heure de la mort, ne la garantissent pas toujours des flammes du purgatoire. Voici ce fait[15][15].
L'an 800 de Notre Seigneur vivait, dans un village de la province de Liège, une sainte veuve très aimée de la vénérable Marie d'Oignies. Cette femme tomba malade et fut bientôt à la mort. La vénérable accourut à son chevet pour l'assister et l'encourager à bien mourir. O prodige ! En entrant dans la chambre de la malade, elle aperçut la Mère de Dieu, assise à côté du lit, et prodiguant à la mourante les soins les plus empressés, jusque-là qu'avec un éventail elle rafraîchissait son front embrasé des ardeurs de la fièvre. Les démons se tenaient à la porte, armés de tous leurs pièges pour assaillir cette âme d'élite, et tâcher de la faire tomber. Mais l'apôtre saint Pierre les mit tous en fuite, et la malade mourut dans le baiser du Seigneur. Après sa mort, les merveilles continuèrent. Pendant la cérémonie des funérailles, la vénérable Marie d'Oignies vit la très sainte Vierge, accompagnée d'une troupe de vierges qui, partagées en deux chœurs, chantaient l'office des défunts auprès du saint corps. Elle vit Notre Seigneur lui-même présider à la cérémonie des funérailles et faire officiant à la place du prêtre. Qui n'aurait cru après cela qu'une âme ainsi favorisée était déjà entrée dans la béatitude ? Mais, ô jugements de Dieu, que vous êtes redoutables ! La vénérable s'étant retirée dans son oratoire, après ces glorieuses funérailles, pour remercier Dieu des grâces qu'il avait accordées à sa servante, fut ravie en extase. Elle vit l'âme de la pieuse veuve portée en purgatoire, et condamnée à de dures expiations, pour être purifiée de plusieurs imperfections. Epouvantée, elle se hâta d'avertir les deux filles de la défunte, vierges pleines de vertus. Toutes trois s'unirent pour satisfaire à la justice divine par de ferventes prières, des aumônes, des jeûnes et de grandes mortifications. Ce ne fut qu'au bout d'un temps assez long que cette sainte âme apparut de nouveau à Marie d'Oignies, et lui apprit qu'elle était enfin délivrée de ses souffrances, et qu'elle allait entrer dans les joies de la Béatitude sans fin. Après cet exemple qui ne tremblerait pour lui-même ?
Ce serait donc bien mal raisonner que de ne pas prier pour un défunt, à cause du renom de sainteté dans lequel il a vécu et il est mort. Oh ! Combien déplorent amèrement, dans le purgatoire, ces jugements trop favorables que l'on fait de leur sort, et ce renom de sainteté qui glace la prière sur les lèvres de leurs amis. Nous avons vu que saint Augustin avait une bien autre idée de la rigueur des jugements divins, puisqu'au bout de vingt ans, il priait tous les jours et suppliait ses lecteurs de prier pour le repos de l'âme de sa sainte mère Monique. Le fait suivant montrera quel tort on fait souvent aux pauvres défunts, en les canonisant trop vite[16][16].
Dans le couvent des frères Mineurs de Paris, mourut un saint religieux, que sa piété éminente avait fait surnommer angélique. Un de ses confrères, docteur en théologie, très versé dans la spiritualité, omit de célébrer les trois messes d'obligation que l'on doit dire pour chacun des frères défunts. Il lui semblait que c'était faire injure à la miséricorde et à la justice de Dieu que de prier pour un religieux si saint, qui devait être, pensait-il, au plus haut degré dans la gloire. Mais voilà qu'au bout de quelques jours, comme il se promenait en méditant dans une allée du jardin, le défunt se présente à lui tout environné de flammes, et lui crie d'une voix lamentable : "Cher maître, je vous en conjure, ayez pitié de moi. " - "Eh quoi ! Ame sainte, quel besoin avez-vous de mon secours ?" - "Je suis retenu dans les feux du purgatoire, dans l'attente de trois messes que vous deviez célébrer pour moi. Si vous vous étiez acquitté de cette obligation, je serais déjà dans la Jérusalem céleste". "Je l'aurais fait avec bonheur, si j'avais pu penser que vous en eussiez besoin. Mais en songeant à la vie sainte que vous meniez parmi nous, je m'imaginais que vous étiez déjà en possession de la couronne de vie. N'étiez-vous pas le premier et le plus édifiant au chœur, au chapitre, à l'oraison ? Y avait-il un seul point de la règle auquel vous ne fussiez pas scrupuleusement fidèle ? Chacun vous admirait et vous prenait pour modèle, estimant que s'il pouvait vous imiter, il arriverait d'emblée à la perfection de la vie religieuse. Mais en outre de vos obligations, ne vous imposiez-vous pas des prières, des pénitences sans nombre qui faisaient de votre vie un acte de vertu continuel ? Non, je n'aurais pu m'imaginer qu'il y eût encore à s'inquiéter de vous". - "Hélas, hélas, reprit le défunt, personne ne croit, personne ne comprend avec quelle sévérité Dieu juge et punit sa créature. Son infinie sainteté découvre dans nos meilleures actions des côtés défectueux, par où elles lui déplaisent. Les cieux mêmes ne sont pas exempts d'imperfections devant lui. Comment l'homme le serait-il ? Il faut lui rendre compte jusqu'au dernier denier, (usque ad novissimum quadrantem). Au reste cette justice rigoureuse n'est encore que de la miséricorde, puisqu'elle nous assure la possession de cette éternité de délices, qu'on ne saurait acheter au prix de trop de sacrifices et de trop de souffrances. Nous ne nous plaignons que de nous-mêmes dans le purgatoire. Si avec toute votre science, vous aviez mieux compris la sainteté infinie de Dieu, vous ne m'auriez pas traité avec tant de rigueur". Le bon religieux se mit aussitôt en devoir de célébrer les trois messes demandées, et le troisième jour, cette âme bienheureuse lui apparut pour le remercier. L'épreuve était finie, la récompense allait commencer.
La conclusion, de tout ceci c'est qu'on ne pense pas assez à la rigueur des supplices du purgatoire, et à la sainteté infinie de Celui qui ne peut souffrir aucune tache dans ses saints. Si l'on y pensait davantage, si l'on méditait plus souvent ces deux vérités, on éviterait plus soigneusement les fautes les plus légères, et on prierait avec plus de ferveur pour les pauvres suppliciés, qu'il nous serait si facile de secourir.
Chapitre 4  Des peines particulières de chaque péché
Des peines particulières à chaque péché - Vue d'ensemble du purgatoire d'après sainte Madeleine de Pazzi. - Que les peines sont ordinairement conformes aux péchés commis.  - Châtiments symboliques. - Des peines particulières à chaque péché. - Du péché de vanité - Du scandale. - Des paroles légères. - Du mensonge. - De la violation des voeux. - De la vie mondaine. - Des scrupules. - De la tiédeur. - De ceux qui remettent leur conversion à la mort. - Des fautes contre la justice et contre la charité. - Conclusion.
Si maintenant, de ces considérations générales sur les rigueurs des peines du purgatoire, nous voulons descendre dans le détail des peines propres à chaque péché, il nous faut étudier les révélations de sainte Madeleine de Pazzi, qui, de toutes les saintes canonisées, est certainement, avec sainte Françoise Romaine, celle qui a laissé la description la plus détaillée, et pour ainsi dire la topographie la plus exacte du purgatoire.
Un soir qu'elle se promenait avec quelques soeurs dans le jardin du monastère, elle fut tout à coup saisie par l'extase, accident fort ordinaire du reste dans sa vie, et on l'entendit s'écrier à deux reprises : « Oui, j'en ferai le tour. Oui j'en ferai le tour. » C'était son ange qui l'invitait à visiter le purgatoire, et ces paroles marquaient son acquiescement. Ses soeurs la virent avec une admiration mêlée de terreur, entreprendre ce douloureux voyage, et au sortir de l'extase, elle rendit compte de ce qu'elle y avait vu.
Elle se mit à circuler autour du jardin du monastère qui était fort grand, considérant avec attention ce qu'on lui montrait. Sa marche extatique dura deux heures. On la voyait se tordre les mains de commisération, son vissage était devenu très pâle. Elle avançait le corps courbé vers la terre, et comme écrasée sous le poids d'un fardeau trop lourd pour ses forces. Enfin elle donnait de si grands signes d'horreur que son seul aspect imprimait la crainte. Ses soeurs la suivaient, recueillant avec une pieuse avidité les exclamations que lui arrachaient la terreur ou la pitié. D'abord on l'entendit soupirer douloureusement, et s'écrier : " O compassion ! ô compassion ! miséricorde, mon Dieu, miséricorde ! ô sang précieux de mon Sauveur, descendez et délivrez ces âmes de leurs peines ? Pauvres âmes, vous souffrez bien cruellement, et cependant, vous êtes contentes et joyeuses. Les cachots des martyrs, en comparaison de ceux-ci, étaient des jardins délicieux. Cependant il en est de plus profonds encore. Que je m'estimerais heureuse si on ne m'y faisait descendre ! " Cependant il fallut obéir et descendre en ces abîmes. Après avoir fait quelques pas, elle s'arrêta épouvantée, et poussant un grand cri, elle dit : -» Eh quoi ! des prêtres, des religieuses dans ces tristes lieux ! Bon Dieu ! comme ils sont tourmentés ! Ah ! Seigneur ! " Elle se tut. Mais l'horreur et le tremblement qui agitait ses membres faisaient connaître l'intensité des souffrances qu'elle avait sous les yeux.
Au sortir du cachot des prêtres, elle passa en des lieux moins lugubres. C'était le cachot des âmes simples, des enfants, de tous ceux dont l'ignorance atténue beaucoup les fautes. Il n'y avait là que de la glace et du feu, et les âmes passaient alternativement de l'un à l'autre. Nous trouvons ce même détail, exprimé absolument de la même manière dans le purgatoire de sainte Françoise Romaine, et cette concordance m'a frappé. C'est en cet endroit que sainte Madeleine reconnut l'âme de son frère, qui était mort quelques temps auparavant, et on l'entendit lui dire : -» pauvre âme, comme vous souffrez, et cependant vous vous réjouissez. vous brûlez et vous êtes contente, c'est que vous savez bien que les peines doivent vous conduire à une inénarrable félicité. Que je me trouvais heureuse, si je ne devais jamais souffrir davantage ! Demeurez ici, mon frère, et achevez en paix votre purification. "
Elle fit quelques pas, et donna aussitôt à entendre qu'elle voyait des âmes bien plus malheureuses. On l'entendit s'écrier : -» Oh ! que ce lieu est horrible ! il est plein de démons hideux et d'incroyables tourments. quels sont donc, ô mon Dieu, les malheureux si cruellement torturés ! hélas ! on les perce avec des glaives aigus ! on les découpe en morceaux ? " Il lui fut répondu que c'étaient des âmes qui avaient cherché à plaire aux hommes et dont la conduite n'avait pas été exempte d'hypocrisie.
En avançant encore d'un pas, elle aperçut des âmes en grand nombre, foulées et comme écrasées sous un pressoir. Elle comprit par révélation que c'étaient des âmes qui pendant leur vie s'étaient laissé aller à l'impatience et à la désobéissance. En les contemplant, elle faisait des gestes très variés. Tantôt elle courbait la tête jusqu'à terre. Tantôt elle fixait des regards terrifiés sur quelque point, d'autres fois elle levait en soupirant les épaules, d'un air de compassion profonde.
Au bout d'un moment, elle parut plus consternée encore, et poussa un cri d'épouvante. Le cachot du mensonge venait de s'ouvrir à ses regards. Après l'avoir contemplé attentivement, elle dit d'une voix très haute : -» Les menteurs sont placés dans un lieu voisin de l'enfer, et leurs peines sont très grandes. On leur verse du plomb fondu dans la bouche, et ils sont plongés dans un étang glacé. En sorte qu'on les voit brûler et trembler de froid en même temps. " Elle arriva ensuite à la prison où sont renfermés ceux qui ont péché par faiblesse. Et on l'entendit s'écrier : -» Hélas ! Je vous croyais avec les âmes qui ont péché par ignorance, mais je me trompais, et vous brûlez dans un feu bien plus ardent. " Un peu plus loin, elle reconnu les avares, et dit : " ceux qui autrefois ne pouvaient se rassasier de richesses sont ici rassasiés de tourments. Ils se liquéfient comme le plomb dans la fournaise. " Elle passa de là dans le lieu où sont retenus ceux qui sont redevables à la justice divine, par suite des péchés d’impureté pardonnés, mais non suffisamment expiés pendant leur vie. Leur cachot était si sale et si infect que sa vue seulement soulevait le coeur. La soeur passa alors sans rien dire, mais à la fin de son douloureux pèlerinage, on l’entendit qui parlait ainsi au Seigneur Jésus : -» Apprenez-moi, Seigneur, quel a été votre dessein en me découvrant ce soir ces peines terribles, que je connaissais si peu, et que je comprenais moins encore ? Est-ce de satisfaire le désir que j’avais de savoir où est l’âme de mon frère ? Est-ce de m’engager à prier pour ces âmes souffrantes, avec plus de ferveur que je ne l’ai fais jusqu’à ce jour ? Non, je le comprends à cette heure, vous avez voulu que je connusse mieux votre délicate pureté, et que je haïsse davantage ce monstre qui causait tant d’horreur à votre chaste épouse Catherine de Sienne, le péché contraire à la sainte vertu. "
Du cachot des impudiques, elle passa à celui des ambitieux et des superbes. Ils souffraient effroyablement, au milieu d’épaisses ténèbres : -« Voilà, dit-elle, ceux qui voulaient paraître avec éclat parmi leurs semblables. Maintenant ils sont condamnés à souffrir en cette affreuse obscurité !" On lui fit voir ensuite les âmes ingrates envers Dieu, les coeurs durs et sans reconnaissance qui n’avaient jamais su ce que c’est que d’aimer leur Créateur, leur Rédempteur et leur Père. Elles étaient comme noyées dans un lac de plomb fondu, pour avoir desséché par leur ingratitude les sources de la grâce. Enfin, dans un dernier cachot, on lui montra les âmes qui n’avaient aucun vice particulier, mais qui participaient de tous par beaucoup de fautes de détail, et elle remarqua qu’elles avaient part aux châtiments de tous les vices, mais dans un degré mitigé, parce que les fautes commises en passant sont beaucoup moins graves que les péchés d’habitude. Il y avait plus de deux heures que durait ce pèlerinage extatique, lorsque la sainte revint à elle, mais dans un tel état de fatigue et de prostration morale qu’elle fut plusieurs jours à se remettre du terrible spectacle qu’elle avait eu sous les yeux. On trouvera tous les détails, et d’autres que j’ai omis pour abréger, dans la vie de sainte Madeleine de Pazzi, écrite par son confesseur, le P. Cépari de la Compagnie de Jésus. Impossible de rien lire de plus sûr comme authenticité et comme véracité. Du reste, on retrouve la même précision de détails, chez tous les saints personnages qui ont été spécialement en rapport avec les âmes souffrantes.
La vie de la vénérable Mère François du saint-Sacrement est particulièrement instructive à cet égard[17][17]. Elle avait les communications les plus intimes avec les âmes du purgatoire, jusque-là qu’elles remplissaient sa cellule, attendant humblement, chacune à son tour, que la pieuse religieuse intercédât pour elles, et pour exciter sa compassion, elles lui apparaissaient d’ordinaire avec les instruments de leurs péchés, devenus dans l’autre vie des instruments de tortures. Les évêques se faisaient voir à elle, une mitre de feu sur la tête, une crosse brûlante à la main, revêtus d’une chasuble de flammes. Ils s’accusaient d’être ainsi punis pour avoir recherché ambitieusement les dignités, ou pour n’avoir pas bien remplis les nombreux devoirs attachés à leur charge. D’autres fois, c’étaient les prêtres, avec leurs ornements en feu, l’étole transformée en chaînes brûlantes, les mains couvertes d’ulcères hideux. Ils étaient ainsi punis pour avoir traité sans respect les divins mystères. Elle vit un jour un religieux, entouré d’objets précieux, d’écrins, de fauteuils, de tableaux embrasés. Contre son voeu de pauvreté, il avait amassé ces futilités dans sa cellule : après sa mort, ces objets faisaient son tourment. Un notaire lui apparut avec tous les insignes de sa profession qui, accumulés autour de lui, le faisaient souffrir horriblement : - J’ai employé cette plume, cette encre, ce papier, lui dit-il, à des actes illicites. J’avais aussi la passion du jeu, et ces cartes brûlantes que je suis forcé de tenir continuellement en main font mon châtiment. Cette bourse embrasée contient mes gains illicites et me les fait expier. C’est ainsi que, par la permission de Dieu, ce qui en ce monde a servi d’instrument au péché, fait notre expiation en l’autre.
Il arrive aussi quelquefois que la peine d’un péché, au lieu de se faire au moyen de l’instrument même de la faute, s’accomplit par un châtiment symbolique, qui le rappelle d’une manière frappante à l’esprit. Un jeune homme recherchait en mariage une jeune fille de Rome, qui, d’après les conseils de P. Zucchi, son confesseur, avait voué sa virginité au Seigneur. Et il osait la poursuivre de ses sollicitations jusque dans le saint asile où elle avait abrité son innocence. Un jour, le P. Zucchi le rencontrant dans les rues de Rome, lui avait reproché avec une vigueur toute apostolique, l’indignité de sa conduite, le menaçant de la rigueur des châtiments divins, mais sans le convertir. Quinze jours après, le cavalier mourut. Et à peu de temps de là, la jeune novice se sentit tirer par derrière, et elle entendit une voix lui dire : - " Venez tout de suite au parloir. " Elle y va et trouve un homme qui se promenait à grands pas : " Qui êtes vous ? demanda-t-elle sans se troubler, que venez-vous faire à cette heure ? L’étranger s’approche, entrouvre son manteau, et elle reconnaît son ancien amant, attaché par des chaînes de feu au cou, aux poignets, aux genoux et aux pieds : châtiment bien dû à celui qui avait voulu enchaîner dans les liens une épouse de Jésus-Christ. Il ne dit qu’un seul mot : " Priez pour moi, " et disparut[18][18].
Mais il faut descendre encore plus dans le détail, et non content de cette vue d’ensemble des différents supplices du purgatoire, il faut voir maintenant, dans les révélations des saints, les peines particulières imposées par la justice divine aux fautes que la sainteté infinie a plus spécialement en aversion. Il y a là, je l’espère, des leçons utiles pour toutes les âmes, et que je ne veux pas négliger. Parmi les péchés que Dieu punit d’une manière plus rigoureuse, il faut placer la vanité ! J’en citerai deux exemples, empruntés, le premier aux révélations si précieuses de sainte Brigitte, et le second à la vie de la Bse Marie Villani. Puissent-ils faire réfléchir tant de jeunes personnes frivoles qui consument leur temps en parures, s’exposant au danger de perdre leur âme, et se préparant des supplices effroyables dans l’autre vie. Dans une extase, pendant laquelle sainte Brigitte fut ravie dans le purgatoire, elle aperçut, parmi beaucoup d’autres, une jeune demoiselle de haute naissance, qui lui fit connaître combien elle souffrait, pour expier ses péchés de vanité : " Maintenant, disait-elle, en gémissant, cette tête qui se plaisait aux parures, et qui cherchait à attirer les regards, est dévorée de flammes à l’intérieur et à l’extérieur, et ces flammes à l’intérieur et à l’extérieur, et ces flammes sont si cuisantes qu’il me semble que je suis le point de mire de toutes les flèches décochées par la colère de Dieu. Ces épaules, ces bras, que j’aimais à découvrir sont cruellement étreints dans des chaînes de fer. Ces pieds, si légers à la danse sont entourés de vipères qui les mordent et les souillent des leur lave immonde. Tous ces membres que je chargeais de colliers, de bracelets, de fleurs, de joyaux, sont livrés à des tortures épouvantables, qui leur font éprouver à la fois la consomption du feu et les rigueurs de la glace. Ah ! ma mère, ajoutait la malheureuse condamnée, ma mère, que vous avez été coupable à mon endroit ! votre indulgence, pire que la haine, en m’abandonnant à mes goûts de parures et de vaines dépenses m’a bien été fatale. C’était vous qui me conduisiez aux spectacles, aux festins, aux bals, à toutes ces réunions mondaines qui sont la ruine des âmes. Il est vrai, disait à la sainte l’infortunée, que ma mère me conseillait de temps en temps quelques actes de vertu, et plusieurs dévotions utiles. Mais comme, d’autre part, elle consentait à mes égarements, ce bien se trouvait mêlé et comme perdu dans le mal qu’elle me permettait. Toutefois, je dois rendre grâce à l’infinie miséricorde de mon Sauveur, qui n’a pas permis ma damnation éternelle, que je méritais si bien par mes fautes. Avant de mourir, touchée de repentir, je me confessai, et quoique cette conversion, étant l’effet de la crainte, fût insuffisante, au moment d’entrer en agonie, je me souvins de la douloureuse passion du Sauveur, et j’arrivai ainsi à une vraie contrition. Ne pouvant déjà plus parler, je m’écriai de coeur : Seigneur Jésus, je crois que vous êtes mon Dieu. Ayez pitié de moi, ô fils de la Vierge Marie, au nom de vos douleurs sur le Calvaire. J’ai un vif regret de mes péchés et je souhaiterais les réparer, si j’avais le temps. En achevant ces mots, j’expirai. J’ai été ainsi délivrée de l’enfer, mais pour me voir précipiter dans les plus graves tourments du purgatoire. " L’historien de la sainte nous apprend que celle-ci, ayant raconté sa vision à une cousine de la défunte, qui s’abandonnait, elle aussi, à la mondanité, l’impression de ce récit sur elle fut telle qu’elle renonça à tous les vains ajustements, et se voua à la pénitence dans un ordre très austère[19][19].
L’autre exemple est non moins certain, puisqu’il est tiré de la vie de la bienheureuse Marie Villani, dont personne ne récusera, je l’espère, le témoignage[20][20]. Comme la bienheureuse priait un jour pour les âmes du purgatoire, elle fut conduite en esprit au lieu des expiations et parmi tous les malheureux qui y souffraient, elle vit une personne plus tourmentée que les autres, à cause des flammes horribles qui l’enveloppaient de la tête aux pieds. " Ame infortunée, s’écria-t-elle, pourquoi êtes- vous si cruellement traitée ? Est-ce que vous n’éprouvez jamais de soulagement au milieu de supplices si rigoureux ? " " Je suis ici, répond l’âme, depuis un temps bien long, effroyablement punie pour mes vanités passées et mon luxe scandaleux. Jusqu’à cette heure, je n’ai pas obtenu le moindre soulagement. Le Seigneur a permis dans sa justice que je fusse oubliée de mes parents, de mes enfants, de mes amis. Quand j’étais sur la terre livrée aux toilettes inutiles, aux pompes mondaines, aux fêtes et aux plaisirs, je pensais bien rarement à Dieu et à mes devoirs. Ma seule préoccupation sérieuse était d’accroître le renom et la richesse des miens. Vous voyez comme j’en suis punie, puisqu’ils ne m’accordent pas un souvenir. " Malheur, a dit le Fils de l’homme, malheur à celui par qui le scandale arrive. Si votre oeil vous scandalise, arrachez-le et jetez-le au feu. Il vaut mieux entrer dans la vie avec un oeil, ou un pied seulement, que s’exposer à descendre avec les deux, dans la géhenne. Si ces paroles n’étaient sorties des lèvres de la Vérité éternelle, on les taxerait certainement d’exagération. Voici un exemple qui montrera ce que la justice divine pense à cet égard, dans l’autre monde. Il s’agit de ces malheureuses peintures, que sous prétexte d’art, on trouve quelquefois chez les meilleurs chrétiens, et dont la vue a causé la perte de tant d’âmes. Un peintre de grand talent, d’une vie exemplaire d’ailleurs, avait cédé sur ce point à l’entraînement du mauvais exemple. Depuis, il avait complètement renoncé à ces malheureuses représentations, et ne faisait plus que des images de sainteté. En dernier lieu, il venait de peindre un grand tableau dans un couvent de Carmes déchaussés, quand il fut atteint d’une maladie mortelle. Il demanda au Père Prieur la faveur d’être enterré dans l’église du monastère, et légua à la Communauté le prix assez élevé de son travail, à la charge pour les religieux d’acquitter des messes pour lui. Il y avait quelques jours qu’il était mort dans la paix du Seigneur lorsqu’un religieux qui était resté au choeur après les matines, le vit apparaître tout éploré, et se débattant au milieu des flammes : " Eh quoi ! C’est vous qui êtes ainsi punis pour avoir vécu en si bon renom de vertu ? " -" Lorsque j’eus rendu l’âme, répondit le patient, je fus présenté au tribunal du Juge, et aussitôt je vis déposer contre moi plusieurs personnes qui avaient été excitées à de mauvaises pensées et à de mauvais désirs, par une peinture immodeste que j’ai faites autrefois. A cause de ces fautes, elles étaient condamnées au purgatoire, mais ce qui était bien pis, j’en vis d’autres sortir de l’enfer, pour déposer contre moi, à la même occasion. Elles déclaraient que, puisque j’étais la cause de leur perte éternelle, j’étais digne au moins de mêmes châtiments. Alors sont descendus du ciel plusieurs saints qui ont pris ma défense. Ils ont présenté au Juge que cette malheureuse peinture était une oeuvre de jeunesse, que j’avais expiée depuis lors par une foule d’autres travaux à la gloire de Dieu et de ses saints, ce qui avait été pour beaucoup d’âmes une source de grande édification. Le souverain Juge, après avoir pesé les raisons de part et d’autre déclara qu’à cause de mon repentir et de mes autres bonnes oeuvres, je serais exempt de la peine éternelle. Mais je suis condamné à souffrir dans ces flammes, jusqu’à ce que la maudite peinture soit brûlée de manière à ne plus scandaliser personne. Allez donc de ma part, chez le propriétaire du tableau, dites-lui en quel état je me trouve, pour avoir cédé à ses instances, et conjurez-le d’en faire le sacrifice. S’il refuse, malheur à lui ! En preuve que tout ceci n’est pas une illusion, et pour le punir lui-même de sa faute, sachez, mon père, qu’avant peu, il perdra ses deux enfants, et s’il refuse d’obéir aux ordres de celui qui nous a créés l’un et l’autre, il ne tardera pas à le payer d’une mort prématurée. " Le possesseur du tableau, en apprenant ces choses, le saisit et le jeta au feu : néanmoins selon la parole du Seigneur, il perdit en moins d’un mois ses deux enfants, et le reste de ses jours, il s’appliqua à faire pénitence de la faute qu’il avait commise tant en commandant qu’en conservant chez lui cette maudite peinture[21][21].
Bien qu’il ne s’agisse pas ici de révélation, accordée à un saint canonisé, j’ai cru pouvoir faire exception, à raison du caractère de véracité qu’on trouve dans tout ce récit. Chacun connaît la parole de saint Jacques : si quis non offendit in verbo, perfectus est vir. En effet pour suivre le texte de l’apôtre, la langue est un monde d’iniquité : sans parler des paroles de blasphèmes, des propos licencieux, des médisances et des calomnies, qui de nous n’a à se reprocher des milliers de paroles légères, de ces paroles au moins inutiles dont le divin Maître a déclaré qu’il demanderait compte le jour du jugement. L’exemple suivant est bien propre à faire réfléchir ces plaisants de profession qui tiennent le haut bout des conversations, et qui sont toujours prêts à faire rire les autres. Je le rapporte sur la foi de Vincent de Beauvais[22][22]. L'abbé Durand, d'abord prieur d’un monastère de Bénédictins, puis évêque de Toulouse, était un religieux d’une rare piété, d’une mortification singulière, et plein de zèle pour son avancement spirituel. Avec tout cela, il aimait un peu trop le mot pour rire, et ne veillait pas assez sur sa langue. Alors qu’il était simple religieux, Hugues, son abbé, lui avait fait des représentations à cet égard, lui prédisant même que s’il ne se corrigeait pas, il aurait certainement à souffrir dans le purgatoire pour ces jovialités qui ne conviennent pas à un moine et surtout à un prêtre dont les lèvres sont les gardiennes de la science sacrée. Durand n’attacha pas assez d’importance à cet avis, et continua, étant abbé, et plus tard évêque, à s’abandonner sans beaucoup de retenue, aux facéties enjouées. Après sa mort, la prédiction de l’abbé Hugues se réalisa. Durand apparut à un religieux de ses amis, le priant d’intercéder pour lui, car il était cruellement puni pour son intempérance de langage. On assembla les religieux, et on convint de garder, pendant huit jours, rigoureux silence pour cette âme en peine. Mais voilà qu’au bout de huit jours, le défunt apparaît de nouveau et se plaint qu’un des frères ayant manqué au silence, cette infraction l’avait privé du fruit de la bonne œuvre. On recommença et la semaine suivante, Durand apparut, revêtu de ses ornements pontificaux et le sourire sur les lèvres. Son expiation était finie.
Puisque j’en suis aux péchés de la parole, je dirai un mot du mensonge. On a déjà vu, dans sainte Madeleine de Pazzi, que ce vice est puni à part et d’une manière terrible. C’est que, selon la parole des saints livres, Dieu, qui est l’éternelle vérité, a horreur du plus léger mensonge. Aussi dans un grand nombre d’apparitions, on voit les pauvres âmes recommander de s’abstenir soigneusement du mensonge et déclarer qu’elles expient bien cruellement des fautes que le monde regarde d’ordinaire comme des plaisanteries inoffensives, ou de simple exagérations. Les mêmes apparitions recommandent aussi très soigneusement de s’abstenir de faire des vœux à la légère, et de les accomplir rigoureusement, quand on en a fait, car la justice divine se montre impitoyable à cet égard. C’est ce que l’on verra dans l’exemple suivant, tiré de la vie du V. Denys le Chartreux[23][23]. Ce vénérable religieux assistait à la mort d’un novice dans la Chartreuse de Ruremonde. Ce jeune homme avait fait vœu de réciter deux fois le psautier en entier, puis il avait négligé cette obligation. Averti de se préparer à mourir, la pensée de son vœu lui revint, et dans l’impossibilité de l’accomplir alors, il se désolait à la pensée des jugements de Dieu. Denys, pour l’encourager et le réconforter, à ce moment suprême, lui promit de l’acquitter à sa place, mais, par une permission de la justice divine, après la mort du jeune homme, le bon père oublia entièrement sa promesse, et pendant ce temps, l’infortuné était retenu dans les flammes, attendant pour en sortir, l’accomplissement de son vœu. Un jour, enfin, il eut permission d’apparaître à Denys pour lui rappeler sa promesse, et il ne fit entendre que ces deux mots : - « Pitié, pitié ! » Etonné et désolé de son oubli, le bon père voulait expliquer la cause de son omission, mais le défunt lui cria d’une voix suppliante :-« Ah ! si vous enduriez la millième partie de mes tourments, vous n’admettriez pas l’excuse en apparence la plus légitime, et en ce moment même, vous ne différeriez pas d’une seconde à vous acquitter de ce que vous avez promis à Dieu, en mon nom. »
Je voudrais que ces hommes du monde dont la vie molle et sensuelle n’est qu’un enchaînement de plaisirs, songeassent un peu à la pénitence qu’ils se préparent par leur immortification. Sans parler des dangers auxquels elle expose leur âme, il est certain qu’une vie mondaine réserve à ses adeptes un effroyable purgatoire, car dans une pareille vie on ne fait qu’accumuler ses dettes, la pénitence étant absente, on n’en paye aucune, et l’on arrive à un total qui effraye l’imagination. La vénérable sœur Françoise de Pampelune, dont les visions au sujet du purgatoire font vraiment autorité, vit ainsi un homme du monde, assez bon chrétien d’ailleurs, passer cinquante neuf ans dans le purgatoire, à cause de son goût pour le bien-être. Un autre y passa trente-cinq ans pour la même raison, et un troisième, qui avait en plus la passion du jeu, y demeura soixante-quatre ans. C’est qu’il est bien difficile de ne pas commettre des multitudes de petites fautes dans une vie dissipée, et comme dans une pareille vie il n’y a pas de place pour la pénitence, on arrive avec une dette énorme au tribunal de Dieu, et ce que l’on aurait acquitté facilement avec quelques œuvres de pénitence, il faut le payer alors par des années de supplices. « Celui, dit sainte Catherine de Gênes, qui se purifie de ses fautes dans la vie présente, satisfait avec un sou à une dette de 100 ducats, et celui qui attend, pour s’acquitter, aux jours de l’autre vie, se résigne à donner 100 ducats, pour ce qu’il aurait pu payer avec un sou en temps opportun. »
Le scrupule n’est pas un péché, mais il est malheureusement trop certain qu’il fait commettre aux âmes des multitudes de péchés, par le trop d’attache à la propre volonté, et l’orgueil qu’il suppose presque toujours. Aussi la sœur Françoise de Pampelune, dont je suis ici pas à pas les révélations, vit beaucoup d’âmes scrupuleuses extraordinairement tourmentées dans le purgatoire par des troubles des obscurités, des incertitudes mêmes sur leur sort éternel. Dieu le permettait ainsi pour les punir de s’être trop abandonnées aux scrupules pendant leur vie, et de n’avoir pas assez obéi, en cela, à leur confesseur. La tiédeur est aussi punie sévèrement dans le purgatoire, et on ne saurait s’en étonner, quand on se rappelle l’horreur que Dieu en témoigne dans la sainte Ecriture. Voici comment, au récit de sainte Madeleine de Pazzi, fut punie, après sa mort, une bonne religieuse, qui n’avait guère d’autres fautes à se reprocher qu’une certaine négligence à communier, aux jours marqués par la règle[24][24]. Un jour que la sainte priait devant le très saint Sacrement, elle vit sortir de terre l’âme de cette sœur. Elle était couverte d’un manteau de feu, qui cachait une robe d’une éblouissante blancheur. Elle s’approcha de l’autel avec un respect indicible, fit une profonde génuflexion, en passant devant le saint Tabernacle, et demeura une heure dans l’acte d’une adoration recueillie. Madeleine, ayant désiré savoir ce que tout cela signifiait, connut par révélation que cette âme, en punition de sa tiédeur à recevoir la sainte Eucharistie, était condamnée à venir chaque jour rendre ses devoirs à l’adorable hostie, sous un manteau de feu, afin de compenser ainsi ses froideurs passées. Quant à la robe blanche qui la garantissait en partie du châtiment, c’était la récompense de sa parfaite virginité. Elle persévéra dans un certain temps, jusqu’à ce qu’enfin les prières de Madeleine, jointes à sa propre expiation, eussent amené sa délivrance.
Un ecclésiastique fut puni plus rigoureusement encore. Il est vrai que sa faute était beaucoup plus grave[25][25] qu’il ne voulût pas connaître sa position (par une illusion trop commune aux ministres du sanctuaire), soit qu’il fut sous l’empire de ce fatal préjugé qui fait redouter à tant de malades la réception des derniers sacrements, retarda si bien qu’il mourut sans recevoir les derniers secours que l’Eglise réserve à ses enfants pour cette heure suprême. Or, pendant qu’on se préparait à l’ensevelir, ses yeux s’ouvrirent, et il fit entendre ces paroles : - « Pour me punir de mes retards à recevoir la grâces de purification dernière, je suis condamné à cent ans de purgatoire. Si j’avais reçu le sacrement des mourants, comme je le devais d’ailleurs, j’aurais échappé à la mort, grâce à la vertu qui lui est propre, et j’aurais eu le temps de faire pénitence. » Cela dit, le mort referma les yeux, rentra dans son repos, laissant tous les assistants concernés.
Quant à ceux dont la vie tout entière se passe dans l’habitude du pêché mortel, et qui remettent à la mort à se convertir en supposant que Dieu leur accorde cette grâce, ce qui n’est pas sûr, l’exemple suivant est de nature à les faire réfléchir sur les expiations qu’ils se préparent. Le baron Jean Sturton, noble anglais, était catholique au fond du cœur, bien que, pour garder ses charges à la cour, il assistât régulièrement au service protestant. Il cachait même chez lui un prêtre catholique, au prix des plus grand dangers, se promettant bien d’user se son ministère pour se réconcilier avec Dieu, à l’heure de la mort. Mais il fut surpris par un accident, et comme cela arrive souvent, par un juste décret de Dieu, il n’eut pas le temps de réaliser son vœu de conversion tardive. Cependant la divine miséricorde, tenant compte de ce qu’il avait fait pour la sainte Eglise persécutée, lui avait obtenu la grâce de la contrition parfaite, et par suite le salut, mais devait payer bien plus cher sa coupable négligence. De longues années se passèrent. Sa veuve se remaria, eut des enfants, et c’est une de ses filles, lady Arundell, qui raconte ce fait, comme témoin oculaire. « Un jour, ma mère pria le P. Corneille, jésuite de beaucoup de mérites, qui devait mourir plus tard martyr de la foi catholique, de célébrer la messe pour le repos de l’âme de Jean Sturton, son premier mari. Il accepta l’invitation, et étant à l’autel, entre la consécration et le mémento des morts, il resta longtemps en oraison. Après la messe, il fit une exhortation dans laquelle il raconta qu’il venait d’avoir une vision : devant lui s’étendait une forêt immense, qui n’était qu’un vaste brasier. Au milieu s’agitait le baron, poussant des cris lamentables, pleurant et s’accusant de la vie coupable qu’il avait menée dans le monde et à la cour ? Après avoir fait l’aveu détaillé de ses fautes, le malheureux avait terminé par les paroles que l’Ecriture met dans la bouche de Job. Pitié, pitié ! vous au moins qui êtes mes amis, car la main du Seigneur m’a frappé ! » et il avait disparu. Pendant que le Père Corneille racontait ces choses, il pleurait beaucoup, et toute la famille qui l’écoutait, au nombre de quatre-vingts personnes, nous pleurions tous de même. Tout à coup pendant que le père parlait, nous aperçûmes sur le mur auquel était adossé l’autel comme un reflet de charbons ardents. » Tel est le récit de Lady Arundell, que l’on peut lire dans Daniel[26][26].
Mais les deux péchés que Dieu semble poursuivre dans l’autre vie avec une rigueur plus implacable, ce sont les péchés contre la justice et ceux contre la charité ! Quant aux fautes contre la justice, il semble que Dieu s’en tient précisément à l’axiome des théologiens. (non remitiitur peccatum, nisi restituutur ablatum) -Pas de restitution, pas de Paradis. -En parlant de la durée du purgatoire, j’examinerai ailleurs cette question, au point de vue théologique. Mais si l’on s’en tient aux révélations des saints, elle semblerait tranchée dès maintenant et dans le sens le plus rigoureux. Entre de très nombreux exemples que je pourrais citer, car ils abondent sur ce point, en voici deux ou trois.
Un homme riche était mort sans mettre ordre à ses affaires. Quelques temps après, il apparut au P. Augustin d’Espinoza, religieux de la Compagnie de Jésus, dont la sainte vie a été un acte de dévouement continuel aux âmes du purgatoire. « Me reconnaissez-vous, demanda le défunt ? »-« Sans doute, répond le père, je me souviens de vous avoir administré le sacrement de pénitence, peu de jours avant que vous fussiez appelé devant Dieu. »-« C’est cela en effet. Or, sachez que je viens ici, par permission du Sauveur, vous conjurer d’apaiser sa justice, et de faire pour moi ce que je ne puis plus faire maintenant. Suivez-moi un instant. » Le religieux va trouver son supérieur, lui raconte l’affaire, et lui demande la permission d’accompagner son étrange guide. La permission obtenue, il sort et suit l’apparition qui, sans prononcer une parole, le mène sur un des points de la ville, puis elle disparaît un moment, revient avec un sac d’argent dont elle donne une partie à porter au père, et tous deux rentrent à la cellule du religieux. Dès qu’ils sont de retour, le mort met dans la main du père le reste de l’argent, avec un billet écrit, en lui disant. -« Ce billet vous indiquera à qui je dois, et dans quelle proportion : vous distribuerez cette somme à mes créanciers, et vous emploierez le reste en bonnes œuvres pour le repos de mon âme. » A ces mots l’apparition disparut, et le bon père se mit en devoir de remplir aussitôt ses intentions. Huit jours s’étaient à peine écoulés, que le défunt se fait voir de nouveau au Père et le remercie avec effusion de son empressement à remplir ses intentions. Grâce à cette exactitude à payer les dettes qu’il avait laissées sur la terre, grâce aussi aux messes que le père avait célébrées pour lui, il était délivré de toutes ses peines, et admis dans l’éternelle béatitude[27][27].
Le second exemple est tiré de la vie de sainte Marguerite de Cortone[28][28]. Cet illustre pénitent se faisait particulièrement remarquer par sa charité envers les défunts. Aussi ils lui apparaissaient en grand nombre pour implorer le secours de ses prières. Deux marchands avaient été assassinés en chemin par des brigands. -« Nous n’avons pu, lui dirent-ils, recevoir l’absolution de nos péchés, mais par la bonté du Sauveur, et la clémence de sa divine Mère, nous eûmes le temps de faire un acte de contrition parfaite, ce qui nous sauva. Néanmoins dans l’exercice de notre profession, nous avons commis bien des injustices, aussi nos tourments sont affreux, c’est pourquoi nous vous supplions, servante de Dieu, d’avertir nos parents (et ils les nommèrent) de restituer au plus tôt tout l’argent que nous avons mal acquis, car avant cela nous ne pourrons reposer en paix. »
Du reste, lorsque la restitution ne peut se faire, Notre Seigneur trouve dans les secrets de sa justice les moyens d’y suppléer. Un jour que la bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque priait pour deux personnes d’un rang élevé dans le monde, elle connut par révélation qu’une de ces personnes était condamnée pour de longues années au purgatoire, toutes les prières et les messes, fort nombreuses, que l’on célébrait pour elle, étant appliquées par la justice aux âmes de quelques familles de ses sujets qui avaient été ruinées, par son défaut de charité et de justice à leur égard, et comme il n’était rien resté à ces malheureux afin de faire dire des messes pour eux après leur mort, le Seigneur y suppléait comme je viens de le dire[29][29].
Pour les fautes contre la charité, Dieu les punit aussi très grièvement, surtout dans les âmes qui lui sont consacrées. La raison en est bien simple : Dieu est amour, comme dit le disciple bien-aimé. Par conséquent rien de plus opposé à son être que les inimitiés, les petites rancunes, les médisances, les jugements téméraires, et toutes ces fautes contre la charité, que l’on trouve quelquefois chez des personnes d’ailleurs pieuses et d’une conduite exemplaire. Voici ce qu’on lit à cet égard dans la vie de la bienheureuse Marguerite-Marie : deux religieuses pour qui elle priait après leur mort, lui furent montrées dans ces prisons de la justice divine, où l’une souffrait des peines incomparablement plus grandes que celles de l’autre. La première se plaignait grandement d’elle-même, qui, pour ces défauts contraires à la mutuelle charité et sainte amitié qui doit régner dans les communautés religieuses, s’était attiré, entre autres punitions, celles de n’avoir pas de part aux suffrages que la Communauté faisait et offrait à Dieu pour elle, ne recevant de soulagement dans ces effroyables maux que des seules prières de trois ou quatre personne de la même communauté, pour lesquelles elle avait eu pendant sa vie le moins d’estime et de penchant[30][30].
Voici, d’après les révélations les plus authentiques, les différents châtiments infligés par la justice de Dieu aux différents péchés. J’aurais pu multiplier beaucoup ces exemples. Mais à quoi bon ? Outre la nécessité de se borner, ce que j’ai dit suffit bien pour éclairer les âmes de bonne volonté et les faire réfléchir. Recommençons, à la vie de sainte Madeleine de Pazzi, ce douloureux pèlerinage du purgatoire, pour y trouver notre place. Voyons, dans les diverses relations que je viens de citer, ce qui convient le mieux aux misères de nos âmes. Et puis après, demandons-nous sérieusement si nous nous sentons le courage d’affronter de pareils supplices ? Vraiment, quand on lit ces choses, quand on se dit qu’il s’agit de révélations authentiques, faites presque toutes à des saints canonisés par l’Eglise, ce qui exclut tout soupçon de mensonge, quand on pèse tout cela devant Dieu, dans le silence d’une âme recueillie, on est forcé de s’avouer que tous ici, et moi qui écrits ces lignes, et vous qui les lisez nous sommes des fous, de vrais fous. Oui, nous sommes de ces insensés dont l’Esprit Saint nous apprend que le nombre est infini (Stultorum infinitus est numerous). Comment s’expliquer autrement que nous, qui n’avons pas le courage de nous faire une légère violence pour nous corriger de nos défauts, nous que le seul mot de pénitence effraie, nous nous destinons, de gaieté de cœur à de pareils châtiments. Ah ! les saints, ces saints que le monde ne comprend pas, et que volontiers il traite d’insensés, les saints sont les sages, les vrais sages, parce que seuls, ils ont les secrets du temps et ceux de l’éternité.
Chapitre 5 Des différentes divisions du purgatoire
Des trois grandes divisions du purgatoire d'après sainte Françoise Romaine. - Du purgatoire supérieur. - Des âmes qui ne souffrent que la peine du dam. - De celles qui n'ont que des peines légères. - De la région moyenne du purgatoire. - De la région intérieure et de ses trois sous-divisions. - Du purgatoire des laïcs.
Nous avons déjà entrevu dans sainte Madeleine de Pazzi et dans les différentes révélations que j'ai fait connaître que le purgatoire n'est pas un lieu unique, mais qu'il se subdivise en plusieurs cachots distincts, selon le plus ou moins de gravité des péchés à expier. Pour mieux connaître la division de ce lieu de supplices, il faut recourir à la célèbre vision de sainte Françoise Romaine, qui nous donne la topographie exacte, et comme la carte géographique du royaume de la douleur[31][31].
Sainte Françoise nous apprend que le purgatoire est divisé en trois parties distinctes : dans la région la plus élevée, sont les âmes qui n'ont à souffrir que la peine du dam ou tout au plus quelques peines légères et de peu de durée. Au milieu, est la région moyenne, où elle vit écrit en grosses lettres le mot : purgatoire, là sont renfermées les âmes qui ont commis des fautes légères, mais qui exigent cependant une expiation sensible.
Cette région est partagée en trois zones distinctes. La première est comme un étang glacé, la seconde et remplie de poix mêlée d'huile bouillante, la troisième est remplie d'un métal qui ressemble à de l'or ou à de l'argent en fusion. Des anges au nombre de trente-six, sont chargés par Dieu de plonger alternativement ces âmes de l'étang glacé dans le bain d'huile bouillante ou de métal, et ils s'acquittent de ce ministère, avec grand respect et grande charité, pour les pauvres âmes ainsi tourmentées.
Enfin tout au fond de l'abîme et dans le voisinage de l’enfer, est la troisième région, ou le purgatoire inférieur, tout rempli d'un feu clair et pénétrant, en quoi il diffère du feu de l'enfer qui est obscur et ténébreux. Dans cette région inférieure, il y a aussi trois lieux séparés. Le premier, où l'on souffre moins, pour les laïcs qui ont des fautes graves à expier. Le second, où les peines sont plus grandes, pour les clercs non encore honorés du sacerdoce et pour les religieux et religieuses. Le troisième, où les peines sont encore plus intolérables, pour les prêtres et les évêques.
Je reviendrai, au chapitre suivant, sur ce triste sujet du purgatoire des prêtres et des religieuses. Pour le moment, je me contenterai de dire quelques mots de chacune de ces trois divisions du purgatoire.
Qu'il y ait un purgatoire supérieur, où les âmes n'éprouvent aucune peine sensible, c'est ce dont nous ne pouvons douter, car indépendamment des révélations si précises de sainte Françoise Romaine, un grand nombre de révélations particulières confirment ce fait. La sainte Vierge prit là peine de révéler elle-même à sainte Brigitte qu'il y a un purgatoire spirituel, appelé purgatoire de désir, dans lequel sont retenues les âmes qui n'ont aucune expiation à subir, mais qui, dans les jours de leur vie mortelle, n'ont pas assez soupiré après leur Créateur. Parmi les révélations très nombreuses qui confirment cette doctrine, j'en choisirai seulement quelques-unes, pour ne pas trop allonger ce récit.
On lit dans la vie de sainte Madeleine de Pazzi qu'une de ses sœurs nommée Marie-Benoîte-Victoire, religieuse d'une éminente vertu, étant morte entre ses bras, elle aperçut pendant son agonie une multitude d'anges qui l'environnaient d'un air joyeux, attendant son âme pour la porter dans la Jérusalem céleste. Au moment où elle expira, la sainte les vit recevoir cette âme bienheureuse, sous la forme d'une colombe, dont la tête était dorée, et disparaître avec elle. Trois heures après, veillant auprès du saint corps, en compagnie d'une sœur nommée Pacifique de Tonaglia, celle-ci interrompit ses prières pour lui demander : où est notre sœur à présent? au Ciel ou dans le purgatoire?" – « Ni dans l'un, ni dans l'autre », répondit la sainte. La sœur frémit intérieurement à cette réponse, dont elle croyait pénétrer le sens. mais elle ne dit rien pour le moment. quelque temps après, en récitant avec Madeleine l'office des défunts, il lui arriva de terminer un psaume par le Gloria Patri. " Je me trompe, reprit-elle aussitôt: Requiem aeternam. " " Vous ne vous trompez pas, répliqua la sainte, cette âme n'a pas besoin qu'on demande pour elle le repos. " Sœur Pacifique ne comprit pas encore, mais elle n'osa pas interrompre sa compagne.
Le lendemain matin, comme on célébrait la messe pour la défunte, au Sanctus, Madeleine fut ravie en extase et Dieu lui fit voir cette âme bienheureuse dans la gloire où elle était entrée. Elle avait sur le front une étoile d'or, signe et récompense de son ardente charité. Ses doigts étaient chargés d'anneaux précieux, et la couronne qu'elle portait était plus riche que celle d'une autre religieuse de grande perfection, qui était morte un peu auparavant.
La raison de cette différence, c'est que, pendant sa vie, cette bonne religieuse, lorsqu'elle souffrait, ne s'était pas assez défendue de quelque légers retours sur elle-même, au lieu que Marie-Benoîte avait un tel désir de souffrir qu'il lui semblait toujours qu'elle n'endurait rien pour le Bien-Aimé. De plus, elle avait toujours parlé avantageusement du prochain, et avait traité ses sœurs pendant tout le temps de sa vie, avec une charité aussi douce que cordiale. en récompense de quoi, la bouche appliquée sur le côté sacré du Sauveur, elle buvait à longs traits un breuvage délicieux. À ce spectacle, Madeleine, ravie, hors d'elle-même, se mit à la féliciter tout haut de son bonheur. ensuite elle demanda au Sauveur Jésus pourquoi il n'avait pas admis plus tôt cette bonne âme en sa sainte présence. en effet elle avait passé cinq heures, non dans le purgatoire, mais dans un lieu particulier, où sans souffrir aucune peine sensible, elle était privée de la vue de son Dieu. Elle reçut pour réponse que, dans sa dernière maladie, cette sœur s'était montrée trop sensible aux peines que l'on se donnait pour elle, ce qui avait interrompu quelque temps son union habituelle avec Notre Seigneur.
À cause de ce reste d'amour-propre, il avait fallu qu'elle subît ce retardement à la jouissance de son tout, pour être entièrement purifiée.
La même sainte vit, une autre fois, une religieuse de sa communauté qui venait de mourir, toute brillante de clartés. les mains seules étaient encore privées de cet éclat céleste, à cause de certaines imperfections contraires au vœu de pauvreté. Au bout de quelque temps, les mains s'irradièrent à leur tour, et elle fut mise en pleine jouissance de la gloire[32][32].
Le père François-Gonzague, depuis évêque de Mantoue, rapporte un fait du même genre dans son livre de l'origine de la religion Séraphique[33][33]. Frère Jean de Via, franciscain d'un grand mérite, tomba malade et mourut dans un couvent des îles Canaries. Son infirmier, frère Ascension, fort avancé, lui aussi, dans la perfection religieuse, priait pour le repos de son âme, quand il aperçut devant lui un religieux de son ordre, tout baigné de rayons lumineux, qui remplissaient la cellule d'une douce clarté. Le frère tout hors de lui, ne reconnut pas pour lors l'apparition et n'osa lui demander son nom. Elle se renouvela ainsi, une seconde et une troisième fois. A la fin, le frère Ascension s'enhardit : - « Qui êtes-vous donc, demande-t-il ? Pourquoi venez-vous si souvent en ce lieu ? Je vous conjure, au nom de Dieu, de me répondre. » - « Je suis, répond l'esprit, l'âme du frère Jean de Via, qui vous suis bien reconnaissant pour les prières que vous faites monter au ciel en ma faveur. Je viens vous apprendre que, grâce à la divine miséricorde, je suis dans le lieu de salut parmi les prédestinés à la gloire, et ces rayons vous en sont une preuve, cependant je n'ai pas encore été jugé digne de voir la face du Seigneur, à cause d'un manquement qu'il me faut expier. Durant ma vie terrestre, j'ai oublié, par ma faute, la récitation de certains offices pour les défunts, à quoi j'étais obligé par la règle. Je vous conjure, au nom de l'amour que vous avez pour Jésus-Christ, faites en sorte que ces offices soient acquittés pour moi, afin que je puisse jouir de la vue de mon Dieu. " Frère Ascension courut raconter sa vision au père gardien. On s'empressa d'acquitter les offices de mandés, et, dès que cette obligation fat remplie, l'âme du frère Jean de Via, se fit voir de nouveau, mais bien plus brillante encore. Elle était en possession de la félicité complète.
Voici encore un fait du même genre, tiré des révélations de sainte Gertrude : Une pieuse religieuse était morte, à la fleur de son âge, dans le baiser du Seigneur. Pendant les jours de son pèlerinage, elle s'était fait remarquer par une tendre dévotion au saint-Sacrement. après sa mort, Gertrude la vit, toute brillante de célestes clartés, agenouillée devant le divin Maître, qui laissait échapper, de ses plaies glorifiées, cinq rayons enflammés qui allaient doucement frapper les cinq sens de la défunte. Elle gardait néanmoins sur le front comme un nuage d'ineffable tristesse : " Seigneur Jésus, s'écria la sainte, comment pouvez-vous illuminer de la sorte votre servante, sans qu'elle éprouve une joie parfaite? " - "Jusqu'à cette heure, répondit le doux Maître, cette sœur a été jugée digne de contempler seulement mon humanité glorifiée et de jouir de la vue de mes cinq plaies, en considération de sa tendre dévotion au mystère de l'Eucharistie mais elle ne peut pas être admise à la vision béatifique, par suite de quelques taches légères qu'elle à contractées dans l'observation de ses règles. "
La sainte ayant intercédé pour elle, Notre Seigneur lui fit connaître qu'à moins de nombreux suffrages en sa faveur, il lui fallait attendre jusqu'à l'entier accomplissement de sa peine. Ainsi l'exigeait la justice divine qui ne peut rien relâcher de ses droits, en l'autre monde. Cette âme le comprenait si bien d'ailleurs que, malgré son ardent désir de voir Dieu, elle fit signe à Gertrude qu'elle ne voulait pas être délivrée avant d'avoir satisfait entièrement pour ses fautes, et Notre Seigneur, en signe de particulière bienveillance, étendit la main sur sa tête et la bénit.
On avait recommandé aux prières de la bienheureuse Marguerite-Marie, l'âme d'une supérieure de la Visitation, nouvellement décédée. Au bout de quelque temps, Notre Seigneur lui assura que cette âme lui était fort chère pour l'amour et la fidélité qu'elle avait eus à son service, dont il lui gardait une ample récompense dans le ciel, après qu'elle aurait achevé de se purifier dans le purgatoire, où il la lui fit voir, recevant de grands soulagements dans ses peines, par l'application des suffrages et bonnes œuvres qui étaient toujours offerts pour elle.
Il s'agissait, comme on peut le voir par les mémoires de la Visitation, de la mère de M. . . supérieure d'Annecy, décédée en odeur de sainteté le 5 février 3. Or, le jeudi saint de la même année, la bienheureuse priant pour elle devant le saint Sacrement, Notre Seigneur la lui fit voir sous le pied du calice dans lequel il reposait lui-même. Là cette âme achevait de se purifier, recevant participation de l'agonie de Notre Seigneur au jardin des Olives. Le jour de Pâques, elle la vit dans un état de félicité consommée, et le dimanche du bon Pasteur, elle la vit comme se perdant et s'abîmant dans la gloire, en proférant ces paroles : "L'amour triomphe, l'amour jouit, l'amour en Dieu se réjouit. " Son purgatoire avait duré plus de deux mois[34][34].
Voici maintenant, pour terminer ce sujet, l'histoire très authentique d'une âme qui passa un temps assez long dans cette douloureuse épreuve de l'attente de Dieu. Je la citerai tout au long afin de faire connaître les sentiments intérieurs de ces saintes âmes. Puissent leurs ardeurs brûlantes réchauffer un peu nos pauvres cœurs glacés, qui ont tant de peine à comprendre, pendant les jours de l'exil, cette faim et cette soif de Dieu ! Ce récit a été examiné et approuvé par le vicaire général de l'archevêque de Trèves, il présente par conséquent des garanties sérieuses de vérité. On le trouve dans le P. Nieremberg[35][35]. Le jour de la Toussaint, une jeune fille d'une rare piété et modestie, vit apparaître devant elle l'âme d'une dame de sa connaissance, morte un peu auparavant. Elle lui fit connaître qu'elle ne souffrait que de la privation de Dieu, mais elle ajouta que cette privation était pour elle un supplice intolérable. Elle se fit voir ainsi à elle plusieurs fois, et presque toujours dans l'église, parce que, ne pouvant voir Dieu face à face dans le ciel, elle s'en voulait dédommager en le contemplant au moins sous les espèces Eucharistiques.
Du reste, rien ne saurait donner une idée de sa profonde adoration et de son respect sans bornes dans l'église. Quand elle assistait au divin sacrifice, au moment de l'élévation, son visage s'irradiait de telle sorte qu'on eût dit un séraphin descendu du ciel. La jeune fille en était dans l'admiration, et déclarait n'avoir jamais rien vu de beau. Quand son amie communiait, cette âme l'accompagnait à la sainte table et demeurait auprès d'elle tout le temps de son action de grâces comme pour participer à son bonheur et jouir elle aussi de la présence de Jésus. Elle était vêtue de blanc, un voile de même couleur sur la tête, et tenait ordinairement un long rosaire à la main, signe de la tendre dévotion qu'elle avait toujours professée pour la reine du ciel.
Un jour que la jeune fille, avec quelques compagnes, décorait l'autel de la bonne Mère, toutes s'inclinèrent, après avoir fini leur tâche, pour baiser les pieds de la statue. Les ayant embrassés deux fois, une fois pour elle-même et la seconde pour son amie de l'autre monde, elle la vit accourir toute joyeuse qui la remerciait avec affection. Ce jour-là, elle lui apprit qu'elle avait fait vœu autrefois de faire dire trois messes à l'autel de la très sainte Vierge, et que n'ayant pu l'accomplir, cette dette sacrée ajoutait à son tourment. Elle la pria donc de s'en acquitter à sa place, ce qu'ayant fait la jeune personne, la défunte lui apparut toute joyeuse pour la remercier, et en reconnaissance elle lui conseilla de ne jamais faire de vœu, à moins qu'elle ne fût bien résolue à l'accomplir, car la justice de Dieu est impitoyable à cet égard.
Elle l'exhortait en même temps à une filiale dévotion envers Marie, spécialement à se souvenir de ses douleurs sur le Calvaire. Quand vous rencontrerez quelqu'une de ses images, lui disait-elle, ayez soin de la saluer en répétant ces trois invocations des litanies. Mater admirabilis, Consolatrix afflictorum, Regina sanctorum omnium. Plus vifs seront votre amour et votre dévotion envers cette bonne mère, plus assurée et plus efficace sera son assistance, au moment terrible du jugement qui fixe notre sort éternel.
Elle lui conseillait aussi d'avoir une tendre charité et compassion pour les pauvres âmes du purgatoire qui sont si à plaindre, puisqu'elles ne peuvent s'aider. " Offrez pour elles, lui disait-elle, vos prières, vos pénitences, vos bonnes œuvres, elles vous le rendront bien plus tard, quand elles seront devant Dieu. "
Un jour, docile à ces conseils, la jeune fille récitait cinq Pater et cinq Ave, les bras en croix, pour les défunts. L'apparition accourut, et lui soutenait les bras pour l'aider dans sa prière.
Un autre jour, pendant qu'elle lui parlait à l'église, la clochette de l'élévation s'étant mise à sonner à un autel voisin elle y courut aussitôt, et se prosternant, adora Notre Seigneur avec un profond respect. Chaque fois qu'elle prononçait, ou entendait prononcer les noms sacrés de Jésus et de Marie, elle s'inclinait dans un recueillement angélique. Cependant les jours passaient, sans que, malgré ses ardents désirs et les prières de son amie, cette sainte âme fût admise devant la face du Seigneur. Le 3 décembre, fête de saint François-Xavier, sa protectrice devant communier à l'église des pères jésuites, l'invita à s'y trouver. La défunte fut fidèle au rendez-vous, l'accompagna à la sainte table, et demeura auprès d'elle tout le temps de son action de grâces qui fut fort long, alors elle la remercia et lui annonça que l'épreuve touchait à sa fin. Le 8 décembre, fête de l'Immaculée Conception, elle revint encore, mais elle était déjà si brillante que son amie ne pouvait la regarder. Enfin le 10 décembre, pendant la sainte messe, la jeune fille la vit dans un éclat plus merveilleux encore. Elle s'approcha de l'autel, qu'elle salua respectueusement, remercia son amie de ses prières, et monta au ciel en compagnie de son ange gardien. Elle allait enfin jouir de la vue de celui après lequel elle avait tant soupiré.
De tout ceci ressort clairement l'existence d'un purgatoire supérieur, où les âmes achèvent de se purifier, à l'abri de tout supplice, et par la seule ardeur de leurs désirs. D'autres apparitions nous apprennent encore que plusieurs âmes sont tourmentées sensiblement, mais d'une manière légère, bien qu'elles soient déjà entrées en partie dans la gloire des élus. Ceci se rapporte parfaitement à l'opinion la plus commune des théologiens, qu'il y a dans le purgatoire certaines peines inférieures à celles que l'on éprouve en ce monde.
sainte Madeleine de Pazzi vit un jour une de ses sœurs revêtue d'un manteau de feu, dont elle était préservée en grande partie par une robe formée de lis entrelacés. Le manteau était le châtiment de son trop de recherche dans l'habillement, et la robe de lis la récompense de son admirable pureté Un religieux dominicain, grand prédicateur dans son ordre, apparut ainsi à Cologne, couvert de vêtements magnifiques, une couronne d'or sur la tète. Ces ornements représentaient les âmes qu'il avait sauvées par ses prédications, et la couronne d'or était la récompense de sa parfaite exactitude à accomplir tous les points de sa règle et de sa pureté d'intention. En même temps, la langue endurait des tourments à cause de sa trop grande facilité à dire le mot pour rire et à plaisanter, ce qui ne convient pas aux religieux et moins encore à un prêtre[36][36].
Il nous faut maintenant descendre dans la région moyenne du purgatoire. ce lieu, d'après la description de sainte Françoise Romaine que nous avons vue plus haut, convient parfaitement à ce que sainte Madeleine de Pazzi nous a appris du cachot où sont renfermées les âmes qui ont péché par ignorance ou par faiblesse. même genre de fautes, mêmes supplices mitigés, même expiation par le feu et par la glace. Pour mieux faire connaître cette région intermédiaire, je transcrirai ici ce que sainte Madeleine nous apprend de l'âme de son frère, qu'elle reconnut en cet endroit (Vie de la sainte par son confesseur, ch. x).
La première fois qu'elle aperçut l'âme de son frère livrée à ces tourments excessifs, si on les compare à ceux de la terre, bien que légers par rapport à ceux du purgatoire inférieur, elle s'écria : " 0 frère misérable et bienheureux tout ensemble! ô âme affligée et pourtant glorieuse! ces peines sont intolérables, et cependant elles sont supportées avec joie. Que n'est-il donné de les comprendre à ceux qui manquent de courage pour porter leur croix ici-bas. Pendant que vous étiez dans le monde, ô mon frère, vous ne vouliez pas m'écouter, et maintenant, vous désirez ardemment que je vous écoute. Pauvre victime, qu'exigez-vous de moi? Elle s'arrêta un moment et compta jusqu'à cent sept-, puis elle fit connaître que c'était autant de communions que son frère lui demandait d'une voix suppliante. " Oui, répondit-elle, je puis facilement faire ce que vous demandez. mais, hélas! qu'il faudra de temps pour acquitter cette dette! oh! que j'irais volontiers où vous êtes, si Dieu voulait me le permettre, pour vous délivrer ou pour empêcher que, d'autres y descendent! Dieu de bonté, l'amour que vous portez à vos créatures est bien supérieur à celui qu'elles ont pour vous! Vous désirez qu'elles viennent à vous avec plus d'empressement qu'elles n'en éprouvent elles- mêmes, ô Dieu également juste et miséricordieux ! soulagez ce frère qui vous servit dès son enfance, regardez-le avec bonté, je vous en conjure, et usez de votre grande miséricorde à son égard. Ô Dieu très juste, s'il n'a pas toujours été assez attentif à vous plaire, du moins il n'a jamais méprisé ceux qui faisaient profession de vous servir plus fidèlement. Il est vrai qu'il a commis des fautes, mais il ne les louait ni ne les excusait. " Après avoir dit ces mots, elle se mit, toujours dans l'extase, à réciter des psaumes pour le repos de l'âme de son frère, puis au sortir de sa vision, elle courut, encore tout émue, chez la mère Prieure, et tombant à genoux elle lui dit :
" 0 ma Mère, qu'elles sont terribles les souffrances du purgatoire! je ne les aurais jamais crues telles, si Dieu ne me les eût montrées. " Mon Dieu, disait-elle encore, après une vision du même genre, je ne puis plus vivre sur cette terre, ni agir avec les créatures, après avoir vu ces choses. " puis ayant vu la gloire qui doit suivre cette purification sévère, elle dit d'un visage joyeux : " Non, je ne vous appellerai plus désormais peines cruelles, mais avantageuses, puisque vous conduisez les âmes à une telle gloire et à une si grande félicité. " On voit par ces passages que les peines de ce purgatoire moyen sont encore très grandes et surpassent de beaucoup tout ce que l'on pourrait souffrir en ce monde, bien que, si on les compare aux peines du purgatoire inférieur, qui nous attendent bien probablement, on soit tenté de s'écrier avec sainte Madeleine, et à meilleure raison, heureuses peines! Que je voudrais n'avoir jamais à souffrir davantage !
Et maintenant pour être complet, il nous faudrait descendre dans la région inférieure du purgatoire, où sont punis les grands pécheurs, les religieux et les prêtres. Mais comme je traiterai dans un chapitre à part du purgatoire des personnes consacrées à Dieu, ce que j'ai dit au chapitre III de la rigueur des peines du purgatoire, et au chapitre IV des peines propres à chaque péché suffit, je le crois, à nous faire bien connaître ces régions désolées. C'est pourquoi je me contenterai de prendre çà et là, dans sainte Françoise Romaine, quelques traits nouveaux pour faire mieux connaître le purgatoire des laïcs, qui ont des fautes graves à expier.
On a vu que ce lieu est tout plein d'un feu clair et pénétrant. Les âmes qui ont commis des fautes graves sont plongées par les anges dans ce feu qui les brûle plus ou moins, selon le degré de culpabilité. On doit rester sept ans dans ce feu pour chaque péché mortel que l'on a commis. Quand le temps de cette expiation est fini, les âmes montent au purgatoire moyen pour y expier leurs petites fautes.
La force des souffrances ainsi endurées dans le feu du purgatoire arrache sans cesse à ces pauvres âmes des gémissements humbles et pieux, mais si plaintifs que personne ne pourrait l'imaginer en cette vie. Toutes savent qu'elles souffrent justement, qu'elles ont bien mérité les peines que la justice divine leur inflige, et leurs plaintes tout affectueuses, leur procurent quelque consolation. Ce n'est pas qu'elles sortent du feu pour cela, mais Dieu voit avec bonté et miséricorde qu'elles acceptent leurs souffrances, et elles en reçoivent quelque soulagement, sachant bien qu'un jour elles parviendront à la gloire.
On voit aussi que les âmes du purgatoire passent ordinairement d'une région dans une autre. C'est ce que confirme une apparition très intéressante, arrivée dans les mois de septembre à décembre 0, au monastère des Religieuses Rédemptoristes, à Malines, en Belgique. Comme cette révélation à été examinée et approuvée par l'autorité épiscopale, je ne crains pas de la citer malgré la date toute récente.
Le père d'une religieuse de ce couvent, nommée sœur Marie-Séraphine, et dans le monde mademoiselle Angèle Aubépin, étant venu à mourir, apparut pendant trois mois à sa fille, pour lui demander des prières. Pendant un peu plus du premier mois, il lui apparut tout enveloppé de flammes, et lui criant : " Pitié, ma fille, aie pitié de ton père. Regarde, lui dit-il un jour, regarde cette citerne de feu où je suis plongé! nous sommes ici plusieurs centaines. Oh ! si l'on savait ce que c'est que le purgatoire, on ferait tout pour l'éviter et pour secourir ces pauvres âmes qui y sont renfermées. " En même temps, du milieu des flammes où il était plongé, il s'écriait continuellement : " J'ai soif! j'ai soif!"
A partir du 14 octobre, le pauvre patient, quoique livré aux plus affreuses tortures, ne parut plus environné de flammes. sans doute il était passé à la région moyenne du purgatoire. Étant dans cette deuxième période, il dit un jour à sa fille que les théologiens n'avaient rien exagéré, en enseignant que les tourments des martyrs sont inférieurs à ceux que subissent les âmes du purgatoire. Et la veille de la Toussaint, la religieuse lui ayant demandé, d'après l'ordre de son confesseur, sur quel sujet il fallait prêcher le jour de la fête : " Hélas! lui répondit-il, les hommes ignorent, ou ils ne croient pas assez que le feu du purgatoire est semblable à celui de l'enfer. si on pouvait faire une seule visite au purgatoire, on ne voudrait plus commettre un seul péché véniel, tant on y est rigoureusement puni. "
Le 30 octobre, la religieuse entendit son père, prononcer ces paroles avec un douloureux soupir : " il me semble qu'il y a une éternité que je suis ici. ma plus grande peine maintenant est une soif dévorante de voir Dieu et de le posséder, je m'élance sans cesse vers Lui, et je me sens constamment repoussé dans l'abîme, parce que je n'ai pas encore pleinement accompli ma peine. "
On peut augurer de ces paroles, qu'il était déjà passé au purgatoire supérieur. D'ailleurs, le 5 décembre, on n'en put douter, car il apparut déjà tout resplendissant, à travers une auréole de tristesse.
Du 3 décembre au 12, l'apparition ne revint pas mais le 12 et les trois jours suivants, elle se montra de plus en plus resplendissante. Enfin, pendant la messe de minuit, entre les deux élévations, le défunt apparut, pour la dernière fois, tout éblouissant de lumière et de béatitude. " J'ai achevé mon temps d'expiation, dit-il à sa fille, je viens te remercier, toi et ta communauté qui a tant prié pour moi. À mon tour, je prierai pour vous toutes. Je demanderai pour toi une soumission parfaite à la volonté de Dieu, et la grâce d'entrer dans le ciel sans passer par le purgatoire. " Ce furent ses dernières paroles. Sa fille ne put qu'entrevoir son visage, car il était perdu et comme abîmé dans la lumière. .
Cette histoire est fort remarquable, en ce qu'elle montre comment les différentes divisions du purgatoire sont unies, et comment les âmes passent de l'une dans l'autre, selon les différents degrés de leur expiation. C'est ainsi que Dieu rend à chacun selon ses œuvres et fait concorder exactement la mesure de la peine avec celle de la faute, tenant compte aux âmes, dans sa justice et sa miséricorde, du plus ou moins de grâces accordées, du plus ou moins de lumières reçues, car selon la parole de l'Écriture: il sera demandé davantage à qui aura reçu davantage. Cui multum datum est multum quoeretur ab eo.
Chapitre 6 Du purgatoire des personnes consacrées à Dieu
Du purgatoire des religieux et des prêtres. - Sévérité de la justice divine à leur égard et raisons de cette sévérité ! - Du purgatoire des religieux et religieuses. – Des fautes que Dieu punit particulièrement en eux. – De la tiédeur au service de Dieu. – Des manquements aux vœux d’obéissance et de pauvreté. – Des fautes contre la charité. – Du purgatoire des prêtres, la grandeur de leur vocation donne la mesure de leur châtiment. Ce châtiment croit avec la dignité des personnes. – Du purgatoire des évêques. – Du purgatoire des Papes. – Des fautes que Dieu punit plus sévèrement dans ses prêtres. – Tiédeur, négligence dans la récitation de l’office. – La célébration de la sainte messe. – Des fautes contre le prochain. – Du trop de sévérité. – Défaut de zèle, fautes contre la charité. – Exemples nombreux.
En commençant ce chapitre, ma main tremble et mon cœur est ému. Prêtre, je vais dire les sévérités de la justice divine sur mes frères dans le sacerdoce. Appelé à servir l’Église dans les rangs de la milice apostolique, je vais parler des châtiments infligés aux âmes d’élite, à ceux que Notre Seigneur sur la terre appelait ses amis : Jam non dicam vos servos, vos autem dixi amicos.
Hélas ! Je vais écrire d’avance mon jugement et prononcer ma condamnation. Puisse au moins la divine miséricorde me tenir compte de la violence que je me fais, pour servir mes frères, et me donner la force de me corriger enfin de mes nombreux défauts, afin que, si l’amour ne suffit pas à me convertir, la crainte du purgatoire que je me prépare m’arrête au moins et me fasse éviter le péché.
On a vu, dans les précédents chapitres, que Dieu, dans son éternelle justice, proportionne les châtiments à la mesure des grâces dont on aura abusé. Les personnes consacrées à Dieu ont donc à subir, après la mort, des expiations en rapport avec la grandeur de leur vocation. D’après sainte Françoise Romaine, il faut descendre dans la région inférieure du purgatoire, au-dessous des laïcs qui ont commis les fautes les plus graves, pour trouver le cachot des clercs non encore honorés du sacerdoce, des religieux et des religieuses. Quant aux prêtres, il faut descendre encore plus bas, tout au fond de l’abîme et sur les confins mêmes de l’enfer, pour trouver leur place. Les prêtres et les religieux sont ainsi traités avec plus de sévérité que les simples chrétiens, même lorsqu’ils ont moins de fautes à se reprocher, à cause de leur dignité qu’ils n’ont pas assez honorée, et de la connaissance plus grande qu’ils avaient de leurs devoirs en cette vie. Quoique réunis en un même lieu, chacun d’eux est puni selon le nombre et la grandeur de ses fautes, et selon le rang qu’il occupait dans l’Église. La même proportion est observée pour la durée de la peine[37][37].
Ces révélations de sainte Françoise Romaine sont confirmées par un grand nombre de visions particulières. " Ma fille, disait une âme du purgatoire à une bonne religieuse de Belgique, soit sainte, car le purgatoire des religieuses est terrible ! "
Vincent de Beauvais, dans son Speculum historicum, Lib. VII, cap. CIX, nous apprend qu’un moine bénédictin, au moment de mourir, eut une vision du purgatoire des religieux : les uns étaient en proie à des flammes dévorantes qui les pénétraient comme autant de dards. D’autres étaient couchés sur des grils ardents, dont la seule vue faisait frémir. Son ange lui dit alors : " Ceux que tu vois livrés à des tourments si atroces sont des religieux de tous les ordres. Ils n’ont jamais commis de fautes graves, mais ils se sont rendus coupables de plusieurs négligences qu’ils doivent expier sévèrement, avant d’être admis devant Dieu. Les uns n’ont pas observé assez exactement le silence, les autres ne se sont pas appliqués avec assez de ferveur au chant de l’office divin : les autres ont cédé à la paresse, à la somnolence ou à la curiosité. D’autres enfin ont trop aimé la plaisanterie et ont montré dans leur extérieur une légèreté pardonnable à peine dans un laïc. A cause de ces fautes, relativement légères, tu les vois livrés à ces affreux supplices, jusqu’à ce qu’ils aient entièrement satisfait à la justice de Dieu pour tous leurs manquements. "
Un premier jour de l’an, la bienheureuse Marguerite-Marie priait pour trois personnes récemment décédées. Deux de ces personnes étaient religieuses et la troisième séculière. Notre Seigneur délivra l’âme de la personne séculière, disant qu’il avait moins de peine à voir souffrir des personnes religieuses, à cause qu’il leur donne plus de moyens de mériter et d’expier leurs péchés pendant cette vie, par la fidèle observance de leurs règles[38][38].
Nous avons vu, dans sainte Françoise, que les simples clercs, les religieux et les religieuses sont traités avec moins de sévérité que les ministres des autels, bien que leurs châtiments soient plus rigoureux que ceux des laïcs. Voici maintenant les fautes que la divine justice punit en eux d’une manière spéciale. C’est d’abord la tiédeur au service de Dieu. Je rapporterai à ce sujet un trait remarquable, que j’ai trouvé dans la vie de la V. mère Agnès de Langeac, dont j’ai déjà parlé.
Comme la mère Agnès priait dans le chœur, une religieuse qu’elle ne connaissait pas, parut devant elle, avec un visage fort abattu, et habillée comme le sont de nuit les religieuses. La considérant attentivement elle ouït une voix qui lui dit : c’est la sœur du Haut-Villars (c’était une religieuse du monastère du Puy, décédée il y avait plus de dix ans). En cette apparence, elle ne disait mot, mais elle témoignait assez, par son triste maintien, le grand besoin qu’elle avait d’être secourue. Aussi la mère Agnès, entendant bien ce qu’elle voulait dire, se mit à prier pour elle de la bonne sorte. Cela dura plus de trois semaines, pendant lesquelles cette pauvre défunte, toujours en peine, lui apparaissait presque en tout temps et en tous lieux, surtout après la communion ou l’oraison. La charitable mère ayant cru devoir en communiquer avec le confesseur, ce bon Père était d’avis qu’on fit savoir la chose au monastère de sainte-Catherine du Puy, dont la défunte avait été religieuse. Mais la mère Agnès ayant représenté que cela serait pris pour une rêverie, il demeura d’accord qu’on n’en manderait rien à personne, et que pour en parler à Dieu plus efficacement, elle ferait quelques prières extraordinaires, ce qu’elle put réaliser, ayant demandé à sa Prieure de faire des prières particulières pour les âmes du purgatoire. De quoi cette victime de la charité s’acquittant fort fervemment, la défunte continuait toujours ses apparitions à son ordinaire, si bien qu’elle entra en de grandes craintes que ce ne fût une illusion. Mais son ange la tira de cette peine, en l’assurant que c’était vraiment une âme du purgatoire qui souffrait ainsi, pour sa tiédeur au service de Dieu. Depuis cette apparition de l’ange, celle de l’âme cessa, en sorte qu’on ne put savoir combien de temps encore cette infortunée demeura au purgatoire.
Nous avons déjà vu une des sœurs de la mère Agnès la remercier, après sa mort, de ce que pendant la vie elle lui avait rappelé souvent la parole des saints livres : maudit soit celui qui fait l’œuvre de Dieu négligemment, et l’avait ainsi empêchée de s’abandonner à une fatale tiédeur. La sœur, dont je vais parler, n’avait probablement pas assez tenu compte de ces avis de la mère Agnès, car après sa mort elle fut condamnée à un rude purgatoire.
Voici le fait tiré, ainsi que le précédent, de la vie de la V. mère Agnès, par M. de Lantages.
Il mourut une religieuse de Langeac, nommée sœur Séraphique. Aussitôt le confesseur commanda à la mère Agnès de demander à Dieu qu’il lui plût lui faire connaître l’état de cette âme. Pour obéir, elle fit cette demande à Notre Seigneur en l’oraison. Et s’étant offerte à lui pour la religieuse, elle sentit incontinent une grande ardeur par tout le corps, par où elle comprit que Dieu lui voulait signifier que la pauvre sœur souffrait le feu du purgatoire. Et en effet, y ayant été menée aussitôt en esprit, elle l’y reconnut parmi plusieurs âmes qui brûlaient dans ces flammes, et entendit que d’une voix lamentable elle lui demandait du secours. Cette même sœur lui apparut une autre fois, et lui demanda sa bénédiction, que la mère Agnès lui donna, et environ huit jours après, la charitable supérieure ayant communié, descendit au chapitre, et se prosternant sur le tombeau de cette sœur, elle demanda avec beaucoup de larmes et de gémissements qu’il plût à la divine bonté de son Époux de tirer cette sienne fille des flammes qui la tourmentaient et retardaient de sa bienheureuse jouissance. A ces demandes si ferventes, une voix répondit sensiblement : " Continue encore de prier, il n’est pas temps de la délivrer. " Enfin deux jours après, la mère Agnès assistant à la messe, vit au moment de l’élévation, cette âme monter au ciel avec une extrême joie, et quand elle fut rentrée dans sa chambre, deux anges, en forme de jeunes garçons, lui apparurent, l’un desquels lui annonça que la sœur Séraphique était au ciel, et la remercia pour elle de ce qu’elle avait hâté sa délivrance du purgatoire.
J’ai parlé précédemment d’une religieuse de la Visitation, qui apparut à la Bse Marguerite-Marie, pour solliciter ses prières dans les rigoureux supplices qu’elle endurait : or cette pauvre sœur se lamentait surtout, au milieu de son supplice, pour sa trop grande facilité à prendre des dispenses de la règle et des exercices communs. Elle déplorait aussi bien vivement les soins qu’elle avait pris pour se procurer des soulagements et commodités, disant que, sans la sainte Vierge, elle aurait été perdue. Une autre religieuse qui lui apparut en même temps et qui souffrait moins, ne demandait aucun soulagement, de quoi la Bse Marguerite s’étonnait. Il lui fut répondu que cela ne lui était pas permis, à cause qu’elle avait manqué de correspondre à l’attrait que Dieu lui avait donné pour la pure souffrance, et que, contre les vues de la Providence, elle avait cherché son soulagement avec trop d’inquiétude.
Ces exemples sont propres à faire impression sur les âmes religieuses qui, après avoir commencé à se donner à Dieu, languissent au service d’un si bon Maître, et résistent aux inspirations de sa grâce, se traînant toute leur vie dans l’ornière de la routine et de la tiédeur. En voici d’autres qui montreront avec quelle sévérité sont punis les manquements aux vœux de pauvreté et d’obéissance, je ne parle pas ici des manquements au vœu de chasteté, car pour ceux qui ne craignent pas de souiller sacrilègement le don qu’ils ont fait d’eux-mêmes au divin Époux des âmes, leur place n’est pas dans le purgatoire, mais ailleurs.
Au rapport de sainte Madeleine de Pazzi, une religieuse fut détenue pendant seize jours dans le purgatoire, pour trois fautes qui nous paraîtraient bien légères : 1- Elle avait travaillé sans nécessité à de petits ouvrages de femme, pendant trois jours de fête. 2- elle avait omis, par respect humain, de faire connaître à ses supérieurs certaines inspirations que Dieu lui avait données, pour le bien de la communauté. 3- elle aimait un peu trop les siens. Ces fautes l’auraient même retenue plus longtemps dans le purgatoire, mais ses peines avaient été abrégées à raison de sa fidélité à garder la règle, de sa pureté d’intention et de sa charité envers ses sœurs.
Ceci nous amène à parler des fautes contre la charité, que Dieu a spécialement en horreur dans les personnes religieuses, et cela se conçoit, car rien n’est plus opposé à la sainte cordialité et dilection, qui doivent toujours régner entre ceux qui se donnent les doux noms de frères et de sœurs.
Saint Louis Bertrand, priant une nuit dans le chœur après matines, selon sa sainte habitude, vit venir à lui un religieux, tout enveloppé de flammes, qui se jeta à ses pieds, le supplia de lui pardonner une parole injurieuse qu’il avait prononcée contre lui bien des années auparavant : " Car, disait ce malheureux, c’est à cause de cela seulement que le Juge suprême me retient en purgatoire. Je vous supplie encore, mon Père, au nom de la sainte charité, de dire pour moi une seule messe, et j’espère que je serai aussitôt délivré de mes peines. " -» Quant à la parole que vous me rappelez, reprit le saint, je vous la pardonne bien volontiers, et dès demain, je dirai la messe que vous me demandez. " La nuit suivante, le défunt lui apparut radieux et glorifié, il montait au ciel. [39][39]
Ce trait rappelle la parole de Notre Seigneur dans l’Évangile : Quiconque dira à son frère : vous êtes un fou, sera condamné au feu.
La Bienheureuse Marguerite-Marie ayant vu en songe une religieuse décédée depuis longtemps, celle-ci lui dit qu’elle souffrait beaucoup en purgatoire, mais que Dieu venait de lui faire souffrir une peine incomparable en lui montrant une de ses parentes précipitée en enfer. "Je m’éveillai là-dessus, écrit la Bienheureuse, avec de si grandes peines qu’il me semblait qu’elle m’avait imprimé les siennes, sentant mon corps si brisé que je ne me remuais qu’avec peine. Mais comme on ne doit pas croire aux songes, je n’y faisais pas grande réflexion, mais elle m’y fit faire attention malgré moi, car elle me pressait si fort qu’elle ne me donnait pas de repos, me disant incessamment : priez Dieu pour moi : offrez-lui vos souffrances, unies à celles de Jésus-Christ, pour soulager les miennes. Donnez-moi tout ce que vous ferez, jusqu’au premier vendredi du mois, que vous communierez pour moi. Ce que je fis, avec la permission de ma supérieure. "
"Mais ma peine s’augmenta si fort qu’elle m’accablait, sans pouvoir trouver de soulagement et de repos. Car l’obéissance m’ayant fait retirer pour en prendre, je ne fus pas sitôt au lit qu’il me sembla la voir près de moi, me disant ces paroles : te voilà dans ton lit, bien à ton aise, regarde-moi, couchée sur un lit de flammes, où je souffre des maux intolérables. Et me faisant voir cet horrible lit, qui me fait frémir chaque fois que j’y pense dont le dessus était de pontes aiguës qui étaient tout en feu et lui entraient dans la chair. Elle me disait que c’était à cause de sa paresse et de ses négligences à l’observance de la règle, et de ses infidélités à Dieu. On me déchire le cœur avec des peignes de fer tout ardents, ce qui est ma plus grande douleur, pour la peine de mes murmures et des désapprouvements dans lesquels je me suis entretenue contre mes supérieurs. Ma langue est mangée de vermine pour punir mes paroles contre la charité. Et pour mes manquements au silence, ma bouche est tout ulcérée. Ah ! Que je voudrais que toutes les âmes consacrées à Dieu me pussent voir dans cet horrible tourment. Si je pouvais leur faire sentir la grandeur de mes peines et celles qui sont préparées à celles qui vivent négligemment dans leur vocation, sans doute qu’elles y marcheraient avec une autre ardeur dans l’exacte observance. Tout cela me faisait fondre en larmes. On me voulait donner quelques remèdes. Elle me dit : on pense bien à te soulager dans tes maux, mais personne ne pense à alléger les miens. Hélas ! Un jour d’exactitude au silence de toute la communauté guérirait ma bouche ulcérée. Un autre jour passé dans la pratique de la charité sans faire aucune faute contre elle, guérirait ma langue. Un troisième passé, sans aucun murmure ou désapprouvement contre les supérieurs, guérirait mon cœur déchiré ! "
Voici ce que la même sainte écrivait à propos d’une autre religieuse à sa supérieure, la mère de Saumaise  
" Je vous demande encore, comme à ma bonne mère, quelques secours particuliers pour cette pauvre sœur H. (c’était une religieuse décédée quelques mois auparavant) pour laquelle, dès le commencement de l’année, j’ai offert tout ce que je pourrais faire et souffrir. Elle ne m’a pas donné de repos que je ne lui aie fait cette promesse de faire pénitence pour elle, me disant qu’elle souffrait beaucoup, particulièrement pour trois choses, la première pour le trop de mollesse et de délicatesse de corps. La seconde pour les rapports et les manquements contre la charité. La troisième pour de certaines petites ambitions. Je vous demande pour elle, quelque charité et le secret. "
On voit par ces exemples, combien les personnes consacrées à Dieu par la profession religieuse doivent veiller sur toutes leurs paroles, sur toutes leurs actions, pour ne pas donner prise aux sévérités de la justice divine, qui les traitera selon la mesure de leur grâce, et l’étendue des lumières qu’il leur a données.
Mais que dire de ceux qui, par la grâce du sacerdoce, ont été faits des Christs vivants au milieu des hommes ! Dépositaires de la science sacrée, pour eux l’excuse d’ignorance est presque impossible. Dispensateurs des sacrements, qui sont les canaux par où la grâce et la vertu de Dieu se répandent dans les âmes, ils ne peuvent arguer de leur faiblesse. Élevés à la plus haute dignité qui soit sur la terre, et dans le ciel, faits participants du sacerdoce éternel de Jésus-Christ, revêtus de son autorité, pour traiter avec les âmes, ce haut degré d’honneur donne la mesure de leur châtiment, lorsqu’ils sont infidèles ou prévaricateurs. Hélas ! À combien d’entre eux ne s’appliquent pas les terribles paroles de l’Apôtre : hic jam quoeritur inter dispensatores ut fidelis quis inveniatur. Aussi les révélations des saints sont vraiment effroyables quant à ce qui regarde le purgatoire des prêtres.
La sœur Françoise de Pampelune, dont j’ai déjà parlé, nous apprend que les prêtres restent ordinairement dans le purgatoire plus longtemps que les laïcs, et les évêques plus longtemps que les simples prêtres, et l’intensité de leurs tourments est proportionnée à leur dignité. Elle nous apprend ainsi qu’un prêtre resta quarante ans en purgatoire pour avoir laissé, par sa négligence, une personne mourir sans sacrements. Un autre y resta quarante-cinq ans, pour avoir rempli avec une certaine légèreté les sublimes fonctions de son ministère. Un évêque, que sa libéralité avait fait surnommer l’aumônier, y demeura cinq ans pour la même cause : un troisième, qu’on vénérait comme un saint, fut condamné à cinquante-neuf ans de purgatoire pour certaines fautes d’administration.
Les vicaires de Jésus-Christ eux-mêmes, devenus après leur mort simples justiciables du tribunal de Dieu, sont punis d’ordinaire plus sévèrement que de simples évêques. Je ne saurais dire combien j’ai été frappé de ce que j’ai lu, à cet égard, dans la vie de la vénérable servante de Dieu, Anne-Marie Taïgi. Chacun a présentes à la mémoire les épreuves du vénérable Pie VI. arraché de sa demeure par les mains impies de la révolution française, outragé ignominieusement dans sa double dignité de Pontife et de Roi, traîné de ville en ville comme un criminel, il arrive à Valence, pour y mourir de la mort des confesseurs de la foi, le 29 août 9. Sa vie sur le trône pontifical avait été une digne préparation de cette mort héroïque. Il avait fait de grandes choses comme administrateur, avait lutté, avec une intrépidité tout apostolique, contre le gallicanisme et le joséphisme, ces deux précurseurs de la Révolution. En un mot, son long pontificat de vingt-quatre ans restera comme un des plus grands de l’histoire de l’Église. Or, en 6, dix-sept ans après sa mort, Marie Taïgi vit son âme se présenter à la porte du purgatoire, et redescendre ensuite dans l'abîme son expiation n'était pas encore achevée combien de temps devait-elle durer encore ? c'est le secret de Dieu on sait par la même source que Pie VII qui eut tant à souffrir de la part de Napoléon Ier et qui fut un si digne et si saint Pontife qu'il força l'admiration et le respect des incrédules demeura en purgatoire près de cinq ans. Léon XII n'y demeura que quelques mois à cause de son éminente piété et du peu de temps qu'il passa sur le trône pontifical au temps de saint Odilon de Cluny. Benoît VIII de sainte et douce mémoire éprouva lui aussi les rigueurs du jugement de Dieu quelques jours après sa mort. Il apparut à Jean évêque de Porto et lui apprit qu'il était condamné à une terrible expiation pour n'avoir pas répondu parfaitement à la grandeur de sa dignité suprême il espérait néanmoins éprouver du soulagement par les suffrages du saint abbé Odilon qui avait été son ami intime et à qui il avait accordé beaucoup de grâces spirituelles pendant les jours de sa vie mortelle :"je vous supplie conclut-il faites-lui donner avis de ma terrible position si vous avez encore quelque attachement pour moi pour plus de célébrité priez mon successeur Jean d'expédier de suite un messager à Cluny pour que cette vertueuse communauté se souvienne. " Dès que saint Odilon eut été informé de cette vision il se mit ainsi que toute la communauté à prier pour le pontife défunt il ajouta à ses prières beaucoup d'aumônes et d'autres oeuvres afin de satisfaire à la divine justice au bout de quelque temps l'économe Edelbert qui en cette qualité était chargé spécialement de la distribution des aumônes eut une vision à son tour il vit entrer au chapitre un personnage à l'aspect vénérable couvert d'un riche manteau portant une couronne enrichie de pierres précieuses il fit le tour de la salle s'inclinant plus ou moins profondément devant chaque religieux mais quand il fut arrivé au siège de l'Abbé il inclina la tête jusqu'au genoux du saint Edelbert étonné de ce spectacle ne savait qu'en penser lorsqu'il entendit une voix qui disait distinctement :"Celui-ci est le souverain pontife Benoît qui vient d'être délivré du purgatoire par les suffrages de votre saint Abbé et de sa communauté. Avant de monter au Ciel il a voulu venir témoigner sa gratitude à ses bienfaiteurs et les assurer qu'à son tour il ne les oubliera pas devant Dieu. " C'est ainsi que la plus haute majesté qu'il y ait sur la terre celui à qui ont été confiées les clefs du royaume du Ciel ne peut y entrer lui-même qu'après avoir satisfait entièrement pour ses propres fautes (Ce trait est tiré du Speculum historicum de Vincent de Beauvais, livre XXIV, chapitre CV. on le trouve aussi dans la vie de saint Odilon, par les Bollandistes.) Mais voici qui est vraiment effroyable et qu'on n'oserait croire si on n'avait pour garants de ce fait. Sainte Lutgarde dont la prudence et la discrétion sont connues et le pieux cardinal Bellarmin qui après avoir étudié en théologien tous les détails de cette révélation déclare qu'il ne peut en douter et qu'elle le fait trembler pour luisette il s'agit du grand pontife Innocent III celui qui célébra le concile de Latran et fit tant pour la réforme de l'Eglise et des ecclésiastiques après sa mort il apparut à sainte Lutgarde tout environné de flammes :-"Qui donc êtes-vous âme infortunée ? demanda la sainte. " -"Je suis répondit le défunt le feu pape Innocent III.) -- (Quoi ! un si grand et si saint pontife notre père et notre modèle et d'où vous vient un si terrible châtiment ?" -- (J'expie trois fautes pour lesquelles je devais être damné si au dernier moment la Mère de miséricorde ne m'avait obtenu de son divin Fils la grâce de la contrition parfaite. Mes fautes ont été pardonnées mais il me reste à en subir l'expiation. " --Combien de temps doit-elle durer ? -- "Elle sera bien longue encore car je suis condamné aux supplices les plus atroces jusqu'à la fin du monde. (oeternam quidem mortem evasi, sed poenis atrocissimis usque ad diem judiciicruciabor) Marie m'a encore obtenu cette faveur de venir vous trouver pour vous intéresser à mon sort. Ayez donc pitié de moi je vous en conjure. " La sainte se mit aussitôt avec ses religieuses à intercéder de toutes ses forces pour le malheureux pontife mais rien ne vint lui indiquer que ses prières avaient été exaucées et il est bien possible qu'au bout de cinq siècles l'infortuné soit encore plongé dans ces peines atroces dont il demandait avec tant d'instances d'être délivré sur quoi le cardinal Bellarmin fait ces réflexions :"Cet exemple me remplit vraiment de terreur toutes les fois que j'y pense en voyant un pontife si digne d'éloges qui passe pour un saint aux yeux des hommes sur le point de manquer son salut et condamné aux plus horribles tourments du purgatoire jusqu'à la fin du monde quel sera le prélat qui ne tremblera de tous ses membres ? Qui ne sondera les derniers replis de son coeur pour en chasser les moindres fautes ?". (On peut consulter sur cette histoire : Surius, Vie de sainte Lutgarde, liv. III, chap. IV, et Bellarmin, de gemitu columboe, liv. II, ch. IX.) On comprend après cela combien sont insensés ceux qui désirent des prélatures et autres dignités ecclésiastiques malheureux qui ne considèrent pas que la responsabilité grandit avec la charge et que plus on est élevé en dignité dans l'Eglise plus on aura de comptes à rendre à Dieu pour son administration on peut voir dans la vie de sainte Thérèse ce qu'elle pensait à cet égard "On m'annonça c'est la sainte qui écrit la mort d'un religieux qui avait été jadis provincial de cette province et qui l'était alors d'une autre cette nouvelle me causa de grands troubles quoique ce fût un homme recommandable par bien des vertus j'appréhendais pour le salut de son âme parce qu'il avait été vingt ans supérieur et je crains toujours beaucoup pour ceux qui ont charge d'âmes je m'en allais fort triste à un oratoire là je conjurais le Seigneur d'appliquer à ce religieux le peu de bien que j'avais fait en cette vie et de tirer du purgatoire pendant que je demandais cette grâce avec toute la ferveur dont j'étais capable je vis à mon côté droit cette âme sortir de terre et monter au Ciel dans des transports d'allégresse. " (Vie de sainte Thérèse par elle-même, chap. XXXVIII.) Je rapporterai encore un exemple qui est bien propre à guérir du désir des dignités ecclésiastiques la bienheureuse Jeanne de la Croix religieuse Franciscaine avait eu de fréquents rapports avec un des plus grands prélats de son époque que son historien ne nomme pas pendant longtemps il l'avait traitée avec affection et respect puis un jour à la suite d'un avertissement qu'elle lui fit de la part de Dieu pour l'inviter à se corriger de certains défauts de caractère il se fâcha et depuis la persécuta de plusieurs manières or il advint qu'il mourut et la sainte voulant rendre le bien pour le mal se mit à prier pour lui de toutes ses forces une nuit qu'elle priait à cette intention le défunt lui apparut avec un visage abattu et lamentable une mitre brûlante sur le front une crosse de feu en main des chaîne embrasées fermaient ses lèvres et l'empêchaient de pousser autre chose que des gémissements étouffés au lieu de ses riches habits il était couvert de misérables haillons il était environné de quelques âmes que ses exemples avaient portées au relâchement et les démons le tourmentaient de mille façons douloureuses et humiliantes la bienheureuse effrayée de ce spectacle demanda à son ange gardien si c'étaient les peines de l'enfer ou du purgatoire mais celui-ci lui répondit :" Dieu vous le fera savoir en temps utile. " Elle continua nonobstant cette terrible incertitude à prier pour lui et quelques jours après l'âme du défunt lui apparut de nouveau mais ses tourments étaient diminués il la remercia de ce qu'elle faisait pour lui la conjurant de continuer ses suffrages et lui demanda humblement pardon maintenant qu'il pouvait parler de son injustice à son égard. "Béni soit Dieu s'écria la bonne religieuse pour la consolation que j'éprouve à vous savoir préservé de l'enfer j'avais redouté ce sort affreux pour vous en vous voyant entouré de démons quand vous m'apparûtes pour la première fois. " Jeanne continua d'intercéder pour lui et au bout de quelque temps encore il fut délivré de ses peines. (Voir chron. des frères Mineurs, IV p. liv. II, ch. XVIII.) Voyons maintenant pour notre instruction à tous quelles sont les fautes que Dieu punit si sévèrement dans ses prêtres la tiédeur est une bien triste et bien dangereuse maladie dans les simples fidèles mais que dire de la tiédeur dans les prêtres ? Comment ce coeur qui chaque matin dans le mystère de l'autel repose sur le coeur de Jésus peut-il ne pas être dévoré des saintes flammes de l'amour de Dieu ? Saint Bernard va nous faire connaître quelle fut la punition d'un de ses moines qui malgré son double caractère de prêtre et de religieux s'était laissé aller à cette déplorable négligence si commune hélas ! Pendant qu'on chantait la messe des funérailles un vieux religieux d'une sainteté peu commune vit une troupe de démons qui se réjouissaient en criant :"Enfin nous y voilà ! de cette indigne vallée (allusion au nom de Clairveaux) nous n'avons pu tirer encore qu'une seule âme mais celle-là est à nous !. . . " la nuit suivante le défunt lui apparut en personne dans un extérieur misérable et désolé :"Hier lui dit-il vous avez eu connaissance de mon supplice et de la joie des esprits mauvais voyez maintenant les tortures auxquelles je suis livré en punition de ma coupable négligence. " il conduisit alors le vénérable vieillard à un puits large et profond tout rempli de fumée et de flammes :" Voici le lieu ou les démons pleins de rage ont permission de me précipiter continuellement ils m'en retirent à chaque instant pour m'y précipiter de nouveau sans m'accorder un instant de trêve ou de repos. " le lendemain matin le bon moine alla trouver saint Bernard pour lui faire part de sa vision le saint qui avait eu pendant la nuit une apparition semblable convoqua aussitôt le chapitre et les larmes aux yeux raconta la double vision exhortant ses religieux à prier pour leur pauvre frère défunt et à profiter de ce triste exemple pour avancer eux-mêmes dans la ferveur et dans le soin d'éviter les petites fautes on dit qu'en effet ces fervents religieux profitèrent du malheur de leur frère pour accomplir avec plus de ferveur encore tous les devoirs de leur sainte profession une des fonctions les plus importantes du prêtre c'est sans contredit d'être sur la terre le ministre officiel de la prière de l'Eglise pendant que les laïcs vaquent à leurs travaux dans les jours de la semaine et se contentent d'un léger souvenir accordé à Dieu matin et soir le prêtre placé comme un autre Moise sur la montagne sainte élève sept fois le jour son coeur et sa pensée vers le Ciel pour en faire descendre la bénédiction de Dieu sur tout le peuple chrétien qui combat dans la plaine quelle faute j'allais presque dire quel crime quand le prêtre manque à ce grand ministère de l'intercession ou ce qui revient à peu près au même quand il s'en acquitte avec tant de négligence que la sainte Eglise est privée du fruit qu'elle devait retirer de l'oblation de ses lèvres le saint bréviaire sera pour beaucoup de prêtres, (et puisse t-il ne le devenir jamais pour moi) l'occasion de beaucoup de fautes et d'un rigoureux purgatoire voici un exemple bien remarquable à ce sujet : je l'ai trouvé dans saint Pierre Damien. (Lettre XIV à l'abbé Desiderius.) Saint Séverin archevêque de Cologne avait été honoré du don des miracles sa vie tout apostolique ses grands travaux pour l'accroissement du règne de Dieu dans les âmes devaient lui mériter les honneurs de la canonisation or après sa mort voilà qu'il apparut à un des chanoines de sa cathédrale pour demander des prières --"Comment ! Vous ! s'écria le prêtre consterné, vous, pasteur si pieux et si zélé vous qui avez fait tant de bien dans votre diocèse vous que nous invoquions déjà comme notre protecteur et notre père ?" -- "Il est vrai, répondit le prélat, Dieu m'a fait la grâce de le servir de tout mon coeur et de travailler longtemps à sa vigne néanmoins je l'ai offensé souvent par la manière pressée dont je récitais mon bréviaire les affaires et les préoccupations de chaque jour m'absorbaient tellement que lorsque venait l'heure de la prière je m'acquittais de ce devoir sans assez de recueillement et quelquefois à d'autres heures que celles fixées par l'Eglise en ce moment j'expie ces infidélités et Dieu me permet de venir réclamer vos prières ne me les refusez pas. " L'histoire ajoute que Séverin fut un peu plus de six mois dans le purgatoire pour cette seule faute saint Séverin était un saint qui rachetait ses fautes légères commises dans le religieux dont je vais parler était sans doute plus coupable car il fut rigoureusement puni Le bienheureux Etienne religieux Franciscain avait la sainte coutume de passer chaque nuit plusieurs heures auprès du saint-Sacrement une nuit il aperçut dans une des stalles du choeur un religieux assis le capuchon rabattu sur la figure étonné de le voir en ce lieu à cette heure il s'approche et lui demande ce qu'il fait ainsi à l'église pendant que tous les frères reposent. "Je suis répond le frère d'une voix lugubre un religieux défunt de ce monastère condamné par la justice divine à endurer ici un rigoureux purgatoire à cause des fautes nombreuses que j'ai commises à cette place dans la récitation de l'office divin. J’expie ainsi mes distractions volontaires et ma tiédeur dans la prière. Quand me sera t-il donné de sortir de cette situation douloureuse ?" Le Bienheureux se mit aussitôt à réciter le De profundis avec l'oraison Fidelium de quoi ce pauvre défunt témoigna être fort soulagé il lui apparut encore un grand nombre de nuits pour exciter sa compassion une fois après le De profundis il quitta sa stalle avec un soupir de satisfaction il était enfin délivré de ses peines (voir Chroniq. des frères mineurs, liv. ch. xxx.) En même temps que le saint Bréviaire le prêtre a un autre grand ministère dans l'accomplissement duquel il ne saurait trop se surveiller tous les jours il monte à l'autel pour y offrir le pain des anges avec quelle ferveur avec quel saint tremblement ne fit-il pas cette grande action pour la première fois ! Mais hélas ! (assueta vilescunt !) Peu à peu si on n'y prend garde la ferveur sensible diminue les irrévérences se multiplient heureux qui dans le cours de sa vie sacerdotale a pu se préserver de l'effroyable malheur de la messe sacrilège ? Mais l'enfer n'est pas de trop pour expier un tel crime s'il n'est pas expié avant la mort par une sincère pénitence dans cette étude sur le purgatoire il ne s'agit que de fautes moins graves et je veux dire un mot ici de l'observance des rubriques la soeur Françoise de Pampelune vit une fois dans le purgatoire un pauvre prêtre dont les doigts étaient rongés d'ulcères hideux il était ainsi puni pour avoir fait les signes de la croix avec trop de légèreté et sans la gravité nécessaire c'est une bien petite faute dira t-on sans doute mais c'est une faute. L'Eglise a pris la peine de prescrire dans le moindre détail tout l'ordre des saintes cérémonies. Elle a voulu et avec raison que rien ne fût laissé à l'arbitraire et à la fantaisie afin d'obtenir une simple et majestueuse uniformité. Si ces prescriptions rubricistes étaient mieux observées, les pieux fidèles ne seraient pas contristés comme ils le sont si souvent par le spectacle de ces messes célébrées sans dignité, de ces signes de croix qui semblent chasser les mouches, de génuflexions à ressorts, de ces irrévérences qui font demander aux impies si tout cet apparat est sérieux ou si ce n'est pas une comédie d'où la foi est absente (Sacrificat an insultat). Un abus beaucoup plus grave bien qu'heureusement moins fréquent, c'est d'accumuler par défaut d'ordre des intentions de messe que l'on est exposé à oublier. Ensuite il est bon que l'on sache que la justice de Dieu qui est inflexible pour les dettes de justice comme nous l'avons vu déjà se montre vraiment impitoyable pour une dette sacrée comme celle-là. Voici un fait assez récent qui a été rapporté par le journal le Monde (n° du 4 avril 0). Le fait se passe en Amérique dans une abbaye de Bénédictins située au village de Latrobe. Une série d'apparitions avait eu lieu dans le couvent à cette époque et la presse américaine avait traité ces graves questions avec sa légèreté ordinaire. L'abbé Wimmer, supérieur de la maison écrivit la lettre suivante aux journaux pour faire cesser le scandale "Voici la vérité : dans notre abbaye de saint-Vincent près de Latrobe en septembre 9 un novice a vu apparaître un religieux Bénédictin en costume complet de chœur. Cette apparition s'est renouvelée chaque jour depuis le 18 septembre jusqu'au 19 novembre soit de onze heures à midi soit de minuit à deux heures du matin. Le 19 novembre seulement le novice a interrogé l'esprit en présence d'un autre membre de la communauté sur ce qu'il demandait. L'esprit a répondu qu'il souffrait depuis soixante-dix-sept ans pour n'avoir pas dit sept messes d'obligation ; qu'il était déjà apparu à diverses époques à sept autres Bénédictins ; qu'il n'avait pas été entendu ; qu'il serait encore contraint d'apparaître dans onze années si lui novice ne venait pas à son secours. L'esprit demandait que ces messes fussent dites pour lui ; de plus le novice devait pendant sept jours demeurer en retraite et garder un profond silence ; en outre et pendant trente trois jours il devait réciter trois fois par jour le psaume Miserere, les pieds nus et les bras en croix. " "Toutes ces conditions ont été remplies à dater du 20 novembre jusqu'au 25 décembre ou après la célébration de la dernière messe l'esprit s'était montré encore plusieurs fois exhortant le novice dans les termes les plus pressants à prier pour les âmes du purgatoire disant qu'elles souffrent affreusement et qu'elles sont profondément reconnaissantes envers ceux qui concourent à leur rédemption ; l'esprit a ajouté, chose bien triste à dire que des cinq prêtres qui sont déjà morts à notre abbaye aucun n'était encore au Ciel ; que tous souffraient dans le purgatoire. Je ne tire pas de conclusion mais ceci est exact. Ce récit signé de la main de l'abbé n'a pas besoin en effet d'autres conclusions ; il se passe de commentaires. Mais le prêtre n'est pas seulement l'homme de Dieu, il est encore l'homme de ses frères et à ce titre il a de nombreux et graves devoirs à remplir ; malheur à lui s'il y manque ! (Non pavisti occidisti. Sanguinem ejus de manutua requiram.) Dieu demandera sang pour sang, âme pour âme. L'exemple suivant montrera combien il faut avoir soin de se corriger des défauts de caractère qui sont si nuisibles à la pratique du zèle. Un religieux nommé Germain, abbé d'un monastère de Bénédictins relevant de Citeaux, avait mené la vie d'un saint dans le cloître mais il avait ce défaut de n'avoir pas une sainteté aimable. Son zèle dur et sans miséricorde aurait voulu faire des saints de chacun de ses religieux. Aussi sa sévérité poussée à l'excès était plus propre à éloigner les âmes de la perfection qu'à leur en donner l'amour. Il mourut jeune et comme il était en relation de spiritualité avec sainte Lutgarde celle-ci pensant qu'il aurait peut-être à expier sa rigueur dans le purgatoire se condamna à des jeûnes, à des prières, à des mortifications nombreuses en sa faveur. Notre Seigneur apparut une première fois à la sainte et lui dit :"Aie courage ma fille, j'aurai égard à ton intercession. " Elle continua ses prières. Notre Seigneur lui apparut de nouveau et lui dit "Sois tranquille, avant peu Germain sera délivré de ses peines. " La sainte lui répondit :"Sauveur très aimant je vous prie de reporter sur cette âme souffrante toutes les consolations que dans votre miséricorde infinie vous destiniez à votre servante car je ne cesserai de me lamenter et de gémir jusqu'à ce que je sache qu'elle est dans la gloire. " Le divin Sauveur se laissa toucher à ces instantes prières. Au bout de quelque temps il apparut pour la troisième fois à Lutgarde en compagnie de l'âme de l'abbé et lui dit :"Sois en paix ma bien-aimée voici l'âme pour laquelle tu as tant prié. " En même temps l'âme de Germain inondée d'allégresse la remerciait en lui disant :"Sans vous ma soeur j'étais condamné à onze ans encore de purgatoire à cause de mon zèle trop amer mais grâce à Dieu et à vos prières l'épreuve est finie et je vais au Ciel. " (Vie de sainte Lutgarde dans Surius, au 16 juin.) Les paroles contre la charité que Dieu comme nous l'avons vu punit si rigoureusement dans la bouche des laïcs et des religieux ne trouvent pas grâce devant lui quand il les rencontre sur ces lèvres sacerdotales qui sanctifiées chaque jour par l'attouchement eucharistique ne devraient laisser échapper que des paroles de paix et d'amour. Le père de Nieremberg, religieux de la compagnie de Jésus était très dévot aux âmes du purgatoire ; une nuit qu'il priait pour elles dans le choeur de l'église du collège à Madrid il vit apparaître un père qui avait professé longtemps la théologie dans la maison et qui venait de mourir. Il était livré à de rudes tourments pour avoir souvent parlé contre la charité. Sa langue en particulier, instrument de ses fautes était dévorée par un feu cuisant. La très sainte Vierge en récompense de la tendre dévotion qu'il avait eue pour elle lui avait obtenu de venir solliciter des prières et servir en même temps d'exemple à ses frères pour leur apprendre à mieux veiller sur toutes leurs paroles. Le père de Nieremberg ayant prié et fait beaucoup de pénitences pour lui, obtint enfin sa délivrance. (Voir vie du P. Nieremberg, ch. IX.) Voici maintenant le châtiment des fautes contre les supérieurs, le mauvais esprit, les cabales et les petites intrigues contre l'autorité. Tous ces défauts déplaisent fort à Notre Seigneur et l'on ne peut rien imaginer de plus contraire à l'esprit ecclésiastique qui est un esprit d'obéissance et de dilection. Un prieur de la Grande Chartreuse s'était laissé aller au schisme du Conciliabule de Pise. Il avait été relevé des censures avant de mourir et avait fait pénitence de sa faute. Néanmoins Dieu qui a horreur de l'esprit d'orgueil et de désobéissance contre les supérieurs lui imposa de grandes souffrances dans le purgatoire jusqu'à ce que par les prières de la bienheureuse Catherine de Racconigi à qui il était apparu. Il fût délivré au bout d'un temps assez long. (Vie de la bienh. in diaro dominicano, 4 sept.). Je terminerai tout ce que j'ai à dire du purgatoire des prêtres par le trait suivant ou sont rassemblés plusieurs des défauts les plus communs dans le sacerdoce. La bienheureuse Marguerite-Marie étant une fois devant le saint Sacrement, tout à coup se présenta à elle une personne tout en feu dont les ardeurs la pénétrèrent si fort qu'il lui sembla brûler avec elle l'état pitoyable où elle vit ce défunt lui fit verser des larmes c'était un religieux bénédictin de la congrégation de Cluny à qui elle s'était confessée auparavant et qui lui avait ordonné de faire la communion en récompense de quoi Dieu lui avait permis de s'adresser à elle pour trouver du soulagement dans ses peines. Ce pauvre prêtre lui demandait que dans l'espace de trois mois tout ce qu'elle ferait ou souffrirait lui fût appliqué. Ce qu'elle promit après en avoir demandé la permission. Il lui dit que la première cause de ses grandes souffrances était d'avoir préféré son propre intérêt à la gloire de Dieu par trop d'attache à sa réputation. La seconde, ses manques de charité envers ses frères ; la troisième, le trop d'attache naturelle qu'il avait eue pour les créatures et les témoignages qu'il leur en avait donnés dans les entretiens spirituels, ce qui déplaisait beaucoup à Dieu. Il est difficile de dire tout ce que la bienheureuse eut à souffrir l'espace des trois mois pendant lesquels il ne la quittait pas du côté où il était elle se sentait tout en feu avec de si vives douleurs qu'elle en pleurait toujours. sa supérieure touchée de compassion lui ordonnait des pénitences et des disciplines car les peines et les souffrances qu'on lui accordait la soulageaient beaucoup. Les tourments que la sainteté de Dieu imprimait en elle comme un échantillon de ce que ces pauvres âmes endurent étaient insupportables. (Vie de la bienheureuse.) Ces exemples sont bien tristes dira-t-on ; c'est vrai et plus d'un sera peut-être tenté de s'écrier s'il en est ainsi mieux vaut ne pas être prêtre ou religieux ; il n'en est rien cependant. D'abord si Dieu vous a appelé à vous consacrer à son service il est probable que vous ne pouvez guère vous sauver qu'en répondant à son appel en sorte que reculer devant le sacerdoce ou la vie religieuse à cause des responsabilités de l'avenir ce serait s'exposer tout simplement à échanger le purgatoire contre l'enfer ; en second lieu pour la consolation de mes bien-aimés frères dans le sacerdoce je dirai que si nous avons bien des occasions de multiplier nos dettes nous en avons beaucoup aussi d'accumuler nos mérites. Or les dettes se payent par une peine temporelle plus ou moins longue plus ou moins rigoureuse au lieu que les mérites acquis se changent en une récompense éternelle et comme il n'y a aucune proportion possible de ce qui finit à ce qui ne finit pas le plus petit degré de gloire de plus dans le ciel est incomparablement supérieur à tous les tourments du purgatoire dussions-nous les subir jusqu'à la fin du monde nous pouvons hardiment même en ce triste sujet répéter bien haut les paroles du psalmiste :(Funes ceciderunt mihi in proeclaris. etenin hoereditas mea proeclara est mihi !) Cet héritage c'est la possession plus entière de Dieu pendant les jours sans fin de l'éternité ! (Dominus pars hoereditatis meoe et calicis mei.) Que ces exemples ne nous découragent donc pas mais qu'ils nous excitent à redoubler de vigilance sur nous-mêmes pour éviter ces petites fautes qui selon le Concile de Trente sont toujours graves dans les prêtres. (Levia étiam delicta quoe in ipsis gravia essent, effugiant.)
Chapitre 7 Etat surnaturel des âmes du purgatoire
Elles sont constituées extra viam. De la, impuissance absolue a méditer et a satisfaire par leurs propres œuvres. - Sciences des âmes du purgatoire. - Connaissent–t- elles Dieu, la cause de leur condamnation, leur sort éternel, la durée de leurs peines ? Connaissent-elles les péchés les unes des autres ? Voient-elles ce qui se passe sur la terre ? Connaissent-elles les bonnes œuvres que l’on fait pour elles ? Ont-elles la science des futurs contingents ? Comment ont-elles ces diverses connaissances ? Opinions diverses à ce sujet. – Vertus des âmes du purgatoire – Foi, Espérance, Charité, religion, soumission à la volonté de Dieu, contrition, humilité, patience, zèle, et amour du prochain, reconnaissance envers leurs bienfaiteurs. Si dès maintenant, les âmes du purgatoire peuvent prier pour nous- Exposé des diverses opinions.
Assez de descriptions lugubres et d’analyse de la souffrance. Je vais aborder maintenant une étude plus consolante. Appuie comme toujours sur la théologie et sur les révélations des saints, je vais essayer de pénétrer dans ces âmes, pour y découvrir leur disposition et me faire une idée de leur état surnaturel. C’est un beau sujet mais bien obscur. car qui nous dira, avant de l’avoir éprouvé soi-même, ce qui se passe dans ces âmes toutes resplendissantes déjà de l’auréole de la sainteté, bien que leur gloire soit encore voilée sous les ombres de la pénitence et de l’expiation. Il y a cependant au milieu de ces obscurités quelques points plus brillants qui servent à éclairer le reste. C’est à eux que je m’attacherai plus spécialement.
Une première vérité sur laquelle tout le monde est d’accord, c’est que les âmes du purgatoire sont constituées extra viam. De la, pour elles, l’impossibilité absolue ou elles sont de méditer davantage et d’expier quoi que ce soit, autrement qu’en subissant leur peine. Si elles pouvaient s’aider elles-mêmes par leurs œuvres, leur ferveur est telle, et leur désir de voir Dieu si grand, qu’en un instant, au prix des plus grandes souffrances, le purgatoire serait vide. Mais elles sont plongées dans cette nuit dont parle l’écriture. (Venix nox, quando nemo potest operari). Quelques théologiens catholiques ont pensé cependant qu’ils peuvent mériter un accroissement accidentel de gloire, et même satisfaire pour leur péchés véniels. Ce fut d’abord la pensée de St Thomas, qui dit dans sa Somme (IV, dist. XXI, q I art. 3. 3) : << Apres cette vie, on ne peut plus mériter ce qui fait l’essence même du bonheur du ciel, mais bien un accroissement accidentel de gloire, et cela tant que l’homme reste en quelque manière in via. C’est pourquoi dans le purgatoire on peut mériter la remission des fautes vénielles. >> Mais plus tard le grand docteur paraît avoir changé d’avis, car en traitant du mal (q. VII, art. 11), il décide positivement que dans le purgatoire, il ne peut y avoir aucun mérite ni naturel, ni accidentel. D’autres pensent, avec Sylvius (q. LXXI, art. 2), que les défunts ne peuvent mériter, ni satisfaire pour leurs fautes, mais qu’ils peuvent s’aider eux-mêmes en priant. Et la raison qu’il en donne, c’est que l’Eglise dans sa liturgie nous montre les âmes du purgatoire priant pour elles-mêmes. Or, si elles peuvent prier, pourquoi cette prière serait-elle privée de tout mérite impetratoire ? Ces âmes sont saintes. Elles apportent à la prière toutes les conditions de ferveur et d’humilité requise. L’objet de leur demande est conforme à la volonté de Dieu, puisqu’elles prient pour que son règne arrive en elles. Pourquoi cette prière serait-elle inutile ? Ainsi raisonnent les théologiens, et leurs raisonnements paraissent fondés. Malheureusement ils sont sur ce point en désaccord avec la révélation des saints, toujours c’est un long cri d’impuissance qui monte de l’abîme, et toutes les apparitions peuvent se résumer dans cette plainte lamentable : O vous qui êtes encore sur la terre, aidez-nous car nous ne pouvons plus rien faire que souffrir, en attendant que nous n’ayons payé toute notre dette. Etudions maintenant ce qui se passe dans l’intelligence de ces âmes. Que savent-elle de la vie future ! Que savent-elles de ce qui se passe sur la terre ? Au moment de la mort, le voile s’est déchiré. L’âme a vu Dieu, dans la réalité, dans la majesté de sa gloire. Elle a emporté dans les ténèbres de son cachot, comme une consolation et comme une espérance, l’adorable vision de Notre Seigneur Jésus-Christ. Mais tout le temps que dure son expiation, elle soit privée de la vision béatifique, car autrement le purgatoire deviendrait aussitôt le ciel et il n’y aurait plus de place pour la souffrance. Ce n’est que lorsqu'elle aura passe le seuil rayonnant du ciel que son intelligence sera élevée à la claire vision de Dieu et du Mystère de l’Eternité, in lumine tuo videbimus lumen. A l’heure du jugement, l’âme a vu sa vie entière. Dans le livre de ses actes, elle a pu lire la cause de sa condamnation. Il semble naturel après cela de penser que ce souvenir de ses fautes l’accompagne au lieu de ces expiations. Néanmoins sainte Catherine de Gênes, au premier chapitre de son beau traité du purgatoire, nous affirme positivement le contraire :



<< Ces âmes ne sauraient plus se retourner vers elles-mêmes et dire : J’ai fait tels péchés, pour lesquels je mérite de rester ici. Je voudrais ne les avoir pas faits parce que j’irai au Paradis. Elles ne voient qu’une seule fois, au moment du passage de cette vie a l’autre, la cause du purgatoire qu’elles ont en elles-mêmes. A partir de ce moment, elles ne le voient plus. >> (Traite du purgatoire, chap. I.). Malgré la haute autorité de sainte Catherine, j’ai peine à croire qu’il en soit ainsi. Pourquoi ce souvenir des fautes commises serait-il pour une âme une imperfection et un retour d’amour propre ? La contrition qui nous fait pleurer nos pèches pendant la vie est-elle une imperfection, elle aussi ? D’ailleurs toutes les révélations que j’ai citées dans les chapitres précédents attestent ce souvenir persévérant des fautes. Les âmes qui viennent solliciter nos prières savent et disent pourquoi elles sont condamnées. Je suis donc force, à mon grand regret, de ce point de l’autorité, si grave cependant, de sainte Catherine. Ce qui me permet d’être si hardi, c’est que j’ai pour moi sainte Françoise Romaine qui m’apprend que, non seulement les âmes du purgatoire ont le souvenir actuel de leur pèche, mais encore qu’elles connaissent les pèches de tous ceux qui souffrent avec elles. Cette vue, dit la sainte, les excitent à de grands sentiments de conformité à la volonté de Dieu et les ravit d’admiration, parce qu’elles voient distinctement comment la justice divine punit chaque âme, précisément dans la mesure de ses fautes. Les âmes du purgatoire se connaissent les unes les autres : << Ma sœur, disait une âme du purgatoire a une religieuse inquiète du sort éternel de son père qui venait de mourir subitement, votre père est sauf, mais il est condamné à 20 ans d’un terrible purgatoire. Cependant je dois ajouter, pour votre consolation, que votre petite sœur, N., vient d’être délivrée des flammes et qu’elle est au ciel. >> Dans le même ordre de connaissances, il semble certain que les âmes du purgatoire connaissent les réprouvés, j’ai cité, au chapitre V, l’exemple d’une religieuse qui disait à la bienheureuse Marguerite-Marie que la vue d’une de ses parentes, précipitée en enfer, lui avait causé un accroissement de douleur intolérable. Les âmes du purgatoire connaissent-elles leur sort éternel ? Sont-elles sûres de leur salut ? Denys le Chartreux rapporte plusieurs faits qui semblent indiquer le contraire. Gerson pense que cette incertitude du salut est la plus grande peine du purgatoire. Quelques vieux théologiens sont du même avis. Mais ce sentiment n’est plus soutenable, depuis qu’il a été condamne par Léon X dans Luther, qui en avait fait une de ses thèses. Aussi aujourd’hui tous les théologiens catholiques tiennent que les âmes du purgatoire connaissent leur sort éternel, et les révélations des saints confirment presque toute cette opinion. Si donc on admet comme véritables les apparitions citées par Denys le Chartreux, et je crois qu’on aurait tort de les rejeter légèrement, il faut dire que cette incertitude du salut est une peine exceptionnelle et très grave, infligées à quelques âmes seulement. Ces âmes sont dans l’état de grâce, elles aiment Dieu de tout cœur, mais elles n’ont pas conscience de cet amour, comme cela est arrivé à plusieurs saints pendant leur vie. Les âmes du purgatoire connaissent-elles la durée de leur épreuve ? La grande majorité des théologiens le nie, mais j’avoue avoir bien de la peine à comprendre leurs raisons. Quand l’âme a été jugée, il semble naturel de penser que Dieu lui ait fait connaître sa sentence. Or la durée d’une peine, qui peut varier entre quelques heures et les siècles inconnus qui nous séparent du jugement dernier, n’est pas chose indifférente. Comprendrait-on un Juge qui, après avoir condamné un coupable à la prison, ne lui ferait pas connaître s’il s’agit de 20 ans de travaux forcés ou de quelques heures de détention ? Du reste ce qui incline encore plus à me séparer sur ce point de la presque unanimité des théologiens, c’est que, dans toutes les révélations faites à des saints personnages, les âmes qui apparaissent connaissent la durée de leur épreuve et les abréviations qu’y fera la divine miséricorde, en considération de telle ou telle bonne œuvre qu’elles sollicitent. J’admettrais cependant, pour tout concilier, que par une disposition spéciale de la justice de Dieu, certaines âmes ignorent la durée de leur châtiment. Mais je pense que cette peine exceptionnelle, qui n’est pas médiocre, ne saurait faire loi générale. Voilà ce qui regarde la science que les âmes du purgatoire ont de l’autre vie. Voyons maintenant ce qu’elles connaissent de la vie présente. Connaissent-elles ce que l’on fait pour elles ici-bas ? La plupart des théologiens disent non, mais les révélations des saints répondent, oui. On demandait un jour à une apparition, si les âmes du purgatoire connaissent ceux qui prient pour elles. La réponse est affirmative. Les âmes du purgatoire nous voient-elles ? Savent-elles ce qui ce passe dans le monde, dans leur famille ? << Oui, répond l’apparition arrivée a Malines en 0, et que j’ai déjà cité plusieurs fois, oui, les âmes du purgatoire nous voient, et la vue des péchés des leurs est un de leurs principaux châtiments. >> Les théologiens, Suarez entre autres, qui admettent que les âmes connaissent ainsi ce qui se passe sur la terre, se demande par quel moyen cela se fait. La plupart concluent que les anges, spécialement l’ange gardien des âmes, sont des intermédiaires que Dieu charge de leur révéler les choses d’ici bas. Ce sentiment, qui est tout à fait conforme aux visions de sainte Françoise romaine, me paraît certain, pourvu que l’on ait soin de réserver la liberté de Dieu, qui peut passer de ces agents ou en choisir d’autres a son gré. Une dernière question au sujet de la science des âmes du purgatoire : Connaissent-elles les futurs contingents ? Ici, je suis tout à fait porté à répondre négativement avec la plupart des théologiens, car la connaissance des futurs contingents ne peut être communiqué aux âmes que par Dieu, et l’on ne voit pas pourquoi Dieu ferait ce don aux âmes du purgatoire. Néanmoins il paraît prouver par un certain nombre d’apparitions authentiques, que Dieu a fait quelque fois cette révélation. On a des preuves certaines de certaines prophéties réalisées, après avoir été faite par des âmes du purgatoire. C’est ainsi que la reine Claude, femme de François Ier, apparut, étant encore dans le purgatoire, à la bienheureuse Catherine de Racconigi, et lui annonça que les Français, a la suite de leur roi, allaient descendre en Italie, et que leur roi serait battu à Pavie, et fait prisonnier. Quelques mois après, l’évènement donnait raison à la prophétie (voir la vie de la bienh. Diario dominicano, 4 sept.). Dans nos jours troubles, beaucoup de prophéties ont couru par le monde, et la voie infaillible du vicaire de Jésus-Christ nous a avertis de ne pas croire à tout esprit, et de nous tenir en garde contre l’illusion. Plusieurs de ces prophéties étaient attribuées à des âmes du purgatoire. Je les passerai sous silence car l’évènement ne les a pas encore justifiées. Je ferai pourtant une exception pour cette apparition arrivée en Belgique, du mois de septembre 0, parce qu’elle fut examinée sérieusement et approuvée par l’autorité épiscopale, ce qui est une garantie. Ayant été interrogé sur les malheurs de la France qui se précipitaient alors, et sur leur durée, l’apparition dit : << La France est bien humiliée, mais elle est bien coupable aussi. Elle a fait une lourde chute dont elle ne se relèvera qu’en redevenant chrétienne. Oui la France se relèvera, mais il ne m’a pas permis de t’en dire le moment. >> Je termine sur cette parole consolante, ce que j’avais à dire de la science du purgatoire. Puisse la prophétie se réaliser bientôt ! Il faut passer maintenant de l’ordre intellectuel à l’ordre moral. Il est certain que les âmes du purgatoire saintes puisque personne n’est admis dans ce séjour des expiations temporaires, sans être en état de grâce. Non seulement elles sont saintes, mais encore leur sainteté est inamissible. Elles sont confirmées en grâce et dans l’heureuse impuissance du péché désormais. C’est là comme je le dirai d’ailleurs un de leurs plus grands privilèges, et une de leurs joies. Il reste à examiner comment et dans quel degré elles peuvent pratiquer les vertus chrétiennes. Commençons par les 3 vertus théologales, comme fait l’Eglise quand elle procède à la canonisation des saints. Et d’abord les âmes du purgatoire ont-elles la foi ? On pourrait supposer que non, car le doute est devenu impossible pour elles, puisqu’elles ont vu Dieu et qu’elles connaissent par expérience les responsabilités de la vie future. Néanmoins, elles ne sont pas encore arrivées à ce terme, dont parle l’apôtre ou les ombres de la foi s’évanouissent aux clartés de l’éternité (Fides evacuatur). En fait, elles ne connaissent que par le désir les joies du ciel qui les attendent. Elles sont donc encore susceptibles d’avoir la foi, puisque la foi, d’après l’apôtre, est le fondement de l’espérance, la démonstration de l’invisible : Fides est sperandarum substantia rerum, argumentum non apparentium. L’espérance, cette douce consolation des affliges, est la vertu privilégies du purgatoire. Privées du ciel, mais cependant sûres de le posséder un jour, avec quelle sainte impatience, avec quelle ferme certitude, ces âmes prédestinées n’attendent-elles pas le jour qui leur ouvrira les portes de la patrie. Legatos sum in his quoe dicta sunt mihi in domum domini ibimus. Les âmes du purgatoire connaissent les joies de la charité. Elles ont vu Dieu à l’heure du jugement. Elles ont entrevu l’Eternelle Beauté de sa face. Comment ne l’aimeraient-elles pas de tout leur cœur ? Qui nous dira les actes d’amour qui s’élèvent à chaque instant du milieu de ces flammes, actes de la charité la plus parfaite, qui compensent amplement pour la gloire de Dieu les cris de rage et de haine qui montent, en même temps, des profondeurs de l’abîme infernal. Voulons-nous connaître quelques-uns de ces élans enflammés de l’amour le plus pur ? Ecoutons une âme du purgatoire : << Voici trois actes d’amour que je fais continuellement : O mon Dieu ! Donnez-moi l’amour dont brûlent les Séraphins ! Donnez--moi plus encore, donnez-moi l’amour qui embrase le cœur de la très sainte Vierge ! O mon Dieu, que puis-je vous aimer autant que vous vous aimiez vous-même ! >> Ecoutons encore, a ce sujet, les admirables enseignements de sainte Catherine de Gênes : << J’aperçois une conformité si grande entre Dieu et l’âme du purgatoire, que, pour ramener cette dernière à la pureté originelle, le Seigneur lui imprime un mouvement d’amour attractif, suffisant pour l’annihiler, si elle n’était immortelle, et lorsque l’âme intérieurement illuminée, se sent attirée de la sorte par le feu du grand amour de Dieu. Elle se liquéfie complètement à la chaleur de cet ardent amour de son très doux Seigneur. Cet amour et cette attraction unitive agissent continuellement et puissamment sur l’âme. Ainsi sur l’âme, si elle pouvait découvrir un autre purgatoire plus terrible que celui dans lequel elle se trouve, s’y précipiterait, vivement poussée par l’impétuosité de l’amour qui existe en Dieu, et elle, afin de se délivrer au plus vite de tout ce qui la sépare du souverain Bien (Traite du purgatoire, ch. IX. On peut donc dire que les âmes du purgatoire pratiquent les vertus de Foi, d’Espérance et de Charité dans un degré héroïque, auquel il est donné à bien peu d’âmes de s’élever pendant la vie. Et c’est là une consolation pour nous, pauvres pécheurs, nous dont la foi est si faible, l’espérance si fragile, la charité si tiède et si languissante. Quelle joie de penser qu’un jour au moins, au milieu des flammes expiatrices, nous croyons, nous espérons, nous aimerions à la mesure des saints ! Ce que j’ai dit des trois vertus théologales de foi, d’espérance et de charité, on peut le dire, au même titre, de toutes les autres vertus morales. Nous avons vu, dans plusieurs des révélations précédentes, avec quelle profonde religion les âmes du purgatoire assistent à l’oblation du divin sacrifice et se tenions en présence de l’adorable Eucharistie. C’est que leur foi est plus vive que la notre et qu’elles connaissent mieux que nous la grandeur suprême de Dieu. A l’audition du saint nom de Jésus, sainte Françoise romaine les voyait s’incliner profondément et faire le genou flexion, avec un sourire qui marquait la vertu de leur âme. (Vie de la sainte dans les Bolland) Mais la vertu qu’elles semblent préférer entre toutes, parce que c’est celle qui convient le mieux à leur état présent, c’est la résignation à la volonté de Dieu. Il faut entendre encore à ce sujet sainte Catherine de Gênes, que je ne me lasse pas de citer à cause des lumières toutes spéciales qu’elles ont reçues de Dieu, au sujet des âmes du purgatoire. << Ces âmes, dit-elle, sont intimement unies à la volonté de Dieu, et si complètement transformées en elle, que toujours elles sont satisfaites de sa très sainte ordonnance>> Et dans cet autre endroit : << Les âmes du purgatoire n’ont plus d’élection propre. Elles ne peuvent plus voir ni vouloir que ce que Dieu veut. Elles sont ainsi fixées. Elles reçoivent dans l’impassibilité tout ce que Dieu leur donne, et ni plaisir, ni contentement, ni peine, ne peuvent jamais les faire se replier sur elles-mêmes. >> (Traite du purgatoire, ch. XIII et XIV) Cette sainte et entière résignation à la volonté de Dieu n’est pas la stupide indifférence des quiétistes, et ne les empêche nullement de déplorer leurs fautes, par une vive et sincère contrition. Voici ce qu’on lit, a ce sujet dans sainte Catherine : "Il me semble comprendre que les peines. « prouvent les âmes du purgatoire de voir en elles des « choses qui déplaisent au Seigneur, et d'avoir offensé « une si grande bonté, surpassent infiniment tous les « autres tourments qu'elles endurent, dans le lieu de la « purification. Étant en grâce, elles comprennent la « puissance et la gravité de l'empêchement qui leur interdit « l'approche de Dieu. » Ces sentiments de vive contrition sont unis à la plus profonde humilité. Le père Faber rapporte, d'après une révélation arrivée à la vénérable Marie Crocifissa, que plusieurs saints sur la terre ont eu pour Dieu plus d'amour que n'en ont les bienheureux dans le ciel, mais que le plus grand saint sur la terre n'est jamais arrivé au degré d'humilité des âmes du purgatoire, sur quoi le père Faber fait cette réflexion que rien de ce qu'il a lu dans la vie des saints ne l'a aussi fortement impressionné. La patience est fille de l'humilité, puisque plus on s'estime vil et méprisable, mieux on est disposé à tout souffrir de la part des autres. Aussi les âmes du purgatoire pratiquent-elles éminemment cette vertu de patience. Sans parler de la rigueur de leurs supplices, qu'elles endurent sans murmurer, en se conformant à la volonté de Dieu, que n'ont-elles pas à souffrir de nous quelquefois, de notre tiédeur qui les oublie au milieu des flammes, alors qu'il nous serait si facile de les soulager ; de notre égoïsme, qui ne songe qu'à entrer bien vite en possession des biens terrestres qu'elles ont laissés, et refuse quelquefois d'accomplir les legs sacrés sur lesquels ces pauvres âmes avaient compté pour racheter leurs fautes. Oh ! Que nous sommes durs pour ces infortunés ! Ils ne se plaignent pas, ils ne s'irritent pas, ils souffrent en patience ces retards, ces injustices, qu'ils regardent comme permis par la justice de Dieu.
A Dôle, en Franche-Comté, l'an 9, une âme du purgatoire apparaît à une personne malade, et se met à son service pendant quarante jours. Elle vient la visiter régulièrement, deux fois par jour pendant tout ce temps, et lui rend tous les services qu'une domestique dévouée rend à ses maîtres. — « Qui donc êtes-vous ? Lui demande un jour la malade reconnaissante. » — « Je suis, répond l'apparition, votre défunte tante Léonarde Colin, qui mourut il y a dix-sept ans, en vous laissant héritière de son petit bien. Par la miséricorde de Dieu, je suis sauvée. C’est la très sainte Vierge Marie, à qui j'ai eu toute ma vie une tendre dévotion, qui m'a obtenu cette faveur. J’étais perdue sans cela, car je fus frappée subitement en péché mortel, mais la très miséricordieuse Vierge m'obtint à ce moment un mouvement de contrition parfaite, qui ferma l'enfer sous mes pas. Notre Seigneur me permet aujourd'hui de venir me mettre à votre service, pendant quarante jours, et au bout de ce temps, je serai délivrée de mes peines, si vous faites pour moi trois pèlerinages à trois sanctuaires de la très sainte Vierge. » La malade doutait de la réalité de l'apparition, craignant les pièges de Satan. Après avoir consulté son confesseur, et essayé sans résultat des exorcismes de l'Église, elle s'avisa de faire à la défunte cette objection : « Comment pourriez-vous être ma tante Léonarde ? Celle-ci de son vivant était quinteuse et désagréable, ne voulant supporter aucune contrariété, et vous, vous êtes douce, prévenante et pleine de patience. » — « Ah ! Ma nièce, répondit l'apparition, que dix-sept ans de purgatoire sont propres à enseigner la patience, la douceur et le support du prochain ! Sachez, d'ailleurs, que nous sommes confirmées en grâce, et qu'une fois marquées du sceau des élus, nous ne saurions plus avoir de vice. »
Cette histoire est rapportée par Théophile Raynaud : Heterocliti spiritus, part. II, sect. III, ch. v. Le fait s'était passé de son temps et presque sous ses yeux, l'autorité archiépiscopale avait été consultée, le vicaire général de l'archevêque de Besançon avait étudié tous les détails de l'apparition et finalement l'avait approuvée. Voilà pourquoi je lui ai donné place ici, bien que nous n'ayons pas la garantie qui s'attache aux révélations des saints canonisés. La charité envers Dieu ne va guère sans l'amour du prochain. Les âmes du purgatoire sont donc remplies d'amour les unes pour les autres. Bien loin d'envier le sort de celles qui, plus heureuses, voient abréger le temps de leur bonheur, c'est fête dans le purgatoire quand une âme s'en échappe pour monter au ciel. « Nous avons été bien consolées aujourd'hui, disait une âme, un soir du 2 novembre 0, un grand nombre d'entre nous sont montées au ciel. » Mais c'est surtout, à notre égard, que cette douce vertu de charité trouve à s'exercer. quand, du milieu de leurs brasiers, ces âmes abaissent leurs regards vers l'ancien séjour de leur exilé et qu'elles y voient leurs parents, leurs amis, luttant péniblement pour arriver au port où elles sont en sûreté, je crois vraiment que le sentiment qui doit dominer en elles, c'est la compassion. Sûres de leur sort éternel, comment ne plaindraient-elles pas, de tout leur cœur, les malheureux qui sont encore dans l'incertitude du ciel ou de l'enfer. C’est pourquoi un grand nombre de révélations nous les montrent s'intéressant à nous de tout leur cœur : « Ma fille, disait à son enfant un père apparaissant après sa mort, j'ai prié pour toi et je continuerai de le faire. » Ici se représente la question que j'ai touchée en passant,
Lorsque j'ai parlé de la science des âmes du purgatoire. Ces âmes saintes, pour s'intéresser à nous, pour nous aider de leurs prières, doivent savoir ce que nous faisons, être en communication quelconque avec nous, mais cela est-il vrai ? N’est-ce pas l'illusion de la douleur qui cherche à établir des rapports entre nous et ceux qui ne sont plus ? Y a-t-il là autre chose qu'une imagination poétique ? En un mot, les âmes du purgatoire peuvent-elles, dès maintenant, avant d'être entrées dans le ciel, nous assister de leurs prières ? Les théologiens sont très divisés là-dessus. J’exposerai simplement les raisons pour et contre, mais je déclare tout d'abord que, pour moi, le doute n'est pas même possible, les révélations des saints tranchant la question par l'affirmation. Il faut pourtant connaître les raisons de part et d'autre : Voici d'abord, à ce sujet, la doctrine du cardinal Bellarmin : « Il est croyable que les âmes du purgatoire prient et obtiennent « des grâces pour nous, puisque dans l'enfer, le mauvais riche priait « pour ses frères, quoiqu'il souffrit beaucoup plus qu'on ne souffre « dans le purgatoire. Néanmoins, encore que cela soit vrai, il « semble que, pour l'ordinaire, il est inutile de leur demander « qu'elles prient pour nous, puisqu'elles ne peuvent ordinairement « savoir ce que nous faisons en particulier, et qu'elles savent « seulement en général que nous sommes exposés à bien des « dangers, car il n'est pas vraisemblable que Dieu leur révèle, pour « l'ordinaire, ce que nous leur demandons. » D'où l'on voit que ce pieux docteur du purgatoire regarde comme inutile de s'adresser aux défunts, par la même raison qu'il est inutile de s'adresser à un sourd, puisqu'il ne peut pas nous entendre.
Ce qui, d'après lui, n'empêche pas les âmes du purgatoire de prier pour nous, au moins en général. Le père de Munford, dans son Traité de la charité que l'on doit avoir pour les défunts est du même sentiment pour une autre raison : « Que chacun, dit-il, se mette bien dans l'esprit qu'il est « beaucoup plus avantageux d'intercéder pour ces âmes que de « réclamer leur intercession, car, en intercédant pour elles, il les « engage immanquablement à user de tout leur crédit auprès de « Dieu, ce qu'on peut comprendre par cette similitude : Si un roi « souffrait d'horribles douleurs, et qu'il fût en mon pouvoir de le « guérir sans beaucoup de peine, n'est-il pas vrai qu'il me serait « bien plus facile de gagner son affection et d'obtenir tout ce que je « voudrais de lui, en le secourant promptement, qu'en m'amusant à « lui demander des grâces ? Il en est de même, à l'égard des âmes « qui brûlent dans le purgatoire. Le royaume du ciel leur « appartient. C’est leur héritage, et par conséquent, je dois « rechercher leur faveur dans l'espérance qu'elle me sera très utile. « Mais elles sont dans les tourments, elles gémissent, elles « implorent mon secours, et je puis les délivrer de leurs peines ou « en modérer du moins la rigueur. Que ferai-je pour me rendre « digne de leur amitié ? Ne m'est-il pas plus facile de la mériter, en « priant pour leur délivrance qu'en les conjurant elles-mêmes de « prier pour moi et en souhaitant qu'elles me fassent du bien sans « que je pense à leur en faire ? Il est hors de doute que, si je prie « pour elles avec ferveur et que je n'épargne rien pour les soulager, « je les mets dans une espèce de nécessité d'employer pour moi « tout ce qu'elles ont de pouvoir auprès de Dieu. » On voit par là que le père de Munford admet que les âmes du purgatoire prient pour nous. Mais il pense que, pour les incliner à nous secourir, il vaut mieux prier pour elles que de leur adresser nos prières. Enfin d'autres Théologiens pensent qu'il est inutile de prier les âmes du purgatoire, parce qu'elles sont tellement absorbées par leurs souffrances, qu'elles ne peuvent penser à autre chose. Mais ces raisonnements sont contredits par l'expérience. Dans la plupart des révélations que j'ai citées, nous voyons que les âmes du purgatoire sont en communion de prières avec nous, et qu'elles rendent dès maintenant au centuple à leurs bienfaiteurs ce que ceux-ci font pour elles. Sainte Catherine de Bologne, lorsqu'elle voulait obtenir quelque grâce signalée, s'adressait aux âmes du purgatoire, et elle se voyait toujours promptement exaucée. Elle disait que, n'ayant pu obtenir plusieurs grâces des saints du paradis, elles les avaient reçues par l'intermédiaire de ces âmes bénies. (Voir la vie de la sainte, dans les Bolland.) Il ne manque pas d'ailleurs de Théologiens qui se rattachent à cette pensée consolante que les âmes du purgatoire peuvent prier, et prient en effet pour nous. Je citerai seulement ce que dit Suarez : « S'il est vrai que les âmes du purgatoire n'entendent pas nos « prières, il ne sert de rien de les invoquer. Mais je dis qu'il n'est « pas certain qu'elles n'entendent pas nos prières, et que « vraisemblablement leurs anges gardiens ou les nôtres les leur « font connaître, parce qu'il n'y a rien là qui soit au-dessus de leur « état et qui ne convienne au ministère des anges. S'il se trouve « donc quelqu'un qui sente de la dévotion à prier de cette manière « et qui en tire profit, on ne doit pas l'en détourner. » Quant aux objections des Théologiens qui pensent le contraire, il ne me paraît pas impossible d'y répondre.
Bellarmin prétend que ces âmes ne peuvent nous entendre, mais qu'en sait-il ? Beaucoup de révélations prouvent le contraire, et nous venons de voir à ce sujet la pensée de Suarez. Les âmes du purgatoire, dit le Père de Munford sont bien plus touchées, que l'on prie pour elles que de recevoir nos prières. Mais l'un n'empêche pas l'autre. Je puis bien prier pour les âmes du purgatoire, et leur demander en même temps de prier pour moi. Ce saint échange de la prière ne se fait-il pas continuellement entre les fidèles vivant sur la terre ? Quant aux Théologiens qui pensent que les âmes du purgatoire sont trop absorbées par leurs souffrances pour pouvoir prier et penser à nous, ils se font l'idée la plus mesquine de la vie future. Ici-bas les souffrances, quand elles sont un peu vives, nous absorbent extrêmement. Il est vrai. Mais c'est la suite de l'infirmité du corps. Dans l'autre vie, l'âme, dégagée de ces liens, souffre sans éprouver ces défaillances de la nature. Le mauvais riche, dans l'enfer, était torturé jusqu'à la rage. Cela l'empêchait-il de penser à ses frères restés dans le monde et de désirer leur conversion ? Pourquoi les âmes du purgatoire qui souffrent moins, ne pourraient-elles s'intéresser à leurs amis et bienfaiteurs ? En résumé, ces âmes sont saintes, elles sont très agréables à Dieu, elles nous aiment, ne fût-ce qu'en vertu de ce lien sacré de la communion des saints. Il me paraît donc infiniment plus probable, même en laissant de côté les révélations des saints, qu'elles prient pour nous et que ces prières nous sont très utiles. Mais quand même il faudrait penser, ce que je n'admets pas, que les âmes du purgatoire ne peuvent nous secourir actuellement, la reconnaissance étant une vertu chrétienne, il est certain au moins qu'elles le feront avec usure dès qu’elles seront admises au Ciel. Je pourrais citer bien des faits pour établir combien les âmes du purgatoire se montrent reconnaissantes envers leurs bienfaiteurs, mais j'en parlerai ailleurs, plus au long, en traitant dans un chapitre à part de la protection des âmes du purgatoire. Deux traits seulement en passant. Baronius rapporte qu'une personne, à son lit de mort, se vit assaillie des plus fâcheuses tentations. Déjà elle se croyait perdue, mais comme, pendant sa vie, elle avait été dévouée aux âmes du purgatoire, quelle fut sa surprise et sa consolation de les voir descendre du Ciel, en grand nombre, et voler à son secours. « Nous sommes, lui dirent-elles, les âmes que vos suffrages ont tirées du purgatoire, nous venons vous rendre la pareille, en vous conduisant directement au Ciel. » A ces mots, la malade expira, le sourire des prédestinés sur les lèvres. On rapporte un fait semblable de saint Philippe de Néri : après sa mort, il se fit voir à un religieux Franciscain de ses amis, entouré d'une couronne de Bienheureux : — « Quelle est, demande le Père, cette armée brillante qui vous environne ? » — « Ce sont, répondit le saint, les âmes des religieux de mon ordre, que j'ai délivrées du purgatoire pendant ma vie. À cette heure, elles me font cortège pour m'introduire dans la Jérusalem céleste. » Telles sont les vertus du purgatoire, heureux état d'une âme confirmée en grâce, incapable de pécher, ornée des plus belles vertus, dans un degré où peu de saints se sont élevés pendant la vie. « Si, dit le P. Faber, si la souffrance muette, endurée avec « douceur et résignation, est un spectacle si vénérable sur la terre, « combien belle doit être cette région désolée de l'Église ! Oh ! « Oui, on se sent accablé sous la pensée sublime de ce saint « royaume, de cette région où règne la souffrance. Pas un cri, pas un « Murmure. Là tout est muet et silencieux, comme Jésus dans sa « passion. Nous ne saurons jamais à quel point nous aimons « Marie, jusqu'à ce que nous levions les yeux vers elle du fond de « ce vallon, où brûle un feu aussi terrible que mystérieux. O « magnifique région du royaume de Dieu, ô aimable portion du « troupeau de Marie ! Quel spectacle s'offre à mes regards lorsqu'ils « s'abaissent sur cet empire consacré à l'innocence recouvrée et aux « plus cruelles angoisses ! On y admire la beauté de ces âmes sans « tache, leur douce et inaltérable patience, la grandeur des dons « qu'elles ont reçus, la dignité de leurs solennelles et muettes « souffrances. « Le trône de Marie brillant, comme le disque de l'astre des « nuits, jette sa douce lumière sur cette région de douleur et « d'indicible attente. Les anges, en voltigeant au-dessus de ce « vaste royaume, y font scintiller leurs ailes d'argent. Enfin, ô la « plus douce des consolations ! Il reste le souvenir de cette face de « Jésus qu'on ne voit pas, mais qu'on se rappelle si bien, qu'elle « semble toujours présente devant les yeux. Oh ! Quelle pureté « dans cette liturgie de la souffrance sanctifiée ! Ô monde, séjour « bruyant de l'ennui et du péché, qui ne voudrait s'échapper comme « une colombe, loin de tes périlleuses fatigues, de ton dangereux « pèlerinage pour s'envoler avec joie vers la plus humble place de « cette région si pure, si assurée, si sainte, où règnent la souffrance « et l'amour sans partage. »
Chapitre 8 Les joies du purgatoire
Trois sujets de joies pour ces âmes : premièrement, elles sont confirmées en grâce, sûres de leur salut, incapables de pécher désormais. - Seconde joie du purgatoire, joie d'expiation. Les pénitents en ce monde trouvent leur bonheur à souffrir pour expier leurs fautes. Il en est de même, à plus forte raison, des âmes du purgatoire, de plus elles voient que ces souffrances effacent leurs souillures et les rendent de plus en plus agréables à Dieu, et cela ajoute à leur bonheur. - Troisième joie du purgatoire, joie de l'amour, la charité qui remplit le cœur de ces âmes leur rend tout facile. - Que le purgatoire est un vrai martyre. - Conclusion de sainte Catherine de Gênes.
Les auteurs mystiques se sont placés à deux points de vue absolument opposés pour traiter du purgatoire. Les uns, préoccupés surtout de retenir les pécheurs en les effrayant, ont insisté sur la rigueur des châtiments. Ils nous font des descriptions effroyables des brasiers dévorants où sont plongées ces âmes infortunées. Considéré à ce point de vue, le purgatoire, c'est l'enfer, moins le désespoir et l'éternité. Les autres, plus sensibles au côté moral, se sont surtout occupés des sentiments qui animent ces saintes âmes, au milieu de leurs terribles expiations. De ce point de vue, tout est lumière et rayonnement. On a pu s'en convaincre en lisant la page exquise que j'ai empruntée au P. Faber, pour terminer le chapitre précédent. Y a-t-il contradiction entre ces deux écoles ? Non. Mais ce sont deux points de vue différents où l'on se place pour découvrir ces mystérieuses régions. Pour avoir une idée exacte de ce vaste royaume de l'expiation, il faut réunir ces deux points de vue et en faire la synthèse. C’est ce que je me propose ici. J'ai assez parlé des souffrances du purgatoire, il est temps maintenant de dire un mot de ses joies.
Les joies du purgatoire ! Voilà un titre qui paraîtra bien extraordinaire. Je me rappelle, qu'ayant eu un jour la pensée de prêcher sur ce sujet, dans une communauté religieuse, et devant un auditoire qui me semblait capable de comprendre, j'obtins ce résultat d'étonner beaucoup, et de scandaliser presque les mêmes à qui je m'adressais. Et cependant, il y a là autre chose qu'un paradoxe ou qu'un jeu d'esprit. Oui ! Le séjour de la douleur et de l'expiation a ses joies. Joies austères, comme celles du prisonnier, mais qui, dégagées de tout élément sensible, n'en pénètrent que mieux jusqu'au fond même de l'âme. A tout considérer, je pense que les joies de ce monde n'approchent pas de ces joies, et que les âmes du purgatoire, lorsqu'elles pensent à leurs amis de la terre, éprouvent pour eux plus de compassion que d'autres sentiments. Dante, errant avec Virgile dans les espaces sans limites, se sent ébloui à la vue d'un ange qui traverse la mer et fait avancer une barque, toute chargée d'âmes qui se rendent au purgatoire. Leur esquif glisse légèrement sur les flots, dont il effleure à peine la surface, tandis que les âmes, qui, depuis un instant, viennent de laisser derrière elles la vie, la mort et le jugement, chantent, avec un sentiment de joie mêlé de tristesse, le psaume de la délivrance, In exitu Israel de Egypto. C'est là de la poésie, dira-t-on. Oui, mais c'est en même temps de la Théologie et de la plus belle. Dante était théologien, en même temps que poète, ne l'oublions pas, et, dans sa grande épopée, il résume toutes les croyances de son époque, à propos de la vie future. Entrons donc hardiment dans notre sujet. Je laisse de côté les joies accidentelles du purgatoire, les secours que ces âmes reçoivent de leurs amis restés sur la terre, les abréviations quelquefois inespérées de peine, la miséricorde de Dieu qui trouve à s'exercer là comme partout, les visites de la très sainte Vierge et des anges protecteurs, tout cela sera traité ailleurs. Pour le moment, je veux parler des joies essentielles du purgatoire, de ces joies qui sont de tous les instants, et pour toutes les âmes, même pour les plus délaissées, et j'en découvre trois : les joies de la confirmation en grâce, les joies de l'expiation, les joies de l'amour.
Première joie : L'âme se sent confirmée en grâce et, par là-même, sûre de son salut éternel et dans l'heureuse impuissance de pécher désormais. L'incertitude du sort éternel, la facilité au péché, cette double infirmité de notre nature est une des plus lourdes croix de l'âme chrétienne. Quand, par une belle nuit étoilée, je lève les yeux vers cette voûte céleste, qui n'est, d'après le psalmiste que l'escabeau des pieds du Seigneur, et que je me dis : par delà les espaces sans limites, il y a le trône de Dieu, le séjour de Notre Seigneur Jésus-Christ, de la sainte Vierge et des saints. Là, j'ai ma place, qui m'a été assignée au jour de mon baptême. Là je dois un jour être éternellement heureux avec Dieu et ses saints, alors l'âme s'élève, et le pauvre cœur se fond de désirs et d'amour. Mais voilà qu'au plus intime de ma conscience, j'ai entendu une voix qui disait : Peut-être ? Le Ciel est pour toi, c'est certain, mais peut-être que tu ne seras pas fidèle. Peut-être que tu ne persévéreras pas, et celui-là seulement sera sauvé qui aura persévéré jusqu'à la fin. Oh ! Alors, comme le cœur se resserre, et quelle amertume dans ce doute ! et si, après cela, je descends en moi-même et que je me considère avec mes défauts et mes fautes de chaque jour, avec ce penchant au mal qui est au fond du cœur de tout homme, alors je suis bien forcé de me dire que, si je suis sauvé, ce qui n'est pas sûr, ce ne sera que grâce à la très grande miséricorde de Dieu : et quand même mes rechutes continuelles dans le péché ne compromettraient pas mon salut éternel, quel plus grand supplice, pour une âme qui aime Jésus, que de traîner après soi le fardeau de ce corps de mort ! quelle fatigue de porter toujours au tribunal les même fautes, de ne se relever que pour tomber et se relever encore, de prendre toujours des résolutions qu'on ne tient jamais, et de batailler des années entières pour se corriger d'un défaut de rien quelquefois ! Mais, patience ! Voici venir le temps où le péché sera détruit. Plus de fautes, plus d'ingratitudes, plus de trahisons. Et aussi plus de craintes pour l'avenir : en ce monde les saints eux-mêmes doivent trembler. des exemples terribles sont venus prouver que les plus hautes vertus, les plus glorieux privilèges ne mettent pas toujours à l'abri d'une chute finale, mais pour l'âme du purgatoire, c'est fini, c'est bien fini. Quels qu'aient été dans sa vie passée sa tiédeur, ses fautes, ses crimes peut-être, la pénitence a tout réparé. Peut-être un dernier acte, un cri de suprême repentir, exhalé avec un dernier souffle, a été l'instrument du salut, n'importe. Désormais tout est sauvé. L’arbre est tombé du bon côté, il y restera. Peut-être l'expiation sera bien longue et bien sévère, mais qu'importe ! Tout prend fin de ce qui n'est pas éternel. La peine finira, les flammes expiatrices s'éteindront, et alors commencera le jour sans fin de l'éternité bienheureuse. Mais, que dis-je ? Les peines passeront. Elles passent. Chaque minute ajoutée à son expiation est une minute qui rapproche l'âme de sa récompense. avec quelle sainte impatience, mais aussi, avec quelle joie intime et profonde, cette âme prédestinée doit compter les années, les mois, les jours, les instants qui s'écoulent, et qui, en s'écoulant, la rapprochent de Dieu. Non, je ne crains pas de dire, dans cet état d'une âme sainte, délivrée du péché avec ses honteuses misères, et sûre d'arriver au but final de ses désirs, il y a une large compensation à tous les supplices que j'ai décrits, et n'y eût-il que cela, je ne crains pas de le dire, avec le père Faber, je préférerais une des dernières places dans ce séjour de la sécurité, à toutes les joies trompeuses et incertaines de ce monde.
Mais comme on serait peut-être tenté de m'accuser d'exagération, je veux montrer que les âmes du purgatoire qui parlent par expérience, sont du même sentiment que moi.
Un des faits les plus intéressants et les mieux prouvés de l'histoire de l'Eglise de Pologne, c'est ce qui arriva en 0 à saint Stanislas, évêque de Cracovie. Boleslas, prince impie et cruel, était alors sur le trône et persécutait le saint par tous les moyens en son pouvoir. Il excita contre lui les héritiers d'un certain Pierre Milès, qui était mort depuis trois ans, en laissant une terre à l'église. Les héritiers bien sûrs d'être soutenus, intentèrent un procès au saint, et tous les témoins, s'étant trouvés subornés ou intimidés, le saint fut condamné à restituer la terre en litige. alors, voyant que la justice des hommes lui faisait défaut, il en appela hardiment à la justice de Dieu, et promit de faire comparaître, comme témoin, celui qui reposait dans le tombeau depuis trois ans : sa parole fut accueillie naturellement avec des sarcasmes ou de grossières plaisanteries, mais après trois jours de jeûne et de supplications solennelles, l'évêque, s'étant rendu avec tout le clergé à la tombe de Pierre Milès, la fit ouvrir. comme on s'y attendait, on ne trouva que des ossements tombant en poussière, et déjà les rires de l'incrédulité triomphante s'élevaient de tous côtés, quand le saint commandant au mort, au nom de Celui qui est la résurrection et la vie, soudain ces ossements se raffermirent, se rapprochèrent, se couvrirent de chair, et aux regards stupéfaits de tout un peuple, on vit le mort, tenant le saint évêque par la main paraître devant Boleslas, et certifier la vérité de la donation qu'il avait faite. C'est ainsi que l'iniquité, qui se croyait déjà sûre du succès, fut confondue : mais voici qui vient à notre sujet. Lorsque Pierre Milès eut fait sa déposition, saint Stanislas lui demanda lequel il préférait de retourner au tombeau ou de vivre encore quelques années. Le ressuscité répondit : "A cause de mes nombreux péchés, je suis dans le purgatoire où je soufre beaucoup. Cependant je préfère mourir de nouveau que de rester dans une vie si misérable et si périlleuse". - "Mais ne pourrais-tu pas faire pénitence de tes fautes et éviter ainsi de retomber dans les supplices dont je t'ai tiré". - Cela est vrai, mais je pourrais aussi me perdre et me damner pour toujours. J’aime donc beaucoup mieux achever ma peine, que de rentrer dans la vie, avec l'incertitude de plaire à Dieu ou d'y faire mon salut. La plus grande grâce que vous puissiez m'accorder, ô Père très saint, c'est de prier le Seigneur d'abréger mes supplices, et de me recevoir au plus tôt parmi ses élus". - "Je le ferai, " répondit l'évêque. Alors, accompagné de tout son clergé, il reconduisit processionnellement le mort au sépulcre, celui-ci s'y recoucha aussitôt, et à l'instant ses os se détachèrent et retombèrent en poussière. On croit que le saint obtint promptement la délivrance de cette âme. Mais cet exemple est très remarquable, en ce qu'il montre une âme au purgatoire après avoir fait l'essai de ses plus cruels supplices, préférer cet état si douloureux à l'incertitude où nous sommes, tant que nous restons en ce monde. (Vid. Bolland. Vita sancti Stanislai, 7 maii).
J'ai dit en second lieu les joies de l'expiation :
Pour comprendre cela, il suffit d'avoir eu une fois dans sa vie un vrai repentir de ses fautes. N'est-il pas vrai qu'alors, le pécheur saintement irrité contre lui-même, prend à cœur les intérêts de la justice de Dieu, trop longtemps outragée ? Alors le pénitent ne se contente pas de supporter chrétiennement ces peines de chaque jour, qui dans la pensée de Dieu, doivent servir de supplément à la pénitence sacramentelle, trop souvent disproportionnée au nombre et à la gravité des fautes. Il se fait lui-même l'exécuteur des justices divines. Alors on voit apparaître les disciplines, les haires, les cilices, toutes ces saintes inventions de la pénitence, qui ont étonné le monde plus que n'avaient fait les délicatesses et les raffinements du paganisme. Pour s'être permis des plaisirs défendus, le pécheur repentant se privera désormais des satisfactions les plus légitimes : il commandera à ses yeux de ne pas voir, à ses oreilles de ne pas entendre, à sa langue de garder un silence perpétuel : il se consumera dans les jeûnes et dans les veilles, il passera les jours au travail et les nuits à la prière. Et après tout cela, il se plaindra encore de n'avoir pas fait assez pour apaiser Dieu et satisfaire à sa justice. Si l'on était tenté de m'accuser d'exagération, je dirais : relisez la vie de tous les saints, qui tous, même les plus justes, se sont livrés aux saintes folies de la pénitence chrétienne. Relisez la vie des Pères du désert, ces héros de la pénitence. Voyez ce qui se fait autour de nous, à la Trappe, chez les Chartreux, au Carmel, dans tous les ordres religieux voués plus spécialement à l'expiation, et vous direz après si ce tableau est exagéré.
Eh bien, il est un fait incontestable qui domine tous ces faits particuliers, c'est que ces saints pénitents ont trouvé leur bonheur dans ces expiations. Comment cela peut-il se faire ? Comment l'homme naturellement porté à s'aimer lui-même peut-il s'oublier au point de mettre sa joie à souffrir ? C’est le secret du cœur de l'homme, et un des plus beaux mystères de la vie chrétienne. Or, cet esprit de pénitence qui porte l'homme à se faire justice et à souffrir avec joie pour expier ses fautes, ce sentiment, disons mieux, ce besoin inné de se faire justice, en sorte que le coupable est malheureux jusqu'à ce qu'il ait expié sa faute, tandis que l'expiation, en le purifiant, le relève à ses propres yeux, tout cela existe dans le purgatoire, à un degré bien supérieur à ce qui a jamais été dans les plus saints pénitents, pendant la vie. C’est ce qui explique comment ces saintes âmes, dévorées d'un désir brûlant d'expier leurs fautes, trouvent leur joie dans leurs supplices. Mais il faut laisser parler là-dessus sainte Catherine de Gênes, que l'on pourrait appeler avec raison le docteur des joies du purgatoire, tant elle a reçu de lumières à cet égard.
"Dieu me découvre dans les âmes du purgatoire deux opérations de sa grâce, dont il leur donne à elles-mêmes la vue. La première opération leur fait souffrir avec bonheur leurs peines. Elles les regardent comme une grande miséricorde de Dieu à leur égard, considérant d'un côté l'incompréhensible majesté de Dieu, et de l'autre l'audace de leurs offenses, et les châtiments qui leur étaient dus. Ces âmes souffrent donc leurs peines avec tant de joie que, pour rien au monde, elles ne voudraient qu'on leur en enlevât le moindre atome. Elles savent trop combien justement elles les ont méritées, et combien saintement elles sont ordonnées de Dieu, en sorte que, pour ce qui est de la volonté, loin de se plaindre de ce qu'elles souffrent, elles l'acceptent de la main de Dieu, avec autant de bonheur que si elles étaient déjà au Ciel.
La seconde opération de la grâce dans les âmes est un ineffable contentement qu'elles éprouvent, en se voyant dans l'ordre de Dieu, et en considérant ce que son amour et sa miséricorde font en elles. Dieu imprime en un instant dans leur esprit la vue de ces deux opérations, et parce qu'elles sont en état de grâce, elles les entendent et les comprennent chacune selon sa capacité. Elles en éprouvent une grande joie qui ne diminue jamais, mais qui va toujours croissant, à mesure qu'elles approchent de Dieu. Et cependant, la joie en elles n'ôte rien à la peine, et la peine n'ôte rien à la joie". (Traité du purgatoire, ch. XVI).
C'est ainsi que les âmes du purgatoire acceptent avec joie leurs supplices, pour satisfaire à la justice de Dieu, et ce qui les encourage encore plus à souffrir, c'est qu'elles voient s'opérer en elles, grâce à ces mystères de la souffrance, la transformation qui doit, en les purifiant de plus en plus, leur permettre de s'unir enfin à leur Dieu dans le Ciel.
"Lorsque l'âme, c'est encore sainte Catherine qui parle, se trouve en chemin pour retourner à l'état de sa première création, et qu'elle connaît que, pour y arriver, elle doit entièrement se transformer en Dieu, il s'allume en elle un tel désir de cette transformation que ce désir même fait son principal purgatoire". (Chap. XI.). "Je ne crois pas, dit encore la même sainte, qu'après la félicité des saints du Paradis, il puisse exister une joie comparable à celle des âmes du purgatoire. Une incessante communication avec Dieu rend de jour en jour leur joie plus vive, et cette communication de Dieu devient de plus en plus intime à mesure qu'elle consume, dans ces âmes, l'obstacle qu'elle y trouve.
Cet obstacle n'est pas autre chose, en effet, que la rouille du péché. Comme le feu du purgatoire va sans cesse la consumant, l'âme s'ouvre de plus en plus à la communication avec Dieu.
J'explique ma pensée par une comparaison : exposez au soleil un cristal couvert d'un épais voile, il ne peut recevoir ses rayons. La faute n'en est point au soleil qui ne cesse de briller, mais au voile qui intercepte ses rayons. que cette enveloppe vienne peu à peu à se consumer, le cristal, successivement découvert, recevra de plus en plus les rayons du soleil, et quand l'obstacle aura entièrement disparu, le cristal sera tout entier pénétré par le soleil.
Ainsi en est-il des âmes du purgatoire. La rouille du péché est la voie qui intercepte, pour elles, les rayons du vrai soleil qui est Dieu. Le feu va consumant cette rouille de jour en jour, et à mesure qu'elle est consumée, les âmes réfléchissent de plus en plus la lumière de leur vivant soleil. Leur joie augmente à mesure que la rouille diminue, et qu'elles sont plus exposées aux divins rayons. Ainsi la joie va toujours en augmentant, et la rouille toujours en diminuant, jusqu'à ce que le temps de l'épreuve soit accompli. Qu'on ne croie pas cependant que la peine diminue. Ce qui diminue uniquement, c'est le temps de sa durée. Mais dans l'intime de leur volonté, ces âmes ne pourront jamais se résoudre à dire que ces peines soient des peines, tant elles sont heureuses de souffrir dans la disposition de Dieu, à laquelle leur volonté est unie par le lien de la plus pure charité". (Ch. II.).
Non seulement les âmes du purgatoire acceptent avec joie leurs supplices, mais si la justice de Dieu le permettait, elles désireraient souffrir bien davantage encore pour hâter le moment de leur purification.
"Oh ! s'écrie sainte Catherine, s'il était au pouvoir des âmes du purgatoire de se purifier par la contrition de toutes les taches qui les éloignent de Dieu, qu'elles seraient bientôt pures, et qu'elles payeraient leurs dettes en peu d'instants : Voyant avec une souveraine clarté ce que c'est que d'être éloignées de Dieu, leur fin et leur amour, elles s'embraseraient d'un feu de contrition si actif, qu'il consumerait en un instant toutes leurs taches". (Ch. XIII).
Les joies de la pénitence ne sont pas, avec le bonheur de se sentir confirmé en grâce et sûr du salut, les seules joies du purgatoire. Il en est d'autres encore dont le motif est plus relevé, et dont la jouissance est sans amertume. Je veux parler des joies de l'amour. L'amour rend tout facile et anéantit la souffrance, a dit un philosophe de l'antiquité. Rien de plus vrai. C’est le mot de saint Augustin, Ubi amatur, non laboratur, aut si laroratur, labor amatur.
Malgré l'imperfection et la misère de notre pauvre cœur, nous comprenons déjà cela sur la terre. Qui n'a aimé, fût-ce une fois dans sa vie ? Et qui, dans les joies d'un amour partagé, n'a rêvé de l'immolation et du sacrifice jusqu'à la mort ? Quel prêtre, dans les joies de son nouveau sacerdoce, n'a envié le sort du martyr qui donne à Dieu le grand témoignage de l'amour, le témoignage du sang ? Souffrir pour expier, souffrir pour témoigner son amour, voilà, a dit le P. Lacordaire, qui s'y connaissait, les deux pôles de la vie chrétienne. Ce double sentiment se trouve dans le purgatoire. J'ai dit les joies de l'expiation, il faut maintenant parler de ces joies de l'amour si intimes et si pures. Mais pour dire ces choses, il faut la parole embrasée des saints. Voilà pourquoi, sentant trop bien mon impuissance, je vais revenir encore à sainte Catherine de Gênes.
"Je vois que ce Dieu d'amour, ce Dieu infiniment aimant, lance à l'âme certains rayons et certains éclairs embrasés, qui sont si pénétrants qu'ils anéantiraient l'âme elle-même, si cela était possible. Les âmes du purgatoire éprouvent une joie si grande de se voir dans l'ordre de Dieu, qui accomplit en elles tout ce qui lui plaît et de la manière qu'il lui plaît, qu'aucune considération capable d'augmenter leurs souffrances ne puisse se présenter à leur esprit. Elles contemplent uniquement l'opération de la bonté de Dieu, et cette ineffable miséricorde dont il use envers l'homme, en faisant du purgatoire du chemin qui conduit à Lui. Quant à ce qui est de leur intérêt propre, peines ou biens, il leur est absolument impossible d'y arrêter leurs regards, car si elles le pouvaient, elles ne seraient pas dans la charité pure". (Ch. I.).
"Les âmes du purgatoire ont une volonté en tout conforme à celle de Dieu. Aussi, Dieu, dans sa bonté, leur fait ressentir l'amour infini qu'il a pour elles. Ce qui fait que, du côté de la volonté, elles éprouvent un véritable bonheur". (Ch. V.).
Et cependant elles souffrent cruellement, et l'amour ne les empêche nullement de sentir leurs souffrances. Que dis-je ? l'amour quelles ont pour Dieu devient l'instrument même de leur plus vive souffrance, car l'âme possédée du désir de voir Dieu et de s'unir à Lui, souffre d'autant plus de ce retardement qu'elle aime davantage.
"Ainsi donc, dit sainte Catherine, le retard de son union avec Dieu, dont l'âme trouve en elle-même la cause, lui fait éprouver une peine intolérable. Ces perfections où elle doit atteindre, lui sont montrées à la lumière de la grâce. Ne pouvant y atteindre, et sachant cependant qu'elle est appelée à les posséder, elle demeure livrée à une peine indicible qui n'a de comparable que l'estime qu'elle fait de Dieu. Cette estime croît en elle avec la connaissance de Dieu, et sa connaissance augmente à mesure que l'âme se dépouille des restes du péché, aussi la peine que lui cause le retard de son union avec Dieu devient de plus en plus intolérable, parce que l'âme en cet état est toute recueillie en Dieu et que rien ne l'empêche plus de la connaître tel qu'il est". (Ch. XVII).
L'âme est donc heureuse en cet état, mais heureuse comme le martyr sur son bûcher, heureuse d'un bonheur tout surnaturel, auquel le monde ne comprend rien, c'est encore la comparaison de sainte Catherine.
"De même qu'un martyr, qui se laisse tuer plutôt que d'offenser Dieu, sent les tortures qui lui arrachent la vie, mais les méprise par le zèle que la grâce lui communique pour la gloire de Dieu, de même l'âme qui connaît la disposition de Dieu à son égard, en a une telle estime que tous les tourments intérieurs et extérieurs qu'elle éprouve ne lui sont rien en comparaison, quelques terribles qu'ils puissent être d'ailleurs. Et cela parce que Dieu, qui met ces sentiments dans l'âme excède infiniment tout ce que les créatures sont capables de sentir et même d'imaginer. Aussi, pour peu que Dieu se révèle à une âme, il la tient tellement absorbée dans la contemplation de sa Majesté que tout le reste n'est rien".
J'ai dit les joies du royaume de la douleur. Que conclure de tout ceci ? Qu'il faut désormais vivre bien tranquille sans se préoccuper des responsabilités de l'avenir ? Ce serait étrangement méconnaître la pensée des saints, en particulier celle de sainte Catherine de Gênes. Je ne puis mieux conclure tout ce chapitre, qui n'est qu'un résumé de son célèbre traité du purgatoire, qu'en transcrivant cette exhortation brûlante qu'elle adresse à tous les hommes du monde sur ce sujet.
"Il me prend envie de crier assez fort pour remplir d'épouvante tous les hommes qui sont sur la terre, et de leur dire : ô malheureux ! Pourquoi vous laissez-vous aveugler par le monde, au point de ne pourvoir en rien à la grande et cruelle nécessité en laquelle vous vous trouverez au moment de la mort ?
Quoi ! Vous vous tenez tous à couvert, sous l'espérance de la miséricorde de Dieu que vous dites être si grande. Eh ! Ne voyez-vous pas que c'est précisément cette immense bonté de Dieu qui vous jugera et qui vous condamnera. Misérables, qui agissez contre la volonté du meilleur des maîtres ! Sa bonté devrait vous porter à vous soumettre à tous ses commandements, et non lui désobéir, dans l'espérance du pardon, car la justice, sachez-le, aura infailliblement son cours, et il faut que de manière ou d'autre, elle soit pleinement satisfaite.
Ne vous rassurez pas non plus en disant : je me confesserai, je gagnerai une indulgence plénière, et par elle je serai en un instant purifié de mes péchés. Croyez que la contrition et la confession, nécessaires pour obtenir l'indulgence plénière, sont choses si difficiles à acquérir, que si vous connaissiez cette difficulté, vous trembleriez de peur, et loin de vous flatter d'avoir un jour cette précieuse disposition, vous vous tiendriez plutôt pour certain du contraire". (Ch. XV).
Chapitre 9 La durée du purgatoire
Double aspect sous lequel on peut la considérer. - De la durée du purgatoire considérée en elle-même. Elle varie entre quelques heures et plusieurs siècles, mais ordinairement elle est très longue. – Exemples d’âmes condamnées jusqu’au jour du jugement. - Raison de cette longueur. - De la durée du purgatoire, considérée dans l’appréciation qu’en font les âmes. - Que le plus court instant passé dans le purgatoire paraît sans proportion aucune avec le même espace de temps passé sur la terre. - Exemples à l’appui.
Pour terminer ce que j’ai à dire des peines du purgatoire, il nous reste à traiter une question qui ne manque pas d’intérêt : combien de temps reste-t-on en purgatoire ? La durée du purgatoire peut être considérée sous un double aspect, en elle-même, ou dans l’estimation qu’en font les âmes. La durée du purgatoire, considérée en elle-même, varie entre quelques heures et plusieurs siècles. On a des exemples, en bien petit nombre, de saintes âmes qui n’ont fait véritablement qu’y passer. Sainte Madeleine de Pazzi vit plusieurs religieuses de sa communauté monter au Ciel avant qu’on n’eût eu le temps de faire la cérémonie de leurs funérailles.
sainte Thérèse dans sa vie (ch. XXXIV), rapporte qu’une de ses sœurs selon la chair lui apparut, huit jours après sa mort, au moment où la sainte venait de communier pour elle, et lui dit qu’elle était délivrée de ses peines et qu’elle se rendait au séjour de la gloire. J’ai cité d’autres exemples du même genre et je n’y reviens pas. Ce qu’il faut savoir, c’est que ce sont là des exceptions en faveur des plus saintes âmes. D’ordinaire on reste dans le purgatoire plusieurs années, quelquefois même plusieurs siècles. Aussi, par la bouche du pape Alexandre VII, l’Église a condamné la témérité de plusieurs théologiens qui enseignaient qu’au bout de dix ans, on pouvait abandonner les fondations en faveur des défunts, et de fait la pratique de l’Église est de célébrer indéfiniment les fondations perpétuelles. Car, dit le cardinal Bellarmin, vouloir déterminer le temps précis qu’une âme demeure en purgatoire, ce serait témérité, puisque la chose ne peut être connue sans une révélation spéciale de Dieu.
J’ai parlé de plusieurs siècles. À ceux qui seraient étonnés d’un semblable énoncé, je citerai le fait suivant qui est rapporté par le Père de Nieremberg. (Trophoeus Mariannus, lib. IV, ch. XXIX.)
Une jeune fille du royaume d’Aragon, qui vivait du temps de saint Dominique, l’ayant entendu prêcher la dévotion au saint Rosaire, entra dans la confrérie. Mais livrée, Hélas ! À toutes les vanités du siècle, elle ne tarda pas à oublier ses saints engagements. Deux jeunes gens, qui se la disputaient, s’étant battus en duel à son occasion, un d’eux fut tué, et les parents du mort pour se venger, surprenant la misérable fille dans la campagne, la tuèrent et précipitèrent son cadavre sans un puits.
saint Dominique qui prêchait dans une autre ville, ayant appris, par révélation de la divine Mère, cette tragique aventure, accourut dès qu’il le put, et s’étant rendu au bord du puits où gisait le cadavre appela à haute voix : Alexandra, Alexandra. C’était le nom de l’infortunée. Aussitôt à la voix du saint, la tête qui avait été séparée du tronc, se rapprocha, et la malheureuse sortit du puits, vivante, mais couverte de sang. Elle se confessa avec les larmes, et vécut encore deux jours, pour réciter un grand nombre de rosaires que le saint lui avait donnés comme pénitence.
Saint Dominique lui ayant demandé ce qui lui était arrivé après sa mort, elle déclara trois choses bien remarquables. La première qu’elle eût été infailliblement damnée, n’ayant pas eu le temps de se confesser à la mort sans les mérites du saint Rosaire, par lesquels elle obtint la grâce de la contrition parfaite. La seconde, qu’au moment où elle rendait l’âme, une troupe de démons hideux étaient venus la saisir, et qu’ils l’auraient emportée en enfer, si la très sainte Vierge ne l’avait arrachée de leurs mains. La troisième, qui revient à notre sujet, concerne la durée du purgatoire, auquel elle avait été condamnée. Pour le meurtre dont elle était cause, elle devrait faire deux cents ans de purgatoire, et pour ses autres péchés, cinq cents ans. Total, sept cents ans. On croit que saint Dominique obtint par ses prières une abréviation de peine.
Saint Vincent Ferrier avait une sœur, nommée Françoise, beaucoup trop adonnée à la mondanité. Au moment de mourir, elle confessa néanmoins avec le repentir le plus sincère. Mais quelques jours après sa mort, comme son frère célébrait pour elle le divin sacrifice, elle lui apparut au milieu des flammes, et souffrant des maux intolérables.
« Je suis condamnée à ces supplices jusqu’au jour du dernier jugement, lui dit-elle, mais je serai grandement soulagée, peut-être même délivrée, si vous célébrez pour moi les trente messes de saint Grégoire. » La sainte s’empressa d’accéder à cette demande, et le trentième jour, sa sœur lui apparut entourée d’anges et montant au Ciel. (Vie de saint Vincent Ferrier, Bayle, ch. XIII.).
On lit dans la vie des premières religieuses de la Visitation, que la sœur Marie Denyse, qui s’était appelée dans le monde mademoiselle de Martignat, avait pour les âmes du purgatoire la plus tendre dévotion. Son attrait surnaturel la portait surtout à recommander à Dieu ceux qui avaient été grands dans le monde, car elle connaissait par expérience les dangers de leur position. Or un prince, que l’on croit appartenir à la Maison de France, était mort en duel, lui apparut pour lui annoncer qu’il était sauvé, grâce à un acte de contrition parfaite qu’il avait formulé in articulo mortis, mais, en punition de sa vie et de sa mort coupable, il était condamné aux plus rigoureux châtiments du purgatoire, jusqu’au jour du jugement. On ne saurait dire ce que la pauvre sœur, qui s’était offerte en victime pour ce malheureux, eut à souffrir, pendant plusieurs années à cause de lui. A la fin elle en mourut, pour le prix de tant d’expiations, elle avait obtenu pour ce prince une remise de peine de quelques heures et comme la supérieure paraissait étonnée d’un pareil résultat, qui lui semblait tout à fait disproportionné avec ce que la sœur avait souffert : « Ah ! Ma mère, répliqua la sœur Marie Denyse, les heures du purgatoire ne se comptent pas comme celles de la terre. Des années entières de tristesse, d’ennui, de pauvreté ou de maladie en ce monde ne sont rien en comparaison d’une heure de souffrances en purgatoire. C’est déjà beaucoup que la divine miséricorde nous ait permis d’exercer quelque influence sur elle. Je suis moins touchée d’ailleurs du lamentable état dans lequel j’ai vu languir cette âme, que de l’admirable retour de la grâce, qui a consommé l’œuvre de son salut. Ce moment béni me semble un excès de la bonté, de la douceur, de l’amour infini de Dieu. L’action dans laquelle il est mort méritait l’enfer. Un million d’âmes eussent trouvé leur perte, dans l’acte même où ce prince a trouvé son salut. Il ne recouvra sa connaissance que pour un instant, juste le temps de coopérer à ce précieux mouvement de la grâce, qui le mit en état de faire un acte sincère de contrition. Sans ce moment de grâce, l’âme du prince serait maintenant plongée au fond de l’enfer, et depuis que le démon est démon, jamais peut-être il n’a été aussi trompé dans son attente qu’en perdant cette âme, car il était resté complètement étranger aux mouvements intérieurs de sa victime, pendant les quelques instants que Dieu lui accorda, après qu’il eût été blessé mortellement.
En lisant ces choses, on ne sait vraiment ce qu’il faut admirer le plus des splendeurs de la miséricorde ou des sévérités de la justice. Cet exemple est un de ceux où l’une et l’autre s’exercent également pour la plus grande gloire du Seigneur.
La durée du purgatoire est donc ordinairement très longue, bien que toujours proportionnée au nombre et à la gravité des fautes commises. Car, dit saint Augustin, celui qui a plus vieilli dans le péché, demeure plus longtemps à traverser ce fleuve de feu, et à proportion de la faute, la flamme accroît le châtiment. Plus la folle malice s’est emparée de l’âme, plus sera rude la sage peine à laquelle on satisfait. Là les paroles oiseuses, les vaines pensées et plusieurs péchés légers, qui ont sali la pureté de notre nature, seront brûlés et consumés. (S. Augustin, Sermons.).
Jusqu’ici j’ai considéré la durée du purgatoire en elle-même. Il faut maintenant la considérer dans l’appréciation qu’en font les âmes. Nous y verrons avec terreur, le mot n’est pas trop fort, qu’une heure de purgatoire paraît plus longue qu’un siècle à ces pauvres âmes, tant à cause de la grande impatience où elles sont de voir Dieu, qu’à cause
De l’extrême rigueur de leurs supplices. Laissons donc la parole aux intéressés. Aussi bien les témoignages ne manquent pas.
Voici d’abord une histoire curieuse que j’ai tirée des annales des Pères Capucins, tome III, année 8 : Le P. Hippolyte de Scalvo, ayant été nommé Père Gardien et Maître des Novices d’une maison de son Ordre dans les Flandres, s’efforçait, par tous les moyens en son pouvoir, de développer dans les âmes dont il avait la charge, les vertus de leur saint état. or, il arriva qu’un de ses novices, qui avait déjà fait de très grands progrès dans la vertu, vint à mourir en son absence, ce qui lui causa une grande douleur, car, aimant beaucoup ce jeune homme, il aurait voulu lui donner une dernière bénédiction. Le soir de la mort du défunt, étant de retour au noviciat, comme il faisait oraison dans le chœur après matines, il vit tout d’un coup paraître devant lui un fantôme tout enveloppé de flammes. « O Père très charitable, disait le novice avec de profonds gémissements, donnez-moi votre bénédiction. Hélas ! J’ai commis un manquement léger à la règle, manquement qui n’est pas même un péché en soi, et c’est à cause de cela seulement que je satisfais à la justice divine dans le purgatoire. Mais la bonté du Sauveur m’autorise, par une faveur toute spéciale, à m’adresser à vous. Vous-même, imposez-moi la punition convenable, ce sera celle que je ferai. »
Le Père Gardien restait terrifié, en présence de cette apparition et de ces flammes. À la fin, il répondit : « Autant que je le puis, mon fils, je vous absous et vous bénis. Et quant à la pénitence de votre faute, puisque vous m’assurez que je puis vous la marquer, vous resterez en purgatoire, jusqu’à l’heure de prime » (environ huit heures du matin).
A ces mots le novice, comme pris de désespoir, se mit à courir par toute l’église en criant : « Ô Père sans miséricorde, ô cœur impitoyable pour votre fils affligé ! Eh quoi ! Punir de la sorte une faute que pendant ma vie vous eussiez à peine jugée digne d’une légère discipline ! Vous ignorez donc l’atrocité des supplices du purgatoire, ô pénitence sans charité ! » Puis il disparut, la vision avait cessé.
Le pauvre Père Gardien, qui avait cru se montrer bien indulgent en limitant à quelques heures la pénitence demandée, sentait ses cheveux se dresser sur la tête de terreur et de regrets. Il aurait bien voulu revenir sur sa sentence, mais que faire ? Tout à coup une bonne pensée l’illumine. Il court à la cloche, réveille tous les frères et les réunit dans le chœur. Alors il leur expose ce qui vient de se passer et demande que l’on commence aussitôt l’office de prime, ce que l’on fit. Mais il garda toute la vie l’impression de cette terrible scène, et on l’entendit dire, plus d’une fois, que jusque-là il n’avait eu qu’une idée très imparfaite des supplices de l’autre vie, et qu’il n’aurait jamais pensé que quelques heures de purgatoire formassent une expiation si épouvantable.
Voici encore un fait du même genre, à l’appui de la même vérité. Je l’ai pris dans Rossignoli, qui renvoie lui-même à un sermon de Joseph Hariolus : de animabus Purgatorii.
Deux religieux s’aimaient comme deux frères, et s’excitaient l’un l’autre à mener la vie la plus sainte dans leur monastère. L’un d’eux ayant été attaqué d’une maladie mortelle, eut une vision, quelques heures avant de mourir. Son ange lui apparut pour lui dire qu’il était sauvé, et qu’il resterait seulement en purgatoire, jusqu’à ce qu’on eût célébré pour lui une seule messe. Aussitôt, tout joyeux, le mourant appelle son ami, et au nom de la tendre charité qui les avait unis pendant la vie, il le conjure de ne pas le laisser languir loin du Ciel, et de célébrer, aussitôt qu’il aura expiré, cette bienheureuse messe, qui doit lui ouvrir les portes de la patrie.
Le bon religieux le lui promet en pleurant. Le malade expire le lendemain matin, aussitôt, sans perdre un instant, son ami court à la sacristie, se revêt de ses ornements sacrés, et célèbre la messe de la délivrance, avec toute la dévotion dont il était capable.
Il venait à peine de déposer ses ornements que son ami défunt lui apparut tout rayonnant de gloire, mais avec un air de mécontentement encore empreint sur le visage. – « Cher frère, lui dit-il, qu’est devenue votre charité ? Avez-vous oublié votre promesse, ou n’avez-vous pas la foi ? Vous mériteriez que Dieu vous traitât avec la même rigueur dont vous avez usé envers moi. » -» Comment cela ? Répond l’autre tout surpris. » -» Eh ! Ne m’avez-vous pas laissé plus d’une année au milieu du feu vengeur, sans que ni vous, ni aucun de mes frères prît la peine de dire pour moi une seule messe, alors qu’il vous était si facile de me délivrer, n’est-ce pas là un oubli bien cruel ? » -» En vérité, vous me surprenez : aussitôt que vous eûtes fermé les yeux, je courus m’acquitter de ma promesse, et je viens à peine de descendre de l’autel, il n’y a pas encore une heure que vous avez quitté la terre, vos funérailles ne sont pas encore faites, mais voulez-vous vous en assurer par vous-même, venez avec moi. Votre cadavre est encore chaud. ».
Alors le défunt s’éveillant comme d’un profond sommeil. -» Quelles sont donc épouvantables les souffrances du purgatoire, puisqu’une heure y paraît plus longue qu’une année ! Béni soit Dieu qui a abrégé l’épreuve ! Je vous remercie de votre charitable empressement, ô frère bien-Aimé. Je vole au Ciel, où je prierai Dieu qu’il nous réunisse un jour dans le bonheur de la gloire comme nous l’avons été sur la terre. »
On voit par là combien sont insensés ceux qui ne se préoccupent pas de faire pénitence pendant la vie, remettant au purgatoire d’acquitter les dettes du passé. L’empereur Maurice fut plus sage. On raconte de lui dans l’histoire ecclésiastique, qu’ayant commis plusieurs fautes graves sur le trône, Dieu lui envoya un ange pour lui demander lequel des deux il préférait : d’être châtié en ce monde ou en l’autre : « Ah ! Seigneur, répondit l’empereur, éclairé par la foi, punissez-moi en ce monde ! » Sa pieuse prière fut exaucée. A quelque temps de là, un de ses généraux, nommé Phocas, s’étant emparé de l’Empire, se fit amener Maurice dans le cirque. Là il le fit coucher par terre, et lui ayant mis le pied sur la gorge, devant tout le peuple de Constantinople, il fit égorger sous ses yeux tous ses enfants, et le fit tuer à la fin, et pendant cette sanglante tragédie, l’empereur pénitent ne cessait de répéter ce verset du Psalmiste : Justus es, Domine, et judicia tua oequitas.
Le religieux dont je vais parler ne fut pas si prudent. Aussi il eut lieu de s’en repentir bien amèrement. J’ai tiré cette histoire des annales des frères Mineurs, à l’année 5.
Il s’agit d’un religieux franciscain, qui souffrait depuis longtemps d’une douloureuse maladie. À la fin, la patience lui échappa, et il se prit à désirer la mort afin d’être délivré de ses maux. Alors, son ange lui fut envoyé pour lui proposer de choisir. – « Puisque vous êtes fatigué de souffrir en cette vie, Dieu a résolu d’exaucer votre prière. Choisissez de sortir immédiatement de ce monde et de subir trois jours de purgatoire, ou de vivre encore un an.
Dans vos souffrances et alors vous irez directement au Ciel. » Le choix fut bientôt fait : -» J’aime mieux mourir tout de suite, répondit le pauvre religieux, au risque de souffrir au purgatoire non pas seulement trois jours, mais tant qu’il plaira à Dieu. Ma vie présente est une mort continuelle, et je ne pense pas que je puisse jamais éprouver rien de pareil. » -» Eh bien ! Il sera fait comme vous le souhaitez, vous allez mourir aujourd’hui, préparez-vous donc à recevoir au plus tôt les derniers sacrements. » raconta la vision, reçut les derniers sacrements et expira.
Au bout d’un jour, son ange vint le visiter dans le purgatoire : - « Eh bien ! Que vous semble de l’épreuve que vous avez choisie, la préférez-vous encore aux souffrances de la terre ? » -» Oh ! Combien j’ai été aveugle, répondit l’âme, mais vous vous avez été bien cruel. Vous me parliez de trois jours, et voici plusieurs siècles que je suis dans les flammes ! Oh ! Quelles sont les longues années dont je vois se dérouler devant moi l’interminable série ! Et encore, rien ne m’annonce ma délivrance prochaine ! » -» Est-ce ainsi qu’une âme infortunée peut tomber dans l’erreur ? Eh quoi ? Vous vous lamentez de la sorte, et vous m’accusez de vous avoir trompé ! Mais, il n’y a pas encore vingt-quatre heures que vous êtes mort ! Ce n’est pas le temps, c’est la rigueur de la peine qui vous trompe. Un instant vous paraît une année, une heure vous semble un siècle. Mais je vous l’affirme, il n’y a pas encore un jour que vous souffrez, et votre corps n’a pas reçu la sépulture. C’est pourquoi, si vous vous repentez de votre choix, Dieu vous permet de retourner sur la terre, afin d’y subir l’année de maladie qui vous était destinée. » -» Oh ! Oui, je préfère ce parti, je le demande en grâce. L’expérience a bien changé mes idées. Plutôt deux, trois, dix années de maladies affreuses qu’une seule heure dans ce séjour d’inexprimables angoisses. »
Alors à la vue de toute la communauté stupéfaite, l’âme rentra dans le corps qu’elle avait quitté, et le défunt ressuscita. Dès qu’il put parler, il raconta tout ce qui lui était arrivé, en exhortant ses frères à faire une rigoureuse pénitence de leurs moindres fautes, afin d’éviter la rigueur des expiations de l’autre vie. Pendant l’année qu’il vécut, il supporta avec patience les douleurs les plus aiguës, qui ne lui paraissaient plus rien. Puis au bout de l’année, il mourut, et on a lieu de croire qu’il alla au ciel tout droit, selon la promesse qui lui en avait été faite.
Ce trait rappelle le mot connu de saint Augustin : un seul jour de purgatoire peut être comparé à mille ans de supplices sur la terre, car le feu qui dévore les âmes y est plus insupportable que tout ce que l’on peut endurer ici-bas.
On voit d’après ces exemples : premièrement que la durée du purgatoire est d’ordinaire assez longue, et en second lieu, que le moindre instant passé en ce lieu de souffrance y paraît sans proportion aucune avec le même temps passé sur la terre. Ces deux vérités qui se complètent l’une l’autre, doivent nous remplir d’une sainte terreur pour nous-mêmes, et nous inspirer la plus ardente compassion pour les pauvres âmes que nous oublions trop vite, au milieu de ces feux vengeurs. Un jour, dans l’éternité, nous verrons avec surprise combien nous avons été cruellement flatteurs envers nos parents et nos amis défunts, en les canonisant trop vite, et en cessant ainsi de prier pour eux. « C’est là, dit le P. Faber, une exagération égoïste, car ce n’est autre chose qu’un prétexte pour se consoler et se décharger du soin de prier pour ses chers défunts. » et pendant ce temps, l’infortuné que l’on va prônant partout comme étant mort en odeur de sainteté, souffre des tourments indicibles, sans que la rosée d’aucune prière vienne rafraîchir et tempérer les flammes qui le dévorent.
Connaissons mieux et l’extrême sainteté de Dieu, qui ne peut souffrir aucune tache dans les siens, et la profonde corruption du cœur de l’homme, qui, ne cessant pendant la vie d’accumuler les souillures, arrive au Tribunal du souverain Juge avec une somme de fautes dont le total épouvante l’imagination.
Chapitre 10 Rapports des âmes du purgatoire avec Dieu
Que le purgatoire manifeste admirablement toutes les perfections de Dieu, et particulièrement sa sainteté, sa sagesse et sa bonté. - Comment la miséricorde trouve place dans le purgatoire sans léser la justice - De la justice distributive dans le purgatoire. - Si Dieu accepte nécessairement les suffrages qu’on lui adresse pour un défunt particulier. Opinions diverses de théologiens et exemple de l’appui. - De l’amour que Dieu porte aux pauvres âmes du purgatoire et du désir qu’on les soulage
Nous voici arrivés à un autre point de vue sous lequel il nous faut considérer le purgatoire. Jusqu’à présent, j’ai parlé du lieu des expiations comme s’il était isolé, et qu’il n’y eût que lui dans le monde surnaturel. Il n’en est pas ainsi en réalité. En vertu de la communion des saints, l’Eglise souffrante du purgatoire est en rapports continuels avec l’Eglise triomphante du Ciel, avec l’Eglise militante de la terre, nous étudierons ces relations, mais auparavant il faut parler des rapports qui existent entre les âmes du purgatoire et Dieu, entre le juge qui condamne et le coupable qui subit la peine, entre le père qui tend les bras à son fils exilé, s’apprêtant à le couronner, dès qu’il en sera digne, et l’âme tout embrasée d’amour, qui hâte de ses vœux le moment où il lui sera donné d’entrer dans la maison paternelle. Ce sera l’objet du présent chapitre. Un premier point dont l’évidence éclate, pour peu que l’on ait suivi ce que j’ai dit dans les chapitres précédents, c’est que le purgatoire manifeste admirablement toutes les perfections de Dieu. Le psalmiste a chanté que les cieux : racontent la gloire de Dieu. On peut en dire autant de ces sombres cachots, d’où semblerait devoir ne s’exhaler que des plaintes et des gémissements. Dieu y recueille une ample moisson de gloire, et s’y découvre à nos regards distraits sous un aspect bien digne de fixer l’attention, et d’attirer les cœurs. Nulle part peut-être, excepté dans le Ciel où il récompense ses élus, Dieu ne se révèle aussi grand, aussi puissant, aussi terrible, aussi Dieu. Mais parmi toutes les perfections de Dieu, qui trouvent leur manifestation dans les flammes du purgatoire, il en est trois surtout qui s’y révèlent d’une manière toute spéciale. Je veux parler de sa sainteté, de sa sagesse et de sa bonté. Que le purgatoire manifeste la sainteté infinie de Dieu, c’est ce dont personne ne saurait douter sérieusement. Voilà des âmes saintes, qui sont sorties de la vie dans l’exercice de la charité. Ce sont des prédestinés à la gloire, de futurs citoyens du Ciel. Ces âmes sont l’objet des complaisances de l’adorable Trinité. Ce sont des âmes de choix qui après bien des combats, sont arrivés au but pour lequel le Père les avait crées et mises au monde. Quand le Fils de Dieu abaisse sur elle ses regards, il les voit toutes resplendissantes de son sang divin qui les a lavé dans la pénitence. Le saint-Esprit contemple avec complaisance ses fidèles épouses qui ont correspondu à sa grâce. Et cependant, parce que, dans les jours de leur pèlerinage, ces âmes ont contracté quelques légères souillures, parce qu’en cheminant dans les rudes sentiers de la vie, leur pieds se sont salis au contact de la poussière du chemin, Dieu les rejette impitoyablement loin de Lui. Ces saints, ces prédestinés, ces rachetés par le sang du Christ, il les condamne à d’ineffables tortures, jusqu’à ce qu’ils soient devenus dignes de paraître sans tache à ses yeux. Peut-être ils : ont fait de grandes choses pour la gloire de Dieu : ce sont de saints prêtres qui l’ont fait connaître et aimer dans le monde. Ce sont les religieux qui ont tout quitté pour Lui, et qui se sont imposé de plus une vie de souffrances et de sacrifices. Ce sont des apôtres qui ont porté son nom aux extrémités du monde. N’importe, dès le moment, toutes leurs œuvres, tous leur sacrifices. Il a l’éternité pour les récompenser, mais d’abord il faut qu’ils se purifient. Il me semble qu’entre les âmes du purgatoire et Dieu, il doit ses passer quelque chose d’analogue à la grande scène du Calvaire. Jésus-Christ était le fils bien-aimé du Père, la splendeur de sa gloire, l’objet de ses éternelles complaisances. Cependant à peine il a pris sur Lui la ressemblance du péché, il semble que Dieu ne le connaît plus que pour le frapper. Accumulez toutes les ignominies de la passion, les soufflets, les crachats, les dérisions. Apportez la robe blanche d’Hérode, et le manteau de pourpre du prétoire, et les fouets de la flagellation, et la couronne d’épines, et la croix, instrument du dernier supplice. Pas de pitié pour cet homme qui s’est fait la rançon des péchés du monde. La terre tremble, les rochers se fendent, le soleil s’éclipse, en présence d’un pareil crime, mais Dieu reste impassible, dans le silence de son éternité, comptant tous les coups, toutes les douleurs, toutes les ignominies, afin que rien n’y manque. Rien ne l’émeut, rien ne l’attendrit, pas même ce cri déchirant de la victime : Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as tu abandonné ! Il faut que tout soit consommé et que la justice ait son cours. Alors seulement il se souviendra qu’il est Père. Eh bien ! Revenons maintenant aux âmes du purgatoire. Entre elles et Dieu je vois la même situation. Elles, aussi, sont les filles chéries de Dieu, mais parce qu’elles ont sur elles les marques du péché, Dieu ne les connaît plus, au moins pour un temps. Que les feux vengeurs s’allument, que tous les supplices, que tous les supplices, que toutes les expiations s’accumulent sur cette âme. Dieu assistera impassible à ses tortures. Bien plus il s’en réjouira parce que sa justice sera satisfaite. Inutile de crier vers le ciel, le ciel est fermé. La sainteté et la justice de Dieu l’exigent également. Il faut que tout soit consommé, que le pécher soit détruit. Alors seulement il se souviendra qu’il est Père. La Bse Marguerite-Marie avait éprouvé en elle-même ces rigueurs de la sainteté de Dieu. Voici ce qu’elle en dit : « Les tourments que la sainteté d’amour imprime en moi comme un échantillon de ce que souffrent les âmes du purgatoire sont insupportables. »Et dans un autre passage : » Je ne me souviens pas d’avoir passé une pareille année pour le regard de la souffrance. Rien ne me fait plus souffrir que cette sainteté de Dieu. Le Sacré Cœur donne souvent sa chétive victime aux âmes du purgatoire pour les aider à satisfaire à la divine justice, c’est dans ce temps que je souffre une peine à peu près comme la leur, ne trouvant de repos ni de jour, ni de nuit. » (Vie de la Bienheureuse.) Nous pouvons encore à ce sujet nous inspirer des beaux enseignements de sainte Catherine de Gênes. Voici comment elle parle de ce martyre que la sainteté de Dieu fait endurer aux âmes du purgatoire : « La cause de toute peine est le péché ou originel ou actuel, car Dieu a créé l ‘âme pure, simple, nette de toute tache et avec un certain instinct qui la porte vers Lui comme vers sa fin béatifique. Le péché originel qui souille l’âme dès qu’elle est créée, l’éloigne de ce bienheureux instinct. Le péché : actuel venant se joindre au péché originel, l’en éloigne encore davantage. Et plus cet éloignement augmente, plus l’âme devient mauvaise, parce que le cœur de Dieu se retire d’elle de plus en plus. « Or comme tous les degrés de bonté qui peuvent se trouver dans les êtres n’existent que par la participation de Dieu qui se communique à ses créatures, comme il lui plaît, et selon l’ordre qu’il a établi, sans y manquer jamais, il en résulte que lorsqu’une âme retourne à la pureté et à la netteté de sa première création, cet instinct qui la portait vers Dieu, comme vers son terme béatifique, se réveille en elle aussitôt, croissant à tout moment, il agit sur elle avec une effrayante impétuosité, et le feu de la charité qui la brûle, lui imprime un si irrésistible élan vers Dieu, et plus elle reçoit de lumière, plus sa souffrance est extrême. « La tache ou la coulpe du péché n’existant pas dans les âmes du purgatoire, il n’y a plus d’autre obstacle à leur union avec Dieu que les restes du péché dont elles doivent se purifier. Cet obstacle, qu’elles sentent en elles, leur cause le tourment que je viens de dire, et retarde le moment où l’instinct, qui les porte vers Dieu comme vers leur souveraine béatitude, recevra sa pleine perfection. Elles voient avec certitude ce qu’est devant Dieu le plus petit empêchement causé par les restes du péché, et que c’est par nécessité de justice qu’il retarde le plein rassasiement de leur instinct béatifique. « De cette vue naît en elles un feu d’une ardeur extrême et semblable à celui de l’enfer, sauf la coulpe du péché. »(Op. citato, ch XII.) Le purgatoire manifeste non moins admirablement la : sagesse et la bonté de Dieu, et c‘est ce que n’ont pas voulu comprendre les protestants, qui ont ainsi méconnu la beauté du plan rédempteur et brisé l’harmonie des perfections divines. Dieu ne peut souffrir en sa présence rien de souillé. Sa sainteté s’y oppose absolument, nous venons de le voir. Cependant ces malheureux sont morts en état de grâce, dans l’exercice actuel de l’amour et du repentir. Impossible de les condamner aux haines et aux désespoirs éternels de l’enfer. Le séjour de la gloire et les portes de l’abîme leur sont également fermés. Qu’en fera Dieu ? Il créera un lieu intermédiaire entre le Ciel et l’enfer, un séjour destiné aux expiations temporaires, où l’amour trouvera sa place, sans que la justice et la sainteté y perdent rien. Oui, c’est l’amour, et l’amour le plus tendre qui a créé le purgatoire. »Pour bien comprendre ceci, dit encore sainte Catherine de Gênes, il faut savoir que ce qui se passe d’ordinaire pour perfection aux yeux des hommes, est défaut aux yeux de Dieu, car toutes les choses que l’homme fait et qui, selon sa manière de voir, lui semblent parfaites, impriment cependant en lui des taches et des souillures lorsqu’il ne reconnaît pas que la perfection dans ce qu’il fait est un don de Dieu ? »(Op. citato, ch. XII.) Vu la corruption du cœur de l’homme, le purgatoire était le seul moyen qui restât à Dieu pour nous sauver. Car quel est celui d’entre nous qui pourrait se promettre d’arriver sans souillure au tribunal du souverain Juge ? Sans le purgatoire, il fallait ou que la justice de Dieu laissât le pêché impuni. Ce qui répugne à l’essence divine, ou que la presque universalité des âmes fût privée à jamais de la vue de Dieu. Mais grâce à cette admirable invention du purgatoire, les faibles, les lâches, les pécheurs comme moi peuvent encore aspirer aux joies de la vision béatifique. C’est là, selon l’ingénieuse pensée du P. Faber, comme un huitième sacrement du feu, qui sauve les âmes à qui n’ont pas suffi les sept sacrements de l’Eglise militante. Ainsi aucune des perfections divines n’est lésée. La miséricorde et la vérité se rencontrent dans ce séjour de la souffrance, la justice et la paix s’y embrassent et s’y donnent la main, tout est dans l’ordre. Le péché est expié, les bonnes oeuvres sont récompensées, et l’homme est sauvé ! C ‘est ce que comprennent bien les âmes du purgatoire. aussi, au lieu des cris de rage et de désespoir qui s’élèvent à chaque instant de l’abîme infernal, ce sont, comme nous l’avons vu, des chants d’amour, des hymnes d’actions de grâce qui montent du purgatoire jusqu’au trône de Dieu. Les saints, à leur tour, éclairés d’une lumière plus haute, ne tarissent pas quand ils exaltent les miséricordes de Dieu sur les âmes du purgatoire. Nous avons entendu Madeleine de Pazzi, s’écrier : Heureuses peines ! Sainte Catherine de Gênes aurait voulu rester dans le purgatoire jusqu’à la fin des temps pour y glorifier Dieu. Plusieurs saints ont formé ce vœu héroïque, ce qui nous montre la merveilleuse estime qu’ils faisaient de cette admirable invention de la miséricorde divine. Mais comment, dira –t’on, la miséricorde peut-elle s’exercer dans le purgatoire, puisqu’il est certain que Dieu s’est lié les mains à l’égard de ces pauvres âmes et que la justice seule doit avoir son cours ? Cela est vrai. Mais telle est l’harmonie des perfections divines que jamais l’une ne nuit à l’autre. La justice est pleinement satisfaite dans le purgatoire, et cependant la miséricorde trouve le moyen de s’y exercer. Dieu qui est amour, fait pénétrer dans ces sombres cachots quelques rayons de son immense charité. : Vous demandez comment cela peut se faire sans léser la justice ? Voici quatre canaux par où la divine miséricorde se répand continuellement sur ces pauvres âmes.
Premièrement, c’est presque toujours en vertu d’un décret de la miséricorde, et d’une miséricorde toute spéciale que nous sommes envoyés en purgatoire. Quel est celui d’entre nous qui n’a mérité l’enfer au moins une fois dans sa vie ? Nous sommes à cette heure, bien tranquilles dans nos maisons, mous parcourons en liberté les rues de nos grandes villes, nous respirons l’air pur des campagnes, en un mot, nous jouissons de notre mieux des agréments de la vie. C’est bien. Je ne veux pas troubler votre quiétude. Mais au lieu d’être ici, pourquoi n’êtes vous pas là-bas à vous tordre dans les angoisses d’un désespoir éternel ? Si Dieu vous avait appelé à telle ou telle heure que vous connaissez bien, où seriez-vous maintenant ? N’y a t’il pas à cette heure dans l’enfer des âmes moins coupable que vous ? Mais il y a plus. J’admets que vous avez gardé votre innocence baptismale, que vous ne vous soyez jamais souillé d’aucun péché mortel. Qui vous promet la persévérance ? De plus forts, de plus saints que vous ne sont ils pas tombés misérablement à la fin ? Si donc par la grâce de la persévérance finale, vous arrivez un jour au purgatoire, ce sera un don de la miséricorde. Mais le cas de l’innocence conservée est presque chimérique. La plus grande partie des âmes tombent plus ou moins souvent dans le péché mortel et se rendent ainsi dignes de l’enfer. Après une vie de tiédeur et de négligences, de chutes et de rechute dans le péché, une dernière confession bien faite couvre tout, purifie tout. Ces âmes sont sauvées. Il leur reste il est vrai, de longues et terribles expiations dans le purgatoire, mais de bonne foi, ont-elles le droit de s’en : plaindre, alors que des centaines de fois elles ont mérité l’enfer ? Et que dire de ceux qui se ne sont sauvés qu’au dernier moment par un acte de contrition parfaite ? Ces âmes ont vécu toute leur vie peut-être dans l’illusion, accumulant les confessions nulles, les communions sacrilèges. Leur dernière confession n’a pas été meilleure. Les voilà perdues. Déjà le démon tressaille de joie et s’apprête à saisir sa victime. Tout à coup, en vertu d’une grâce toute gratuite et bien imméritée. La lumière se fait dans cette âme. Sur le seuil de l’Eternité, au milieu des affres de l’agonie, elle voit sa position. Un cri de suprême repentir, un acte de contrition parfaite monte vers le Ciel. C’en est fait. Le pécheur est pardonné. Justiciable de l’enfer, il ne lui reste plus que les expiations temporaires du purgatoire. J’ai cité plusieurs faits de ce genre. Qui nous dira les mystères de la mort, et ce qui se passe à cette heure entre Dieu et l’âme ! Le Père de Ravignan pensait que, dans nos jours troublés, alors que tant d’âmes sont éloignées de la religion par des préjugés presque invincibles, un grand nombre étaient sauvés de la sorte par l’intervention directe de la divine miséricorde, agissant elle-même sur ces âmes, au dernier moment. Après cela, ces âmes auront à subir un rude purgatoire, mais qu’importe ! L’Eternité est à elles ! Prolongez leur supplice jusqu’à la fin des temps. Croyez-vous qu’elles s’en plaindront ? Ah ! Quelle hymne de reconnaissance j’entends monter sans cesse des profondeurs de l’abîme. C’est l’hymne de la délivrance, c’est le chant des rachetés de la dernière heure. Représentez-vous la joie du criminel condamné à mort à qui on vient annoncer sur l’échafaud que la peine est commuée en quelques années de prison. C’est l’image, mais l’image : bien affaiblie de la joie de ces âmes coupables, alors que, paraissant au tribunal de Dieu, elles s’entendent condamner aux expiations du purgatoire. En second lieu, la miséricorde divine se manifeste encore dans le purgatoire dans l’application même de la peine. Quelque terribles, en effet, que soient les supplices du purgatoire, comme on a pu s’en convaincre en lisant ce qui précède, il faut bien avouer, néanmoins, qu’ils sont bien inférieurs à ce que mérite le péché. Toute offense à Dieu, si légère qu’elles soit, s’adressent à une Majesté infinie, comporte une expiation infinie. Quant on considère le péché de ce point de vue, on est bien forcé de s’avouer, avec sainte Catherine de Gênes, que la miséricorde a sa place jusqu’en enfer : « L’homme mort en état de péché mortel mérite dit-elle, une peine infinie, et quant à l’intensité et quant à la durée. Mais la douce bonté de Dieu ne l’a rendue infinie que pour la durée et a donné des limites à son intensité. Si Dieu n’eût écouté que sa justice seule, il eût pu infliger aux damnés des peines plus grandes que celles qu’il leur a fait subir. Il en est de même, à plus forte raison, des âmes du purgatoire, qui s’étaient trouvées à la mort, avec une vraie contrition de leur fautes, n’ont plus en elles la coulpe du péché, et n’emportent en l’autre monde que la peine. Cette peine est limitée et quant au temps et quant à l’intensité, en sorte que les âmes du purgatoire souffrent moins qu’elles ne le méritent en réalité. » (Oper. Citato, cap. iv.) En troisième lieu, la miséricorde trouve encore à se manifester dans le purgatoire, en ce que Dieu abrège souvent la durée de la peine, sans léser en rien cependant les droits de la justice. : Voici comment : Par rapport à l’éternité, le temps n’est rien. En soi, ce n’est qu’une relation d’actes qui s’enchaînent aux autres. En multipliant les actes de l’âme, Dieu peut lui donner en un instant la sensation de plusieurs siècles, et c’est vraisemblablement ainsi qui mourront aux derniers jours du monde expieront en quelques minutes toutes leur fautes. Il est bien vrai que toutes les sensations douloureuses se trouvant ainsi accumulées en un très petit espace de temps, l’intensité du châtiment croît dans une proportion effrayante. La justice garde donc tous ses droits, mais la miséricorde y gagne néanmoins, car l’âme est mise plus tôt en possession de la gloire qui l’attend. D’après les révélations que j’ai citées précédemment, et un grand nombre d’autres que j’ai passées sous silence, il semble que cette abréviation de peine est surtout accordée aux prières de la très sainte Vierge, en faveur de ses dévots serviteurs. Et c’est peut-être ainsi qu’il faut entendre le fameux privilège de la bulle Sabbatine dont je parlerai plus bas à propos des indulgences. Que si Dieu n’use plus souvent de ce moyen de miséricorde pour réduire la durée du purgatoire, c’est, dit le Père de Munford, à cause de nous, qui, tout charnels et peu spirituels que nous sommes pour la plupart, aurions de la peine à comprendre comment, en quelques instants, Dieu peut faire souffrir à une âme la peine de plusieurs années. C’est donc pour nous inspirer plus de crainte de sa justice et nous engager plus efficacement à éviter le péché, qu’il n’abrège pas d’ordinaire la durée des peines du purgatoire, mais quand il le fait, c’est une grande miséricorde dont il use envers ces pauvres âmes. Enfin la miséricorde se manifeste en quatrième lieu dans : le purgatoire, quand Dieu permet à une âme d’en sortir pour faire connaître sa position et ré*clamer les suffrages des vivants. Depuis que le purgatoire existe, on compte par milliers les âmes qui ont vu ainsi abréger leurs peines. Certes, c’est une grande miséricorde de Dieu de suspendre ainsi les lois de la nature pour permettre à un défunt de venir se recommander aux prières de ses amis de la terre. Dieu ne fait pas ce miracle pour tous, car alors ce ne serait plus un miracle, mais on peut dire néanmoins que ces apparitions de quelques âmes servent à toutes, parce qu’elles tendent à ranimer notre foi au purgatoire, à nous réveiller de notre apathie et de notre égoïsme, d’autant plus qu’en ces matières, il est facile de conclure du particulier au général, et les rigueurs de la justice divine sur quelques âmes, prises dans toutes les situations, apprennent aux hommes à veiller sur eux-mêmes, et à prier avec plus de ferveur pour tous les défunts. C’est ainsi que ce qui, en soi, n’est qu’un privilège accordé à quelques âmes, n’en sert pas moins à toutes dans les desseins de l’éternelle miséricorde. Mais en voilà assez sur ce sujet, il faut dire maintenant quelques mots de la justice de Dieu dans le purgatoire. Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai dit des sévérités de la justice, mais une question bien intéressante se présente ici, c’est de savoir si Dieu se croit tenu en justice d’appliquer à un défunt les suffrages que l’on fait spécialement pour lui. Sur ce point les théologiens sont partagés. Les docteurs scholastiques inclinent assez à croire que Dieu s’est réservé la plus grande liberté à cet égard. Il est certain, au moins pour les indulgences, que les Souverains Pontifes de l’Eglise n’ayant plus juridiction sur les âmes du purgatoire, ces indulgences ne leur sont pas appliquées, comme aux vivants, par mode d’absolution, mais seule- : ment par mode d’impétration, ce qui revient à dire que l’Eglise au lieu de remettre directement telle ou telle partie de ma peine due au péché, se contente de prier Dieu d’accepter cette indulgence et l’appliquer lui-même dans la proportion qui convient à sa justice. D’un autre côté, les théologiens mystiques inclinent visiblement vers l’autre sentiment, qui enseigne que tous les suffrages que l’on fait en faveur d’un défunt lui sont appliqués par Dieu. C’est l’opinion du Père Faber, et de ce fait, il paraît tout à fait convenable que Dieu ait une attention particulière à l’intention de ceux qui prient, en sorte qu’il en tient toujours compte, à moins de raisons spéciales. Mais a t’il souvent de ces raisons spéciales de ne pas en tenir compte ? Là est précisément le nœud de la difficulté. Voici ce que dit à ce sujet sainte Françoise Romaine : »Les prières et bonnes œuvres que l’on fait en cette vie pour quelque pauvre âme du purgatoire lui profitent d’abord, mais à cause de ce lien de charité qui les unit toutes, elles servent aussi aux autres âmes. Si ces prières ou aumônes sont offertes à Dieu pour une âme déjà dans la gloire, le mérite en revient à ceux qui les ont faites, et le fruit s’en répand sur les âmes du purgatoire. Quant aux damnés pour qui on prie, ces prières ne sauraient leur être appliquées. Elle ne profitent qu’à celui qui les faits. Les âmes du purgatoire n’en ressentent aucun soulagement. » Nous voyons par les révélations des saints, que la justice de Dieu refuse quelquefois de soulager ceux pour qui l’on prie. J’ai cité plusieurs faits de ce genre. Je rappellerai seulement ce que j’ai dit plus haut de ce prince à la délivrance duquel sœur Marie-Denyse consacrera les neuf dernières années de sa vie. Il est probable que, pendant ce temps, elle gagna plusieurs indulgences plénières : pour son protégé, et cependant aucune ne lui fut appliquée intégralement, puisqu’au bout d neuf années de prières, de mortifications et de souffrances, couronnes par le sacrifice de sa vie, elle n’avait obtenu qu’une diminution de quelques heures Qu’on se rappelle aussi l’exemple rapporté par la Bse Marguerite-Marie de ce grand monde qui, ayant commis des injustices envers ses sujets, pendant sa vie, vit, après sa mort, tous les suffrages que l’on faisait pour lui, appliqués par la justice de Dieu au soulagement des âmes de ceux qu’il avait ruinés. Il faut donc conclure, je crois, que Dieu en ces matières s’est réservé sa liberté tout entière. Le plus souvent, toujours mais peut-être, celui pour qui l’on prie est soulagé, mais pas toujours dans la mesure que l’on pense. Autrement il suffirait de gagner une indulgence plénière, en faveur d’une âme du purgatoire, ou de célébrer à son intention une messe à un autel privilégié, pour être sûr de la délivrer. Or cela est également contraire à la pratique de l’Eglise et à ce que les saints nous apprennent par leurs révélations. Ne nous tranquillisons donc pas trop vite sur le sort de nos chers défunts, mais prions beaucoup pour eux et longtemps, car, à moins d’une révélation spéciale, il est impossible de ne jamais être sûr qu’ils n’en ont plus besoin. On demande ici ce que Dieu fait de l’excédent des suffrages qu’il refus d’appliquer au défunt que l’on avait en vue. Il me paraît très probable et tout à fait conforme aux lois de la justice distributive que ces prières ne sont pas perdues. Elles sont appliquées à d’autres âmes dans la mesure du bon plaisir de Dieu. Les âmes du purgatoire. Par la communion des saints, ne font qu’une seule famille, ce qui ne profite pas à l’un retombe sur l’autre. Je veux : citer encore là-dessus mon grand docteur, sainte Catherine de Gênes. « Si les personnes qui sont dans le monde offrent à Dieu pour les âmes du purgatoire, des prières et des aumônes dans l’intention de diminuer leur souffrances, il n’est pas au pouvoir de ces âmes de détourner leur vue du divin objet qu’elles contemplent plou la porter sur ces actes de charité. Elles ne peuvent les voir que dans cette très juste balance de la volonté divine, laissant Dieu disposer souverainement de tout, pour satisfaire ses droits en la manière qui plaît le plus à son infinie bonté. »(Opere citato, capXIIi.). Ces âmes ont bien raison de s’en remettre ainsi pleinement à la bonté de Dieu. Il est certain que ce qui domine dans les rapports entre Dieu et les âmes du purgatoire, ce n’est pas la justice, comme ion le pense communément, c’est l’amour. Et comment ne les aimerait-il pas ces pauvres âmes ? Il recueille en elles les fruits de la passion et de la mort de son Fils. Il contemple en elles les futurs habitants du Ciel. S’il voit en elles le reste des souillures de péché, il n’y voit plus du moins la coulpe qui a été effacée par le repentir. Ces âmes sont saintes. Elles aiment et elles sont aimées. Aussi Dieu ne peut s’empêcher de désirer la fin de leur épreuve, et si la justice lui lie les mains, il nous invite à le secourir dans ses membres souffrants. tibi derelictus est pauper, orphano tu eris adjutor. Ces paroles du psaume conviennent bien à ces âmes. Dieu ne peut rien pour les tirer d la misère où elles sont plongées, mais il nous confie le soin de leur venir en aide : tibia derelictus est pauper. Pour le moment, ces âmes sont orphelines. Leur Père du Ciel ne les connaît plus. À nous de soulager ses orphelins :orphano tu eris adjutor. Notre Seigneur apparut un jour à sainte Gertrude, et lui dit : »Toutes les : fois que vous délivrez une âmes du purgatoire, vous faites un acte aussi agréable à Dieu que si vous le rachetiez lui-même de la captivité, et il saura vous récompenser quand le moment sera venu. » Plus d’une fois Notre Seigneur s’est abaissé à solliciter nos suffrages en faveur de ses chères âmes du purgatoire. Je pourrais citer bien des exemples. Je dirai seulement ce qui arriva à sainte Thérèse. C’est elle-même qui raconte le fait dans son livre des fondations. (chap. x.) Le jour des trépassés, don Bernardin de Mendoza avait donné à sainte Thérèse une maison et un beau jardin situés à Valladolid, pour y fonder un monastère en l’honneur de la Mère de Dieu. « Deux mois après, dit la sainte, ce gentilhomme tomba malade subitement et perdit tout d’un coup la parole, en sorte qu’il ne put se confesser, encore qu’il témoignât, par signes, le désir de la faire, et la vive contrition qu’il ressentait de ses péchés. » « Il ne tarda pas à mourir, loin de l’endroit où j’étais à cette époque, mais Notre Seigneur me parla, et me fit connaître qu’il était sauvé, quoiqu’il eût couru grand risque de ne pas l’être, car la miséricorde de Dieu s’était étendue sur lui, à cause de dons qu’il avait faits au couvent de la très sainte Vierge. Toutefois son âme ne devait pas sortir du purgatoire avant que la première messe fût célébrée dans la nouvelle maison. » « Je ressentis si profondément les douleurs de cette âme, que malgré mon vif désir d’achever dans le plus court délai la fondation de Tolède, je partis immédiatement pour Valladolid. » « Un jour que j’étais en prières à Médina de Campo, Notre Seigneur me dit de me hâter, car l’âme de Mendoza étais en proie aux plus vives souffrances. Je repartis donc sur-le-champ, bien que je n’y fusse pas préparée, et j’arrivais à Valladolid, le jour de la fête de saint Laurent. » « Aussitôt, j’appelai des maçons pour élever sans tarder les murs de la clôture, mais comme cela devait prendre beaucoup de temps, je demandai au seigneur évêque l’autorisation de faire une chapelle provisoire à l’usage des sœurs qui m’avait accompagnée. l’ayant obtenu, j’y fis célébrer la messe, et à la communion, au moment où je quittais ma place pour m’approcher de l’autel, je vis notre bienfaiteur, qui, les mains jointes et le visage resplendissant, me remerciait de ce que j’avais fait pour le tirer du purgatoire. Je le vis ensuite monter plein de gloire au Ciel. Je fus d’autant plus joyeuse que je n’osais espérer un tel succès, car bien que Notre Seigneur m’eut révélé que la délivrance de cette âme suivrait la première messe célébrée dans la maison, je pensais que cela devait s’entendre de la première messe où le saint Sacrement serait renfermé dans le tabernacle. » On voit par ce trait avec délicate bonté Dieu s’intéresse aux pauvres âmes du purgatoire. Que ces tendres attentions de Celui qui sera notre juge un jour nous encouragent à prier beaucoup pour les chères âmes du purgatoire. C’est le meilleur moyen de nous préparer un jugement favorable, quand l’heure sera venue pour nous de comparaître à notre tour au tribunal de Dieu et d’éprouver peut-être les rigueurs de sa justice : Heureux les miséricordieux, parce qu’il leur sera fait miséricorde. « Beati misericrdes, quoniam ipsi misericordam consequenturs. »
Chapitre 11 Rapports de l'Eglise triomphante avec l'Eglise souffrante
De l’assistance des saints anges. -Si les bons et les mauvais anges pénètrent dans le purgatoire. – Des services que les saints anges rendent à ces âmes. – Raison de l’intérêt que les anges et les saints portent aux âmes du purgatoire. – De l’assistance des saints, spécialement des saints patrons et fondateurs d’ordre. – De l’assistance de la très sainte Vierge. – Marie, reine du purgatoire. – Le samedi, les fêtes de la sainte Vierge, et la fête de l’Assomption, au purgatoire
Le beau spectacle que celui de la communion des saints ! Grâce à ce dogme béni, les frontières de l’Eglise catholique reculent à l’infini. La terre ne la borne plus. Au lieu de deux cent millions de catholiques, répandus sur la surface du globe, il faut compter par milliards les générations qui en font partie. Tous ceux qui, depuis les premiers jours du monde, ont vécu et sont morts dans la communion de l’Eglise, et dans l’exercice de la charité, sont les citoyens de cette immense cité. Le Ciel est incomparablement plus peuplé que la terre, puisqu’il comprend tous les saints de l’ancienne et de la nouvelle loi. Le purgatoire n’est guère moins nombreux probablement si l’on tient compte des générations de justes qui s’y accumulent pendant un temps plus ou moins long. Ce monde n’est en réalité que le plus petit des trois grands royaumes des fils de l’homme. Or, ces millions d’âmes qui se partagent les espaces infinis du Ciel, du purgatoire et de la terre, ne forment toutes qu’une même famille, où tous est mis fraternellement en commun, les joies et les peines, les triomphes des saints, les expiations des âmes souffrantes, les épreuves des vivants, au milieu de nos tristesses, nous nous réjouissons de la gloire des saints, et nous trouvons les temps de compatir aux épreuves des âmes du purgatoire. De leur côté, les saints, qui nous ont précédés dans la gloire, sont émus de compassion à la pensée des dangers que nous courons encore, et quand, du haut du ciel, ils abaissent leurs regards vers les régions désolées du purgatoire, ils y voient d’autres frères dont le salut est en sûreté, il est vrai, mais qui pour le moment, n’en sont pas moins livrés à d’ineffables tourments. Les âmes du purgatoire ne restent pas non plus étrangères à ces joies de la communion fraternelle, elles sont pénétrées de la plus vive reconnaissance pour les bienfaiteurs de la terre, et quand, du milieu de leurs brasiers, elles lèvent les yeux vers les trônes qui les attendent, elles voient à côté d’autres places occupées par ceux qui, plus heureux et plus fidèles, sont déjà arrivés au séjour de l’éternelle béatitude, et cette vue ranime en elles l’espérance, car elle savent qu’elles ont là auprès de Dieu des intercesseurs et des amis. Ce sont ces rapports si intimes et si doux que la communion des saints établis entre les âmes du purgatoire et les habitants du Ciel et de la terre, qui nous restent à étudier. Je parlerai dans ce chapitre des rapports qui existent entre les âmes du purgatoire et l’Eglise triomphante. Commençons par les anges, qui, bien qu’ils ne soient pas en communion proprement dite, comme les saints, avec les âmes du purgatoire, n’en ont pas moins des rapports très fréquents avec elles : »En effet, dit le P. Faber, les âmes du purgatoire sont destinées à remplir des vides affreux causés dans les chœurs angéliques par la chute : de Lucifer et d’un tiers de l’armée céleste. De plus un grand nombre d’anges ont un intérêt personnel dans le purgatoire. Des milliers, ce n’est pas assez dire des millions d’entre eux ont été commis à la garde de ces âmes, et leur mission n’est pas encore accomplie, ils ont là des clients qui les honorés d’un culte spécial pendant leur vie. Des chœurs entiers s’intéressent à d’autres âmes, soit parce qu’elles doivent finalement leur être réunies, soit parce qu’elles doivent finalement leur être réunies, soit parce qu’elles avaient pour eux une dévotion particulière. (Tour pour Jésus,, chap. ix.) Nous voyons dans la liturgie de la sainte Eglise que l’archange Michel a été établi de Dieu pour recevoir les âmes à leur sortie de la vie et les introduire dans le Ciel. Arachangele Michael, constitui te principem super omnes animas suscipiendas (3 Ant. De laud.) Cui tradidit Deus animas sanctorum, ut perducat eas in paradisum exultationis. (5 repons. Matutin.) Saint Michel est comme le prince de ce grand royaume de la douleur, et l’on ne saurait douter qu’il n’ait grande compassion des âmes qui lui sont confiées. Aussi l’Eglise nous fait-elle chanter chaque année au jour de sa fête que c’est son intercession qui ouvre le Ciel aux âmes. Cujus oratio perducit ad regna coelorum (4 rep. Matutin). Un grand nombre de révélations particulières confirment ce titre de gardien des âmes justes et préposé du Paradis que lui donne l’Eglise :Dei nuntius pro animabus justis praepositus paradisi. Les saints anges gardiens des âmes n’ont pas accompli leur tâche tant qu’ils ne les ont pas amenées au Ciel. Il est donc à croire qu’ils continuent à s’intéresser très vivement à leurs protégés, mais nous n’en sommes pas réduits aux conjonctures à cet égard. Sainte Françoise Romaine a reçu : pour les communiquer à tout le peuple chrétien de grandes lumières au sujet des anges. Ecoutons donc ce qu’elle en dit : »Quand un homme meurt, son ange gardien conduit son âme, selon qu’elle l’a mérité, dans la région inférieure de purgatoire, et se place à sa droite, le démon à sa gauche : tous les deux hors du purgatoire. L’ange présente à Dieu toutes les prières qui lui sont faites pour cette âme, soit par ses parents, soit par ses amis, ou par tous les autres chrétiens, et la bonté divine les rend à cet ange pour l’abréviation de la peine et le soulagement de la pauvre âme dont il est chargé. » « Le démon qui a spécialement tenté une âme pendant sa vie, reste à sa gauche, mais en dehors du purgatoire, où il ne peut entrer, et là, sur l’ordre de Lucifer, il est tourmenté d’une manière toute spéciale pour n’avoir pas su conduire cette âme en enfer. Une des plus grandes souffrances de celle-ci c’est d’avoir sous les yeux cette horrible vision e son mauvais esprit, et d’entendre les railleries que lui inspirent les peines qu’elle endure pour avoir cédé à ses suggestions. Voici, lui dit-il, que tu endures de grandes souffrances à cause des injures que tu a faites au Dieu qui t’a créée, rachetée et qui a veillé sur toi pendant la vie. Au lieu d’obéir à son commandement, tu as préféré suivre mes suggestions, tu t’es laissé sottement séduire par mes illusions, et c’est pourquoi te voilà ici. Les peines du feu sont bien grandes, mais ces reproches les augmentent encore, et c’est ainsi que la justice divine se satisfait. Quand le temps de l’expiation dans le purgatoire inférieur est terminé, l’âme remonte à la région moyenne, et le démon retourne avec les siens, où il reçoit à son tour les railleries et les reproches des autres démons pour avoir laissé échapper cette âme par sa négligence et sa paresse. Désormais Lucifer ne lui confie plus d'autres âmes à perdre. Il erre triste et misérable, cherche partout quelque mal à commettre. » (Vita Sanctæ Franciscæ apud. Boll., 9 mars.) On voit par là ce que sainte Françoise pensait d'une question très agitée dans les écoles, à savoir si les démons ont le pouvoir de tourmenter les âmes dans le purgatoire et d'exercer sur elles des violences directes. La sainte se prononce nettement pour la négative : « Les âmes n'ont rien à souffrir des démons que ces railleries dont j'ai parlé, car ils n'entrent pas dans le purgatoire. » Cependant, un certain nombre de révélations nous montrent les démons tourmentant les âmes souffrantes. mais en présence de l'affirmation si nette de sainte Françoise Romaine, j'incline à croire qu'il faut l'entendre des railleries et autres opprobres que les mauvais anges font subir à ces pauvres âmes, et non des violences proprement dites, comme celles qui s'exercent sur les damnés. et ce qui me confirme dans ce sentiment, c'est qu'il paraît équitable qu'après avoir triomphé des ruses de ces maudits pendant la vie, les âmes ne retombent pas sous leur cruelle domination après la mort. Nous avons vu ailleurs que ce ne sont pas les démons mais les bons anges qui sont les exécuteurs de la justice divine sur les âmes du purgatoire. Remarquons aussi ce que dit sainte Françoise, que la présence du mauvais ange est réservée au purgatoire inférieur, quand l'âme passe au purgatoire moyen, à plus fore raison quand elle monte au purgatoire supérieur, le démon la quitte et son bon ange pénètre seul auprès d'elle pour la consoler. Que l'ange gardien pénètre dans le purgatoire, pour visiter et consoler ses anciens protégés, c'est ce qu'il est impossible de révoquer en doute, tant les témoignages sont nombreux à cet égard. C'est même en cela surtout que consiste l'assistance que les saints anges rendent aux âmes du purgatoire. Incapables de mériter pour eux-mêmes, ils ne peuvent, comme nous, satisfaire pour ces âmes souffrantes. On ne voit pas non plus qu'ils prient pour elles, au moins ordinairement, mais ils les visitent, les consolent et leur servent d'intermédiaires soit avec le ciel, soit avec la terre. « Je suis pleine d'espérance dans mon doux Sauveur, qu'il me délivrera bientôt, disait une âme du purgatoire, dont j'ai parlé plus haut. Déjà il me console par la vue de cet éclat que j'aperçois dans ma prison, et qui n'est autre que celui de mon bon ange gardien. Ce fidèle ami, à ma prière, m'obtiendra des suffrages précieux, et je serai bientôt réunie à Jésus et à Marie. » Depuis la longue visite que fit sainte Madeleine de Pazzi au purgatoire, quand elle fur arrivée au cachot de ceux qui ont péché par ignorance et par faiblesse, elle aperçut leurs anges gardiens qui se tenaient auprès d'eux pour les consoler. en même temps, elle vit les démons, placés de l'autre côté, dont l'aspect horrible et les railleries impitoyables les faisaient beaucoup souffrir (on peut constater ici en passant l'accord parfait entre cette révélation de sainte Madeleine de Pazzi et celles de sainte Françoise Romaine.) On trouve les mêmes détails dans la vie de Bse Marguerite-Marie. Dans une de ces maladies extraordinaires qu'elle eut à souffrir, son ange lui vint dire un jour : « Allons faire une promenade dans le purgatoire » ce qu'ayant dit, il la conduisit dans un lieu fort spacieux, tout rempli de brasiers et de flammes, où elle vit une grande quantité de pauvres âmes en forme humaine, qui Page levaient les bras en haut et criaient miséricorde. Elle y vit aussi plusieurs anges qui les consolaient et sut que c'étaient leurs anges gardiens. (Vie de la bienheureuse) Ces révélations sont parfaitement conformes aux données de la théologie. D'après la plupart des docteurs, ce sont en effet, comme je l'ai dot ailleurs, les saints anges gardiens qui introduisent les âmes en purgatoire, et qui les mettent en communication avec les vivants, en nous inspirant de prier pour elles, en leur faisant connaître ceux qui leur rendent ce charitable office. La vie de la vénérable Agnès de Jésus, qui vivait dans la familiarité habituelle des saints anges, est toute pleine d'apparitions, où nous voyons ces fidèles amis des hommes intercéder en faveur de leurs clients, leur porter au milieu des flammes le rafraîchissement après lequel elles soupirent, les conduire au Ciel quand le temps de l'expiation est fini, et venir annoncer aux vivants que leurs prières ont été exaucées. On trouve les mêmes faits dans un grand nombre de vies des saints, en sorte que l'on ne peut douter que les saints anges ne soient les intermédiaires naturels entre le purgatoire et la terre. Ce sont eux encore qui servent d'intermédiaires entre le Ciel et le purgatoire. Nous avons vu qu'ils offrent à Dieu les suffrages que l'on fait en faveur des défunts, et qu'ils apportent aux âmes souffrantes les diminutions de peine et les autres soulagements que Dieu leur accorde. Il faut savoir aussi que chaque fois que Notre Seigneur ou sa très sainte Mère descendent au séjour des expiations, ils sont toujours accompagnés d'un grand nombre d'anges, dont la présence et l'éclat réjouissent beaucoup, et consolent ces pauvres âmes. Ce sont eux enfin qui servent de Page ministres à la divine miséricorde, pour tirer les pauvres âmes de peine et les amener au Ciel. Tels sont les bons offices que les saints rendent aux âmes du purgatoire. Que personne ne s'étonne de voir ces pures intelligences se mettre ainsi au service des hommes. Ces âmes sont saintes. Elles sont destinées à entrer un jour dans les chœurs angéliques pour chanter avec eux les louanges du Seigneur. Il est donc tout naturel qu'ils s'intéressent à elles. Il n'y a rien là d'ailleurs qui déroge à leur dignité. Pendant que ces âmes étaient dans une chair mortelle, les anges ne dédaignaient pas de se faire, sur l'ordre de Dieu, leurs gardiens, leurs compagnons, j'allais presque dire leurs serviteurs. Pourquoi ne leur continueraient-ils pas ce ministère de charité après leur mort, et cela jusqu'à ce qu'ils les aient introduits dans la patrie ? Voici pour terminer ce qui se rapporte aux saints anges, un trait bien touchant, qui montre à quel point les anges s'intéressent aux pauvres âmes du purgatoire. Je l'ai tiré de Rossignoli, qui le rapporte lui-même sur l'autorité de la vén. Sœur Paule de Sainte-Thérèse, de l'ordre des dominicaines. (Les Merveilles du purgatoire, 4e merveille.) Dans le monastère des dominicaines du couvent de sainte Catherine de Naples, où la sainte résidait, c'était une pieuse coutume de réciter chaque soir avant de se coucher, les vêpres de l'office des morts. Ces bonnes sœurs voulaient ainsi procurer le repos aux pauvres défunts, avant d'aller prendre le leur. Or, un soir, il arriva que, par suite d'un travail prolongé, les sœurs fatiguées ne purent s'acquitter de ce pieux suffrage. Mais les pauvres âmes n'y perdirent rien, car une troupe de saints anges, descendant du ciel dans le chœur des religieuses, se mit à réciter d'une voix céleste, l'office accoutumé. Page cependant la sœur Paule, qui était en oraison, entendant ces voix mélodieuses, prête l'oreille, ouvre la porte de sa cellule et aperçoit la troupe angélique en nombre exactement pareil à celui des religieuses. Les saints du Ciel ne s'intéressent pas moins que les anges au soulagement et à la délivrance des âmes du purgatoire. Sous un certain rapport, je dirais même qu'ils s'y intéressent d'avantage, parce qu'en vertu de la communion des saints, le lien qui les unit aux âmes du purgatoire est plus intime et plus fort. Ce ne sont pas seulement, comme pour les saints anges, des clients, ce sont des frères qu'ils voient souffrir au milieu des flammes. Comment resteraient-ils indifférents à leurs tourments ? Quelques théologiens ont prétendu que les saints ne peuvent intercéder pour les âmes du purgatoire. Mais un grand nombre de révélations nous apprennent le contraire. Ces théologiens ont confondu l'interprétation et la satisfaction. Il est certain que les saints, ne pouvant plus mériter pour eux-mêmes, ne peuvent pas d'avantage satisfaire pour les autres. Et par conséquent, sous ce rapport, leur situation à l'égard des âmes du purgatoire est moins avantageuse que la nôtre. Mais ils peuvent prier. Il est de foi qu'ils prient pour nous. Pourquoi leur intercession s'arrêterait-elle aux portes du purgatoire ? Les saints prient donc pour les âmes souffrantes, pour ceux qui furent leurs amis sur la terre, et de nombreux exemples nous autorisent à dire que cette prière des saints est bien puissante auprès de Dieu, et cela est naturel, car les saints sont les amis privilégiés de Dieu, et leurs prières sont accompagnées de toutes les qualités qui manquent trop souvent aux nôtres. Je pourrais citer bien des faits du même genre, car les vies des saints en sont pleines. Les saints patrons dont Page nous avons porté les noms, et qui nous ont protégés pendant la vie, continuent leur assistance à leurs clients qui gémissent dans les flammes du purgatoire. " Non seulement, dit le Père Faber, les liens d'affection qui les unissaient à leurs protégés ne sont pas rompus par la mort, mais il s'y mêle un sentiment de tendresse tout spécial, à cause des souffrances terribles qu'endurent les êtres qui en sont l'objet, et un plus vif intérêt à cause de la victoire qu'ils ont remportée. Les saints contemplent dans ces âmes l'ouvrage de leurs soins, le fruit de leurs exemples, leurs prières exaucées, le succès qui a si magnifiquement couronné leur affectueux patronage. " (Tout pour Jésus, chap. IX.) Il est de même des saints fondateurs d'ordres. Voici encore ce que dit à ce sujet le P. Faber : « Ce que j'ai dit des saints en général, s'applique en particulier aux fondateurs d'ordres et de congrégations. Ah ! Ces saints, ces fondateurs sont les enfants du Sacré-Cœur. Ils ont été conçus au fond de ses replis les plus intimes. Ils ont été nourris de son sang le plus pur. Leur charité a surpris le secret de ses palpitations. Qui pourrait donc exprimer la sollicitude que ressentent ces pieux fondateurs pour ceux de leurs enfants qui achèvent dans les flammes l'œuvre de la purification ? Ces enfants, tant qu'ils ont été sur terre, les ont honorés. Ils ont vécu dans la maison de leur Père et de leur fondateur, sa voix retentissait sans cesse à leurs oreilles : ses fêtes étaient des jours de bonheur et de réjouissance spirituelle. Sa règle était pour eux un second Evangile. Son habit leur était aussi cher que les plus riches vêtements. Quoi donc d'étonnant si ce fondateur, à son tour, chérit ses enfants, quand il les voit retenus au milieu des Page flammes, eux la couronne de son ordre, l'honneur de sa paternité. » (Loco citato.) Après sa mort, saint Philippe de Néri se fit voir entouré d'un grand nombre de religieux de son ordre qu'il avait délivré par ses prières. Saint François d'Assise promit aux siens de descendre au purgatoire, après leur mort, pour en tirer ceux d'entre eux qui auraient été fidèles observateurs de sa règle, en particulier de la sainte Pauvreté ? Notre seigneur lui avait donné ce pouvoir, et un grand nombre de faits consignés dans les chroniques des frères Mineurs, montrent qu'il en use quand il est besoin. La plupart des grandes familles religieuses ont des traditions analogues. Un autre privilège que nous voyons réservé à plusieurs saints, c'est de délivrer un grand nombre d'âmes le jour de leur entrée au Ciel, et d'arriver ainsi dans la gloire, comme Notre Seigneur Jésus-Christ, au jour de son ascension, avec une nombreuse escorte d'âmes rachetées. C'est ce que nous apprenons en particulier du Bse Œgidius, un des douze premiers disciples de saint François d'Assise. Un religieux dominicain étant mort, le même jour apparut à quelque temps de là à un de ses frères à qui il avait promis de faire connaître son sort. – « Eh bien ! Qu’est-il advenu de vous ? » demande l’ami avec anxiété. – « Je suis bienheureux répond le dominicain, car je suis mort le même jour qu’un saint frère Mineur nommé Œgidius, auquel Notre Seigneur, en récompense de ses grandes vertus, a accordé la faveur d’introduire avec lui dans le Ciel la plupart des âmes qui se trouvaient alors en purgatoire. J’ai été de ce nombre, et me voici délivré par les mérites de ce saint Père. » (Vita B Œgidii apud Bolland.) Il faut parler maintenant de la douce influence de Marie Page dans le purgatoire. La Reine des anges et des saints, si compatissante aux malheureux de toute sorte, s’est proclamée elle même la Reine du purgatoire. Je suis, dit-elle à sainte Brigitte, la mère et la reine de tous ceux qui sont dans le lieu de l’expiation. Mes prières adoucissent les châtiments qui leur sont infligés pour leurs fautes. (Rév., liv. IX, chap. I.) Il s’est pourtant trouvé des théologiens, en petit nombre, j’ai hâte de le dire, qui ont soutenu que la douce Marie ne peut rien pour les âmes du purgatoire, mais, comme dit le Père Faber, je n’aime pas que l’on parle de quelque chose que Marie ne peut pas faire ? D’ailleurs les révélations des saints font justice de ces doctrines désolantes. Si j’entreprenais de rapporter ici tous les faits qu’ils nous font connaître de la miséricordieuse bonté de Marie à l’égard des âmes du purgatoire, ce serait matière d’un nouvel ouvrage. Comme j’ai cité plusieurs faits où l’on voit la mère de Dieu intervenir en faveur de ces pauvres âmes, je me contenterais de rapporter un ou deux exemples. Nous voyons dans les révélations des saints, que le samedi, qui est le jour spécialement consacré à la très sainte Vierge, est jour de fête au purgatoire. Ce jour-là, la douce mère des miséricordes descend dans les cachots du purgatoire visiter et consoler ses dévots serviteurs. En vertu du privilège de la bulle Sabbatine, tous ceux qui ont porté le scapulaire de la Bse Vierge, et rempli certaines conditions, dont je parlerai ailleurs, sont délivrés des flammes expiatrices, le premier samedi après leur mort. Voici ce que raconte à ce sujet la V. sœur Paule de Sainte-Thérèse, de l’ordre des dominicaines. Après avoir été ravie en extase, un jour de samedi, et transportée dans le purgatoire, elle fut toute surprise de le Page trouver transformé comme en un paradis des délices, avec une grande lumière au milieu, en place des ténèbres habituelles. Comme elle se demandait la raison de ce changement, elle aperçut Marie, entourée d’une infinité d’anges, auxquels elle ordonnait d’aller délivrer les âmes qui lui avaient été spécialement dévouées, et de les conduire au Ciel. (V. Rossignoli, les Merveilles du purgatoire, IVe merveille.) S’il en est ainsi des simples samedis consacrées à la très sainte Vierge, on ne peut guère douter qu’il en soit de même, à plus forte raison, quand le cours de l’année liturgique ramène quelqu’un des glorieux anniversaires de la mère de Dieu. Les fêtes de Marie deviennent ainsi les fêtes du purgatoire, et parmi toutes ces fêtes, l’anniversaire du jour où la Bse Vierge monta au ciel en corps et en âme, est le grand jour de la délivrance. Saint Pierre Damien nous apprend (Opusc. XXXIV, II p., ch. III,) que, chaque année, au jour de l’Assomption, la sainte Vierge délivre ainsi plusieurs milliers d’âmes. Voici la vision miraculeuse qu’il rapporte à cette occasion. C’est un pieux usage d peuple Romain de visiter les églises, un cierge à la main, pendant la nuit qui précède la fête de l’Assomption de la Bse Vierge Marie. Or, une année, une dame de qualité était agenouillée dans la basilique de l’Ara-Cœli, au Capitole. À sa grande surprise, elle aperçut devant elle une femme qu’elle avait beaucoup connue, et qui était morte pendant l’année. Elle l’attendit à la porte de l’église, désireuse d’éclaircir ce mystère et dès qu’elle la vit sortir, elle la prit par la main, et la tirant à l’écart : « N’êtes-vous pas, lui dit-elle, ma marraine Mazorie qui m’a tenue sur les fonds du baptême ? » -» Oui, répond aussitôt l’apparition, c’est moi-même. » -» Eh ! Comment vous retrouvé-je au milieu des Page - vivants, puisque vous êtes morte depuis près d’un an ? Qu’êtes-vous donc devenue dans l’autre vie ? » -» Jusqu’à ce jour, je suis restée plongée dans un feu épouvantable, à cause des nombreux péchés de vanité que j’ai commis dans ma jeunesse. Mais dans cette grande solennité, la Reine du Cie est descendue au milieu des flammes du purgatoire, et m’a délivrée ainsi qu’un grand nombre d’autres âmes, afin que nous entrions au Ciel le jour de son Assomption. C’est ce qu’elle fait chaque année, et dans cette circonstance le nombre de ceux qu’elle a délivrés est aussi considérable que celui du peuple de Rome. A cause de cela nous nous transportons cette nuit dans les sanctuaires dédiés à Marie. Vous ne voyez que moi, mais nous sommes une grande multitude. » En voyant que cette dame restait stupéfaite et semblait douter encore, l’apparition ajouta : « En preuve de la vérité de ce que je vous dis : sachez que vous-même vous mourrez dans un an, à la fête de l’Assomption. Si vous passez ce terme, tenez tout cela d’une illusion. » Saint Pierre Damien rapporte que cette dame passa cette année en bonnes œuvres pour se préparer au redoutable passage. L’année suivante, l’avant-veille de la fête, elle tomba malade et mourut le jour même de l’Assomption, comme il lui avait été prédit. Une foule d’écrivains, Gerson, Théophile Reynaud, Rossignoli, saint Alphonse de Liguori, le P. Faber, confirment cette pieuse croyance, qui est appuyée sur un nombre très considérable de révélations particulières, c’est pourquoi, à Rome, l’église de sainte-Marie in Montori, qui est le centre de l’archiconfrérie des suffrages en faveur des âmes du purgatoire, est place sous le vocable de l’Assomption. C’est ainsi que l’Eglise du Ciel, ayant sa reine à sa tête, Page se penche avec amour vers l’Eglise du purgatoire, pour la secourir, la consoler, et l’aider à entrer le plus tôt en possession de la gloire. Touchante fraternité des âmes, qu’on ne trouve que dans l’Eglise catholique ! Là seulement la mort perd ses droits. Ceux qu’elle sépare pour un temps ne cessent de s’aimer, et de faire partie d’une même famille, où ceux qui restent sur la terre, et ceux qui expient dans le purgatoire, et ceux qui sont déjà couronnés dans le Ciel, sa regardant comme les enfants d’un même père, n’aspirent qu’au grand jour qui les verra tous réunis au foyer domestique, à la table du Père commun. Oh ! Qu’il fera bon, et quand donc viendra ce bienheureux jour !
Chapitre 12 Rapport des âmes du purgatoire avec l'Eglise militante : des apparitions des morts
Des apparitions des morts. La question des revenants dans l'histoire et devant la foi. -Du mode de ces apparitions. - Des illusions diaboliques. - De l’évocation des morts. - Du Spiritisme. -Règles pour discerner les vraies apparitions des fausses.
Redescendons sur la terre : il s'agit d'étudier maintenant les rapports des âmes du purgatoire avec l’Eglise militante, et la première question qui se présente, c'est de savoir si les âmes du purgatoire peuvent se mettre directement en rapport avec nous, et nous apparaître. Au fond c'est la vieille question des revenants qui se pose ici. Et cette question semble bien définitivement tranchée par la négation. Un éclat de rire universel ne manquerait pas d'accueillir celui qui voudrait la traiter scientifiquement, tant la génération actuelle est habituée il considérer tout cela comme des contes de bonne femme, dont ne s'effrayent plus même les enfants. Et cependant tous les faits que j'ai cités, sont là qui déposent en sens contraire, et il est dur de répondre ainsi par une fin de- non- recevoir absolue à l'histoire tout entière. Car il ne faut pas se le dissimuler, tous les peuples et tous les siècles ont cru à ces communications d'outre-tombe. Les anciens païens avaient leurs apparitions, tout comme le moyen âge catholique. Il Y a plus : le culte païen tout entier repose sur ces manifestations extraordinaires. Et nous voyons, par les anathèmes de la Bible, et par les histoires anciennes que l'évocation des morts, le culte des mânes fut le grand péché de l'antiquité. "
Laissons de côté les Assyriens, les Egyptiens et les Grecs, malgré les témoignages que nous fournissent les ruines de Ninive et de Memphis. Voyons ce qui se passait chaque année, chez les Romains : on sait que les Lémuries ou fêtes expiatrices en l’honneur des morts y étaient célébrées religieusement chaque année. Au jour marqué, le Souverain Pontife de Jupiter se rendait processionnellement auprès du gouffre Manal, situé au milieu du champ de Mars. À ce cri sinistre Mundus patet, les morts sortaient en foule du sein de la terre. Leurs parents, leurs amis a1laient au-devant d'eux, on les conduisait dans les maisons, où un festin était préparé en leur honneur. La fête finie, on 1esreconduisait à leur sombre séjour. Or ces rites 1ugubres existent chez tous les peuples non chrétiens. Au seizième siècle, saint François Xavier les retrouve, identiquement les mêmes, chez les Japonais, et de nos jours, dans ce grand empire Chinois, qui couvre un quart du globe, nos missionnaires nous apprennent que les choses se passent encore de même, et que l'évocation des morts, le culte des ancêtres forme à peu près toute la religion de ce peuple extraordinaire. D'où peut venir une pareille unanimité ?
Il n'y a rien là qui attire. Au contraire, ces communications avec le monde invisible impriment naturellement la terreur. Comment les retrouve-t-on partout ? Qui a fait connaître ces mêmes rites aux anciens Mexicains et à tous les peuples de L’Amérique, chez qui les Espagnols les trouvèrent établis lorsqu'ils débarquèrent sur leurs plages ? Qui les a révélés aux Vaudoux et ces peuplades abruties du centre de l’Afrique, qui n'ont jamais eu de relations avec les peuples civilisés de l'antiquité, ou du monde moderne. A qui fera-t-on croire que ces milliers d'hommes, vivant sous toutes les latitudes, à des, époques si éloignées les unes des autres, ont cru voir, entendre ce qui n'a jamais eu de réalité que dans leur imagination ? Faisons la part de l'illusion et de la superstition dans ces manifestations étranges. De cette universalité de croyance aux apparitions des morts, je crois être en droit de conclure qu'une réalité sérieuse se cache sous ces phénomènes.
L'Église ne s'y est pas trompée. Également éloignée de la superstition qui croit tout, et du scepticisme qui rejette, sans examen les faits les mieux prouvés, elle admet en principe l'existence de ces manifestations, et quand un fait particulier se présente, elle examine la part qu'il faut faire à la supercherie ou à l’illusion démoniaque. Si rien de tout cela n'est à craindre, elle admet la réalité de l'apparition, et il le faut bien, car autrement nous devrions déchirer toutes nos vies de saints, puisque à chaque page ces phénomènes s'y reproduisent. Tantôt ce sont des âmes souffrantes qui viennent solliciter nos prières. Plus rarement, ce sont des réprouvés, qui sortent un instant de l'abîme, pour raconter leurs souffrances.
En dehors de ces récits, empruntés aux annales de l’Église, il y a la tradition de tous les peuples qui parle de maisons hantées, de bruits étrangers, d'apparitions effrayantes. Si je n'entre pas dans l'étude de ces faits, ce n'est pas que je les rejette en bloc, comme nos beaux esprits modernes, je tiens au. Contraire, qu'au milieu de beaucoup de superstitions et d'erreurs, il y a un fond de vérité à la plupart de ces récits. À moins de renverser les lois du témoignage humain, il faut bien avouer que sur tant de faits de ce genre, que l'on raconte, il y en a qui sont parfaitement prouvés. la seule raison qui me force de les passer sous silence, c'est la loi que je me suis imposée, en commençant ce travail, de ne citer que des révélations appartenant à la vie des saints, afin d’écarter tout péril d'illusion. Pour ceux qui voudraient étudier ces faits plus en détail, je les renverrai à M. de Mirville, dans son livre des esprits et de leurs manifestations, ou à la mystique de Goerres. En me renfermant dans mon programme, je veux raconter ce qui arriva au grand docteur du moyen âge, saint Thomas d'Aquin. Il serait dur de rejeter ce grand esprit parmi les gens crédules, qui se laissent prendre à des contes de bonnes femmes. Voici ce qu'on trouve dans sa vie (V. Rolland, 7 mars,)
Lorsque saint Thomas était lecteur en théologie à l'Université de Paris, il vit un jour paraître devant lui l'âme de sa sœur, qui venait de mourir au couvent de Capoue, dont elle était abbesse. Elle souffrait cruellement pour divers manquements à la vie religieuse et se recommandait à ses prières. Le saint le lui promit, et tint parole. À quelque temps de là, ayant été envoyé à Rome par ses supérieurs, il vit cette chère âme lui apparaître de nouveau, mais cette fois, dans l'extérieur de la gloire. Elle venait le remercier de ses suffrages qui avaient hâté sa délivrance. Familiarisé depuis longtemps avec les choses surnaturelles, le saint ne craignit pas d'entrer en conversation avec l'apparition et de lui demander ce qu'étaient devenus deux de ses frères morts auparavant : " Arnould est au Ciel, répondit l'âme, et il jouit d'un haut degré de gloire, pour avoir défendu l'Église et le Souverain Pontife contre les impies agressions de l'empereur Frédéric. Quand à Ludolphe, il est encore dans le purgatoire où il souffre beaucoup, parce que personne ne pense à prier pour lui. Pour vous, cher frère, une place magnifique vous attend dans le Paradis, en récompense de tout ce que vous avez fait pour l'Église : hâtez. Vous donc de mettre la dernière main aux divers travaux que vous avez entrepris, car certainement vous viendrez bientôt nous rejoindre. " L'histoire rapporte qu'en effet le grand docteur mourut peu de temps après.
Un autre jour, le même saint était en prières dans l'église de saint-Dominique à Naples. Il vit venir au devant de lui frère Romain, qui lui avait succédé à Paris dans la charge de lecteur en théologie. Le saint crut d'abord qu'il venait d'arriver de Paris, car il ignorait sa mort, il se leva donc pour s'informer de sa santé et des motifs de son voyage. -» Je ne suis plus sur la terre, lui dit le bon religieux en souriant, j'ai passé quinze jours seulement en purgatoire. Par la miséricorde de notre Dieu, je suis déjà en possession de ma couronne, et je, viens par ses ordres vous encourager dans vos travaux. !) -" Suis-je en état de grâce" demanda aussitôt Thomas. -Oui, mon frère, et je dois vous dire que vos œuvres sont très agréables à Dieu ! " Alors le théologien, rassuré sur son propre état, voulut profiter de l'occasion pour sonder quelques mystères de la science sacrée en particulier le mystère de la vision béatifique, mais il lui fut répondu par ce verset du psalmiste Sicut audiv imus sic vidimus in civitate Dei nostri, et l'apparition disparut.
Voici encore un fait très intéressant qui arriva à saint Gothard, évêque d'Hidesheim, en Hanovre. (Vide apud Bolland, vita sancti Gothard, die 4 maii.)
C'était à une des plus tristes périodes du moyen âge. Sous la main de fer des empereurs, défenseurs officiels de la sainte Église, en réalité, ses oppresseurs, le brigandage et la révolte contre l'autorité épiscopale avaient fait des progrès effrayants dans cette partie de l'Allemagne. Plus d'immunités ecclésiastiques, plus de sécurité pour les clercs et les religieux. On pillait les terres de l’Eglise et on se moquait de ses censures. Le saint évêque s'était vu forcé de recourir à l'excommunication contre ces orgueilleux, mais ils n'en tinrent pas compte, et le lendemain au moment où l'évêque prenait les ornements sacrés, ils entrèrent dans l'église pour braver sa sentence. Le saint se tourna vers eux, et, avec la double majesté du caractère sacré et de sa vertu bien connue : " J'ordonne, dit-il, au nom du saint-Esprit, en vertu de l'obéissance chrétienne, à tous ceux qui sont excommuniés de sortir du lieu saint. " Les impies se regardent en ricanant, bien décidés à ne pas bouger. Mais, ô stupeur, voilà qu'en présence de tout le peuple, les dalles se soulèvent, et un certain nombre de morts ensevelis sous le pavé du temple sortent de leur tombe, et se dirigent vers la porte de l'église. Dans cet âge de fer, l'excommunication était la seule arme qui restât à l'Église pour faire un peu respecter ses lois, on en usait donc assez largement, et ces malheureux, atteints par les censures pour des fautes secrètes probablement, avaient été enterrés dans le lieu saint parce qu'on ignorait leur état. A cette vue, le peuple se mit à jeter de grands cris, et les pécheurs publics s'enfuirent épouvantés de la leçon.
La messe finie, l'évêque accompagné du clergé se rendit à la porte de l'église, où les morts l'attendaient prosternés humblement, comme pour implorer leur pardon. L'évêque les interrogea, et ils répondirent que, malgré les censures dont ils étaient liés, ils avaient été sauvés à la mort, grâce à leur contrition. Ils demandaient la levée de l'excommunication pour pouvoir participer aux suffrages des fidèles, et reposer en paix dans, la terre bénite. Alors l'évêque, après les avoir loués du bon exemple qu'ils venaient de donner, leur donna l'absolution des censures, et aussitôt. Ils se relevèrent, rentrèrent dans l'église, et sans ajouter, un seul mot, se recouchèrent dans la tombe qui se referma sur eux.
Dans ce cas, on voit les apparitions se rendre visibles à tout un peuple. Ce qui exclut la possibilité d'une hallucination.
Voici encore un exemple de ces apparitions collectives il est plus récent, puisqu'on le trouve dans la vie du V. Punzoni, ami particulier de saint Charles Borromée, archiprêtre d'Aroua, au diocèse de Milan. Pendant que la fameuse peste, qui fit tant de victimes au diocèse de Milan, ce saint archiprêtre, non content de se multiplier pour administrer les secours de son ministère aux malheureux atteints de la contagion, n'avait pas craint de se faire fossoyeur, pour ensevelir dans la terre sainte les cadavres des défunts, la peur ayant paralysée tous les courages, et personne n'osant se charger de cette terrible besogne. Or, à quelque temps de là, comme il passait le long du cimetière, à l'issue des vêpres, il s'arrêta tout à coup frappé d'une vision extraordinaire. Craignant d'être le jouet d'une hallucination, il se tourna vers don Sanchez, alors gouverneur d'Arona qui l'accompagnait, et lui demanda : -" Voyez. : Vous, Monsieur, le même spectacle qui se présente à mes regards ? – " Oui reprit le Gouverneur, qui venait lui aussi de s'arrêter dans la même contemplation, je vois une procession de morts qui s'avancent vers l'église. Et je vous avoue qu'avant que vous m'en eussiez parlé, j'avais peine à en croire mes yeux. " -» Ce sont probablement, reprit l'archiprêtre, les récentes victimes de la peste qui nous font connaître ainsi qu'elles ont besoin de nos prières. ' Aussi- tôt il fit sonner les cloches et convoquer les paroissiens pour le lendemain à un service solennel en faveur des défunts, (Vie du V. Punzoni, chap. VII.) On voit ici. deux personnages que l'élévation de leur prit met en garde contre tout péril d'illusion, et qui, frappés tous deux, en même temps, de la même vision, ne se décident à y ajouter foi qu'après avoir constaté que leu yeux sont frappés d'un même phénomène. Il n'y a pas là la plus petite place à l'hallucination, à moins qu'on ~ suppose que deux hommes sérieux, sans aucun accord préalable, sans aucune cause extérieure, sont frappés au même instant d'un même trouble d'esprit qui leur fait voir les mêmes objets. Qu'on interroge les médecins sérieux, ils diront que l'hallucination n'agit pas ainsi, et qu’il n'y a rien de plus mobile, de plus capricieux et de plus personnel que les tableaux qu'elle enfante.
D'autres fois, ces apparitions laissent un témoignage sensible de leur présence, ce qui ne peut faire douter de leur réalité objective : voici ce qui arriva à sainte Brigitte à sa fille, sainte Catherine, pendant le séjour qu'elles eurent à Rome.
Catherine était un jour en prière dans l'antique basilique du prince des apôtres. Elle vit venir à elle une femme revêtue d'une robe blanche et d'un manteau noir, qui lui demanda de prier pour une de ses compatriotes défuntes, qui avait besoin qu'on s'intéressât à elle. – " Son nom ", demanda la sainte. - "C'est la princesse Gida, de Suède. Femme de votre frère Charles. " Catherine pria alors l'étrangère de l'accompagner chez sa mère Brigitte, pour lui annoncer cette triste nouvelle. " Je suis chargée : d'un message pour vous seule, et il ne m'est pas permis de faire d'autres visites, car je dois repartir de suite. Du reste vous n'avez pas à douter de la vérité du fait. Dans quelques jours arrivera ici un autre envoyé de Suède vous apportant la couronne d'or de la princesse Gida. Elle vous l'a léguée par testament, pour s'assurer "le secours de vos prières, mais accordez-les-lui dès maintenant, car elle en a un pressant besoin". En disant ces mots, elle s'éloigna et disparut. Catherine, de plus en plus surprise, courut après elle, mais elle ne vit, personne. Elle interrogea ceux qui priaient dans l'église. Aucun n'avait vu l'étrangère. De retour à la maison, elle raconta à sa mère, sainte Brigitte, ce qui lui était arrivé. Celle-ci lui répondit en souriant : "C'est votre belle-sœur Gida qui vous est apparue elle-même. Notre Seigneur a daigné me le faire connaître en révélation. La chère défunte est morte dans des sentiments de piété consolants, c'est ce qui lui a valu de venir auprès de vous, implorer des prières, mais comme elle a à expier les nombreuses fautes de sa jeunesse, il faut que toutes" deux nous fassions notre possible pour la soulager, la couronne d'or qu'elle vous envoie de si loin, vous en fait une obligation plus pressante. " Quelques semaines après, un officier" de la cour du prince Charles arriva à Rome, apportant la fameuse couronne, et ce qu'il croyait bien être la première nouvelle du trépas de Gida. Mais dès ce temps-là, le bon Dieu avait son système télégraphique fonctionnant à l'usage de ses saints. La couronne, qui était fort belle, fut vendue, et le prix appliqué en bonnes œuvres pour le soulagement de l'âme de la princesse. (Vid. apud /Jolland., vita sanctœ Cath, 24 mars.)
Il faut maintenant étudier en théologien le mode de ces apparitions. Il y a là plusieurs questions intéressantes, sur lesquelles les docteurs sont divisés. Comment les défunts nous apparaissent-ils ? Est-ce dans leur propre corps ou revêtent-ils pour cela un corps d’emprunt ? On peut ramener les différentes opinions des docteurs à ce sujet à cinq principales. Quelques-uns pensent que les défunts apparaissent dans leur propre chair, à qui Dieu permet de reprendre pour un moment sa forme vivante. Dans cette opinion, qui se présente la première à l'esprit, les apparitions seraient de véritables résurrections momentanées.
Un plus grand nombre tient que, lorsque Dieu permet à un défunt d'apparaître, celui-ci revêt un corps d'emprunt pris dans la substance de l'air. Cette opinion, qui parait d'abord assez étrange, se trouve confirmée par une apparition dont j'ai parlé assez longuement au chapitre septième. Comme la personne favorisée de l'apparition s'étonnait du peu de ressemblance qu'elle lui trouvait avec la défunte : "Sachez, lui fut-il répondu, que ce que vous voyez ici n'est pas mon corps qui gît dans le sépulcre, et qui y restera jusqu'au jour de la résurrection générale, - mais un autre, formé miraculeusement de la substance de l'air pour pouvoir vous parler et obtenir vos suffrages. Plusieurs théologiens et médecins ont pensé qu'entre le corps et l'âme, il y a une substance intermédiaire, qui participe de l'un et de l'autre, et qu'elle est le lien qui les unit l'un à l'autre. D'après ces théologiens, ce serait ce principe vital, appelé encore périsprit, qui se manifesterait dans les apparitions.
D'autres pensent que ces apparitions n'ont aucune réalité objective, mais qu'elles se font par une impression purement subjective produite sur le sens de la personne qui croit voir, entendre, toucher ce qui n'a aucune réalité à l'extérieur. Ceci revient à dire que les apparitions sont de simples visions intellectuelles, ce que les médecins appellent des hallucinations. Enfin un grand nombre de théologiens, surtout les scolastiques, enseignent que les apparitions des âmes se font sans la participation des défunts, souvent même à leur insu, par le ministère des bons ou des mauvais anges, agissant ainsi, bien qu'avec des vues différentes, par la permission de Dieu. Avant de dire ce qui me parait plus probable dans ces différentes opinions, je veux citer au long le cardinal Bona, qui est un maître en ces matières si difficiles. (Bona. Trait. du discernement des esprits. ch. XVIII.)
Voici d'abord ce qu'il pense de la réalité des apparitions. Il nous reste à parler des apparitions des âmes, soit des bienheureux qui règnent avec Dieu, soit des damnés, soit de ceux qui sont détenus dans le purgatoire, dont on a tant de témoignages dans l'Écriture et tant d'histoires rapportées par de saints et très graves auteurs, et même par des païens, lesquelles sont entre les mains de tout le monde, en sorte qu'on a sujet de s'étonner qu'il se soit trouvé des hommes de bon sens qui aient osé les nier, tout à fait, ou les attribuer à une imagination trompée. Il est certain qu'il y a des hommes qu'on ne saurait, excuser d'erreur et de témérité de ce qu'ils se moquent de toutes sortes d'apparitions comme d'autant de tromperies, d'illusions et de rêveries. Il est vrai qu'il y a des, personnes qui croient trop facilement toutes les apparitions qu'on raconte, en les embrassant toutes sans discernement. Il faut tenir pour assuré que, comme il y en a de très véritables, par lesquelles les hommes sont instruits pour leur salut et ont portés à la vertu, il y en a aussi de fausses par lesquelles Dieu permet que quelques personnes soient trompées. Il faut donc éviter l'une et l'autre extrémité~J (Loco cita- to, chap. XIX,)
Quelles sont les personnes qui nous apparaissent ainsi ? Quelques-uns pensent, dit le docte et pieux cardinal, que les justes peuvent sortir pour un temps du lieu où ils sont, mais que les damnés ne le peuvent jamais. D'autres estiment, avec saint Thomas, que les damnés le peuvent pour corriger les vivants, et pour leur donner de la terreur, mais nous ne lisons nulle part que les âmes des enfants, qui sont morts avec le péché originel aient apparu, car ils ne peuvent recevoir de nous aucun secours, et il ne semble pas qu'il y ait aucune utilité dans leurs apparitions. Et dans un autre endroit : Les âmes des hommes qui sont hors de cette vie, lesquelles jouissent de l'éternelle félicité, ou sont tourmentées pour l'éternité dans les flammes de l'enfer, ou sont purifiées de leurs péchés dans le purgatoire, peuvent nous apparaître. D (Loco citato, même chap.) Le savant Cardinal, si affirmatif sur la réalité des apparitions, l'est beaucoup moins, comme on va le voir, sur le mode de ces mêmes apparitions. De savoir si les âmes apparaissent en leur propre corps ou en des corps feints et empruntés, et en cas que ce soit dans des corps empruntés, savoir si elles peuvent leur donner, par la puissance naturelle, la forme en laquelle on les voit, ou si elles ont besoin du secours des anges pour former ce corps, ou si elles apparaissent par elles-mêmes, ou si ce sont des anges qui les représentent. Ce sont des questions qu'on agite problématiquement dans les écoles. D (Loco citato.)
Saint Augustin, cité à cet endroit par le cardinal Bona, incline manifestement vers l'opinion qui attribue les apparitions des âmes aux anges. Après avoir parlé de quelques apparitions de morts aux vivants, et même de vivants à d'autres vivants, après avoir raconté que lui-même, Augustin, étant à Milan, apparut ainsi, sans le savoir, à Eulogius de Carthage, pour lui expliquer un passage difficile du traité de la rhétorique de Cicéron, le grand docteur de l'Église latine, conclut en ces termes: " Pourquoi ne croirions-nous pas que ces choses sont des opérations des anges, lesquelles arrivent par la dispensation de la providence de Dieu ? Puis, avec son humilité ordinaire le saint docteur déclare que pour lui il ignore comment. Les choses se passent. " Cela, dit-il est trop haut pour que je puisse y atteindre. " (Saint Augustin, de cura pro mortuis.)
Sur quoi le pieux cardinal conclut avec la même humilité et simplicité : " Si saint Augustin a ignoré ces choses, qui suis-je pour me promettre d'en avoir la connaissance ? " (Loco cita.)
Après cela, il pourra paraître bien impertinent et bien présomptueux d'avoir une opinion, quand ces grands et saints personnages refusent de se prononcer. Mais comme, une question étant posée, il est impossible d'empêcher l'esprit de l'homme de se porter d'un côté ou de l'autre, je dirai simplement ce qui me parait le plus probable à ce sujet. Je crois, en étudiant les nombreuses révélations faites à de saints personnages, et que j'ai sous les yeux. Qu’il y a du vrai dans chacune des cinq opinions exposées plus haut, en sorte que le seul tort des opinions exposées serait d'être exclusives, et de vouloir limiter la toute-puissance de Dieu entre les bornes toujours étroites de nos propres conceptions. ! Ainsi, pour la première opinion, qui tient que les morts apparaissent dans leur chair momentanément ressuscités, cela est évident dans certains cas : par exemple dans le cas de l'apparition de Pierre Milès à saint Stanislas de Cracovie, d’ont j'ai parlé au chapitre huitième, ou encore dans le cas, des excommuniés d'Hildesheim, dont j'ai fait mention précédemment. Là, pas de doute. Les morts sortent véritablement de leur tombe. On voit leur corps décharné se ranimer, reprendre sa forme, et l'apparition finie, se recoucher dans son sépulcre. Il s'agit bien d'une apparition du défunt dans sa propre chair. Mais comme ces cas sont fort rares, et qu'il ne faut pas inutilement multiplier 1es miracles, je crois, qu'à moins d'indications spéciales, il ne faut pas recourir à l'hypothèse d'une résurrection momentanée pour expliquer les apparitions des défunts.
La seconde opinion, qui enseigne que les défunts apparaissent dans un corps d'emprunt formé de la substance de l'air. Me parait la plus vraie en pratique, en ce sens que la très grande majorité des apparitions se font, je le crois du moins, de cette manière.
La troisième opinion, qui les fait apparaître à l'aide d'une substance intermédiaire entre le corps et l'âme, me sourirait encore plus, si l'existence de ce périsprit ou principe vital était parfaitement démontrée. Mais comme nous sommes en présence d'une hypothèse assez nouvelle, et que la science n'a pu encore constater, je m'abstiens de prononcer.
La quatrième opinion, qui réduit toutes les apparitions à simples visions intellectuelles, me parait fausse, en ce sens surtout qu'elle est exclusive. Tous les théologiens distinguent les visions et apparitions en trois classes : les corporelles, les imaginaires et les intellectuelles. Il est certain que les morts peuvent se manifester des deux dernières manières, ce qui revient à la quatrième opinion, mais est-il démontré qu'ils ne peuvent apparaître corporellement ? Surtout, quand l'apparition se fait voir à plusieurs personnes à la fois, quand elle laisse un témoignage extérieur de sa présence. Il faut bien avouer alors que l'apparition ne s'adresse pas seulement à l'intelligence, mais aux sens, par l'intermédiaire d'un corps.
La cinquième opinion qui fait apparaître les défunts par l'intermédiaire des anges, a pour elle le grand nom de saint Augustin, qui pourtant, on l'a vu, a évité de se prononcer, et la grande majorité des théologiens scolastiques. J'avoue néanmoins que j'éprouve la plus grande répugnance à admettre que ce soit le mode ordinaire par lequel les âmes se mettent en rapport avec nous. Il y a là une espèce de mensonge en action qui me répugne. Pourquoi apparaître sous des noms et sous des formes d'emprunt pour solliciter nos prières, nous décrire, comme les éprouvant eux-mêmes, les peines qu'endurent leurs clients. Ne serait-il pas beaucoup plus simple de faire apparaître les intéressés eux-mêmes, puisque, dans ce cas comme dans l'autre, le miracle est le même.
Je ne veux pas dire que jamais les anges n'ont apparu sous le nom des défunts, mais je crois que ces illusions doivent être réservées à la malice des mauvais anges. Il n'est que trop bien constaté, en effet, que souvent les démons apparaissent sous la forme d'une âme, du Purgatoire, afin de tromper les hommes.
Voici ce que dit encore à ce sujet le cardinal Bona :
" Entre une infinité de tromperies par lesquelles cet artificieux ennemi s'efforce de surprendre ceux qui ne sont pas sur leurs gardes, il ne faut pas oublier celle par laquelle il appara1t quelquefois sous la forme d'une personne qui n'est plus au monde, et qui est morte dans le Il péché. Ils font demander pour cette personne des aumônes, des prières, des jeûnes, des pèlerinages, des messes et d'autres bonnes œuvres, comme si elle était dans un état de salut, afin que ceux qui sont dans le péché s'y, conforment encore davantage, étant trompés par la vaine espérance que leur donnent ces illusions. Mais, ajoute le savant cardinal, il est facile de se garantir de ces illusions, car les prières que demandent ces fausses apparitions sont ordinairement déterminées à un certain nombre, et jointes à de certaines observances vaines, ambiguës et superstitieuses. Le tout est accompagné de menace et de terreur, ce qui fait suffisamment reconnaître l'esprit d'ou cela vient. " (Loco citato.)
C'est donc avec raison, que les saintes Écritures et les lois de l'Église prohibent sévèrement l'évocation des morts. D’abord, parce qu'il n'est pas permis de les troubler sans raison de leur repos, et ensuite, parce qu’en provoquant ainsi leur apparition, on s'expose à tomber dans les pièges du démon. En effet, les morts sont entrés dans l'éternel repos. Ni les saints du Ciel, ni les âmes du purgatoire, ni les réprouvés' ne peuvent, sans la permission de Dieu, répondre à notre appel, et se mettre en communication avec nous. Or, il n'est pas probable que Dieu suspende les lois générales de sa Providence, pour satisfaire nos caprices. Mais le démon est toujours là, pour exploiter cette curiosité malsaine, qui nous pousse à soulever le voile derrière lequel se cachent les réalités de l'avenir. 11 ne doit donc être permis qu'aux saints, éclairés d'une inspiration spéciale, de se mettre en communication avec les défunts et de solliciter ainsi un miracle. Quant aux pauvres pécheurs comme nous, ce serait tenter Dieu et s'exposer infailliblement à être trompés. On voit par là ce qu'il faut penser du spiritisme, qui repose tout entier sur l'évocation des morts. Un homme, sans aucune délégation divine, se proclame medium, c'est-à-dire intermédiaire entre ce monde et l'autre. A sa voix, on entend répondre les plus grands noms de l'histoire et de l'Église, Socrate, Platon, saint Paul, saint Augustin, saint Thomas d'Aquin, saint Louis, Luther. Calvin, Voltaire, Lamennais et le Père Lacordaire défilent pêle-mêle et viennent déposer contre les convictions de leur vie tout entière. Les malheureux n'ont pas reculé devant le nom du Sauveur Jésus. Le divin Rédempteur est venu à leurs voix déposer contre l'Évangile, et annoncer au monde que sa loi sainte allait recevoir son complément sous la direction de ces nouveaux apôtres. L'ensemble de ces réponses à travers bien des incohérences et des contradictions, trahit une pensée commune, c'est que l'Église du Christ a fait son temps, et que l'Église spirite va prendre sa place désormais dans la direction des âmes. Plus d'enfer, mais un progrès continu vers le bien, à travers des milliers de réincarnations successives. Plus de célibat ecclésiastique, plus de confessions, plus de jeûnes, de mortifications, une morale facile, la morale de l'honnête comme, dépourvue de sanction. Voilà des traits à quoi l'on peut reconnaître l'inspiration commune qui dicte ces différentes réponses, et qui n'est autre que celle du père du mensonge, juste châtiment de ceux qui, par une curiosité présomptueuse, et sans aucune des préparations nécessaires, ont voulu se mettre en communication directe avec les habitants de l'autre monde.
Il faut donc nous éloigner avec horreur de ces pratiques démoniaques, que l'on est surpris de voir renaître dans notre siècle matérialiste et incrédule. Dans les premiers temps de l'Église, aux jours de sa primitive ferveur, plus tard, au moyen âge, à cette époque de foi vive, où les âmes étaient toutes préparées à ces communications surnaturelles, on a pu se montrer plus large, Nous voyons les saints, les grands thaumaturges de ces époques, en communication fréquente avec l'autre monde, et quand ces communications se font attendre, ils ne craignent pas de les provoquer. Dans le silence du cloître, deux âmes qui s'étaient aimées, faisaient souvent le pacte que le premier qui mourrait apparaîtrait à son ami resté sur la terre, pour lui apprendre son sort en l'autre monde. J’ai cité plusieurs de ces faits touchants, et nous avons vu que Dieu se plaisait à ratifier ces promesses de l'amitié chrétienne. Mais ces appels à la tombe, ces communications surnaturelles, désirées et provoquées, supposent un état qui n'existe plus, une pureté, une vivacité de foi que nos tristes jours ne connaissent guère. Déjà au dix-septième siècle, le cardinal Bona blâmait sévèrement ces sortes de conventions, et les raisons de s'en abstenir sont plus fortes encore à notre époque.
Néanmoins, comme le bras de Dieu n'est pas raccourci, et qu'il peut toujours permettre ces manifestations surnaturelles, ainsi que le prouvent des faits récents et incontestables. Comme d'autre part, vu l'imperfection de notre foi et notre peu d'habitude du surnaturel, le danger des illusions diaboliques devient plus grand que jamais, il ne sera pas inutile d'indiquer, en terminant ce chapitre, à quelles règles on peut distinguer les apparitions d'avec les illusions diaboliques.
Première règle, - Toute apparition désirée ou provoquée est suspecte,
Deuxième règle, - Si le défunt apparaît sous une forme noire, difforme, mutilée, c'est une preuve que c'est un mauvais esprit, à plus forte raison s'il apparaît sous la forme d'un animal, excepté pourtant la colombe et l'agneau, dont le démon ne prend jamais la figure.
Troisième règle. - Si l'apparition fait voir un visage morne, courroucé, si elle s'exprime d'une voix tremblante, enrouée, confuse, croyez certainement que vous avez affaire au démon.
Quatrième règle. - Si l'apparition agit d'une manière désordonnée, si elle révèle des choses cachées qu'il serait expédient de taire, si elle enseigne quoi que ce soit contre la foi catholique, si elle blasphème, si elle a horreur des choses saintes, l'eau bénite, le crucifix, etc., il est prouvé qu'on a affaire au démon ou à un réprouvé.
Cinquième règle. - Les exhortations à la vertu, les bons conseils, les corrections faites aux pécheurs ne sont pas toujours la marque d'un bon esprit, le démon ayant coutume de persuader un moindre bien, pour en empêcher un plus grand.
Sixième règle. - Les âmes du purgatoire apparaissent ordinairement pour solliciter nos prières ou recommander quelques restitutions. Cela fait, elles ne reviennent plus, si ce n'est pour remercier, si donc l'apparition continue et devient importune et menaçante, c'est la marque d'un mauvais esprit.
Septième règle. - N'acceptez qu'avec défiance, les services d'une âme du purgatoire, qui vient se mettre à votre disposition, et habiter dans votre maison pour un certain temps.
Huitième règle. - Tous les théologiens mystiques enseignent que les bonnes apparitions jettent d'abord dans un certain trouble, qui fait place à la joie et à l'onction divine, laquelle, se répandant dans l'âme, augmente, son humilité, sa charité et excite en elle le désir de la perfection. C'est le contraire dans les apparitions diaboliques, elles commencent par un sentiment de joie, de vaine complaisance, pour amener bientôt l'inquiétude, la tristesse, là vaine gloire. L’âme, après ces sortes de communications, se retrouve sans onction, comme une terre desséchée et frappée de la foudre. Ou si elle conçoit quelque projet, ce n'est que présomption, esprit de désobéissance et d'orgueil, et le tout aboutit à la confusion.
Neuvième règle, - Qui à elle seule peut tenir lieu de toutes les autres. Ayez un bon directeur. Exposez-lui tout, sans exagération et sans réticences et tenez-vous-en simplement à sa décision.
Toutes ces règles sont extraites du cardinal Bona et dès différents auteurs mystiques qui ont traité ces questions délicates.
 
Chapitre 13 La protection des âmes du purgatoire
La reconnaissance, vertu du purgatoire, proportionnée à la sainteté de ces âmes et à la grandeur du don qui leur est fait. – Les âmes du purgatoire nous protègent dès maintenant. À plus forte raison quand elles sont entrées au ciel. – Exemples de protection dans l’ordre temporal, dans l’ordre spirituel. – Assistance à la mort.
La reconnaissance est la vertu des nobles âmes. – Pendant que les méchants cherchent tous les moyens d’en alléger le fardeau, les âmes généreuses ne sont jamais plus fières que lorsqu’elles ont pu témoigner à leurs bienfaiteurs qu’elles étaient dignes de leurs dons. Or les âmes du purgatoire sont des âmes saintes, des prédestinés, de futurs citoyens du ciel. Quelles qu’aient été leurs dispositions aux jours de leur vie mortelle, leur Coeur s’est agrandi aux révélations de l’éternité. Ces saints ne sauraient être ingrates, parce qu’ils ont laissé à tout jamais derrière eux les bassesses de leur vie mondaine. Nous n’avons donc pas à craindre qu’ils n’oublient jamais leurs bienfaiteurs.
Il faut se rappeler aussi que, d’après les règles élémentaires de la justice, la reconnaissance se mesure à la grandeur du don, et au besoin plus ou moins grand que l’on en a. or, ici, il s’agit d’un bien infini. Il s’agit de donner Dieu à ces âmes qui ont faim et soif de Lui, et nous, pauvres et misérables habitants de la terre, ce bien sans limite, ce don inestimable, dont nous ne pouvons, pendant les jours de notre pèlerinage nous assurer la possession à nous mêmes, il est entre nos mains, et nous pouvons en disposer en faveur des âmes du purgatoire. Avec une prière, une aumône, une légère mortification, nous pouvons les mettre en possession de Dieu ! Ah ! Celui qui sait ce que c’est que Dieu, celui qui a médité, aux clartés de l’amour, les mystères de l’infini, celui-là seul peut comprendre la grandeur du don de Dieu que nous faisons à ces âmes. L’entrée du ciel, la vision béatifique, les joies de l’éternité bienheureuse, tous ces trésors qui sont des grâces absolument gratuites, qu’aucune oeuvre des saints n’a jamais pu mériter de condigno, voilà le cadeau inestimable que nos bonnes oeuvres font aux âmes du purgatoire. À la grandeur du don, à la faim surnaturelle que ces âmes en ont, vous pouvez mesurer le degré de leur reconnaissance.
Mais cette reconnaissance n’est pas stérile. Elle n’est pas réservée aux jours, peut-être encore lointains, où ces âmes seront en possession définitive de la gloire.
J’ai prouvé ailleurs que les âmes du purgatoire, dès maintenant, connaissent leurs bienfaiteurs et prient pour eux. Je n’y reviendrai pas. Aussi bien, mieux vaut que les meilleurs arguments de l’école, comment les âmes du purgatoire s’intéressent à leurs bienfaiteurs de la terre.
Nous lisons dans les révélations de sainte Brigitte (liv. IV, Ch. VII), qu’un jour, elle entendit la voix d’un ange qui, descendu en ce lieu d’expiation pour consoler ces âmes, répétait ces paroles : «Béni soit celui qui, vivant encore sur la terre, aide les âmes du purgatoire de ses oraisons et de ses bonnes oeuvres ! Car la justice de Dieu exige nécessairement que les âmes soient purifiées par le feu, à moins qu’elles ne soient délivrées par les bonnes oeuvres de leurs amis. » En même temps, des profondeurs de l’abîme, la sainte entendit un choeur de voix suppliantes qui disaient : “O Christ, très juste juge, au nom de votre miséricorde infinie, n’ayez pas égard à nos fautes, qui sont sans nombre, mais aux mérites de votre très précieuse passion. ”
“Mettez au Coeur des ecclésiastiques et des religieux, des prélats et des simples prêtres, un sentiment de vraie charité, afin que, par leurs prières, leurs mortifications, leurs aumônes et les indulgences qu’ils peuvent nous appliquer, ils nous secourent dans notre triste situation. ” “Il dépend d’eux de nous soulager et d’abréger nos tourments en nous faisant admettre plus tôt auprès de vous, ô Dieu très juste et très bon. ”
“Et d’autres voix répondaient à ces touchantes supplications, en disant : “Grâces, et mille fois grâces, à ceux qui nous soulagent dans notre malheur. Ô Seigneur, que votre puissance infinie rende au centuple à nos bienfaiteurs le bien qu’ils nous font, en intercédant pour nous et en nous amenant au séjour de votre douce et très divine lumière. ”
J’ai parlé ailleurs de la V. Mère Françoise du saint Sacrement et des nombreuses visites qu’elle recevait des âmes du purgatoire qui venaient implorer ses suffrages. Mais ce qu’il faut bien que l’on sache, parce que cela revient à notre sujet, c’est que bien souvent ces saintes âmes lui apparaissaient pour lui témoigner leur reconnaissance et l’assurer de leur protection. Elles la prévenaient des pièges de Satan, des tentations qu’il lui préparait, des illusions par lesquelles il cherchait à la faire tomber. Elles lui apprenaient à déjouer les unes et à triompher des autres, par le moyen des sacrements et de la prière. Et l’auteur de sa vie ne fait pas difficulté d’avouer que c’est à ces avis surnaturels qu’elle dut de triompher toujours des artifices de l’ennemi. (Vie de la Mère Françoise du saint Sacrement, liv. II.)
On a vu d’ailleurs dans un grand nombre d’apparitions citées précédemment que, Presque toujours, les âmes du purgatoire aussitôt délivrées s’empressent d’apparaître à leurs bienfaiteurs, pour les remercier. Mais il faut maintenant entrer dans le détail, et voir, à la lumière des faits, comment les âmes du purgatoire nous protègent, soit dans l’ordre temporel, soit dans l’ordre spirituel. Les exemples de protection surnaturelle surabondent, mais comme il faut se borner, j’en choisis trois ou quatre parmi ceux qui m’ont paru le plus incontestablement prouvés.
En 9 vivait à Cologne, un célèbre libraire, nommé Guillaume Freyssen, c’est lui-même qui, dans une lettre adressée au Père du Munford, jésuite anglais dont j’ai cité plusieurs passages, va nous apprendre l’assistance miraculeuse qu’il reçut de ces saintes âmes à deux reprises différentes.
“Je vous écris, mon révérend Père, pour vous faire part de la double et miraculeuse guérison de mon fils et de ma femme. Pendant les jours de fête où ma maison était fermée, je me suis mis à lire le livre dont vous m’avez confié l’impression : De la Miséricorde à exercer envers les âmes du purgatoire. J’étais tout pénétré encore de cette lecture, quand on vint m’avertir que mon petit garçon, âgé de quatre ans, éprouvait les premières atteintes d’une maladie singulière qui s’aggrava rapidement et mit ses jours en danger. La pensée me vint que je pourrais peut-être le sauver en faisant un voeu en faveur des âmes du purgatoire. ”
“Je me rendis de bon matin à l’église, et je suppliai le bon Dieu de m’exaucer, m’engageant par voeu à distribuer gratuitement cent exemplaires de votre livre aux ecclésiastiques et aux religieux, afin de leur rappeler avec quel zèle ils doivent s’intéresser aux membres de l’Église souffrante, et quelles sont les meilleures pratiques pour s’acquitter de ce devoir.
“Je me sentis le coeur plein d’espérance. De retour à la maison mon fils était déjà mieux. Lui qui, depuis plusieurs jours, ne pouvait avaler une seule goutte de liquide demandait de la nourriture. Le lendemain, la guérison était complète. Il se leva, sortit et se promena, puis mangea d’aussi bon appétit que s’il n’avait jamais été malade. Pénétré de reconnaissance, je n’eu rien de plus pressé que d’accomplir ma promesse. J’allais au collège de la Compagnie, je priai vos Pères d’accepter mes cent exemplaires, en gardant pour eux ce qu’il voudraient, et distribuant les autres aux religieux et aux ecclésiastiques de leur connaissance, afin que les âmes du purgatoire, mes chères bienfaitrices, fussent soulagées par de nombreux suffrages.
“Trois semaines après, un autre accident non moins grave m’arriva. Ma femme, en rentrant chez elle, fut prise, tout à coup, d’un tremblement dans tous les membres qui la renversait à terre et lui ôtait tout sentiment.
“Elle perdit bientôt l’appétit, et jusqu’à l’usage de la parole. Je lui fis administrer, mais en vain, tous les remèdes possibles. Son confesseur, la voyant en cet état, essayait de me consoler, et m’exhortait paternellement à me soumettre à la volonté de Dieu. Pour moi, après l’expérience que j’avais faite de la protection des bonnes âmes du purgatoire, je me refusais à désespérer. Je retournai donc à la même église. Prosterné devant l’autel du saint Sacrement, je renouvelai mes supplications avec toute l’ardeur dont je suis capable : -- Ô mon Dieu, m’écriais-je, votre miséricorde est sans mesure, au nom de cette bonté infinie, ne permettez pas que la guérison de mon fils soit payée, hélas! par la mort de ma femme. Je fis voeu alors de distribuer deux cents exemplaires de votre livre, afin d’obtenir pour les âmes souffrantes un plus grand nombre de suffrages. En même temps je suppliai celles qui avaient été délivrées précédemment d’unir leurs prières à celles des autres encore retenues en purgatoire.
« Je m’en retournais à la maison. Quand je vis accourir mes domestiques au-devant de moi. Ils venaient m’annoncer que ma chère malade éprouvait un soulagement notable. Le délire avait cessé, la parole était revenue, je courus m’en assurer. Tout était vrai. Je lui offre des aliments, elle les prend avec appétit. Au bout de quelques heures, elle était si complètement remise qu’elle venait avec moi à l’église remercier le bon Dieu, ce père si miséricordieux à ceux qui le servent. Vous pensez si je fus exact à porter au collège les exemplaires promis, et non seulement chez vos pères, mais au couvent des dominicains et chez d’autres différents ordres que je priai instamment de s’unir tous pour la délivrance des âmes du purgatoire.
« Votre Révérence peut ajouter une foi entière à ce récit. Je la prie de m’aider à remercier Notre Seigneur de ce double miracle. » Cette lettre est citée tout au long dans l’ouvrage du Père Hautin (Puteus defunctorum, liv. I, ch. V, art. 9.)
Le trait suivant, qui m’a paru singulièrement touchant est emprunté à l’abbé Postel, traducteur de Rossignoli. Je le cite, bien qu’il soit tout à fait moderne, sur la foi de et auteur estimé. (Merveilles du purgatoire, LIº merveille.)
Ce trait paraît être arrive à Paris en 7.
Une pauvre servante, élevée chrétiennement dans son village, avait adopté la sainte pratique de faire dire. Chaque mois, sur ses modiques épargnes, une messe pour les âmes souffrantes.
Amenée avec ses maîtres à Paris, elle n’y manqua pas une seule fois. Se faisant d’ailleurs une loi d’assister elle-même au divin sacrifice, et d’unir ses prières à celles du prêtre, spécialement en faveur de l’âme dont l’expiation n’avait plus besoin que de quelque chose pour être achevée. C’était sa demande ordinaire. Dieu l’éprouva bientôt par une longue maladie, qui non seulement la fit cruellement souffrir, mais lui fit également perdre sa place, et épuiser ses dernières ressources. Le jour où elle put sortir de l’hospice, il ne lui restait plus que vingt sous pour tout argent. Après avoir fait au Ciel une prière pleine de confiance, elle se mit en quête d’une condition. On lui avait parlé d’un bureau de placement, à l’autre bout de la ville. Elle s’y rendait, lorsque l’église sainte-Eustache se trouvant sur sa route, y entra. La vue d’un prêtre à l’autel lui rappela qu’elle avait manqué ce mois-là, à sa messe ordinaire des défunts, et que ce jour était précisément celui où depuis des années elle s’était procurée cette consolation. Mais comment faire ? Si elle dessaisit de son dernier franc, il ne lui restera pas même de quoi apaiser sa faim. Ce fut un combat entre sa dévotion et la prudence humaine. La dévotion l’emporta : « après tout, se dit-elle, le bon Dieu voit bien que c’est pour lui. Il ne saurait m’abandonner. »
Elle entre à la sacristie, remet son offrande, puis assiste avec sa ferveur accoutumée à cette messe.
Elle continuait sa route quelques instants après, pleine d’une inquiétude que l’on comprend. dénuée de tout que faire si un emploi lui manque ? Elle était dans ses pensées, quand un jeune homme pâle, d’une taille élancée, d’un air distingué, s’approche d’elle et lui dit : « vous cherchez une place ? »
« Oui, Monsieur »
« Eh bien, allez à telle rue, tel numéro chez madame…. je crois que vous lui conviendrez et que vous serez bien là ! » Et il disparaît dans la foule des passants, sans attendre les remerciements de la pauvre fille.
Elle se fait indiquer la rue, arrive au numéro, et monte à l’appartement qu’on lui désigne. Sur le palier, une domestique en sortait, un paquet sous le bras et murmurant des paroles de plainte et de colère. « Madame y est elle ? » demande la nouvelle venue. « Peut être oui, peut être non, répond l’autre. Que m’importe ? Madame ouvrira elle même si cela lui convient. Je n’ai plus à m’en mêler, adieu ! »
Et elle descend, et notre pauvre fille sonne en tremblant, et une voix douce lui dit d’entrer. Elle se trouve en face d’une dame âgée, d’un aspect vénérable qui l’encourage à exposer sa demande.
« Madame, dit la servante, j’ai appris que vous aviez besoin d’une femme de chambre, et je viens m’offrir à vous. On m’a assuré que vous m’accueilleriez avec bonté. »
« Mais ma chère enfant, ce que vous dites là est bien extraordinaire. Ce matin, je n’avais absolument besoin de personne. Depuis une demi-heure seulement, j’ai chassé une insolente domestique, et il n’est personne au monde, hormis elle et moi, qui le sache encore ! Qui donc vous envoie ?» « C’est un Monsieur que j’ai rencontré dans la rue, qui m’a arrêtée pour cela, et j’en bénis Dieu car il faut absolument que je sois placée aujourd’hui, il ne me reste pas un sou ! »
La vielle dame ne pouvait comprendre qui était ce personnage et se perdait en conjectures, lorsque la servante, levant les yeux au-dessus d’un meuble du petit salon, aperçut un portrait. « Tenez Madame, dit-elle aussitôt, ne cherchez pas plus longtemps, voilà exactement la figure du jeune homme qui m’a parlé, c’est de sa part que je viens ! »
A ces mots, la dame pousse un grand cri, et semble prête à perdre connaissance. Elle se fait redire toute cette histoire, celle de la dévotion aux âmes du purgatoire, de la messe du matin, de la rencontre de l’étranger, puis se jetant au cou de la pauvre fille, elle l’embrasse avec effusion. « Vous ne serez point ma servante. Dès cet instant, je vous regarde comme mon enfant. C’est mon fils, mon fils unique que vous avez vu, mon fils mort depuis deux ans qui vous a dû sa délivrance, je n’en puis douter, et à qui Dieu a permis de vous envoyer ici. Soyez donc bénie, et désormais nous prierons ensemble pour tous ceux qui souffrent avant d’entrer dans la bienheureuse éternité. »
Voici maintenant ce qui arriva au Père Magnanti de l’Oratoire, un des plus fidèles disciples de saint Philippe de Néri, et comme lui saintement passionné pour le soulagement des défunts.
Les âmes qu’il soulageait par ses prières n’étaient pas ingrates. Elles lui obtinrent bien des grâces signalées et des dons extraordinaires, entre autres de connaître les choses éloignées, de découvrir les fautes cachées, de déjouer les pièges de Satan, et d’autres privilèges surnaturels du même genre. C’est lui-même qui attribuait aux âmes du purgatoire ces faveurs célestes, mais comme on pourrait soupçonner ce témoignage de pure illusion, je trouve dans sa vie le récit d’un péril ostensible, dont il fut tiré par ses chères âmes comme il les appelait.
Il revenait de Lorette, et arrivé à Nocera, près d’une église dédiée à la mère de Dieu, il voulut s’y arrêter pour célébrer le saint sacrifice.
Or, en sortant de là, les pèlerins avaient à traverser un lieu très dangereux, où plusieurs assassinats s’étaient commis quelques jours auparavant. On se met gaiement en route sous la protection de la Bonne Mère, et voilà nos
Pauvres pèlerins qui tombent entre les mains des brigands, ceux-ci les chargent de liens, les attachent solidement aux arbres de la forêt, et s’apprêtent à leur faire un mauvais parti. Mais voilà que tout à coup, en haut de la montagne qui domine la route, apparaissent deux enfants inconnus qui se mettent à pousser de grands cris, comme pour appeler tout le pays à la délivrance des prisonniers. Les brigands étaient une douzaine. Sans s’intimider, ils déchargent leurs armes sur les deux enfants, mais eux continuent de crier plus fort, en s’avançant au secours des pèlerins, ce que voyant, les bandits prirent peur et s’enfuirent à la hâte. Les deux enfants s’approchent des captifs, les délient et disparaissent aussitôt. Les compagnons du Père Magnanti étaient dans la stupéfaction, mais lui sans s’étonner : « nous devons notre délivrance dit-il, à deux âmes du purgatoire, et Dieu leur a permis de prendre cette forme enfantine pour nous rappeler cette parole du Divin Maître, si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux.
On raconte un trait à peu près semblable au Père Monaci, religieux de l’ordre des clercs Mineurs, très affectionné lui aussi à la délivrance des âmes du purgatoire.
Une nuit, il traversait seul une plaine déserte, et selon sa pieuse habitude, il utilisait le temps de sa marche pour réciter le chapelet pour les défunts. Or, il y avait sur la route deux de ces bandits italiens, gens de sac et de corde, habitués depuis longtemps à faire peu de cas de la vie de leurs semblables.
En voyant venir de loin le bon Père, seul et désarmé, ils se mettent en embuscade, bien décidés à le dépouiller, et même à le tuer s’il tente de leur résister. Mais voilà qu’ils entendent tout à coup le son d’une trompette guerrière,
Tout étonnés, ils regardent. Devant le Père, marchait un soldat qui jouait de la trompette, et de chaque côté, marchaient une troupe de soldats armés de pied en cape, lui faisaient escorte. Aussitôt, les brigands s’échappent au plus vite, s’imaginant avoir affaire à quelque officier envoyé à leur poursuite.
Cependant, le bon religieux ainsi escorté continuait sa route en récitant dévotement son chapelet, comme un homme qui ne se doute de rien. Arrivé à l’hôtellerie, il s’arrête et demande à souper. Pendant ce temps, nos deux bandits s’étaient rapprochés des maisons. Ils s’informent où sont passées les troupes qu’ils ont rencontrées sur la route.
« Quelles troupes ? Nous n’avons vu personne ! Le seul étranger qui vient d‘arriver est un pauvre religieux, qui certes n‘a rien de belliqueux dans son air. » Intrigués au plus haut point, nos hommes entrent dans l’hôtellerie, ils s’approchent du Père, lient conversation avec lui, et finissent par lui demander ce qu’est devenue son escorte.
« Mon escorte, répond le Père. Je ne sais pas de quoi vous voulez parler, je suis venu seul. »
« Eh bien mon Père, vous pouvez rendre grâce à Dieu, car il a fait un miracle en votre faveur. Vous aviez autour de vous une forte escorte, et elle vous a sauvé de nos mains, car nous vous l’avouons avec quelque honte, nous nous étions apostés sur la route dans l’intention de vous dépouiller, et même de vous tuer en cas de résistance. Nous n’en sommes pas en effet à reculer devant un meurtre. »
Le bon Père, un peu effrayé, leur raconta alors qu’à ce moment même il récitait son chapelet pour les âmes du purgatoire, et que probablement ce sont elles que Dieu a envoyées à son secours. Les deux brigands furent si touchés de ce miracle, qu’avec cette facilité de foi qui est le caractère propre des italiens, ils demandèrent aussitôt à se confesser et devinrent à leur tour de zélés propagateurs de la dévotion aux âmes du purgatoire.
Si les âmes du purgatoire sont si empressées à nous secourir dans nos besoins temporels, on peut en conclure avec quel pieux empressement elles nous protègent dans l’ordre spirituel. Car, à la différence de la plupart qui vivent sur la terre, elles savent combien les biens spirituels l’emportent sur les autres. Malheureusement, les nécessités de l’âme sont moins visibles que celles du corps. Il en résulte que bien des assistances surnaturelles passent inaperçues à nos regards inattentifs, mais on ne peut douter que bien des saintes inspirations, bien des grâces de salut ne nous soient accordées à la prière de ces âmes.
Voici l’heure de la tentation, heure terrible, heure décisive peut-être. Si cette âme succombe, Dieu va s’éloigner d’elle. Cette chute sera le premier anneau de la chaîne de fautes qui doit la lier un jour aux brasiers éternels de l’enfer. Cependant, la pauvre âme hésite fascinée par la vue des plaisirs promis.
Le Ciel et la terre sont attentifs. Le divin Sauveur Jésus jette sur cette âme un regard attristé, et il me semble entre sortir de ses lèvres ce reproche si tendre qu’il adressait autrefois aux siens : et toi aussi, veux-tu me quitter ? Dans les profondeurs de l’abîme, Satan tressaille de joie. Qui va l’emporter de la vie ou de la mort ? Et quel drame que celui de la tentation, où de si grands intérêts sont en jeu, et qui se renouvelle des milliers de fois chaque heure !
Mais voici que la lutte est finie, et c’est le bien qui l’a emporté. Cette pauvre âme a reculé au bord du précipice. Elle est sauvée pour cette fois, et sa victoire va devenir pour elle le point de départ d’une série de grâces, qui assureront sa couronne. Cependant, que s’est-il passé au moment où la malheureuse hésitait entre le bien et le mal ? Regardez dans le purgatoire. Entendez-vous cette humble prière de l’âme souffrante qui monte des profondeurs de l’abîme ? De profundis clamavi ad te Domine! C’est là ce qui a fait descendre du Ciel une surabondance de grâces et amené la victoire. Oh, qui nous dira les mystères de la communion des saints ! Comme le dit quelque part le comte de Maistre, quel superbe tableau que celui de cette immense cité des esprits, avec ses trois ordres toujours en rapport, où le monde qui combat présente une main au monde qui souffre, et saisit de l’autre celle du monde qui triomphe. L’éternité seule nous dira ces mystères du salut des âmes, et les siècles sans fin ne seront pas trop longs pour admirer l’action que les âmes exercent les unes sur les autres, au moyen de la communion des saints.
C’est surtout à l’heure de la mort, à cette heure où la lutte est la plus acharnée, parc que l’issue en est décisive que les âmes du purgatoire viennent au secours de leurs bienfaiteurs. J’ai rapporté ailleurs un trait que cite Baronius à ce sujet. En voici un second encore plus frappant à cause des circonstances extérieures qui l’entourent, et que j’emprunte à Ségala. (Triumphus animarum, II° partie, chap. XXII n°1)
La scène se passe en Bretagne. Un bon chrétien qui joignait à ses autres vertus une grande charité envers les pauvres défunts, était à l’extrémité. On appela le Recteur pour lui donner le saint Viatique, mais celui-ci se trouvant fatigué envoya le vicaire à sa place.
Après lui avoir administré tous les secours que la sainte Eglise, cette bonne mère, réserve à ses enfants pour la dernière heure, le prêtre s’en revenait à la maison, mais En arrivant au cimetière situé près de la cure, autour de l’église, il se sent arrêté par une force invisible qui l’empêche de faire un pas. Effrayé, il regarde, la vision d’Ezéchiel était sous ses yeux. L’église qu’il avait fermée soigneusement était grande ouverte, les cierges brillaient au fond du sanctuaire, et il entendit une voix, partie de l’autel qui disait : « ossements arides, écoutez la parole du Seigneur, morts levez-vous et venez prier pour votre bienfaiteur qui vient de mourir ». En même temps, il se fit un grand fracas. Les ossements s’agitaient au fond des tombes, se choquaient les uns contre les autres avec un bruit lugubre. Bientôt, la vision du prophète s’accomplit à la lettre : les morts sortirent des tombeaux, se rangèrent processionnellement dans le chœur, et, s’étant assis dans les stalles, commencèrent à chanter d’une voix triste l’office des défunts. Quand tout fut fini, les morts retournèrent dans leurs tombes, les cierges de l’autel s’éteignirent, et tout rentra dans le silence.
Le vicaire, encore tout épouvanté, rentre à sa maison, et raconte à son curé ce qu’il avait vu. Celui-ci refusait d’y croire, attribuant le tout à l’effet d’une imagination frappée. « Au moins, disait-il, il faudrait s’assurer d’abord que votre homme est mort, ce qui n’est pas probable ». Comme il achevait ces mots, on vint lui apporter la nouvelle du décès.
Le vicaire fut si frappé de cette vision qu’il entra au monastère de saint-Martin de Tours, dont plus tard, il fut élu prieur. C’est lui-même qui fit connaître les détails de cette prodigieuse histoire.
On lit dans la vie de plusieurs saints, que les âmes du purgatoire, délivrées par eux, sont venus les chercher sur leur lit de mort pour les conduire au Ciel.
C’est ce que j’ai rapporté déjà de saint Philippe de Néri.
La pieuse sainte Marguerite de Cortone jouit du même privilège, comme on peut le voir dans les Bollandistes (Bolland, acta sanct, au 22 février).
Mais, dans l’impossibilité où nous sommes trop souvent de scruter ces mystères du monde surnaturel, et de connaître les assistances invisibles que les âmes du purgatoire prêtent à leurs bienfaiteurs, je demande la permission de faire appel, en terminant, à mon expérience professionnelle.
J’ai bien eu souvent recours aux saintes âmes du purgatoire, soit pour moi, soit surtout pour les âmes dont j’ai la charge devant Dieu.
Je dois à la vérité de déclarer que presque toujours j’ai été exaucé au-delà de mes espérances. Quand j’ai un pécheur désespéré, une grâce difficile à obtenir, je célèbre la messe aux intentions de la sainte Vierge pour la délivrance de l’âme qu’il lui plaira de choisir. Avec le secours réuni de la bonne Vierge et de mes chers défunts, j’obtiens ainsi bien des grâces que Dieu aurait refusées à la tiédeur de ma prière.
O chères âmes, continuez à me protéger comme vous l’avez fait jusqu’ici. Je fais bien peu de choses pour vous, et ce peu, je le fais bien mal. Mais ayez égard à mes misères spirituelles. Dieu m’est témoin que je voudrais avoir la ferveur des saints pour vous secourir plus efficacement. Obtenez moi donc les grâces qui me sont nécessaires pour sortir de ma misérable tiédeur. Et puis aidez-moi à sauver les âmes, ces chères âmes que Dieu m’a confiées, et qui périssent par ma faute, parce que je ne sais pas prier, parce que je n’attire pas sur elles les bénédictions d’En Haut. O saintes âmes du purgatoire, pensez à ces pauvres âmes, priez pour elles, aidez moi à éclairer les païens, à convertir les pécheurs, à échauffer les tièdes, à sanctifier les justes et quand viendra pour moi l'heure terrible ou il me sera demandé compte de mon administration obtenez-moi la grâce d'une sainte mort fléchissez en ma faveur la colère du juge et faites que j'ai une petite part à la bénédiction de la pécheresse : Que beaucoup de péchés me soient pardonnés parce que je vous ai beaucoup aimées.
Chapitre 16 Des œuvres que l'on peut faire pour soulager les âmes du purgatoire Des différentes manières de soulager les défunts. De l'offrande des bonnes oeuvres en général
Comment nous pouvons appliquer aux âmes du purgatoire le mérite de nos propres œuvres. - Que ce don ne nous appauvrit pas. - Des conditions requises pour qu'une œuvre puisse être appliquée aux défunts. - Exemples des saints. - Quelles sont les œuvres que l'on peut appliquer ainsi.
Voyons maintenant ce que nous pouvons faire pour le soulagement des défunts. Mais, avant d'entrer dans le détail des œuvres que l'on peut leur appliquer, il ne sera pas inutile de traiter la question de l'offrande de ces œuvres en général. Voyons donc avec la théologie, appuyée sur les exemples des saints, dans quelles limites et à quelles conditions ce don de nos bonnes œuvres peut être fait aux défunts.
Les théologiens remarquent trois propriétés qui se rencontrent d'ordinaire dans chacune de nos bonnes œuvres.
1. Cette œuvre est méritoire, c'est-à-dire qu'elle nous donne droit à un nouveau degré de gloire dans le Ciel.
2. Cette œuvre est impétratoire, c'est-à-dire qu'elle incline Dieu à nous accorder quelque grâce particulière, soit pour nous soit pour les autres.
3. Cette œuvre est satisfactoire, c'est-à-dire qu'elle nous remet une partie plus ou moins grande de la peine qui reste à subir en ce monde ou en l'autre pour nos offenses passées. Prenons un exemple pour mieux être compris. Le jeûne, ou bien je fais une aumône pour obtenir le succès d'une affaire qui me tient au cœur. Par là, 1° je mérite un accroissement de gloire dans le ciel. 2° j'obtiens la grâce que j'ai demandée, si toutefois elle est dans les desseins de Dieu. 3° je satisfais pour une partie de mes fautes.
Il faut maintenant établir solidement cette doctrine.
Que toute bonne œuvre, faite avec les conditions requises, soit méritoire pour le ciel, c'est un point de foi que le concile de Trente a tranché contre les protestants, qui plaçaient le mérite dans la foi seule, séparée des œuvres. Les promesses évangéliques sont formelles à cet égard. C’est parce qu'il a été fidèle en de petites choses que le bon serviteur est récompensé : (Quia super pauca fuisti fidelis). (Matthieu, XVV).
Il nous est commandé de nous faire par nos oeuvres des trésors dans le ciel (Matthieu  VI, 20). Au jour du jugement, c'est pour leurs œuvres de charité que les élus sont mis en possession de la gloire éternelle. J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger. J'ai eu soif et vous m'avez donné à boire. (Saint Matthieu, XVV). Et de peur qu'on ne s'imagine que les œuvres d'importance sont seules récompensées : En vérité je vous dis : Si vous donnez un verre d'eau à un pauvre, en mon nom, vous en recevrez la récompense. (Matthieu, X. 42). Rien de plus clair. Toute bonne œuvre, si petite qu'elle soit, mérite une récompense éternelle.
Mais de plus cette œuvre peut être impétratoire, c'est-à-dire qu'elle peut obtenir telle ou telle grâce de Dieu pour nous et pour les autres. Nous voyons dans l'Ecriture Judith qui jeûne et distribue des aumônes, pour obtenir le succès de sa grande entreprise. David en fait autant pour demander la guérison du fils qu'il a eu de Bethsabée. Enfin Notre Seigneur Lui-même nous exhorte à jeûner pour chasser certains démons qu'on ne peut vaincre sans cela. Tous ces exemples, et beaucoup d'autres que j'aurais pu citer, montrent clairement que nos bonnes œuvres sont, en même temps, si nous le voulons, des prières, qui inclinent Dieu, notre bon maître, à nous faire miséricorde.
J'ai dit, si nous le voulons. En effet, notre œuvre n'est pas nécessairement impétratoire. Cela dépend de notre intention.
Il est clair, en effet, que si en faisant une bonne œuvre nous ne nous proposons rien autre chose, il n'y a pas de raisons pour que Dieu nous accorde ce que nous ne lui demandons pas. Mais chaque fois qu'en accomplissant une œuvre pie, nous nous proposons d'obtenir quelque grâce pour nous ou pour les autres, cette œuvre, sans rien perdre d'ailleurs de son mérite, incline Dieu, toujours libéral et miséricordieux, à nous accorder notre demande.
Enfin nos œuvres sont satisfactoires, c'est encore un point de foi qui s'appuie sur les textes de l'Ecriture, où il est dit que l'aumône couvre les péchés et empêche que l'âme ne tombe dans les ténèbres de l'abîme. Les œuvres de piété les plus consolantes, la prière, la communion, gardent ce caractère satisfactoire, car la corruption de notre nature est telle, qu'il n'est pas de bonne œuvre, si facile et si consolante qu'elle soit, qui ne coûte, et souvent beaucoup, à nos répugnances et à notre lâcheté, en sorte qu'il n'en est aucune qui ne révèle un caractère pénitentiel et expiatoire. Que si la ferveur de la charité ôte à nos œuvres ce caractère pénitentiel, et nous les rend faciles, ces œuvres n'en restent pas moins satisfactoires, dit saint Thomas. Au contraire, loin d'être diminuée, cette vertu satisfactoire est accrue, à cause de la charité plus parfaite avec laquelle nous agissons alors. (In suppl., III p., q. xv, art. 2.) Ceci posé, quelle est, dans nos bonnes oeuvres, la part que nous pouvons appliquer aux âmes du purgatoire ?
1. Nous ne pouvons leur céder notre mérite, c'est quelque chose d'inaliénable, qui n'appartient qu'à nous, et que le péché seul peut nous faire perdre.
2. Quant à l'impétration, les théologiens sont partagés : les uns pensent qu'on ne peut l'appliquer aux défunts, les autres n'y voient point de difficultés. Je suis de ce dernier sentiment. Puisque nous pouvons, par nos bonnes oeuvres, obtenir des grâces à nos frères encore vivants, pourquoi les défunts feraient-ils exception ? Je puis jeûner pour implorer la guérison d'un malade, pourquoi me serait-il interdit de jeûner pour demander le soulagement et la délivrance d'une âme qui m'est chère ? Néanmoins la chose était controversée, il sera plus prudent de réserver notre interprétation pour obtenir de Dieu les grâces si nombreuses dont nous avons besoin tous les jours.
3. Tout le monde est d'accord que nous pouvons céder aux âmes du purgatoire la partie satisfaction de nos oeuvres, et c'est en cela proprement que consiste l'offrande en question. C'est un acte de charité très pure, car on se prive par-là de satisfaire pour soi-même. La raison dit, en effet, qu'il est impossible avec la même somme de payer deux dettes à la fois. Néanmoins, je veux établir maintenant qu'en réalité nous n'y perdons rien, car :
1. Cet acte de charité très pure accroît très considérablement le mérite de notre oeuvre, et par suite de la récompense. Or, le plus petit degré de gloire dans le Ciel, devant durer éternellement, et sans proportion aucune avec les souffrances du purgatoire, si longues et si dures qu'elles puissent être.
2. Il nous reste les indulgences de la sainte Eglise pour payer nos propres dettes, et la disposition de charité où nous met ce don de nos oeuvres aux défunts, est tout à fait propre à nous les faire gagner dans leur intégrité.
3. Les âmes que nous aurons ainsi soulagées à nos dépens, nous assisterons à la vie et à la mort. Peut-être devrons nous aux grâces de choix qu'elles nous obtiendront par leurs prières, d'échapper à l'enfer.
4. Notre charité pour les pauvres défunts nous méritera, comme je l'ai dit au chapitre précédent, de nombreux suffrages après notre mort, lesquels suppléeront largement aux satisfactions que nous ne nous serons pas réservées pendant la vie.
5. Dieu, qui ne se laisse jamais vaincre en générosité, nous récompensera de notre générosité, en nous accordant des grâces plus abondantes, qui nous feront éviter beaucoup de péchés, ce qui diminuera d'autant notre purgatoire. Tout ceci nous est confirmé dans une apparition de Notre Seigneur à une pieuse vierge nommée Gertrude. C'est Denys le Chartreux qui nous fait connaître cette histoire. Cette sainte fille offrait chaque matin toutes les bonnes oeuvres de sa journée pour les âmes du purgatoire. Quand elle fut elle-même près de mourir, le démon l'assaillit d'une tentation de désespoir. -"Que tu as été sotte et présomptueuse de te dépouiller ainsi pour les autres. Maintenant il va falloir expier toutes tes fautes dans les plus horribles supplices, et je rirai de tes tourments. Qu'avais-tu besoin de prodiguer ainsi toutes satisfactions à des étrangers ? C'est l'orgueil qui t'a aveuglée, mais tu vas le payer bien cher ! » En entendant ces cruelles paroles, cette bonne âme commença à gémir et à se désoler. – « Oh ! Que je suis malheureuse ! Dans peu d'instants je vais rendre compte de toutes mes actions, et parce que je n'ai rien gardé pour moi de toutes mes bonnes oeuvres, j'ai en perspective un effroyable purgatoire, sans adoucissement et sans espérance de soulagement. » Mais notre doux Sauveur ne voulant pas laisser sa fidèle servante dans cette angoisse, lui apparut plein de douceur et de majesté et lui dit : - « Ma fille, pourquoi pleures-tu ? » - Vous le savez, Seigneur c'est parce que j'ai tout donné aux autres, et qu'il ne me reste plus rien pour payer mes propres dettes. » - « Console-toi, lui répondit le Sauveur en souriant. Pour te montrer combien cette charité m'a été agréable, je te remets dès maintenant toutes les peines qui t'étaient réservées. De plus comme j'ai promis le centuple à ceux qui s'oublient par amour pour moi, j'augmenterai d'autant ta récompense céleste. Sache aussi que, par mon ordre toutes les âmes que tu as secourues vont venir à ta rencontre pour t'introduire dans la sainte Jérusalem. » A cette douce assurance, la pieuse vierge sentit sa tristesse se dissiper. Elle raconta à ses sœurs ce qui venait de se passer, et, le sourire des prédestinés sur les lèvres, elle alla recevoir la récompense de son héroïque charité. Disons un mot maintenant des conditions requises pour que ces bonnes oeuvres soient applicables aux âmes du purgatoire.
 1° Il faut que cette oeuvre soit faite d'une manière surnaturelle. Dieu ne récompensant que ces sortes d’œuvres.
 2° Il faut qu'elle soit faite en état de grâce, car, dans l'état de pêché mortel, on ne peut satisfaire ni pour soi ni pour les autres.
 3°Il faut que nous ayons l'intention d'appliquer cette oeuvre aux âmes du purgatoire, soit à quelque âme en particulier, soit à une catégorie d'âmes, selon que je l'ai indiqué à la fin du chapitre précédent. Rien n'empêche non plus de remettre ces satisfactions aux mains de Notre Seigneur ou de la très sainte Vierge, pour être distribués à leur volonté. Il reste maintenant à montrer comment les saints nous ont donné l'exemple de se dépouiller du mérite de leurs bonnes oeuvres, en faveur des défunts. Les exemples à citer seraient innombrables, car tous les saints ont pratiqués plus ou moins cet héroïque dévouement. Je me bornerai à quelques traits plus saillants. Christine, surnommée l'Admirable à cause des merveilles de sa vie, merveilles plus admirables en effet qu'imitables, avait consacré sa vie pénitente tout entière au soulagement des âmes du purgatoire. On frémit en lisant le récit des pénitences qu'elle s'imposait pour les soulager. Les haires, les disciplines sanglantes ne suffisant pas à l'ardeur de son zèle, elle passait plusieurs jours de suite sans rien boire, ni manger. Elle se roulait dans les épines, d'où elle ne pouvait évidemment sortir que par miracle, puis, à peine retirée du milieu des flammes, elle courait se jeter dans un étang glacé, où elle demeurait de longues heures en prière. Une fois, elle se fit entraîner sous la roue d'un moulin, qui lui broya tous les membres. Si Dieu ne l'eût sauvée miraculeusement, elle serait morte cent fois. Mais Dieu, qui lui inspirait tous ces actes extraordinaires, la soutenait dans la pratique de cette rude pénitence. Les âmes du purgatoire, qu'elle délivrait par milliers, lui apparaissaient en troupe pour la remercier. Mais voici le trait le plus héroïque de toute sa vie. Un jour, elle mourut, et fut présentée au tribunal de Dieu : « Christine, lui dit le Sauveur, te voici au séjour du bonheur éternel. Je te laisse le choix, ou de vivre dès maintenant au milieu des élus, ou de retourner sur la terre pendant plusieurs années, pour satisfaire en faveur des âmes du purgatoire. » La généreuse âme répondit aussitôt : « Seigneur, je demande à retourner sur la terre pour souffrir et me sacrifier en faveur des défunts. » Elle ressuscita donc en présence de ceux qui étaient venus l'ensevelir, et redoubla ses mortifications et ses pénitences, au point que si les auteurs les plus sérieux et témoins oculaires ne nous avaient certifié ces choses, je me refuserais à les croire, tant elles dépassent ce que l'on peut attendre des forces humaines. (Voyez, Vie de Christine l'Admirable. Surius 23 juin.) L'humble et douce vierge Marie Villani, sans pratiquer des pénitences si extraordinaires, n'en délivra pas moins un grand nombre d'âmes, que Dieu lui fit voir un jour, dans une procession de personnages richement habillés, et conduits par elle. Aussi elle offrait chaque jour à Notre Seigneur tout le mérite de ses oeuvres pour la délivrance de ces âmes, et elle poussa la charité jusqu'à demander à éprouver dans sa chair leurs souffrances, en quoi elle fut exaucée comme je l'ai dit ailleurs. Un jour de la commémoration des morts, elle était occupée à copier un manuscrit. Et elle regrettait que ce devoir imposé par l'obéissance l'empêchât de consacrer ce jour au soulagement des défunts. Notre Seigneur lui apparut et lui promit que chaque ligne qu'elle transcrirait ce jour-là, procurerait la délivrance à une âme du purgatoire. Par là on voit qu'il n'est pas d’œuvre petite, pour Dieu, quand elles sont relevées par la charité. (V. Vie de Marie Villani). La Bienheureuse Ursule Beninsaca, religieuse théatine, montra le même dévouement dans un cas particulier. Sa sœur Christine étant à l'agonie, et redoutant un terrible purgatoire ? Elle pria Notre Seigneur de lui infliger à elle-même, en cette vie, les tourments qui attendaient sa sœur dans l'autre. Elle fut exaucée : Christine expira dans la paix des élus, et aussitôt sa sœur fut saisie des plus violentes douleurs qui durèrent jusqu'à sa mort. (Vie de la Bse Ursule Beninsaca, par Bagata.) Le P. Hippolyte de Scavo, capucin, offrait pour les âmes du purgatoire les premières de ses actions de la journée. Il se levait avant ses frères pour réciter l'office des défunts, sans préjudice des mortifications qu'il faisait pour elles, pendant le jour.
Il avait un attrait particulier à prêcher pour elles, et leur obtenir ainsi les nombreux suffrages des fidèles que sa parole brûlante avait convaincus de l'importance de cette oeuvre. Aussi Dieu, pour les récompenser de sa charité, permit qu'il eut une vision miraculeuse, que j'ai racontée ailleurs, une juste idée de la grandeur de ces tourments. (Annales des Capucins, t. III, année 8, n° XIII.)
Saint Philippe de Néri offrait une partie de ses oeuvres pour les âmes du purgatoire, et l'autre pour la conversion des pécheurs. Il se croyait spécialement redevable envers ses anciens pénitents, et jamais, dit l'historien de sa vie, il ne manqua à prier spécialement pour chacun d'eux après leur mort. Ceux-ci apparaissaient souvent d'ailleurs, pour le remercier et se recommander à ses prières, et à sa mort, les âmes qu'il avait ainsi délivrées vinrent au-devant de lui pour lui faire cortège et le conduire dans la gloire. (Vie de saint Philippe de Néri.) Saint Louis Bertrand faisait de même. Il partageait tous ses suffrages en deux parts, la première pour la délivrance des âmes du purgatoire, et la seconde pour la conversion des pécheurs. Il s'imposait, à cette double intention, une infinité de prières, de jeûnes et d'autres mortifications. Si l'on juge de son succès pour la délivrance des âmes des défunts par celui qu'il obtenait dans la conversion des pécheurs, c'est par milliers qu'il dut délivrer de ces saintes âmes. (Vie de saint Bertrand, dans le diario Dominicano, au 10 octobre.) La Compagnie de Jésus, toujours à l'avant-garde de toutes les bonnes oeuvres, n'est pas restée en arrière de beaux dévouements. Saint Ignace, son fondateur, priait beaucoup pour les âmes du purgatoire. Le P. Linez, son second général offrait chaque jour à cette intention la meilleure partie de ses prières, de ses études et des grandes oeuvres qu'il faisait dans l'Eglise. Il exhortait tous ses frères à offrir de même leurs études, leurs prédications, leurs travaux apostoliques, et la plupart furent fidèles à cet enseignement de charité. Toujours l'illustre Compagnie a montré un zèle particulier pour cette dévotion. J'ai cité déjà l'exemple de beaucoup de Pères Jésuites. Il m'en reste beaucoup d'autres, parmi lesquels je veux nommer le P. Rem, du collège d'Ingolstadt : il avait fait de la délivrance et du soulagement des âmes du purgatoire son oeuvre principale, jour et nuit il s'en occupait. Le jour, il offrait pour elles, ses mortifications, ses prières, toutes ses actions. La nuit, les âmes venaient le visiter, s'approchaient de son lit, et lui demandaient de prier pour elles. Il se levait de suite, sans regretter son sommeil interrompu et se mettait en oraison. Un grand nombre de témoins ont déposé, après sa mort, avoir entendu bien souvent sortir du cimetière voisins des cris plaintifs : « Père, ayez pitié de nous ! Nos souffrances sont horribles. Obtenez-en la fin au nom de la charité. » (Jacques Hautin. Patonicium defunct. chap. ii, art. 2.) En voila assez. Je ne puis parcourir la vie de tous les saints, et il faudrait le faire, si on voulait nommer tous ceux qui ont travaillé par leurs oeuvres au soulagement des âmes du purgatoire. Puisse ces exemples ne pas être perdus pour nous. Nous pouvons offrir pour le soulagement des défunts toute espèce d’œuvres, pourvu qu'elles soient surnaturelles et faites en état de grâce. Pour plus de clarté, je rangerai toutes ces différentes oeuvres sous trois ou quatre chefs, qui résument tout : L’aumône, la mortification, la prière, la messe, l'application des indulgences. Ce sera l'objet d'autant de chapitres.
Chapitre 17  L'aumône
Combien l'aumône nous est recommandée dans les saintes Ecritures. - Double mérite de cette oeuvre appliquée aux défunts. - Exhortations des saints Pères. - Exemple des saints. - Que l'aumône préserve du purgatoire.
Parmi toutes les oeuvres de la charité évangélique, il en est peu qui nous soient recommandées avec plus d'instance que l'aumône. C'est elle, disait l'ange de Tobie, qui sauve l'homme de la mort, qui efface les péchés et qui fait trouver grâce devant Dieu. (Tobie, XII. 9.) Dans le Nouveau Testament, les élus ne semblent récompensés que pour avoir pratiqué cette vertu. C’est parce qu'ils ont secouru le Sauveur Jésus qui avait faim et soif, dans ses membres souffrants, les pauvres. C’est parce qu'ils ont habillé ceux qui étaient nus. Parce qu'ils ont visité les malades et les prisonniers, qu'ils sont appelés aux récompenses éternelles. Enfin l'Ecclésiaste nous apprend que, de même que l'eau éteint le feu le plus ardent, ainsi l'aumône efface le péché. (Ecclés., ii, 33.) Faire l'aumône en vue d'en appliquer le mérite aux âmes du purgatoire, c'est donc verser de l'eau sur les flammes qui les dévorent. Il y a plus, cet acte revêt alors pour celui qui le fait un double mérite, celui de la charité exercée envers les pauvres. Et celui du soulagement des âmes du purgatoire. Par conséquent, celui qui fait l'aumône de cette façon, acquiert par un seul acte un double degré de gloire de plus dans le Ciel. Cet acte contribue aussi en deux manières au soulagement des défunts. D’abord par la valeur satisfactoire qu'il a en lui-même. Puis par les prières que les pauvres ainsi soulagés font pour leurs bienfaiteurs, prières que Dieu a promis d'exaucer tout spécialement. (Deprecationem pauperum exaudivit Dominus) Il y a quelque chose à dire encore : l'aumône est, à peu près, la seule oeuvre que ceux qui sont dans le malheureux état du péché mortel, puissent faire utilement pour les âmes du purgatoire. Car ils sont alors incapables de satisfaire, soit pour eux, soit pour les autres, parce que leur oeuvres sont mortes : prières, mortifications, tout ce qu'ils feraient en cet état pour la délivrance des défunts seraient stériles, tandis que l'aumône, si elle n'a pas alors. Sa vertu satisfactoire, n'en garde pas moins une certaine efficacité, car les prières des pauvres profitent et à celui qui fait l'aumône pour lui obtenir des grâces de conversion, et à l'âme en vue de qui on fait pour adoucir ses souffrances. Il ne faut donc pas s'étonner de voir les amis des âmes du purgatoire recourir à cet excellent moyen de les secourir. C'était l’œuvre de prédilection du pape saint Grégoire le Grand, si dévoué aux âmes souffrantes. Pour les soulager plus efficacement, il ne séparait jamais l'aumône de l'oblation du divin sacrifice, et de nombreuses apparitions lui apprirent, et à nous aussi, combien cette double charité est efficace. Ce pieux usage passa donc en loi chez les Bénédictins et dans plusieurs familles religieuses. Comme je l'ai dit ailleurs, d'après la règle de saint Benoît, quand un des frères vient de mourir, on offre pendant trente jours le saint Sacrifice pour le repos de son âme, et pendant tout ce temps, on distribue sa ration aux pauvres. Rien de plus instructif et de plus encourageant que les exhortations des saints Pères à ce sujet. Ecoutons saint Ambroise : « Vous avez perdu un fils chéri. Vous ne savez que faire pour témoigner votre douleur. Vous voudriez pouvoir lui être utile encore. Rien de plus simple. Voulez-vous vraiment rendre service à celui qui devait être votre héritier. Assistez son cohéritier. Donnez aux pauvres ce que vous vouliez donner à celui que vous pleurez. Vous n'avez pas perdu l'héritier de vos biens, si vous assistez son cohéritier qui est le plus pauvre. Au lieu de quelques misérables biens temporels que vous comptiez lui laisser, vous le mettrez ainsi en possession des biens éternels. Voilà comment vous pouvez encore secourir celui que vous aimiez plus que tout autre chose au monde. » (Saint Ambroise, Sermo de fide resurrectionis.) Comme la face de ce monde serait changée, si on suivait fidèlement ces conseils du saint évêque ! Alors, les pauvres seraient abondamment soulagés. On ne verrait plus cette plaie effroyable du paupérisme, qui grandit chaque jour parmi nous et dévore nos sociétés pourries. On ne verrait plus cet insolent gaspillage de la richesse, qui attire la malédiction de Dieu, et met au cœur du pauvre la haine de ceux qui possèdent, et le désir insatiable d'arracher aux heureux de ce monde une part de leurs jouissances. Il y aurait peut-être moins de luxe. Le commerce, pour parler comme nos économistes, pourraient en souffrir, mais il n'y aurait pas de questions sociales, et l'on ne verrait pas, tous les quinze ans, le peuple se ruer implacable à l'assaut des prospérités qu'il envie. D'un autre côté, les âmes du purgatoire seraient efficacement soulagées. Elles auraient ainsi leur part dans ces biens qui devaient leur appartenir. Avec cet or, cet argent, qui sert trop souvent à nourrir la vanité des survivants, jusque fin. Page : Dans les vaines démonstrations de leur deuil, ces malheureux achèteraient le Ciel. O Dieu, mettez donc au cœur des riches cette intelligence du pauvre qui fait le bonheur. Beatus qui intelligit super egenum et pauperem.
Un pieux auteur nous donne un motif qui n’est pas moins utile. Quand un pauvre se présente à votre porte, ou vous tend la main dans la rue, figurez-vous, nous dit-il, que c’est une âme du purgatoire, l’âme d’un de vos proches peut-être, qui s’adresse à vous, et vous supplie humblement de ne pas l’oublier.
Cette pensée, qui est fort belle et fort vraie, devrait être profondément gravée dans notre esprit. Les pauvres y gagneraient d’être assistés. Et les âmes du purgatoire en retireraient de grands avantages.
Voyons maintenant comment les saints, nos modèles en toutes choses, ont compris ces divines leçons.
Le père Magnanti, de l’Oratoire, bien que pratiquant pour lui-même la plus stricte pauvreté, était saintement prodigue lorsqu’il s’agissait de soulager les chères âmes du purgatoire à qui il avait dévoué sa vie.
Chaque année, il distribuait à cette intention des sommes immenses, que de pieux fidèles, connaissant sa tendre charité, faisaient passer par ses mains. Il se faisait mendiant, pour solliciter des aumônes en faveur des défunts. Il avait dans sa chambre une bourse qu’il appelait le trésor des âmes, crumena animarum. Cette bourse était toujours vide, bien qu’elle se remplît chaque jour. Et ce pauvre religieux, qui ne possédait au monde que sa soutane et son bréviaire, distribua ainsi, dans le cours de sa longue vie, des aumônes vraiment royales.
Il avait trouvé ainsi le moyen de secourir à la fois les membres souffrants du Sauveur Jésus, en ce monde et en l’autre. (V. Hist. Congre. Orator., liv. II, chap. XXIX.) Cette bourse du P. Magnanti me rappelle que, dès le cinquième siècle, saint Jean Chrysostome donnait le même conseil aux fidèles de Constantinople : « Ayez, leur disait-il, une boîte au chevet de votre lit, et tous les soirs avant de vous endormir, n’oubliez pas d’y mettre quelques pièces de monnaie, mais gardez-vous de détourner jamais à votre usage ce que vous y aurez déposé. Ce serait une espèce de larcin et de sacrilège. Donnez-le aux pauvres en vue de délivrer des flammes quelque âme souffrante. Vous vous amasserez ainsi des trésors dans le ciel. »
Que si vous êtes pauvre vous-même, ne croyez pas être dispensé pour cela de faire l’aumône, donnez dans la mesure de votre pauvreté, et Dieu, qui a béni le denier de la veuve, préférablement aux fastueuses offrandes du Pharisien, vous tiendra compte de votre bonne volonté. Vous ne pouvez absolument donner d’argent, dites-vous, vous n’êtes pas pour cela exclu de l’honneur et du bénéfice de l’aumône. Donnez votre temps, vos soins, vos bons offices. Donnez une parole de consolation à l’affligé. Donnez un service matériel, qui vous coûte peu, et qui réjouira le cœur de votre frère. Donnez votre âme, votre cœur, votre bonne volonté. Allez ! Si pauvre que vous soyez, vous avez bien des trésors à mettre au service du prochain. Les plus pauvres sont quelquefois ceux qui savent le mieux s’assister les uns les autres, parce qu’ils ont été formés aux rudes leçons de la misère.
D’ailleurs la charité est bien ingénieuse, plus ingénieuse que l’avarice et la soif du gain. Quand la douce charité est entrée dans un cœur, elle trouve toujours le moyen de se satisfaire. Écoutez plutôt cette touchante histoire.
Il y avait un pauvre frère de la Compagnie de Jésus, nommé André Simoni, tout brûlant d’ardeur pour le soulagement des âmes du purgatoire. S’il avait été prêtre, il aurait célébré la sainte messe pour leur délivrance, mais que peut un pauvre frère sans ressources et sans relations dans le monde ? Vous allez voir ! Il était portier de la maison, et quand il voyait venir quelque grand personnage, il mendiait à l’intention de ces pauvres âmes, une partie des aumônes qu’il recevait était destinée à entretenir un certain nombre d’ecclésiastiques pour dire la sainte messe à l’intention des défunts. L’autre était versée dans le sein des pauvres. Pour accroître son trésor, cet humble frère cultivait, près de la porte, un jardin rempli de belles fleurs, dont il faisait des bouquets qu’il offrait aux visiteurs, en leur demandant, en échange, une aumône pour les chères âmes souffrantes. Tant de zèle et de piété ouvraient les cœurs à la charité. Les bourses se déliaient largement, et le bon frère voyait avec joie grossir son petit trésor. Quand il fut près de mourir, les âmes du purgatoire, qu’il avait secourues et délivrées en grand nombre vinrent l’assister sur son lit d’agonie, et sans doute le conduisirent au Ciel recevoir la récompense de son ingénieuse charité. (Heroes et victimoe societatis Jesu, anno 6).
Le P. de Munford, dans son traité de la charité à exercer envers les défunts, nous conseille de mettre chaque soir, après notre examen de conscience, une petite aumône de côté, comme pénitence des fautes commises pendant le jour, et à la fin de la semaine, de distribuer ces aumônes, à l’intention des âmes du purgatoire. Sur quoi il ajoute : « Vous ne pouvez mieux placer votre argent et le faire mieux fructifier. C’est là une sorte d’usure spirituelle, qui n’est nullement défendue, et dont vous toucherez plus tard les gros intérêts. » (Opere citato, ch. XII.)
« Voulez-vous, dit saint Augustin, apprendre à bien trafiquer et à tirer de gros intérêts de votre argent ? Donnez ce que vous ne pouvez conserver afin d’obtenir ce que vous ne pouvez perdre. »
En effet, l’aumône, qui est si utile pour soulager les défunts, a une vertu très particulière pour empêcher de tomber en purgatoire, ou pour abréger l’épreuve de celui qui a été fidèle à la faire. Dieu ne se laisse jamais vaincre en générosité par ses créatures, ne l’oublions pas. Donnez et il vous sera donné, telle est la règle évangélique.
Les faits suivants montreront bien la vertu préservative de l’aumône.
Saint Pierre Damien raconte une apparition qui se fit voir à un prêtre, dans la basilique de sainte-Cécile à Rome.
Ce prêtre aperçut, sur un trône magnifique placé au milieu de l’église, la très sainte Vierge entourée de sainte Cécile, de sainte Agnès, de sainte Agathe et d’une couronne d’anges et de bienheureux. Au milieu de cette noble assemblée parut tout à coup une pauvre vieille, revêtue d’habits sordides, mais ayant sur les épaules un manteau de riches fourrures. elle s’approcha du trône, se mit à genoux et dit en pleurant : « Ô Mère des miséricordes, au nom de votre bonté pour tous les malheureux, je vous conjure d’avoir pitié de l’âme de Jean Patrizi, mon bienfaiteur, qui vient de mourir, et qui souffre de cruels tourments dans le purgatoire. » Cependant, la très sainte Vierge gardait un visage sévère, et ne répondait rien, cette femme répéta une seconde et une troisième fois la même prière. Toujours pas de réponse. Alors elle éleva la voix en pleurant : « Vous savez bien, ô reine très miséricordieuse, que je suis cette mendiante, qui au cœur de l’hiver, vêtue de misérables haillons, demandait l’aumône à la porte de votre grande basilique. Oh ! Comme je tremblais de froid ! C’est alors que Jean, à qui je demandais l’aumône en votre nom, ôtant de ses épaules cette riche fourrure me la donna pour me réchauffer. Une si grande charité, faite en votre nom, mérite bien un peu d’indulgence. »
Alors la Reine des Vierges, jetant sur la suppliante un regard d’amour : « Celui pour qui tu pries, répondit-elle, est condamné pour longtemps à de rudes souffrances, à cause de ses péchés nombreux et graves. Mais parce qu’il a eu deux vertus spéciales, la miséricorde envers les pauvres, et la dévotion à mes autels, je veux user de miséricorde à son égard. Qu’on l’amène en ma présence. »
Patrizi parut alors, conduit par une troupe de démons qui le tenaient enchaîné. Il était pâle et défiguré, comme un homme qui souffre de violentes douleurs. La Mère de Dieu commanda aux démons de lâcher leur proie et de le mettre en liberté à l’instant même, afin qu’il pût se joindre à l’assemblée des saints. Ils le firent aussitôt, alors la vision disparut, et le bon prêtre qui en avait été l’heureux témoin apprit ainsi le grand mérite de l’aumône, et son efficacité pour préserver les âmes du purgatoire. (V. saint Pierre Damien, opus. XXXIV, ch. IV.)
Voici maintenant ce qui arriva au Père Mancinelli, de la Compagnie de Jésus. Son oncle, César Costa, était archevêque de Capoue. Un jour qu’il rencontra le Père, pauvrement vêtu, à son ordinaire, il lui donna de l’argent pour acheter un manteau qui le préservât un peu du froid de l’hiver très rigoureux cette année-là.
Or, à quelque temps de là, l’archevêque mourut. Un jour que le bon Père sortait pour visiter ses malades, revêtu du fameux manteau, il vit venir à lui le défunt tout enveloppé de flammes, qui le supplia de lui prêter un moment. Le Père le lui donna de suite. Le défunt s’en enveloppa, et soudain, ô merveille de la charité ! Les flammes s’éteignirent.
Le défunt, ainsi rafraîchi, ne voulait plus rendre le précieux vêtement. Le Père lui dit qu’il était envoyé quelque part, pour la gloire de Dieu, et que la chose pressait, il lui rendit son manteau, mais contre la promesse que, désormais, le bon Père prierait avec plus de zèle que par le passé pour son bienfaiteur.
Cette scène a été reproduite sur un tableau que l’on conserve au collège de Macerata. Au bas du tableau on a inscrit quelques vers italiens dont voici la traduction : O miraculeux vêtement, donné pour garantir des rigueurs de l’hiver et qui, rendu ensuite un moment, a tempéré les flammes de l’expiation. C’est ainsi que la charité réchauffe ou rafraîchit tour à tour, selon les maux qu’elle doit adoucir. (Vie du P. Jules Mancinelli, par Celsius, liv. III, ch. II.)
En terminant, je ferai une réflexion qui s’applique à tant de saintes âmes, que l’on voit toujours prêtes à venir en aide à toutes les bonnes œuvres : Denier de saint-Pierre, œuvre de la Propagation de la foi, de la sainte-Enfance, souscription pour les universités catholiques, les écoles, les prêtres persécutés, la construction de l’église votive du Sacré-Cœur, etc. Elles ne se refusent à aucune demande, et les impies sont confondus de voir tant de généreux dévouements dans les fils de la sainte Église. Tout cela est assurément très beau. Et c’est une grande consolation que Dieu donne à son Église, dans ces tristes jours, que de voir le dévouement de ses fils restés fidèles. Mais pourquoi ne ferions-nous pas double profit spirituel, en distribuant ces aumônes en faveur des âmes du purgatoire ? Ce serait double mérite pour nous, et nous aurions ainsi le moyen de secourir tout à la fois l’Église militante et l’Église souffrante. Je me rappelle à cette occasion un trait bien touchant, et dont j’ai été moi-même le témoin.
Il s’agit d’un pauvre portier de séminaire, qui, dans sa longue vie, avait amassé, sou par sou, la somme de huit cents francs.
N’ayant pas de famille, il destinait cet argent à faire dire des messes après sa mort. Mais que ne peut la charité dans un cœur embrasé de ses saintes flammes ? Un de nos confrères se préparait à quitter le séminaire pour entrer aux Missions étrangères. Ce pauvre vieillard, apprenant cela, fut inspiré de lui donner son petit trésor, pour l’œuvre si belle de la Propagation de la foi. Il le prit donc en particulier et lui parla à peu près ainsi. – « Cher Monsieur, je vous prie d’accepter cette petite aumône pour vous aider dans l’œuvre de la propagation de l’Évangile. Je l’avais réservée pour faire dire des messes après ma mort, mais j’aime mieux rester un peu plus longtemps dans le purgatoire, et que le nom du bon Dieu soit glorifié. » Le jeune séminariste était ému à pleurer, il voulait refuser l’offrande si généreuse de ce pauvre homme, mais l’autre insista tellement qu’il y aurait eu cruauté à le refuser.
À quelques mois de là, ce bon vieillard mourait. Aucune révélation n’est venue me dire ce qui lui arriva en l’autre monde, mais je n’en ai pas besoin. Je connais assez le cœur de Jésus, mon maître pour être sûr que celui qui s’était dévoué aux flammes du purgatoire afin de faire connaître son saint Nom aux nations infidèles, reçut la récompense de son héroïque charité, et s’en alla au Ciel, sans retard, contempler dans les rayonnements de l’amour, le Dieu qu’il avait tant aimé sur la terre.
Chapitre 19 De la prière
Mérite de cette œuvre. – Que la plus petite prière est très utile aux défunts. – Qualités que doit avoir cette prière pour être efficace : persévérance, ferveur, état de grâce. – Exemples des saints. – Des différentes prières que l’on peut appliquer utilement aux défunts. – De l’office des morts. – Du chemin de la croix. – Du rosaire. – Des suffrages du troisième, septième et trentième jours. – Des anniversaires. – Des neuvaines. – Du mois des âmes du purgatoire.
Le troisième moyen que nous avons de soulager efficacement les âmes du purgatoire, c’est la prière, cette œuvre est la plus facile, la plus à la portée de tous. Peut-être que la faiblesse de votre santé, ou votre lâcheté naturelle, vous empêche de jeûner et de faire des mortifications, pour le soulagement des défunts, mais quelle raison pouvez-vous apporter pour ne pas prier ? Direz-vous que le temps vous manque ? Mais il n’est pas nécessaire, pour soulager efficacement les défunts, de passer les jours et les nuits en oraison. La plus courte prière, si elle est accompagnée des dispositions convenables, suffit pour obtenir, sinon la délivrance, au moins le soulagement d’un malheureux. Une aspiration du cœur et des lèvres, c’en est assez : aussitôt le rafraîchissement, la lumière et la paix descendent au milieu de ces tristes cachots. mmm
Un saint évêque vit un jour, en songe, un enfant qui, avec un hameçon d’or, attaché à un fil d’argent, retirait une femme du fond d’un puits. A son réveil, il regarde par la fenêtre, et voit dans le cimetière voisin le même enfant agenouillé sur une tombe encore fraîche. « Que fais-tu là, mon petit ami ? » -» Monseigneur, répond l’enfant, je dis un Pater et un Miserere pour l’âme de ma mère qui est enterrée ici. » Dieu fit connaître à son serviteur que cette simple prière d’un petit enfant venait d’opérer la délivrance de cette âme, et que l’hameçon d’or représentait le Pater, et le Miserere le fil d’argent de cette ligne mystique. (Rossignoli, Merveilles du purgatoire, XXVIIe merveille.)
Le même auteur rapporte, d’après la chronique de Tritème, qu’un bon religieux avait la coutume, chaque fois qu’il passait dans un cimetière, de réciter un Requiem oeternam pour le soulagement des défunts. C’est bien court, et à en juger humainement, on ne voit pas trop quelle grande utilité peut sortir de là. Les âmes du purgatoire ne sont pas, paraît-il, de cet avis. Un jour que ce bon moine, préoccupé d’autres choses, passait dans un cimetière sans réciter sa prière accoutumée, plusieurs cadavres sortirent visiblement de leur tombe, et le poursuivirent de ce verset du psalmiste. Et non dixerunt qui proeteribant : benedictio Domini super vos. Ceux qui passaient n’ont pas dit : que la bénédiction du Seigneur soit sur vous. A ces paroles le religieux, tout confus de son oubli, répond par la fin du verset : Benedicimus vobis in nomine Domini. Nous vous bénissons au nom du Seigneur. A cette simple invocation les morts se recouchent dans leur tombe, comme s’ils eussent été suffisamment soulagés. (Même ouvrage, XCIIe merveille.)
Le trait suivant montre bien quel est, au regard de Dieu, le prix de la plus légère prière, et combien sa valeur l’emporte sur toutes les richesses de la terre.
Un jeune homme venait de perdre son père. Désirant procurer efficacement le soulagement de cette chère âme, il se rendit au couvent des Chartreux, situé près de là, et leur apporta une grosse somme d’argent, en demandant leurs suffrages pour son cher défunt. Aussitôt on rassemble la communauté au chœur, et tous les moines entonnent le Requiescant in pace. Le supérieur répond amen et les religieux rentrent dans leur cellule.
C’est bien peu, pensait en lui-même ce bon jeune homme. Eh quoi ! Pour une somme si importante un seul Requiescant in pace. Mon pauvre père n’aura pas d’autres suffrages. Il s’approche alors modestement du prieur, et lui expose respectueusement sa surprise.
Celui-ci était un homme de Dieu, versé dans la connaissance des choses surnaturelles.
-« Vous croyez donc, mon cher enfant, avoir fait davantage pour le monastère que nous n’avons fait pour l’âme recommandée à nos prières. Vous pensez sans doute que nous sommes encore vos débiteurs ? » - « Oui, mon père, je l’avoue. »
-» Eh ! bien, attendez un instant, vous connaîtrez bientôt votre erreur. »
Aussitôt, il commande à ses religieux d’écrire chacun leur Requiescant in pace sur un bout de papier, puis il se fait apporter des balances. Dans un des plateaux il dépose la somme qui a été offerte, dans l’autre tous les petits billets. O surprise, le plateau où est l’argent se relève aussitôt, comme s’il était chargé d’une simple paille, et l’autre plateau s’incline visiblement, sous le poids des billets sur lesquels est inscrite la prière des religieux.
Le jeune homme, tout confus, demanda pardon au prieur de son manque de foi. Par son ordre, et pour perpétuer la mémoire du prodige, on plaça sur la tombe de son père, une large dalle sur laquelle on grava ces simples mots: Requiescant in pace. (Voir chronique des Chartreux, ch. VII.)
Un bon supérieur des Théatins, connaissant cette histoire, s’en servit à son tour pour convaincre un incrédule, qui refusait de croire à l’efficacité de la prière.
Un riche seigneur vénitien envoya au Père Montorfano, prieur des Théatins, une somme considérable en or, afin qu’il fit célébrer un service solennel pour les membres défunts de sa famille.
Le bon Père, habitué à la pauvreté du cloître, fit les choses très convenablement, mais trop simplement, paraît-il, au gré de son mondain bienfaiteur.
Celui-ci, fort mécontent, envoya un messager se plaindre de la parcimonie des religieux.
Le souvenir du bon Père Chartreux revint alors en la mémoire du Père Montorfano, et sans perdre le temps à discuter avec cet homme charnel, pour lui démontrer le prix de la prière, il prit le messager par la main et l’amena dans sa cellule.
Arrivé là, il écrit sur une feuille de papier le psaume De profundis, puis commande à un frère de lui apporter une balance. Dans un des plateaux il mit la feuille de papier, et dans l’autre la somme reçue. Dieu récompensa la foi de son serviteur, en renouvelant le miracle. Ce fut le plateau de l’or qui céda. On renouvela l’expérience, en changeant l’or et le papier de plateau. Le résultat fut le même. Le mondain comprit alors la valeur surnaturelle de la plus petite prière. Il cessa de se plaindre, et en mémoire de cet événement fit faire un tableau pour représenter toute la scène. (V. Hist. de l’ordre des Théatins, liv. XV.)
Ces exemples montrent la valeur surnaturelle de la prière, et son efficacité pour le soulagement des défunts. Mais s’il s’agit de la délivrance entière d’une âme, on aurait tort de penser en être quitte à si bon compte, au moins d’ordinaire.
Ce que j’ai dit ailleurs de la durée des peines du purgatoire, montre que Dieu met à plus haut prix la rançon d’une âme. A moins d’une révélation spéciale, dit Bellarmin, on ne doit jamais cesser de prier pour un défunt et croire à la légère qu’on l’a délivré.
La persévérance, telle est la première qualité que doit avoir la prière pour les morts, si nous voulons vraiment atteindre notre but, qui est de les délivrer.
C’est que l’on voit très bien par exemple de saint André Avelino : il faisait beaucoup de prières pour les défunts qui lui étaient recommandés et ne cessait ses suffrages que lorsque les âmes, en venant le remercier, lui donnaient ainsi l’assurance de leur délivrance.
Du reste, les lumières surnaturelles ne lui manquaient pas. Il lui arrivait quelquefois en priant d’éprouver comme une résistance intérieure, un sentiment d’invincible répugnance. Dans l’oblation du divin Sacrifice en faveur des défunts, il sentait quelquefois, au sortir de la sacristie, comme une main qui le retenait pour l’empêcher de monter à l’autel. Avec son tact surnaturel, il comprenait aussitôt qu’il était inutile de prier davantage pour cette âme. D’autres fois au contraire, il éprouvait une ferveur inaccoutumée, un attrait fort vif. Il en concluait en ce cas qu’il était exaucé, et que sa prière ne restait pas inutile. (V. Vie du saint.)
A cette persévérance dans la prière, il faut ajouter la ferveur. Il s’agit en effet de faire violence à la justice de Dieu, et d’obtenir pour ceux que l’on a en vue la plus grande grâce que Dieu puisse accorder à une créature humaine, la vision béatifique. On comprend que la tiédeur et la négligence dans la prière ne peuvent obtenir un si grand résultat. Ici, encore, nous avons pour nous encourager l’exemple des saints. Par l’ardeur et la vivacité de leur demande, ils mettaient Dieu dans l’impossibilité de leur rien refuser. Il n’en est pas de la prière, en effet, comme des sacrements, qui opèrent ex opere operato, indépendamment des dispositions du Ministre. Ici au contraire, tant vaut le suppliant, tant vaut la prière. Et voilà pourquoi nous obtenons si peu de choses, tandis que les saints, comme d’autres Jacob, savent lutter avec l’ange du Seigneur, se montrer forts contre Dieu, et lui arracher ses bénédictions.
« Ma fille, disait un jour Notre Seigneur à sainte Lutgarde, je ne puis résister à vos prières. Soyez tranquille, l’âme pour qui vous priez sera bientôt délivrée de ses souffrances. » (Vie de la sainte dans Surius, 16 juin.)
Enfin, il est une troisième condition encore plus indispensable, pour que la prière que nous adressons à Dieu, en faveur des défunts, soit exaucée, c’est de la faire en état de grâce.
La chose parle d’elle-même. Celui qui, par le péché mortel est l’ennemi de Dieu, comment pourrait-il être un intermédiaire agréé entre la divine justice et les saintes âmes du purgatoire ? (Scimus qui peccatores Deus non audit.) Nous savons que Dieu n’écoute pas les pécheurs. C’est l’oracle de la sagesse éternelle et le témoignage du bon sens.
Quelles sont maintenant les prières que l’on peut faire le plus utilement pour les défunts ? Je mets de côté la prière par excellence, le saint sacrifice de la messe, et les prières auxquelles sont attachées des indulgences. Ces deux matières demandent, à cause de leur importance, à être traitées à part. Ceci posé, je vous dirai, avec un grand maître de la vie spirituelle, le père Faber, parmi toutes les formules approuvées par l’Eglise, et qui se trouvent dans tous les manuels de piété, choisissez celles qui reviennent le mieux à votre attrait spirituel. Il n’est pas nécessaire du tout de faire de vos prières et pratiques de piété un acte de mortification. C’est là une notion janséniste, absolument fausse et dangereuse. Tout est facultatif en cela. Une pratique excellente pour une âme ne vaut souvent rien pour une autre. L’essentiel n’est pas de faire telle chose, mais de faire quelque chose pour ces pauvres âmes. Voici les principales pratiques de piété que l’on peut se proposer de faire en faveur des défunts. Chacun choisira selon son goût.
Au premier rang, je mets la prière canonique, l’office des défunts. Je sais que cette dévotion n’est plus guère dans les habitudes de notre piété, mais, sans vouloir jeter le discrédit sur les autres formules, je crois qu’il n’en est aucune qui vaille celle-là, parce que c’est la prière de l’Eglise, c’est la supplication de notre Mère commune, en faveur de ses enfants malheureux. On peut donc croire que cette prière faite ainsi au nom de l’Eglise, a plus d’efficacité que tout autre pour toucher le cœur de Dieu.
La Mère Françoise du saint-Sacrement, malgré les nombreuses occupations de sa charge, récitait tous les jours de fête l’office des défunts, parce que, en ces jours-là, elle avait un peu plus de temps à consacrer à la prière.
Voici à cette occasion ce que sainte Thérèse raconte dans sa vie écrite par elle-même. « Un jour des morts, je me retirai le soir dans un oratoire pour y réciter l’office des morts. Alors je vis paraître un monstre horrible, qui se posa sur mon livre, de telle façon que je ne pouvais ni lire, ni poursuivre ma prière. Je me défendis en faisant le signe de la Croix, et l’esprit maudit se retira par trois fois. Mais à peine je me remettais en devoir de recommencer la récitation des psaumes, qu’il revenait me déranger. Je ne pouvais parvenir à l’éloigner, et je ne m’en délivrais qu’en aspergeant le livre d’eau bénite, dont lui-même reçut quelques gouttes. Oh ! A ce moment là, il prit la fuite avec précipitation, et me laissa achever ma prière ».
« J’avais à peine terminé, que je vis sortir du purgatoire un certain nombre d’âmes, qui n’attendaient que ce léger suffrage, et c’est pour cela que le démon jaloux voulait l’empêcher. » (Vie de la sainte, écrite par elle-même, sect. 31.) On voit par là combien la prière canonique est utile pour les pauvres défunts, et comment le démon la redoute.
Dans le même ordre de suffrages, on peut ranger la récitation du psautier, dévotion autrefois très commune parmi le peuple chrétien, et qui est devenue bien rare de nos jours.
Néanmoins, on la retrouve encore dans plusieurs ordres religieux restés gardiens fidèles des vieilles traditions. Au moyen âge, l’empereur Othon IV, insigne bienfaiteur des ordres religieux répandus en Allemagne, apparut après sa mort, à une de ses tantes, pour lui faire connaître que, malgré ses bonnes œuvres, et le renom de piété dans lequel il était mort, il souffrait néanmoins cruellement en purgatoire. Il lui demanda d’avertir les monastères qui avaient participé à ses largesses, et de les prier de réciter pour lui le psautier un grand nombre de fois, « car ajouta-t-il, c’est par ce moyen que je dois être purifié. la divine miséricorde voulant que je sois délivré par les ordres religieux auxquels j’ai fait bien.»
Les différents monastères, avertis du désir de leur bienfaiteur, s’empressèrent de répondre à sa demande, et quelques jours après, il se fit voir de nouveau, mais cette fois tout brillant des clartés célestes. Son expiation était terminée, et la récitation de nombreux psautiers avait été pour lui l’instrument de la délivrance. (V. Catimpré, Apum, liv. II, ch. LI. n°19.) Si la récitation du psautier vous effraye par sa longueur, il est une pratique de dévotion plus courte, et dans le même ordre d’idées, c’est la récitation des sept psaumes de la pénitence. Dieu s’est plu souvent à prouver par des miracles, que cette dévotion lui est agréable. Un saint évêque, nommé Bristano, avait la pieuse pratique de se lever la nuit, pour aller dans le cimetière réciter les sept psaumes pénitentiaux, sur la tombe des défunts. Or, l’histoire rapporte que, dans une des circonstances, comme il achevait, selon l’usage, chacun des psaumes, par le verset Requiescant in pace, une foule de voix, sorties du sein de la terre, répondirent distinctement Amen. (V. Bagata, liv. II, ch. I.) Saint Bernard, étant encore novice à Cîteaux, avait l’excellente pratique de réciter tous les soirs les sept psaumes pénitentiaux pour le repos de l’âme de sa mère. Or un soir, soit négligence, soit préoccupation d’esprit, il omit sa pieuse pratique. Mais son abbé, saint Etienne, était un homme de Dieu. Il connut par révélation, l’omission dont son cher disciple s’était rendu coupable, et le faisant venir le lendemain matin : Mon frère, lui dit-il, où avez-vous laissé hier la récitation de vos psaumes pénitentiaux, ou qui avez-vous chargé de ce soin ? Saint Bernard n’avait parlé à personne de sa pieuse pratique. Il fut surpris de voir que son abbé en eut connaissance, ainsi que de son omission, et se jetant à ses pieds, il lui promit d’y être fidèle désormais. Il connut par là combien cette prière est agréable à Dieu (Vie du saint, Bolland., 20 août) Enfin, toujours dans le même ordre d’idées, je trouve dans la vie du P. Jean Corneille, de la Compagnie de Jésus, une pratique encore plus courte et plus facile, c’est la récitation du psaume De profundis. Chaque fois que ce père se lavait les mains, il récitait le De profundis, en priant Dieu de purifier les âmes du purgatoire du reste de leurs fautes, et plusieurs visions miraculeuses vinrent attester que ce simple suffrage était très utile aux défunts. Un autre suffrage d’un très grand prix pour les défunts, c’est le Chemin de la Croix, tant à cause des nombreuses indulgences qui sont attachées à cet exercice, qu’à cause de l’excellence de cette prière en elle-même, puisqu’elle consiste essentiellement dans la méditation des souffrances de Jésus. C’est la grande immolation du Calvaire qui est pour tout pécheur l’instrument nécessaire de la Rédemption, et l’efficacité de ce sang divin découlant sur ces pauvres âmes du purgatoire, pour les purifier des restes de leurs souillures, ne saurait être mise en doute pour quiconque a la foi. Voici ce qu’on lit au sujet de cette précieuse dévotion dans la vie de la V. Marie d’Antigna. Elle avait eu longtemps la sainte pratique de faire chaque jour le Chemin de la Croix pour le soulagement des défunts, puis elle s’était un peu relâchée de sa première ferveur, et depuis quelque temps s’était abstenue de le faire. Notre Seigneur, qui avait de grands desseins sur cette âme, et qui voulait en faire une victime d’amour pour la consolation des pauvres âmes du purgatoire, sut bien la rappeler à son devoir. Un jour une religieuse du même monastère lui apparut, quelque temps après sa mort. – Ma sœur, lui dit-elle en gémissant, pourquoi ne faites-vous plus les stations du Chemin de la Croix pour moi et pour les autres âmes souffrantes, comme vous aviez coutume auparavant ? » En ce moment le doux Sauveur des âmes lui apparut avec un visage sévère : --» Ma fille, lui dit-il, je suis très fâché de ta négligence. Il faut que tu saches que les stations du Chemin de la Croix sont très profitables aux âmes du purgatoire. C’est pourquoi j’ai permis à cette âme de venir en son nom, et au nom de toutes les autres, se réclamer de toi. C’est là un suffrage d’une importance majeure. C’est parce que tu le faisais exactement autrefois, que tu as été favorisée de communications habituelles avec les défunts. C’est pour cela aussi que ces âmes reconnaissantes ne cessent de prier pour toi, et de plaider ta cause au tribunal de ma justice. Fais connaître ce trésor à tes sœurs, et dis-leur d’y puiser largement pour elles et pour les défunts. On peut aussi, et très utilement, réciter le Rosaire ou le chapelet pour le soulagement des défunts. Les pauvres âmes du purgatoire connaissent bien son efficacité. On lit dans la vie de la Mère Françoise du saint-Sacrement qu’elle récitait chaque jour le rosaire, pour la délivrance des défunts, et au lieu du Gloria Patri, elle terminait chaque dizaine par le verset requiescant in pace. Elle appelait son chapelet son aumônier. C’était lui, en effet, qui lui permettait de faire aux âmes du purgatoire de riches aumônes spirituelles, et de les mettre en état de s’acquitter envers Dieu. Aussi, dans les fréquentes visites que lui faisaient ces pauvres âmes, on les voyait lui prendre des mains son chapelet et le baiser avec respect, comme l’instrument de leur salut. Un autre dévot aux âmes du purgatoire, Joseph Nieremberg, dont j’ai déjà plusieurs fois parlé, avait aussi la coutume de réciter chaque jour le chapelet à la même intention. Il avait pour cela un chapelet enrichi de nombreuses indulgences. Il vint à le perdre, ce qui le chagrina beaucoup, à cause de ces pauvres âmes. Or, un soir que, faute de mieux, il offrait à Notre Seigneur sa bonne volonté, il entend au plafond de sa chambre un bruit singulier, il regarde, et voit tomber à ses pieds, son chapelet avec toutes les médailles qui y étaient attachées. Il ne douta pas que ce ne fussent les âmes du purgatoire qui le lui renvoyaient, pour l’encourager à persévérer dans une pratique qui leur était utile. (Loco citato.). J’ai parlé ailleurs de cette jeune fille morte dans l’état de péché mortel, et ressuscitée par saint Dominique, mais je remarquerai à propos de la dévotion du Rosaire que ce furent les prières des associés, qui lui obtinrent d’être délivrée du purgatoire, au bout de quinze jours. Elle avait été condamnée pour ses crimes à sept cents ans de purgatoire. On voit ici l’étonnante efficacité de cette pratique. Aussi cette âme bienheureuse, en apparaissant au saint pour le remercier, ajouta qu’elle venait comme ambassadrice au nom des âmes du purgatoire, le conjurant de prêcher partout, et de faire connaître à tout le monde la dévotion du saint Rosaire. Que les confrères dit-elle, appliquent à ces pauvres âmes les indulgences et les autres faveurs spirituelles dont ils possèdent dans cette dévotion un trésor si abondant. Ils n’y perdront rien, car les âmes ainsi délivrées, à leur tour, prieront pour leurs bienfaiteurs, quand ils seront en possession de la couronne. Les anges se réjouissent de cette dévotion, et la Reine du Ciel s’est déclarée la Mère de tous ceux qui l’embrassent. (Loco citato.) On voit qu’il ne se peut trouver rien de plus encourageant pour exciter les fidèles à réciter le rosaire ou au moins le chapelet en mémoire des défunts. C’est pour cela que, dans beaucoup de communautés religieuses, et en particulier dans tous les séminaires de saint-Sulpice, l’usage s’est établi d’ajouter une sixième dizaine à la récitation quotidienne du chapelet. Cette sixième dizaine est à l’intention des défunts, et l’on ajoute en terminant le De profundis, afin d’en appliquer le fruit spirituel aux âmes du purgatoire. Bien que tous les jours soient égaux devant l’éternité de Dieu, néanmoins, pour des raisons mystérieuses, qui restent cachées à la raison de l’homme, l’Eglise, interprète autorisé des volontés divines, a réservé certains jours plus particulièrement aux suffrages à faire en faveur des défunts, ces jours sont, après celui de la mort, le troisième, le septième, le trentième et l’anniversaire. Ces jours-là, la rubrique accorde des oraisons spéciales, une plus grande latitude est donnée de célébrer la messe de requiem, ce qui est une invitation à prier plus particulièrement ces jours-là pour ceux que nous avons perdus. Nous avons vu aussi que, chez les Bénédictions, et dans plusieurs familles religieuses, les trente jours qui suivent la mort sont consacrés à offrir des suffrages et à distribuer des aumônes à l’intention du défunt. C’est une tradition qui remonte à saint Grégoire le Grand, et qui s’appuie sur une révélation dont je parlerai plus loin. C’est encore une excellente pratique, tout à fait approuvée par l’Eglise, de faire des neuvaines de prières pour les âmes du purgatoire. On sait que le synode janséniste de Pistoie rangeait tous ces pieux usages de nos pères parmi les superstitions dont il prétendait purger l’Eglise. Le Pape Pie VI, en condamnant formellement ce synode, nous a donné la vraie pensée de l’Eglise. Sans doute, tous les jours sont bons pour la prière, et il faut se garder des vaines observances. Mais il faut se garder avec encore plus de soin de condamner ce que l’Eglise approuve, sous le beau prétexte que notre petit jugement n’en comprend pas les raisons. Ne soyons pas plus sages que notre Mère. Dans plusieurs endroits, les personnes pieuses ont coutume de consacrer un des jours de la semaine, le lundi ou le vendredi ordinairement, à prier pour les défunts. Le matin, on assiste au saint sacrifice à cette intention, et le soir on récite le rosaire ou l’on fait le chemin de croix pour eux.
Enfin, dans ces derniers temps, la dévotion des fidèles leur a suggéré de faire, pour le soulagement des âmes du purgatoire, ce qui se pratique partout en l’honneur de la très sainte Vierge, de prendre un mois tout entier, le mois de novembre, pour secourir les défunts. Le P. Faber recommande beaucoup cette dévotion, et je l’ai vue avec grande édification pratiquée, avec beaucoup de zèle et assiduité dans plusieurs églises.
Voilà un abrégé des souffrances que l’on peut offrir à Dieu en faveur des âmes souffrantes. Toutes ces pratiques sont excellentes, et, en même temps, toutes sont parfaitement facultatives. Ce qui ne l’est pas, comme je l’ai surabondamment démontré ailleurs, et c’est le principe même de la prière pour les morts. Il y a là une véritable obligation, obligation de justice, à l’égard de quelques-uns, obligation de charité envers tous.
Chapitre 20 Le saint sacrifice de la messe et la communion pour les défunts
Instituant des messes votives que l'on peut dire à cette attention.
Les théologiens se sont demandés si ces messes avaient une efficacité spéciale. Il est certain que le fruit essentiel du sacrifice reste le même, quelque soit la messe qu'on célèbre, mais on admet généralement qu'il y a, dans les prières de la messe de requiem, quand la rubrique ne s'y oppose pas, c'est-à-dire chaque fois qu'il n'y a pas une fête double ou une férie privilégiée. Les autres jours, on pêcherait en célébrant en noir quand la rubrique le défend. Il est vrai que les saints, éclairés d'une lumière spéciale, ont quelque fois passé par-dessus la prescription liturgique, mais ces exemples ne sont pas à imiter par nous, qui ne pouvons nous autoriser d'une dispense d'en haut, pour manquer aux lois de l'Eglise. On lit dans la vie du pape saint Célestin, qu'un jour de fête double de première classe (je crois me rappeler que c'était la fête de saint Jean-Baptiste), ayant connu par révélation la mort d'un prince qui avait été son ami, il célébra pour lui la messe de requiem, au grand étonnements des assistants. La même chose arriva, dit-on, au P. Anchieta, de la Compagnie de Jésus, que l'on avait surnommé, à cause de son grand zèle, l'apôtre du Brésil. Le jour de la fête de saint Jean l'Évangéliste, pendant l'octave de Noël, il célébra en noir, au grand étonnement de ses frères, qui connaissaient son obéissance scrupuleuse aux moindres règles de la liturgie. C'est pourquoi le supérieur de la maison lui en fit la remontrance publique. A quoi le bon Père répondit humblement qu'il s'était senti inspiré d'agir ainsi, malgré les rubriques, parce que Dieu lui avait fait connaître qu'un prêtre de la Compagnie, qui avait été son condisciple à l'université de Coïmbe, venait de mourir à la résidence de Lorette en Italie. - "Eh bien ! Mon Père, ajouta le supérieur, savez-vous au moins si ce sacrifice a profité à son âme ?" - Oui, reprit avec sa modestie ordinaire le P. Anchieta, immédiatement après le mémento des morts, Notre Seigneur m’a fait voir cette chère âme délivrée de toutes ses peines et montant au ciel où l'attendait sa couronne. (voir Jacques Hautin. Patricinium defuncti). Encore une fois, disons que les saints ont leurs raisons d'en agir ainsi, mais pour nous, ce serait présomption de les imiter en cela. Je veux dire quelque chose ici d'une dévotion assez peu connue en France, mais très répandue en Italie, et qui est encore d'usage dans plusieurs ordres religieux, particulièrement dans la grande famille Bénédictine, où cette dévotion a pris naissance, voici à quelle occasion : saint Grégoire le Grand rapporte, dans ses dialogues (liv. IV, chap. XL), qu'un moine de son monastère, nommé Juste, exerçait la médecine, avec la permission de ses supérieurs. Il en avait profité pour recevoir, en cachette de son abbé, trois écus d'or. C'était une faute grave contre la pauvreté religieuse et monastique. Mais touché des remontrances de son frère Copiosus, à qui il avait avoué sa faute, humilié par la peine salutaire de l'excommunication, qui avait été prononcée contre lui, il mourut dans de vrais sentiments de repentir. Cependant saint Grégoire voulant inspirer à tous les frères une juste horreur du crime de propriété dans un religieux, ne leva pas pour cela l'excommunication. Il fut donc enterré à l'écart, dans l'endroit où l'on déposait les immondices, et les trois écus d'or furent jetés dans la fosse, pendant que les religieux répétaient la parole de saint Pierre à Simon le Magicien : pereat pecunia tua tecum. Que ton argent périsse avec toi. Mais quelques temps après, le saint abbé se sentant touché de compassion, fit appeler l'économe Pretiosus, et lui dit avec tristesse : "il y a longtemps que notre frère défunt est torturé dans les flammes du purgatoire. Nous devons, par charité, nous efforcer de l'en délivrer. Allez donc, et à partir d'aujourd'hui offrez pour lui le saint Sacrifice, pendant trente jours. N'en laissez passer aucun sans que l'hostie de propitiation soit immolée pour sa délivrance. " L'économe se mit aussitôt en devoir d'obéir, mais occupé à mille autres soins, il ne songeait pas, non plus que l'abbé, à compter les jours. Une nuit, le défunt apparut à son frère Copiosus : - "Eh! Quoi, c'est vous ! Comment vous trouvez-vous à cette heure ? " - "Jusqu'à présent, j'étais très mal, répondit l'apparition, mais à présent, je suis bien, car aujourd'hui même je suis admis dans la société des saints. " On compta les jours qui s'étaient écoulés depuis que l'on avait commencé d'offrir pour lui le divin Sacrifice, et l'on reconnut que ce jour était précisément le trentième. C'est depuis lors que s'établit le pieux usage de faire célébrer des trentains de messes pour les défunts. Cet usage commença naturellement par les monastères de Bénédictins où il est encore religieusement observé. Lorsqu'un religieux Bénédictin vient à mourir, on célèbre pendant trente jours le saint Sacrifice pour le repos de son âme. Pendant tout ce temps, on lui sert sa portion au réfectoire, comme s'il était encore au nombre des vivants. Seulement un grand crucifix de bois est posé à sa place, et l'on donne chaque jour cette part aux pauvres. Dieu s'est plu à témoigner, par plusieurs révélations, qu'il avait pour très agréable ce double suffrage de l'aumône et du saint Sacrifice. On croit généralement qu'une indulgence plénière, en forme de Jubilé, a été accordée par les souverains Pontifes à cette pratique, en sorte que si la justice de Dieu n'y met pas d'ailleurs obstacles, on est sûr d'obtenir ainsi la délivrance de l'âme à qui on applique ce trentain. Il faut observer ici quelques règles. Ces trente messes dites de saint Grégoire, doivent être célébrées de suite, sans aucune interruption, même les jours de grandes fêtes. Benoît XIV a déclaré que, si dans le cours de ce trentain, se rencontrent les trois derniers jours de la semaine sainte, où il n'est pas permis de célébrer des messes privées, il faut continuer après ces trois jours, en tenant compte, des messes omises. Du reste, il n'est nullement nécessaire, il est même absolument défendu de célébrer ces messes en noir, les jours où la rubrique le défend. Les jours de fêtes doubles et fêtes privilégiées, on satisfait en disant la messe en noir. Un mot sur les autels privilégiés. C'est une faveur que le Souverain Pontife attache à un autel, en vertu de laquelle faveur, toutes les messes que l'on célèbre à cet autel jouissent d'une indulgence plénière, applicable au défunt pour qui l'on célèbre. D'autre fois le privilège est personnel, c'est-à-dire qu'au lieu d'être attaché à la pierre sacrée, il appartient à la personne du prêtre qui le porte avec lui, en quelques lieux qu'il célèbre. Ce privilège emporte en soi la délivrance de l'âme pour qui l'on célèbre. Néanmoins, l'Eglise n'ayant plus juridiction sur les âmes du purgatoire, ne peut leur appliquer cette indulgence, comme elle fait aux vivants, par mode d'absolution mais par mode d'impétration seulement. Par conséquent, on n'est jamais sûr que Dieu accepte cette indulgence intégralement, et l'on ne peut s'appuyer là-dessus pour ne célébrer qu'une seule messe en faveur de ce défunt. Ce serait exposer cette pauvre âme à de tristes mécomptes. On trouvera dans tous les rubricistes les règles qui concernent ces sortes de messes. Je dirai seulement que, pour éviter toute espèce de simonie, la sainte Eglise défend très sagement de recevoir un honoraire plus élevé pour ces sortes de messes. En terminant, je veux parler de la communion pour les défunts, à cause de la connexité des matières. Après l'oblation du saint Sacrifice, la communion faite en faveur d'un défunt est le suffrage le plus utile qu'on puisse lui appliquer. La raison en est évidente. Dans la communion, Jésus se donne à nous tout entier, il est donc bien facile de l'offrir à Dieu le Père, pour être la rançon de ces pauvres âmes. C'était la dévotion favorite de sainte Madeleine de Pazzi. On voit dans sa vie que son frère lui apparut après sa mort délivré, de cent sept communions, ce que la sainte accomplit fidèlement le plus tôt qu'il fut possible. Sur quoi je ferai remarquer qu'il ne faut pas se contenter de communier une fois ou deux à l'intention des âmes que l'on veut soulager. Le frère de sainte Madeleine de Pazzi était un bon chrétien qui avait vécu très honnêtement dans le siècle. D'un autre côté, nous ne pouvons douter que la sainte n'apportât à ces communions libératrices toute la faveur possible. Avec tout cela, il ne lui fallut pas moins de cent sept communions pour obtenir la délivrance de son frère? Jugeons par là de ce que nous devons faire, nous, dont les dispositions sont loin d'être si parfaites. (V. Vie de la sainte) Le vénérable Louis de Blois, dans son Miroir spirituel, ch. VI, rapporte qu'un grand serviteur de Dieu reçut la visite d'une âme du purgatoire, qui endurait de cruels tourments pour sa négligence à se préparer à recevoir dignement la sainte Eucharistie, pendant les jours de son pèlerinage. Cette âme ne pouvait être délivrée que par une communion fervente, qui compensait sa tiédeur passée. Son ami s'empressa de la satisfaire, et alors elle lui apparut brillante d'un incomparable éclat et montant au ciel. La bienheureuse Jeanne de la Croix, de l'ordre de saint-François, vit un jour entrer dans son humble cellule un ange du ciel qui lui apporta une hostie consacrée, afin qu'elle communiât le lendemain, en faveur d'une âme du purgatoire, qui, pendant sa vie, avait été dévote qu'en récompense de sa faveur, elle serait délivrée par cette communion. (Vie de la B., ch. VIII). On voit par ces exemples que saint Bonaventure avait raison de dire dans son traité de De proeparatione missoe. "Que la charité nous porte à communier en faveur des défunts, car il ne se peut rien faire de plus efficace pour leur délivrance". Après cela nous serions vraiment bien inexcusables, si, avec de pareils trésors en main, nous laissions languir les pauvres âmes dans le purgatoire. Eh ! Quoi, Jésus-Christ nous remet son sang. Le sang du Calvaire, pour la rédemption des âmes, et nous ne savons qu'en faire ! Au jour des justices nous serons stupéfaits d'avoir gaspillé de pareils trésors. Mais hélas ! Il sera trop tard. Ah ! Plutôt, mettons en pratique ce conseil de Tobie : panem tuum super sepulturam justi constitue. Posez votre pain sur le sépulcre du juste. Ce pain, c'est la divine Eucharistie, c'est le pain vivant descendu du Ciel, qui seul peut rassasier la faim surnaturelle de ces âmes. Et bientôt délivrées de l'épreuve, elles s'en iront au Ciel, contempler, dans le ravissement éternel des saints, celui que, pendant les jours de leur vie mortelle, elles ont adoré sous les voiles eucharistiques, et dont le sang précieux, découlant de dessus l'autel jusque dans les abîmes du purgatoire, les a purifiées des restes de leurs souillures.
Jesu, quem velatum nunc aspicio, Oro, fiat illud quod tam sitio ! Ut te revelata cernens facie Visu sim beatus tuae gloriae
Chapitre 21 Des Indulgences
Théologie de l’indulgence – Comment elle est applicable aux défunts. – Valeur et efficacité de cette œuvre. – Exemples des saints. – Conditions requises pour gagner les indulgences et les appliquer aux morts. – Des principales indulgences que l’on peut appliquer ainsi. – De la bulle Sabbatine.
 La seconde manière d’appliquer aux âmes souffrantes les mérites du sang rédempteur, c’est de gagner pour elles les indulgences de la sainte Eglise. Mais ici, il convient d’entrer dans le détail et d’étudier en théologien la notion de l’indulgence. L’indulgence est la rémission de la peine temporelle qui reste à subir au pécheur, après que la coulpe lui a été remise par l’absolution. Ainsi, l’indulgence, par elle-même, ne remet aucun péché, mais seulement la peine temporelle que Dieu attache à chacune de nos fautes, et qu’il faut nécessairement subir en ce monde ou en l’autre. L’Eglise a-t-elle le pouvoir de remettre ainsi la peine du péché ? Non, disent les protestants. Oui, répond l’Eglise avec toute la tradition. Le Christ, mon époux, m’a donné tout pouvoir de lier et de délier. Il m’a confié les clefs du Royaume du Ciel, et par conséquent, il m’a donné le pouvoir d’écarter les obstacles qui peuvent arrêter les âmes à la porte. D’ailleurs, quand j’accorde des indulgences, j’offre à Dieu quelque chose qui vaut bien la peine temporelle que le pécheur devait subir. Les satisfactions surabondantes de Jésus-Christ, de la sainte Vierge et des saints en vertu de la communion de mérites qui unit tous… fin : mes fils, tombent entre mes mains et forment un trésor de satisfactions, que tous les péchés du monde ne sauraient épuiser. Quel meilleur emploi puis-je faire de ces richesses, qu’en les partageant aux âmes de bonne volonté qui font tout ce qu’elles peuvent pour se délivrer elles-mêmes, mais qui restent écrasées sous le poids de leurs dettes accumulées. Il n’y a rien à répondre à ces paroles de la sainte Eglise. Tout le monde convient que notre doux Sauveur a satisfait bien au-delà de ce que la justice de Dieu pouvait exiger. Pourquoi ce trésor de satisfactions surabondantes resterait-il à jamais inutile ? Qui peut en avoir la libre disposition, sinon l’Eglise qu’il a faite dépositaire de tous ses mérites ? D’autre part, l’Eglise, qui a les paroles de la vie éternelle, nous affirme qu’il en est ainsi. Comment nous refuserions-nous de le croire, puisque nous voyons, dans l’Evangile, que Jésus-Christ a promis de l’assister, dans son enseignement infaillible, jusqu’à la fin des siècles ? La plupart des objections que l’on fait contre les indulgences viennent de ce que l’on fait trop attention à quelques abus qui ne prouvent rien contre la vérité du principe lui-même. Il est certain que les pasteurs de l’Eglise ne peuvent distribuer les mérites du Christ à leur fantaisie, et sans une raison proportionnées. S’ils le font, ils pèchent gravement, et l’indulgence qu’ils publient n’est pas ratifiée dans le Ciel. Mais nous, prêtre ou fidèles, nous n’avons pas à nous inquiéter de cela. C’est l’affaire des pasteurs suprêmes. Pour nous, en suivant la direction de la sainte Eglise, nous sommes sûrs de ne rien faire contre la volonté de Dieu. Cela doit suffire. Que Léon X, pour prendre un exemple trop célèbre, ait… fin : excédé le pouvoir des clefs, en accordant l’indulgence plénière à ceux qui contribuaient, par leurs aumônes, à l’édification de la basilique de saint-Pierre, c’est possible, à la rigueur, bien que ce ne soit nullement prouvé. Dans ce cas, il en rendra compte à celui dont il est vicaire. Mais vous, Luther, qui vous a donné le droit de juger les raisons du Pontife ? Laissez les fidèles à l’obéissance due à leurs légitimes pasteurs. Après tout, s’il y a eu abus, le mal n’est pas grand. Si Dieu n’a pas ratifié l’indulgence accordée par son vicaire, les fidèles ne le gagneront pas, mais ils auront toujours fait une bonne œuvre. Ne voyez-vous pas que vous allez déchirer l’Eglise, lui enlever des millions d’enfants et jeter dans le monde chrétien une perturbation qui ne sera pas apaisée au bout de trois siècles et demie. Comme tout s’enchaîne dans le dogme, en attaquant les indulgences, vous allez être forcé de sacrifier la notion même du purgatoire, la messe, la tradition, tout ce que vous avez cru, tout ce que vous avez aimé jusqu’à ce jour. Mais qu’importe à Luther ? Il a dévoilé les friponneries de Babylone. C’est assez pour sa gloire. D’autres ont dit que l’indulgence détruisait la pénitence puisqu’il suffit d’une légère aumône ou de quelque bonne œuvre du même genre, pour obtenir le pardon de ses fautes. On a même dressé des catalogues, des tarifs, pour la rémission des péchés dans l’Eglise romaine, tant pour l’adultère, tant pour le vol, tant pour l’homicide, etc. Ce sont-là de graves erreurs, ou de grosses calomnies. L’indulgence ne remet aucun péché, si léger qu’il soit, elle remet seulement la peine du péché, et encore aux vrais pénitents. Vere poenitentibus, c’est-à-dire à ceux qui font déjà tout ce qu’ils peuvent pour s’acquitter eux-mêmes. C’est un secours donné à notre faiblesse, ce n’est pas un encouragement à notre lâcheté. Que peut-on trouver à redire à ce… fin : que l’Eglise applique les satisfactions surabondantes de Jésus-Christ et des saints, à ceux qui font déjà tout ce qu’ils peuvent pour s’acquitter de leurs dettes ? Venons maintenant à l’indulgence considérée dans son application aux défunts. Il est de foi que l’Eglise a le pouvoir d’appliquer des indulgences aux défunts. Mais ici elle ne procède pas de la même manière que pour les vivants. En voici la raison : Quand l’Eglise accorde une indulgence à ceux de ses fils qui sont encore sur la terre, elle use de son pouvoir judiciaire, et leur applique l’indulgence par mode d’absolution, elle ne peut plus lier ni délier dans le purgatoire. Elle leur applique donc les indulgences par mode de suffrage, c’est-à-dire qu’elle prie Dieu de transférer au défunt qu’elle a en vue l’indulgence déjà gagnée par un de ses enfants. Dieu accepte-t-il, toujours, au moins intégralement, ce suffrage ? Quelques théologiens l’affirment, d’autres le nient. Au fond, c’est la question que j’ai traitée ailleurs, à propos de l’acceptation générale des suffrages et bonnes œuvres que l’on fait pour les défunts. Je crois volontiers que Dieu s’est réservé sa liberté à cet égard. Un bon nombre de révélations que j’ai citées nous montrent que, tantôt Dieu accepte intégralement ce que nous lui offrons pour un défunt, tantôt il l’accepte en partie seulement, et d’autres fois, pour des raisons connues de sa justice, il rejette entièrement, ou applique à un autre défunt les suffrages qu’on lui offre. Il en résulte qu’il ne faut jamais se reposer en disant : J’ai appliqué une indulgence plénière à tel défunt. Il est maintenant hors de peine. On sait que l’on divise les indulgences, en indulgence plénière, qui remet toute la peine due aux péchés, et indulgence… fin : partielle, qui n’en remet seulement qu’une partie. A l’égard de cette dernière indulgence, il faut se tenir en garde contre une erreur grossière qui consiste à croire qu’une indulgence de trois ans, par exemple, répond à une diminution de trois ans de purgatoire. Nous ne connaissons pas assez le rapport du temps à l’éternité pour raisonner ainsi. Dans la pensée de l’Eglise, une indulgence de trois ans, répond simplement à trois années de la pénitence canonique qu’elle imposait dans les siècles de ferveur aux pécheurs repentants. Une indulgence de sept ans et de sept quarantaines répond à sept ans et sept carêmes de pénitence canonique, et ainsi des autres. On voit maintenant la valeur et l’efficacité des indulgences. Leur valeur est infinie puisque c’est l’application des mérites de Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est pourquoi les saints ont toujours montré la plus vive émulation à gagner les indulgences, soit pour eux, soit pour les appliquer aux défunts. C’était une des pratiques de la Mère Françoise du saint-Sacrement. On lit dans sa vie un trait bien touchant à cet égard. Son évêque, Christophe de Ribéra, ayant appris par elle que trois de ses prédécesseurs sur le siège de Pampelune étaient encore dans le purgatoire, s’empressa de les soulager de son mieux, et comme on distribuait alors en Espagne des bulles dites de la croisade, accordant une indulgence plénière aux fidèles de ce royaume qui contribuaient en quelque manière à la guerre contre les Maures, il en envoya quatorze à cette bonne religieuse, en la priant d’en appliquer une à chacun des trois évêques et les onze autres à son choix. La nuit suivante, les trois prélats apparurent à la Mère Françoise pour la prier de remercier Ribéra de leur part, car ils étaient délivrés de toutes leurs peines. La sainte Mère reçut à cette occasion… fin : la visite d’un grand nombre d’âmes, qui la suppliaient de leur accorder les onze indulgences plénières, qui restaient à sa disposition. Elle eut bien voulu les soulager toutes, mais forcée de se limiter, elle fit son choix sous l’inspiration de Dieu, et délivra encore onze âmes de leurs supplices. (Voir vie de la Mère Françoise, loco citato.) Sainte Madeleine de Pazzi n’était pas moins empressée à profiter, en faveur des âmes souffrantes, de ces trésors de l’Eglise. Dieu l’en récompensa par une vision miraculeuse, qui lui fit bien comprendre la valeur des indulgences. Une de ses sœurs venait de mourir. C’était une religieuse de grande vertu, mais celui qui découvre des taches dans les anges, la condamna à un purgatoire long et rigoureux. Cependant la sainte était restée en prière au pied de la bière, et s’efforçait de lui acquérir le mérite de nombreux suffrages indulgenciés. Il y avait quinze heures que la défunte avait paru devant son juge, quand Madeleine vit son âme plus belle et plus brillante que le soleil monter vers le ciel. « Adieu, ô ma sœur chérie, s’écria la sainte, adieu, âme bienheureuse, vous vous en allez donc en paradis, m’abandonnant dans cette vallée de larmes. Oh ! Combien votre gloire est grande ! Que l’épreuve du purgatoire a été courte pour vous ! Vos restes mortels ne sont pas encore déposés dans la terre, et déjà votre âme est entrée dans l’éternelle patrie ! Vous voyez maintenant la vérité de ce que je vous disais : que les misères de cette vie et l’expiation passagère du purgatoire ne sont rien, comparées à ce que l’Epoux vous réservait auprès de lui ! » En même temps Notre Seigneur lui révéla que cette âme bienheureuse n’était restée que quinze heures dans le purgatoire, à cause des nombreuses indulgences qu’on lui avait appliquées. (Vie de la sainte.) Voici un fait encore surprenant. J’ai lu dans un des… fin : ouvrages de sainte Thérèse, dont le titre m’échappe en ce moment, qu’une religieuse d’une vertu très commune, étant venue à mourir, la sainte la vit, à sa grande surprise, monter au ciel, presque aussitôt après sa mort, en sorte qu’elle n’eut pas, pour ainsi dire, de purgatoire à faire. Et comme la sainte en exprimait son étonnement à Notre Seigneur, celui-ci lui fit connaître que cette bonne religieuse avait toujours eu le plus grand respect pour les indulgences de la sainte Eglise, et qu’elle s’était efforcée d’en gagner le plus possible pendant sa vie. C’est à cela qu’elle devait d’avoir presque entièrement acquitté ses dettes très nombreuses, quand elle arriva au tribunal de Dieu. On lit dans la chronique des frères Mineurs (2ème part., liv. 2, ch. 30,) que le Bse Berthold, célèbre prédicateur franciscain avait obtenu du souverain pontife dix jours d’indulgences, pour chacun de ceux qui assisteraient à ses sermons. Un jour qu’il avait admirablement prêché sur l’aumône, une dame de condition, que des malheurs de famille avait réduite à la plus profonde misère, se présente à lui à la sacristie. Elle lui expose sa triste situation, et le conjure de lui venir en aide. Le bon Père, lui fit la réponse de l’Apôtre : Je n’ai ni or, ni argent, mais ce que j’ai, je vous le donne de bon cœur. Pour le bien des âmes que je suis appelé à évangéliser, le saint-Père m’a donné le privilège d’accorder dix jours d’indulgence à chacun de mes auditeurs. Allez donc chez tel banquier, plus soucieux jusqu’ici des biens matériels que des trésors de l’esprit. Offrez-lui en retour de l’aumône qu’il vous fera, de lui céder, pour ses propres péchés, les dix jours d’indulgence que vous avez gagnés ce matin. Dieu me fait connaître qu’il vous recevra favorablement. Heureusement, les banquiers de cette époque ne ressemblaient pas encore à ceux de nos jours. Qu’on imagine… fin : avec quel éclat de rire serait accueillie une pareille proposition, par un de nos princes de la finance. Celui-ci accueillit avec bonté cette pauvre femme. « Combien demandez-vous en échange de vos dix jours d’indulgence ? » -» Autant, répondit-elle avec foi, qu’ils pèsent dans la balance. » On apporte une paire de balance. Elle écrit sur un bout de papier ces dix jours d’indulgences, le dépose dans un des plateaux, et le banquier met dans l’autre un réal (petite monnaie d’Espagne valant 27 cent.) Le plateau des indulgences s’abaisse. Le banquier ajoute un second réal, puis dix, trente, cinquante. Les deux plateaux ne s’équilibrèrent que lorsqu’on fut arrivé à une somme assez élevée, dont cette personne avait besoin pour se tirer d’embarras. L’histoire dit que la leçon profita au banquier, et qu’à partir de cette heure, il apprit à faire plus de cas des richesses spirituelles. Ceci rappelle une vision dont fut favorisée la Bse Marie. Etant ravie en extase, elle vit, au milieu d’une place publique, une grande table, sur laquelle étaient des monceaux d’or, d’argent, de diamants et de pierres précieuses. En même temps elle entendit une voix qui disait : « Ces richesses sont communes à tous. Que chacun s’approche et en recueille autant qu’il lui plaît. » Dieu lui fit connaître que c’était une image des indulgences, qu’il met ainsi à la portée de toutes les âmes de bonne volonté. Voici pour la valeur des indulgences. Quant à leur efficacité, comme œuvre satisfactoire, elle dépend des dispositions de celui qui l’applique, et aussi des dispositions du défunt à qui elle est appliquée. Il faut donc voir maintenant à quelques conditions nous pouvons gagner des indulgences pour nos chers défunts.
1°) Il faut faire exactement tout ce qui est prescrit par le bref de concession. Si donc il arrivait, même sans qu’il… fin : y eût de sa faute, que l’on omît une partie notable de ce qui est prescrit, on ne pourrait gagner l’indulgence. Car c’est un axiome de droit que l’indulgence vaut dans les termes de l’œuvre prescrite, une prière, contre une autre, même plus importante. Il faut faire ici quelques observations. Pour l’indulgence plénière, il est ordinairement requis de se confesser et de communier, mais les personnes qui ont l’habitude de se confesser chaque semaine, peuvent, avec cette seule confession, gagner toutes les indulgences qui se rencontrent pendant la semaine. Il n’y a d’exception que pour l’indulgence du Jubilé qui requiert une confession spéciale. De même, on peut, par une seule communion, gagner le même jour plusieurs indulgences plénières, accordées pour diverses fins, pourvu que l’on fasse toutes les autres œuvres prescrites. Ordinairement il faut, pour gagner l’indulgence plénière, réciter quelques prières aux intentions du souverain pontife. Ces prières sont laissées au choix des fidèles. Cinq Pater et cinq Ave, une dizaine de chapelet, ou d’autres prières équivalentes, sont regardées par les théologiens comme suffisantes. Observons encore que l’on ne satisferait pas en appliquant à cette intention des prières d’obligation comme la pénitence sacramentelle, par exemple.
2°) Il faut être en état de grâce, au moins au moment où l’on fait la dernière œuvre, et avoir une vraie volonté de satisfaire pour soi-même, autant que l’on peut. La raison en est que, pour pouvoir appliquer une indulgence à un défunt, il faut commencer par la gagner soi-même. Or dans l’état de péché mortel il est impossible de gagner la moindre indulgence. fin : Il faut que la coulpe du péché ait été remise par l’absolution, alors seulement si l’on est vraiment pénitent, et décidé à faire tout ce que l’on peut pour s’acquitter, notre bonne mère l’Eglise vient à notre secours, en nous remettant tout ou partie de notre peine. Le péché véniel n’empêche pas de gagner une indulgence, mais il empêche de la gagner plénière, puisque, tant qu’il n’est pas pardonné quand à la coulpe, il est impossible d’obtenir la remise de la peine qui est attachée à ce péché.
3°) Il faut que cette indulgence soit applicable aux défunts, et qu’on ait l’intention de la leur appliquer. Toutes les indulgences ne sont pas, en effet, applicables aux défunts, et pour celles qui leur sont applicables, il faut que nous ayons l’intention positive de leur en céder le fruit, autrement Dieu le réserve pour nous. On voit par là qu’il n’est pas si facile que l’on croit de gagner une indulgence plénière intégralement. Il faut pour cela l’exemption de tout péché véniel si léger qu’il soit, l’exemption de toute affection au péché véniel, une grande ferveur de charité, une contrition universelle et un véritable esprit de pénitence. Il est bien possible que nous ne soyons jamais dans une disposition d’âme assez parfaite pour gagner, pendant toute notre vie, une seule indulgence plénière. Mais nous la gagnerons toujours en partie, dans la mesure de notre pureté de cœur et de notre ferveur. Or, plusieurs indulgences partielles peuvent équivaloir comme résultat à une indulgence plénière, lorsqu’elles arrivent à compenser le chiffre de notre dette. Du côté des défunts, à qui l’on applique l’indulgence, il faut en outre : 1°) Qu’ils soient réellement en purgatoire. Sainte Françoise Romaine nous apprend, dans ses révélations, que… fin : les indulgences que l’on applique à un défunt qui a le malheur d’être en enfer, retournent à celui qui avait l’intention de l’appliquer, et qu’elle ne profite qu’à lui. Si le défunt est au ciel, cette indulgence, en vertu de la communion des saints, profite aux autres âmes du purgatoire.
 2°) Il faut que Dieu accepte cette indulgence, j’ai dit plus haut qu’il est plus probable qu’il s’est réservé sa liberté à cet égard. Saint Thomas pense aussi que le degré de ferveur dans lequel est mort le défunt est la mesure dont la justice divine se sert pour lui appliquer l’indulgence, et les autres suffrages que l’on fait pour lui. Cette opinion est tout à fait d’accord avec plusieurs révélations que j’ai citées, où l’on voit les âmes tièdes et négligentes pendant leur vie, moins efficacement secourues que les autres, surtout si elles se sont montrées égoïstes, comme cela arrive d’ordinaire, et si elles ont négligé de prier pour les pauvres défunts. Disons un mot des principales indulgences que nous pouvons gagner pour les défunts. Mon dessein n’est pas ici de donner un catalogue complet, il y faudrait tout un livre, mais, d’indiquer seulement aux âmes de bonne volonté, parmi les pratiques qui reviennent le plus ordinairement dans leurs prières chaque jour, celles qui sont enrichies du privilège de l’indulgence.
1°) Le chapelet. Ttout bon chrétien dit son chapelet chaque jour, or il y a un grand nombre d’indulgences, soit plénières, soit partielles, attachées à la récitation du chapelet, pourvu qu’il ait été indulgencié par un prêtre qui en ait le pouvoir. Observons que, dans ce cas, ce chapelet ainsi indulgencié, ne peut se prêter ni se transmettre à une autre personne, à l’intention de lui faire gagner les indulgences. fin.
2°) Le chemin de croix. Il y a plusieurs indulgences plénières, et un grand nombre de partielles, pour ceux qui font pieusement les XIV stations du chemin de croix. Ces indulgences ne requièrent pas la confession et la communion, il faut faire ces XIV stations de suite, en allant de l’une à l’autre, si l’on est seul. Si on les fait en commun, il suffit de se relever entre chaque station, aucune prière n’est prescrite en particulier. L’essentiel c’est de méditer quelques instants devant chaque station sur le mystère qu’elle représente.
3°) Les actes de foi, d’espérance et de charité. Sept ans et sept quarantaines chaque fois qu’on les récite. Indulgence plénière une fois le mois, si on les a récités tous les jours. Pour cette indulgence il faut se confesser, communier et prier aux intentions du souverain pontife. Aucune formule n’est prescrite, il suffit que les motifs de chacune de ces vertus soient exprimés. N’oublions pas qu’il y a une obligation grave de formuler, au moins de temps en temps, des actes de foi, d’espérance et de charité.
 4°) Les litanies du saint nom de Jésus. Trois cents jours chaque fois.
 5°) Les litanies de la sainte Vierge. Trois cent jours chaque fois. Et une indulgence plénière, les jours de l’Immaculée Conception, de la Nativité de la sainte Vierge, de l’Annonciation, de la Purification, de l’Assomption, si on les récite tout l’année.
 6°) L’Angelus. Cent jours chaque fois au son de la cloche, et si on la récite au moins une fois chaque jour, indulgence plénière une fois le mois.
7°) Après la sainte communion, la prière O bone et dulcissime Jesu. O bon et très doux Jésus, en priant aux intentions ordinaires, on gagne une indulgence plénière chaque fois.
 8°) Faire le mois de Marie chaque jour, trois cents jours, et une indulgence plénière à la fin du mois, aux conditions ordinaires. Il en est de même pour le mois du Sacré-Cœur. Je pourrais indiquer bien d’autres indulgences qui sont attachées à beaucoup de pieuses prières, confréries, etc. Ce n’est pas mon intention. J’ai indiqué celles-ci parce qu’elles sont attachées à des œuvres que toute personne chrétienne doit pratiquer. On voit par là combien il serait facile de s’enrichir et de secourir les pauvres âmes du purgatoire, si notre apathie ne nous faisait malheureusement gaspiller ces trésors.
 Je ferai une exception cependant, pour la célèbre bulle Sabbatine, qui revient trop bien à mon sujet, pour que je la passe sous silence. On sait que la très sainte Vierge donna le scapulaire à saint Simon Stok, comme une marque à quoi l’on reconnaîtrait ses dévots serviteurs. Mais ce que l’on ne sait pas assez c’est que les plus précieux privilèges sont attachés à cette dévotion. Je ne parle pas ici des indulgences nombreuses, soit plénières, soit partielles, que les souverains pontifes ont accordées aux confrères, indulgences qui sont plus ou moins communes à toutes les confréries. Je veux parler de deux privilèges spéciaux qui ne regardent que les confrères du saint scapulaire. Le premier est l’exemption des peines de l’enfer, pour tous ceux qui ont porté pieusement le saint habit jusqu’à la mort. Il y a là quelque chose qui paraît exorbitant au premier abord, mais en y réfléchissant, on voit facilement que ce privilège n’a rien d’incompatible avec la sainte doctrine. Il est évident que la très sainte Vierge n’a pas pu promettre que ceux qui meurent dans l’état du péché mortel, … : même revêtus du saint scapulaire, seront exempts des peines de l’enfer. Mais rien n’empêche de croire que sa miséricordieuse tendresse disposera les choses de manière que tous ceux qui meurent revêtus de son saint habit, auront la grâce efficace pour se confesser dignement et pleurer leurs fautes, ou que, s’ils sont surpris par la mort subite, ils auront le temps et la volonté de faire leur acte de contrition parfaite. Cela ne dépasse nullement le pouvoir de notre bonne Mère, et puisqu’elle a solennellement promis au Bse Simon qu’il en serait ainsi, in hoc moriens, oeternum non patietur incendium, nous devons la croire sur parole. D’ailleurs, on ferait un volume des faits miraculeux qui témoignent de l’accomplissement de cette promesse. J’en citerai un seul, bien propre à faire réfléchir les pécheurs endurcis, qui voudraient abuser des miséricordieuses paroles de Marie. J’ai lu, dans un pieux auteur, qu’un homme qui vivait dans l’habitude du péché mortel, avait pris le saint scapulaire, et le portait constamment. A ceux qui le pressaient de se convertir, il répondait en ricanant, qu’il n’avait pas besoin de s’en préoccuper, puisque avec son scapulaire, il était bien sûr d’échapper aux flammes éternelles. Arriva la dernière maladie. Son curé fit tous ses efforts pour toucher ce malheureux et l’amener à une sincère conversion. Peine perdue. – « A quoi bon me confesser, disait-il, j’ai un passeport pour le Ciel qui vaut mieux que les absolutions du curé ». Ses parents, ses amis, rangés autour de son lit d’agonie étaient consternés d’une pareille impiété. Cependant, la mort approchait, tout à coup l’agonisant se soulève à demi sur sa couche. Ses yeux sont hagards, ses gestes convulsés. – « Le démon ! Le démon ! Ne voyez-vous pas le démon qui vient me saisir ! » Alors prenant le scapulaire qu’il portait sur lui, aujourd'hui samedi, grâce aux privilèges accordés aux confrères du saint Scapulaire, votre Mère est montée au ciel. Réjouissez-vous donc, car si vous avez perdu une mère ici-bas, vous avez retrouvé là-haut une puissante protectrice". (Voir les miracles du Carmel, année 3). Tels sont les deux privilèges du saint Scapulaire, ils parurent si grands au souverain pontife Jean XXII, qu'il refusa d'abord de les ratifier. Mais la très sainte Vierge lui étant apparue, la nuit suivante, et lui ayant renouvelé les promesses faites au Bse Simon Stok, il les confirma dans la bulle appelée Sabbatine, à cause du privilège du samedi, dont elle fait mention Je sais que cette bulle ayant été perdue, dans la suite des temps, ne se trouve plus au bullaire, mais son authenticité reste prouvée par une tradition constante. Aussi, bien que plusieurs aient élevé des doutes sur son existence, le grand pape Benoît XIV, dont la science éminente et la modération doctrinale sont connues, se prononce en sa faveur. D'ailleurs, l'Eglise fait mention de ces privilèges au bréviaire romain, le 16 juillet. Il serait donc au moins téméraire de les mettre en doute. Ne soyons pas plus difficiles que la sainte Eglise. S'il est bon d'éprouver tout esprit, et de ne pas se livrer à la première révélation venue, il faut éviter avec plus de soin encore cet esprit pointilleux qui se scandalise de tout, et trouve des difficultés partout. Cet esprit-là, c'est l'esprit janséniste et protestant. L'esprit du schisme et de l'hérésie. Il a encore un autre nom, il s'appelle l'esprit d'orgueil. L'esprit catholique est tout autre : comme il connaît les miséricordieuses tendresses du Sauveur Jésus pour les siens, il n'est pas facile à s'étonner, il sait que nous ne pourrons jamais aller jusqu'au fond des merveilleuses inventions de la tendresse divine? Les privilèges du Carmel lui paraissent tout naturels. Les chapelets, les indulgences sont pour lui des instruments de salut, tout simples, dont il use de son mieux pour lui et pour les autres. Ô Dieu, donnez ànous tous cette heureuse simplicité de l'enfant à qui vous avez promis autrefois le Royaume des cieux ! nisi efficiamini sicut parvuli, non intrabilis in regnum caelorum !
Chapitre 22 Du vœu héroïque
Nature et excellence de ce vœu. - Exemples des saints. - Réponse aux objections des théologiens. - Que ce vœu ne nous appauvrit pas, mais qu'au contraire, il augmente nos richesses. - Privilèges accordés par les Souverains Pontifes à ceux qui le font.
Jusqu'ici, nous avons vu les différentes œuvres que nous pouvons offrir à Dieu, pour le soulagement des défunts. l'aumône, la mortification, la prière, le saint Sacrifice, la communion et les indulgences. Mais il y a quelque chose de plus excellent que chacune de ces œuvres prises en particulier, c'est de les offrir toutes ses satisfactions, sans s'en réserver aucune. C'est en un mot, de faire, en faveur des âmes souffrantes, ce que l'on a très justement appelé le vœu héroïque. Héroïque, il l'est en effet, ce don universel de tous nos mérites satisfactoires, c'est l'acte du dépouillement le plus complet qu'il soit donné à une créature humaine de faire, puisqu'il embrasse toutes les richesses spirituelles avec quoi nous devions payer nos propres dettes, sans rien réserver pour nous-mêmes. J'espère néanmoins prouver que, pour faire ce don universel, il n'est pas absolument besoin d'être un héros dans la sainteté. Il suffit d'aimer de tout son cœur Dieu et les âmes, et de bien comprendre ses véritables intérêts. Mais il faut commencer par bien faire comprendre la nature de cet acte. C'est une donation toute volontaire que l'on fait, pour les appliquer aux âmes du purgatoire, des satisfactions qui sont attachées, comme je l'ai prouvé ailleurs, à chacune de nos œuvres. On dépose ordinairement ces satisfactions entre les mains de la très sainte Vierge pour qu'elle les distribue, à sa volonté, aux âmes souffrantes.
Par ce que j'ai dit ailleurs en traitant en général de l'offrande de nos bonnes œuvres aux défunts, on voit qu'il ne s'agit pas de céder le mérite proprement dit de nos œuvres, c'est-à-dire le droit qu'elles nous donnent à un nouveau degré de gloire dans le ciel : il ne s'agit pas non plus de céder la part impétratoire, par conséquent cette offrande ne nous empêche nullement d'offrir nos œuvres à Dieu pour obtenir quelque grâce à nous ou aux autres. Mais il s'agit de céder entièrement la part satisfactoire, en sorte qu'en faisant ce don universel, nous nous ôtons absolument la faculté de nous réserver aucune satisfaction pour nos propres fautes. C'est en cela que consiste l'héroïsme de cet acte.
Bien que l'on lui donne ordinairement le nom de vœu, il faut observer que cet acte est toujours révocable, et qu'il n'oblige aucunement sous peine de péché. Nos satisfactions nous appartiennent. Nous pouvons les céder ou les retenir à volonté. Il n'est pas nécessaire non plus de prononcer aucune formule pour faire cette offrande. Un acte sérieux de la volonté, c'en est assez.
On voit par là quelle est la valeur d'un pareil acte. Il fait, de chacun de ceux qui le formulent, une victime de propitiation pour les âmes souffrantes. Toutes les satisfactions, les aumônes, les jeûnes, les indulgences que cet homme peut gagner, tombent ainsi dans le trésor commun de la sainte Eglise, pour être partagés entre les plus nécessiteux de ses enfants. Il ne faut donc pas nous étonner de voir, là encore, les saints nous donner l'exemple. On ne saurait compter les pieux personnages qui ont fait cette donation universelle. Je citerai seulement parmi les plus connus : au moyen âge, sainte Lidwine, Christine l'Admirable, sainte Gertrude, sainte Catherine de Sienne. et dans des temps plus rapprochés de nous, sainte Thérèse, la Bse Marguerite-Marie, la mère Françoise de Pampelune et le grand cardinal Ximenès, qui fit cette donation par le conseil de la très sainte Vierge elle-même, comme on peut le voir dans sa vie. Cette dévotion n'est donc pas nouvelle, comme quelques auteurs l'ont pensé. Cependant, il faut bien avouer qu'elle tend à se répandre davantage à notre époque. Comme si la miséricordieuse Providence de Dieu avait réservé à nos derniers temps ce secours spirituel, pour suppléer à la négligence de tant de mauvais chrétiens, qui oublient leurs pauvres défunts, et préparer l'avènement de ce dernier jour, où toutes les expiations, devant finir avec le temps, le purgatoire sera fermé, et il ne restera plus aux âmes que deux séjours possibles pour l'éternité, le ciel ou l'enfer. C'est le Père Olinden, religieux Théatin, à quoi l'on doit plus spécialement la divulgation de cette dévotion. Il en fut, toute sa vie, le défenseur convaincu. Il obtint du pape Benoît XIII, mort en odeur de sainteté, de nombreuses indulgences et de précieux privilèges en faveur de ceux qui s'y abonnent. Le Saint-Père fut même si touché de ses arguments, qu'un jour, prêchant à Rome à ce sujet, il fut sur le point, c'est lui-même qui nous l'apprend, de faire publiquement, en chaire, cette donation de ses propres mérites. Mais si l'humilité l'empêcha de découvrir ainsi à tous les secrets de sa belle âme, on peut penser qu'en son particulier il fut moins réservé, et qu'il fit, lui aussi, cette donation de tous ses mérites. On a vu des ordres religieux entiers faire cet abandon charitable. La Compagnie de Jésus, toujours à l'avant garde, quand il s'agit des intérêts de la gloire de Dieu, a donné à ce sujet d'illustres exemples. Sans l'imposer comme règle à ses membres, cet esprit de désintéressement absolu est tellement bien son esprit, qu'un très grand nombre, et de plus illustres parmi ses fils, ont fait ce vœu. On cite particulièrement : le Père Ribadeneira, l'auteur si pieux de la vie des saints pour tous les jours de l'année, le Père Fabricius, de la résidence de Munster en Westphalie, le Père Nieremberg de Madrid, le Père de Munfort, dont j'ai souvent cité l'ouvrage : De la charité à exercer envers les défunts. Le Père de Montroy, qui trouva le moyen de faire encore plus. Etant sur son lit de mort, non seulement il donna aux âmes du purgatoire tous les mérites satisfactoires qu'il avait pu acquérir en cette vie, mais, sa charité trouvant encore à s'étendre au delà de cette vie mortelle, il fit un testament sublime, et dont je ne sais pas, dit le Père Faber, si on trouverait un second exemple dans la vie des saints. Il céda, sans exception, aux âmes du purgatoire, tous les mérites, prières, messes, indulgences que la Compagnie de Jésus a coutume d'appliquer à ses enfants défunts, tous les suffrages de surérogation que ses mains pourraient faire pour lui, et, généralement, tous les secours spirituels qu'on devait appliquer, à n'importe quel titre, au soulagement de son âme. "Ainsi, dit le Père de Rho, qui raconte ce fait comme s'étant passé devant lui, le Père de Montroy, dans sa brûlante charité, trouva le moyen de rendre grandement méritoires pour lui-même, les peines épouvantables du Purgatoire qui, de leur nature, ne sont susceptibles d'aucun mérite. " Dans ces derniers temps, le zèle de l'illustre Compagnie ne s'est pas ralenti. Si la modestie de ses enfants nous dérobe le mystère de leurs généreux sacrifices, nous avons vu se former, à Paris, sous leur direction, une nouvelle famille religieuse appelée les auxiliatrices du purgatoire, dont les membres, sans exception, font le vœu héroïque d'offrir toutes leurs satisfactions, tous les mérites de leur vie humble et dévouée, de prier, de travailler et de souffrir pour le soulagement des âmes du purgatoire. Et déjà ce petit grain de sénevé, jeté en terre il y a vingt ans, a poussé ses rejetons jusqu'en Chine. Puisse la rosée du ciel tomber sur lui, et faire grandir et fructifier au centuple ! Ces illustres exemples, et les indulgences accordées par les souverains pontifes Benoît XIII, Pie VI et Pie IX montrent suffisamment que cet acte de donation est légitime. Néanmoins, comme nombre de théologiens, il faut répondre aux objections que l'on a proposées à l'encontre, et qui peuvent se résumer à trois.
1° Cet acte est contraire à la charité que l'on se doit à soi-même.
 2° Cet acte est contraire à la charité que l'on doit à ses proches et à ses amis.
3° Cet acte est contraire aux obligations de justice que nous pouvons avoir à l'égard de certaines âmes. Examinons chacune de ses objections en détail.
On prétend donc d'abord que cette donation universelle de tous nos mérites, en faveur des âmes du purgatoire, est contraire à la charité que l'on doit à soi-même. C'est un axiome de la théologie et du bon sens, que charité bien ordonnée commence par soi-même ! Or ici, l'ordre de la charité est complètement renversé. On oublie totalement ses propres intérêts pour ne songer qu'aux intérêts des défunts. Et si cela est quelque fois permis dans l'ordre des biens spirituels, tout le monde convient qu'on ne peut préférer le salut des autres au sien propre. Il est vrai qu'il ne s'agit pas ici du salut, mais du retard plus ou moins prolongé apporté à la vision béatifique, or, c'est là un bien tellement considérable qu'on ne peut charitablement en faire le sacrifice en faveur d'autrui. Si quelques saints l'ont fait, ils ont agit d'après une inspiration spéciale. Il en est de cet acte comme de beaucoup que nous lisons dans la vie des saints, et dont les théologiens nous apprennent qu'ils sont plus admirables qu'imitables. Vouloir marcher en cela sur leurs traces, sans être assistés comme eux, d'une grâce toute particulière de Dieu, ce serait présomption et orgueil. Voilà l'objection dans toute sa force. Il ne me sera pas difficile d'y répondre.
 En donnant toutes ses satisfactions aux âmes du purgatoire, je prétends que, non seulement on n'oublie pas la charité qu'on doit avoir pour soi-même, mais encore que l'on ne saurait rien faire qui soit plus véritablement profitable. A quoi s'expose-t-on, en effet ? A prolonger de quelques années son séjour dans le purgatoire. Mais songez donc à quel immense accroissement de gloire éternelle répond le mérite d'une pareille œuvre. Or, le plus petit degré de gloire de plus, est, comme je l'ai dit, sans proportion aucune avec les souffrances du purgatoire. Ce ne serait pas l'acheter trop cher, au sentiment des saints, que de le payer au prix du purgatoire prolongé jusqu'à la fin du monde. On fait donc un échange dont le profit est inappréciable. Comment dire après cela que l'on manque à la charité qu'on se doit à soi-même ? Il y a plus : je suis persuadé, avec le Père de Munford, qu'il se trouvera au jour du jugement des âmes qui devront à cet acte généreux d'avoir évité l'enfer. Peut-on douter, en effet, que Dieu, toujours si libéral envers ceux qui sont larges avec lui, ne nous accorde de nombreuses grâces en récompense de cet acte héroïque, et ce seront peut-être ces grâces de choix qui nous feront triompher enfin de cette déplorable tiédeur, dont la continuité nous eût menés un jour au péché mortel et à l'impénitence finale, comme elle l'a fait pour autant d'autres, hélas ! En sorte que vous vous trouverez, de fait, avoir échangé l'enfer contre un purgatoire plus ou moins prolongé ! Dira-t-on encore qu'en agissant ainsi, vous avez manqué de charité envers vous-même ? Il faut tenir compte aussi des nombreux protecteurs que nous nous attirerons ainsi. J'ai dit ailleurs la reconnaissance des âmes du purgatoire pour leurs bienfaiteurs. Pensez-vous qu'elles puissent jamais oublier, pendant sa vie et après sa mort, celui qui le premier se sera oublié lui-même entièrement pour elles ? Que de grâces ne devrons-nous pas aux ferventes intercessions de ces âmes bienheureuses ! Car en leur abandonnant tous nos mérites, sans rien nous réserver, il est impossible que nous ne délivrions pas un certain nombre d'âmes pendant notre vie. Autant de protecteurs et d'amis que nous nous serons faits dans le ciel, et qui, selon la promesse du Maître, nous recevront dans les tabernacles éternels, quand l'heure terrible de la reddition des comptes aura sonné pour nous.
Je ne dirai qu'un mot de l'accusation de présomption et l'orgueil que l'on a voulu voir dans cet acte : Ce n'est pas ainsi que l'orgueil et la présomption ont coutume d'agir. Ces défauts, de leur nature, sont égoïstes, et ne portent point à s'oublier au profit des autres. Que si quelqu'un était assez malheureux pour faire un acte aussi sublime avec de mauvais motifs, ce serait un malheur pour lui, mais cela ne prouverait absolument rien contre l'acte en lui-même.
 On dit en second lieu : Cet acte est contraire à la charité qui nous oblige de prier pour certaines âmes en particulier, nos parents, nos proches, nos amis, nos bienfaiteurs. Il a été prouvé plus haut que cette obligation existe à l'égard de ces âmes. Or, comment pourrons-nous nous acquitter de ce devoir, si nous commençons par mettre nos mérites en commun ? Nous serons donc ainsi privés de la consolation de secourir en particulier un père, une mère chérie ? Nous ne pourrons rien faire pour l'âme d'un bienfaiteur, d'un ami, du prêtre à qui nous devons tout ? Est-il raisonnable de se lier ainsi les mains, et n'est-ce pas se préparer dans l'occasion bien des regrets ? S'il y a une obligation particulière de prier pour ces sortes de personnes, comme tout le monde l'avoue, n'est-ce pas sacrifier l'essentiel à l'accessoire, le devoir strict à une dévotion mal entendue, que de ne réserver aucun moyen de les soulager ? Je réponds à cela, d'abord, qu'en donnant toutes nos satisfactions aux âmes du purgatoire, nous ne nous dépouillons pas de la partie impétratoire de nos œuvres. rien ne nous empêche donc de prier pour les âmes qui nous sont si chères à différents titres, et cette prière garde toute sa valeur et toute son efficacité, en tant que prière : nous pouvons aussi célébrer, ou faire célébrer le saint sacrifice à leur intention. Nous ne sommes pas aussi dépourvus de moyens de secourir ces chères âmes que l'objection le prétend. Mais l'on insiste, et l'on dit : Soit, il vous reste la prière, mais il ne vous reste que cela. Vous vous êtes dépouillés au profit général de toutes vos satisfactions. Par conséquent, vous ne pouvez plus offrir utilement pour ces âmes, ni aumônes, ni mortifications. Ce qui est plus grave, vous ne pouvez plus leur appliquer aucune indulgence. Cela est vrai. Mais en mettant toutes nos satisfactions entre les mains de Notre Seigneur ou de la sainte Vierge, qui nous empêche de leur recommander spécialement les âmes que nous avons en vue ? Est-ce que Notre Seigneur ou sa sainte Mère ne savent pas bien que nous avons des obligations de charité envers telle ou telle personne ? Peut-on supposer que le Sauveur Jésus, qui nous a fait cette obligation, n'en tiendra pas compte dans la répartition de nos mérites ? Et la Douce Marie peut-elle, de son côté, vouloir autre chose que ce que veut son Divin Fils ? Mais je suppose que pour des raisons de justice à lui connues, Notre Seigneur refuse d'assister cette âme, en lui appliquant nos suffrages. Est-ce que nous aurions la prétention de lui forcer la main et de la secourir malgré Lui ? Tranquillisons-nous. Non seulement cet acte de donation universelle n'est pas contraire à la charité que nous devons exercer envers certaines âmes, mais encore, il nous mettra à même de les secourir bien plus efficacement, puisque, en donnant toutes nos satisfactions aux âmes du purgatoire, nous faisons plus pour elles, qu'en offrant quelques prières et quelques bonnes œuvres au hasard.
 Enfin, et c'est l'objection la plus grave, on a prétendu que cet acte est contraire à la justice. Il est certain, comme je l'ai prouvé, qu'il y a pour nous une obligation stricte de justice de prier pour certaines âmes, soit à l'occasion de legs reçus, d'honoraires de messes acceptés, ou à quelqu'un des titres que j'ai exposés. Or, comment pouvons-nous nous acquitter de cette obligation de justice, si nous sommes dépouillés de tout ?
L'objection serait très sérieuse, en effet, si elle était fondée. Mais, jamais les souverains pontifes n'auraient approuvé, jamais les saints n'auraient mis en pratique un acte opposé à la justice. Nous pouvons donc en conclure à priori, que l'objection n'est pas fondée. En effet, elle s'appuie sur un faux supposé. En les souverains pontifes, en approuvant cette dévotion, ont formellement exclu tout ce qui pourrait léser nos obligations de justice envers autrui. Ainsi Benoît XIII, dans son bref du 23 août 8, a formellement déclaré que cette donation n'empêche pas le prêtre qui l a faite d'accepter les honoraires de messes et d'offrir le saint Sacrifice aux intentions qui lui sont demandées. Il faut raisonner de même pour les legs que nous aurions reçus, à charge de prier ou de faire prier pour un défunt, rien n'empêche d'accepter ces sortes de legs, et il y a un devoir strict de les acquitter fidèlement. Mais il est encore d'autres obligations de justice moins rigoureuses. Par exemple, l'obligation de prier pour ceux qui sont en purgatoire à cause de nous. A l'égard des obligations de ce genre, je raisonnerai comme je l'ai fait plus haut pour les obligations de charité : Notre Seigneur, qui connaît nos devoirs envers ces âmes, ne peut manquer de les soulager en premier lieu. En sorte que nous leur serons vraiment plus utiles par cette offrande générale de tous nos mérites, que si nous leur avions appliqué individuellement quelques prières ou quelques indulgences.
Rien n'empêche d'ailleurs, pour mettre tout à fait notre conscience à l'aise, d'ajouter à notre acte de donation cette clause restrictive : J'abandonne aux âmes du purgatoire tous les mérites satisfactoires, autant que j'en ai le droit, et que N. S. l'a pour agréable. C'est le conseil que donne le P. de Munfort, aussi bien que de se réserver le mérite satisfactoire de la pénitence sacramentelle qui nous est imposé pour nos fautes. L'intention de l'Eglise étant évidemment que cette pénitence nous profite à nous-même et non aux défunts. Du reste il n'y a pas à s'inquiéter ici, en faisant cette offrande générale de tous nos mérites, autant que cela peut être agréable à notre divin Sauveur, on ne risque pas de blesser la justice ou la charité et l'on coupe court à toute objection.
Jusqu'ici j'ai prouvé que cette offrande de toutes nos oeuvres ne pouvait nuire ni à nous ni aux autres. Mais cela n'est pas assez, je prétends montrer maintenant que, pour ce qui nous regarde, nous ne pouvons qu'y gagner beaucoup, et pour le prouver, je me contenterai de résumer les chapitres VI, VII, VIII et X du traité du P. de Munford. Rappelons- nous, tout d'abord, ce qui a été dit plus haut, qu'il y a trois choses à considérer dans chacune de nos bonnes oeuvres : le mérite, l'impétration et la satisfaction. Or, le P. de Munford prétend prouver, et à mon avis il prouve parfaitement bien, qu'en abandonnant ses satisfactions aux défunts, ces trois parties de l'oeuvre acquièrent une valeur plus considérable. Suivons son raisonnement. Il est très facile de prouver que le mérite proprement dit s'accroît considérablement. En effet, d'après les théologiens, une oeuvre est d'autant plus méritoire qu'elle est faite avec une charité plus désintéressée. Or, en offrant toutes nos satisfactions aux défunts, nous nous mettons dans l'impossibilité d'agir autrement que par des motifs désintéressés, puisque ces oeuvres ne peuvent nous servir à rien pour le paiement de nos dettes spirituelles. Nos oeuvres en cette situation ne peuvent procéder que de la charité la plus pure : du désir de la gloire de Dieu, de l'amour de Notre Seigneur Jésus-Christ, de la volonté que nous avons de lui être agréable en toute choses. Par suite, chacune de nos oeuvres, prise en particulier, devient plus méritoire. Il y a plus : l'acte même par lequel nous faisons cet abandon universel de toutes nos satisfactions, est d'un mérite extraordinaire. Et, comme il est toujours révocable, chaque fois que la pensée nous vient d'y renoncer, et que nous persévérons dans notre généreuse offrande, nous méritons par là un accroissement considérable de gloire dans le Ciel. On voit donc que, pour ce qui est du mérite de nos oeuvres proprement dit, nous ne pouvons qu'y gagner, et beaucoup, à en céder le fruit aux défunts.
Il en est de même de l'impétration. J'ai dit ailleurs que l'on peut faire de chacune de ses oeuvres autant de prières, en les offrant pour une intention déterminée, à l'effet d'obtenir de Dieu telle ou telle grâce, pour soi ou pour les autres. Or, ce mérite impétratoire que nous pouvons donner à chacune de nos oeuvres, est-il diminué parce que nous aurons disposé de toutes nos satisfactions en faveur des défunts ? En aucune manière. Car il s'agit d'un ordre de chose tout différent. Je puis jeûner, par exemple, à l'intention d'obtenir de Dieu la conversion de tel pécheur. Dans ce cas, voici la distribution qui va se faire des mérites de mon oeuvre : le mérite proprement dit sera pour moi.  C'est-à-dire que, par cet acte, j'acquerrai le droit à un nouveau degré de gloire dans le ciel. L'impétration sera pour mon frère. C'est-à-dire que si la chose est dans les desseins de Dieu, j'obtiendrai la conversion demandée. La satisfaction sera pour moi, c'est-à-dire que j'obtiendrai ainsi la rémission d'une partie de ma dette spirituelle. Que si j'ai donné déjà toutes mes satisfactions aux âmes du purgatoire, la satisfaction sera alors toute entière pour elles. Mais, dans un cas comme dans l'autre, l'impétration n'en sera pas diminuée, on le voit. Ce n'est pas assez, non seulement dans ce dernier cas l'impétration n'est pas diminuée, mais au contraire, elle devient plus efficace pour toucher le coeur de Dieu. Voici pourquoi : il est certain que plus une oeuvre est parfaite, plus elle augmente en vertu impétratoire. C'est pour cela que les saints obtiennent par leurs jeûnes, leurs mortifications, leurs communions, tant de grâces que Dieu refuse justement à la médiocrité de nos oeuvres. Or, cette oeuvre que je fais ainsi, en abandonnant la satisfaction aux âmes du purgatoire, elle est bien plus parfaite que si j'avais gardé cette satisfaction pour moi, par conséquent elle est plus efficace pour amener Dieu à m'accorder la grâce que je lui demande.
Ajoutez à cela, qu'au mérite accru de notre impétration se joindront les prières des âmes que nous aurons ainsi délivrées, ou du moins soulagées. J'ai montré ailleurs que cette impétration surérogative, venant s'ajouter à la nôtre, n'est pas à dédaigner. "Donc, conclut le P. de Munfort, c'est une erreur grossière, quoique commune, de s'imaginer que, parce que l'on s'adonne tout de bon à secourir les défunts, on ne peut plus offrir à Dieu ses jeûnes, ses aumônes, ses prières, pour ses amis, ou pour quelque nécessité soit particulière, soit publique. " "Tant s'en faut que l'application qu'on fait de ses bonnes oeuvres aux âmes du purgatoire soit incompatible avec d'autres intentions que c'est, à l'égard de Dieu, une puissante raison d'accorder toutes les grâces qu'on lui demande. " (Loco citato, ch VII.)
J'arrive à la troisième partie de l'oeuvre, la satisfaction. J'avoue qu'il devient difficile de prouver que je puisse, même sous ce rapport, gagner quelque chose en la cédant entièrement. Car si, avec mon argent, je paye la dette de mon voisin, il est évident qu'il ne me restera rien pour payer les miennes. Voyons pourtant si ce ne serait pas le cas de vérifier ce texte des proverbes (XI, 24) : Il y en a qui donnent ce qui est à eux, et qui deviennent plus riches. Il faut partir de ce principe que Dieu est infiniment libéral, et ne se laisse jamais vaincre en générosité par ses créatures. Il nous a promis dans l'Evangile de se servir avec nous avec la même mesure dont nous nous serons servi pour mesurer les autres.      sel a déclaré à sainte Gertrude qu'il regardait comme fait à lui-même ce que l'on fait pour les âmes du purgatoire. Après cela, on peut, sans trop de présomption, espérer qu'à l'heure de la mort, il usera de miséricorde envers ceux qui, par amour pour lui, et par charité pour les âmes souffrantes, se seront dépouillés de toutes leurs satisfactions. Il est écrit encore que la charité couvre beaucoup de péchés, que l'aumône délivre de la mort. Or quelle plus belle aumône spirituelle, où l'on donne, non son simple superflu, mais toutes ses satisfactions ? On objectera peut-être, qu'en matière de satisfaction, Notre Seigneur est forcé d'imposer silence à la miséricorde, et de laisser agir sa justice. Mais n'a-t-il pas bien des moyens de nous secourir et de nous faire éviter le purgatoire sans léser les droits imprescriptibles de sa justice ? En voici trois qui se présentent tout d'abord à mon esprit. 1° Il peut, en récompense de notre charité, nous accorder beaucoup de grâces de choix, qui nous éviterons beaucoup de fautes que nous aurions faites sans cela. Or ces fautes, il aurait fallu nécessairement les expier, en ce monde ou en l'autre. Donc, autant d'enlevé à notre expiation future. 2° Il peut nous donner, à l'heure de la mort, une charité si parfaite, une contribution si vive, qu'elle suffise à nous obtenir la remise entière de nos dettes. On sait, par révélation, que cela est arrivé à de saints pénitents, et nous avons dans l'évangile, l'exemple illustre de bon larron qui, le même jour passa d'une vie de crimes à la paix des élus : hodie mecum eris in paradiso. 3° Il peut inspirer aux âmes du purgatoire que nous aurons délivrées pendant notre vie, de nous assister puissamment de leurs suffrages, aussitôt après notre mort. Il peut envoyer la même pensée de nous secourir aux amis que nous avons laissés sur la terre. Peut-être, en quelques heures, ils feront plus pour nous, à eux tous, que nous n'aurions pu faire pendant toute notre vie. Il n'est pas présomptueux d'espérer qu'il en sera ainsi, puisque nous avons vu, par de nombreuses révélations, que Dieu a coutume de punir l'égoïsme par l'oubli. Comme il est encore plus miséricordieux que juste, s'il est permis de s'exprimer ainsi, il n'est pas douteux qu'il ne récompense le dévouement de celui qui a tout donné, en lui ménageant de nombreux suffrages après sa mort.
 Par toutes ces raisons, et par d'autres encore, que je suis forcé d'omettre, le Père de Munford conclut qu'il y a lieu d'espérer que ceux qui font avec droiture et pureté d'intention, cet abandon universel de toutes leurs satisfactions aux défunts, ou seront tout à fait exempts du purgatoire, ou ils n'y demeureront que très peu de temps, beaucoup moins que s'ils s'étaient réservé ces satisfactions pour eux-mêmes. De plus, pendant leur vie, ils seront tout-puissants, pour obtenir de Dieu les grâces qu'ils solliciteront pour eux et pour les autres. Et dans le ciel, ils auront un degré de gloire bien plus élevé que celui qu'ils auraient pu prétendre sans cela.
En voilà assez pour décider ceux qui ont souci de leurs intérêts. Néanmoins je goûte peu, je l'avoue, ce genre d'arguments, dans une oeuvre de désintéressement absolu comme celle-là. J'ai exposé ces raisons pour répondre aux objections des théologiens, mais je préfère m'élever au-dessus de tous ces calculs, pour voir le grand intérêt qui domine tout : La gloire de Dieu, qui sera procurée par la délivrance de ces pauvres âmes. Que je sois plus ou moins longtemps en purgatoire, c'est, hélas, l'affaire de mes propres fautes, mais que je serve à glorifier Dieu, en mettant ces pauvres âmes en possession de sa gloire, voilà le grand intérêt qui domine tout. Pour le reste, je m'en remets, les yeux fermés, à la miséricorde et à la justice de mon Maître. Même sous le glaive de ses vengeances, je veux le bénir : Etiam si occiderit me, benedicam illi.
Un mot en terminant, des privilèges accordés par les souverains pontifes à ceux qui font le voeu héroïque. 1° Toutes les indulgences que ces fidèles s'efforcent de gagner deviennent, par le fait, applicables aux défunts lors même que la bulle de concession a déclaré le contraire.
2° Tous les lundis, ils peuvent, même sans communier, gagner une indulgence plénière en assistant pieusement au saint Sacrifice et en priant pour les défunts. Ceux qui seraient véritablement empêchés par leurs travaux d'assister à cette messe du lundi, peuvent gagner la même indulgence en assistant à la messe du dimanche.
 3° Chaque fois qu'ils communient, ils peuvent gagner une indulgence plénière, aux conditions ordinaires de visiter une église et d'y prier aux intentions du souverain pontife.
 4° Les prêtres jouissent du privilège de l'autel tous les jours. Ce privilège est personnel au prêtre et il le porte avec lui à quelque autel qu'il célèbre.
5° Les enfants qui n'ont pas encore fait leur première communion, les infirmes, les vieillards, ceux qui habitent loin du prêtre, dans les campagnes peuvent gagner les mêmes indulgences même sans communier en se confessant priant aux intentions du souverain pontife et remplaçant la communion par quelque autre pratique imposée par le confesseur.
 
Chapitre 24     Sortie du purgatoire
Délivrance des âmes du purgatoire. –Leurs anges gardiens viennent les chercher, quelquefois la sainte Vierge, quelquefois même Notre Seigneur. –Etat de l’âme glorifiée. Des jours plus spécialement assignés à la délivrance des défunts. Du rang qui leur est assigné dans le ciel. – Conclusion.
Nous voici arrivés à cette heure bénie où, toutes les expiations étant terminées, l’âme bienheureuse n’a plus qu’à s’envoler au Ciel. Qui vous dira les joies de ce moment !. . . Représentez-vous les joies de l’exilé qui rentre enfin dans sa patrie. Oh ! qu’elles lui ont paru lentes les heures de l’exil ! Qu’il est dur de vivre loin des siens, de monter tous les jours l’escalier de l’étranger, de manger ce pain de l’hospitalité, que Dante, l’illustre exilé de Florence, trouvait si amer à la bouche des malheureux. Mais patience ! Voici l’heure du retour dans la patrie, voici les rivages de la terre natale. là-bas, ses amis, ses parents l’attendent pour le serrer dans leurs bras. Oh ! qui nous dira les joies de cette heure bénie ! Pendant les jours de la terreur, un pauvre prêtre de la Vendée avait fait partie des célèbres noyades de Carrier. Echappé par miracle à la mort, il avait dû émigrer, pour sauver ses jours. Quand la paix fut rendue à l’Eglise et à la France, il s’empressa de rentrer dans sa chère paroisse. Ce jour-là, le village s’était mis en fête, tous les paroissiens étaient venus au-devant de leur pasteur et de leur père. les cloches sonnaient joyeusement dans le vieux clocher, et l’église s’était parée comme au jour des grandes solennités. fin . : Le vieillard s’avançait souriant au milieu de ses enfants. mais quand les portes du saint lieu s’ouvrirent devant lui, quand il revit cet autel, qui avait réjoui si longtemps les jours de sa jeunesse, son cœur se brisa dans sa poitrine trop faible pour supporter une telle joie. il entonna d’une voix tremblante d’émotion le Te Deum laudamus. Mais c’était le Nunc dimittis de sa vie sacerdotale. il tomba mourant, au pied même de l’autel. l’exilé n’avait pas eu la force de supporter les joies du retour !. . . Si telles sont les joies du retour de l’exil dans la patrie terrestre, qui nous dira les joies de l’entrée au Ciel, la vraie patrie de nos âmes ! Pour les décrire il faudrait les avoir éprouvées soi-même. Pauvres exilés le long des fleuves de Babylone, comment pourrions-nous redire les cantiques de Sion sur la terre étrangère ? Quomodo cantabimus canticum Sion, in terra aliena ? Aussi, c’est aux révélations des saints qu’il faut avoir recours pour se faire une idée de ces transports. Voici ce qu’écrivait la bienheureuse Marguerite-Marie à la mère de Saumaise : « Mon âme se sent pénétrée d’une si grande joie que j’ai peine à la contenir en moi-même. Permettrez-moi, ma bonne mère, de la communiquer à votre cœur, qui ne fait qu’un avec le mien, en celui de Notre Seigneur. Ce matin, dimanche du Bon Pasteur, deux de nos bonnes âmes souffrantes, à mon réveil, sont venues me dire adieu, parce que c’était aujourd’hui que le bon Pasteur les recevait dans son bercail éternel, avec plus d’un millier d’autres, en la compagnie desquelles elle s’en allaient avec des chants d’allégresse indescriptibles. L’une es la bonne mère Philiberte-Emmanuelle de Menthoux. l’autre, ma sœur Catherine Gâcon, qui me disait et répétait sans cesse ces paroles : fin : « L’amour triomphe, l’amour jouit, l’amour en Dieu se réjouit. L’autre disait : Bienheureux sont les morts qui meurent dans le Seigneur, et les religieuses qui vivent et meurent dans l’exacte observance de leurs règles ! elles voulaient que je vous dise, de leur part, que la mort peut bien séparer les âmes, mais non les désunir. ceci est de la bonne mère, et ma sœur Catherine vous sera aussi bonne fille que vous lui avez été bonne mère sur la terre. Si vous saviez combien mon âme a été transportée de joie. car en leur parlant, je les voyais peu à peu noyées et abîmées dans la gloire, comme une personne qui se noie dans une vaste Océan : Elles vous demandent, en action de grâces, à la très sainte Trinité, un Te Deum, un Laudate, et trois Gloria Patri, et, comme je les priais de se souvenir de nous, elles m’ont dit, pour dernière parole, que l’ingratitude n’est jamais entrée dans le Ciel. » Nous avons vu que c’est l’ange gardien qui est chargé de conduire au purgatoire l’âme sur qui il a veillé, pendant la vie. c’est lui encore, au moins d’ordinaire, qui va la chercher dans sa prison, pour l’introduire au Ciel. Avec quel bonheur il doit s’acquitter de cette mission ! Enfin son œuvre est accomplie. l’âme qui lui avait été confiée par Dieu, est arrivée au terme de son pèlerinage ! Peut-être le voyage a été bien long et bien pénible, mais qu’importe ? l’éternité est là pour compenses les peines du passé, et le souvenir qui en reste sert à faire mieux goûter les joies inénarrables du présent. saint Bernard disait un jour la messe à Rome, dans ce délicieux sanctuaire de saint-Paul aux trois fontaines, si connu des pèlerins. c’est là que fut martyrisé l’apôtre des nations, et sa tête, en rebondissant sur le sol, y fit jaillir trois sources d’eaux vives, qui coulent aussi abondantes… fin : qu’au premier jour, et qui ont donné leur nom à ce lieu. Après la consécration, il fut ravi en extase : l’échelle de Jacob était devant ses yeux. mais les anges ne gravissaient pas seuls ses mystérieux degrés. chacun d’eux accompagnait une âme qui venait d’être délivrée, et qu’il était chargé de conduire au Ciel, après avoir veillé sur elle, pendant les jours de sa vie mortelle. Depuis, la petite église, théâtre de cette miraculeuse vision, a été rebâtie et on lui a donné le nom de Sancta Maria, Scala coeli, sainte Marie, échelle du Ciel… Il arrive quelquefois par une faveur tout spéciale, que d’autres anges se joignent à l’ange gardien, pour aller au-devant de l’âme délivrée et l’amener en triomphe au Ciel. La bienheureuse Marguerite de Cortone, eut ainsi une révélation qu’une pieuse servante, nommée Gillia, qui était morte à son service, serait conduite au séjour des bienheureux par quatre anges, et cela, en considération des prières et des mérites de la sainte. D’autres fois, quand il s’agit de ses dévots serviteurs, c’est la Mère de miséricorde qui vient Elle-même les chercher pour les conduire dans la patrie. Nous avons vu plusieurs exemples de ce glorieux privilège. c’est pourquoi je n’y insiste pas davantage. Enfin Notre Seigneur daigne venir quelquefois lui-même chercher les âmes qui lui sont particulièrement chères. sainte Thérèse priait un jour pour un frère de la compagnie de Jésus, religieux de grand mérite, qui venait de mourir. pendant qu’elle entendait la messe à son intention, tout à coup, elle vit apparaître le divin Sauveur, avec un visage tout rayonnant de bonté et de miséricorde, qui venait chercher cette âme bienheureuse pour la faire entrer au séjour des élus. En même temps, notre doux Sauveur lui fit connaître que c’était par une faveur toute… fin : spéciale, et pour récompenser la grande humilité de ce pauvre frère qu’il daignait descendre lui-même à sa rencontre. (Vie de la sainte, ch. 38) Mais qui nous dira le rayonnement de gloire qui enveloppe ces saintes âmes ? « C’est si beau une âme ! écrivait un jour sainte Catherine de Sienne, c’est quelque chose de si merveilleux, que, s’il nous était donné d’en contempler l’éclat, alors qu’elle est pure et sans tache, nous ne pourrions soutenir ce spectacle, et nous expirerions de bonheur aussitôt ! » S’il en est ainsi d’une âme vivant encore dans une chair mortelle, qui nous dira les splendeurs de l’âme glorifiée ? sainte Thérèse vit un jour un religieux carme monter au Ciel. « quoiqu’il fût fort âgé, il m’apparut, dit-elle, sous les traits d’un homme n’ayant pas plus de trente ans, et avec un visage tout resplendissant de lumière. aucune splendeur terrestre ne pourrait donner l’idée de sa merveilleuse beauté. » Les saints, quand ils veulent nous décrire ces miraculeuses transformations de l’âme glorifiée, épuisent en vain toutes le comparaisons tirées de l’éclat du soleil, de la blancheur de la neige, du rayonnement des astres dans le silence d’une belle nuit d’été. on sent, malgré tous leurs efforts, que l’expression les trahit, et reste infiniment au-dessous de leur pensée. Cela se comprend, il s’agit de décrire des spectacles que l’œil de l’homme n’a pas vus, de redire des harmonies que son oreille n’a jamais entendues, de faire sentir des joies que son pauvre cœur n’a jamais goûtées !. . . Un jour, nous l’espérons, dans les splendeurs de l’éternité, nous verrons ces choses. jusque-là, nous ne pouvons que balbutier comme des enfants, qui veulent parler de ce qui est au-dessus d’eux. laissons au Ciel ses secrets, à l’avenir ses révélations !. . . fin : Bien qu’il soit vrai, à la rigueur, que l’âme n’est délivrée qu’au moment précis où finit l’heure de son expiation, néanmoins il est des jours dans l’année, qui paraissent plus particulièrement assignés à la délivrance des âmes souffrantes. Quels sont ces jours bienheureux ? J’ai déjà parlé du samedi pour les confrères du scapulaire et des fêtes de la très sainte Vierge, pour ses dévots serviteurs, je n’y reviendrai pas. Mais, il y a d’autres jours encore : Catherine Emmerich, dans ses révélations si intéressantes sur la douloureuse passion du Sauveur, nous apprend que, tous les ans, au jour anniversaire de son sacrifice, Notre Seigneur descend dans le purgatoire, pour en retirer quelques-uns de ceux qui prirent part qu grand drame de sa passion. Voilà dix-huit siècles et demi qu’elle s’est accomplie, et il parait qu’il y a encore dans les flammes expiatrices quelques-uns de ceux qui demandaient que le sang de la victime retombât sur eux et sur leurs enfants. Les malheureux ! ils ont eu le temps de réfléchir à la responsabilité de leur vœu sacrilège ! Ce sang réparateur est encore sur leurs fronts comme le stigmate de Caïn. Nous apprenons, par les mêmes révélations, qu’il y en a parmi eux qui doivent rester en purgatoire jusqu’à la fin du monde. Notre Seigneur les délivrant ainsi au fur et à mesure, selon le degré plus ou moins grand de leur culpabilité. D’autres révélations nous font connaître que, chaque année, le jour de l’Ascension, le divin Maître renouvelle en quelque sorte le mystère de son entrée triomphante dans le Ciel, en descendant dans le purgatoire chercher un grand nombre d’âmes souffrantes, qui lui font cortège pour rentrer au séjour des bienheureux. Enfin le jour des Morts, qui est le jour plus spécialement… Fin : Consacré aux suffrages en faveur des défunts, est aussi pour eux le grand jour de la délivrance. Ce jour-là, tous les prêtres jouissent de la faveur de l’autel privilégié. il y a quatre cent mille prêtres environ dans le monde. c’est donc la rançon de quatre cent mille âmes qui est offerte à Dieu. Une révélation, citée par le Père Faber, nous apprend que Dieu use surtout de ce trésor en faveur des âmes qui n’ont plus que peu de chose à ajouter à leur expiation. Là encore, nous sommes impuissants à nous représenter ces grandes fêtes du Ciel. C’est si beau déjà sur la terre une fête de l’Eglise ! Le soir de nos grandes solennités, quand, le matin, toutes les âmes fidèles se sont approchées du banquet eucharistique, quand la joie réside dans tous les cœurs, et brille sur tous les fronts, quand l’autel a revêtu ses ornements de fête, et que, pour terminer dignement ce jour béni, le divin Sauveur trône sur son tabernacle, au centre d’un soleil d’or, au milieu des parfums, des fleurs et des nuages de l’encens, quand la bénédiction descend silencieuse sur tous les fronts inclinés, quand tous les cœurs sont recueillis dans l’adoration et dans l’amour, dites-moi, ne nous est-il jamais arrivé de rêver du Ciel et de ses joies ? Hélas ! ces heures bénies passent vite sur la terre ! Mais représentez-vous une vraie fête du Ciel. Dans les hauteurs des cieux, l’auguste Trinité, enveloppée et comme perdue dans sa gloire. l’humanité du Sauveur, avec ses plaies divines où rayonne l’amour. A ses pieds, la douce Marie, puis ces milliers d’anges qui forment la cour céleste, les vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse, les chœurs des apôtres, des martyrs et des vierges, les chœurs innombrables des saints et des saintes de tous les âges : tout à coup une harmonie céleste se fait entendre, les harpes… Fin : d’or des séraphins tressaillent sous leurs doigts. entendez-vous l’hymne de la délivrance ? C’est le cœur des captifs qui fait son entrée dans la sainte cité. Princes du Ciel, ouvrez vos portes, ouvrez-vous, portes éternelles. c’est un roi qui rentre en triomphe dans son royaume. Attolite portas, principes, vestras, et elevamini, portae aeternales, et introibit Rex gloriae !. . . A son entrée dans le Ciel, chacun reçoit le rang qui lui est assigné, suivant l’ordre et la nature de ses mérites. On enseigne communément que les créatures humaines ainsi appelées à la gloire, sont destinées à entrer dans les chœurs des anges, pour y remplir les vides causés la défection des anges rebelles. Il est certain néanmoins que plusieurs groupes son constitués à part : il y a le chœur des apôtres, qui sont appelés à entrer en participation du pouvoir judiciaire du Christ : Sedebitis et vos super sedes duodecim, judicantes duodecim tribus Israel. Privilège glorieux, qui sera partagé proportionnellement par tous les hommes apostoliques, par ceux qui, selon la parole du maître, auront tout quitté pour le suivre. Il y a encore les chœurs des martyrs, des docteurs et des vierges, qui auront le privilège d’une auréole spéciale. les théologiens dissertent assez longuement sur la nature de ces trois auréoles, mais qu’il nous suffise de savoir qu’il s’agit d’une récompense distincte de la béatitude commune, récompense qui sera ajoutée à la félicité des martyrs, des docteurs et des vierges, parce qu’ils ont triomphé respectivement des tyrans, du démon et de la chair. Enfin, les âmes qui, jusqu’au dernier jour, se seront gardées pures de toute souillure charnelle, auront le privilège incommunicable de suivre en tous lieux l’humanité sainte du Sauveur, et de chanter ce cantique de l’agneau qu’il n’est donné à aucune lèvre souillée de répéter. fin : O prêtres, frères bien-aimés dans le sacerdoce. c’est vous que je pense en écrivant ces lignes. J’ai dit les rigueurs de la justice divine sur vous. avec quelle joie j’inscris ici vos glorieux privilèges ! car c’est bien de vous qu’il s’agit ici. vous avez droit à ces glorieuses distinctions. elles sont à vous, si vous le voulez bien. Vous êtes les successeurs des apôtres. pour avoir le droit de siéger à leur côté et de partager leur pouvoir judiciaire, que vous faut-il ? Faire ce qu’ils ont fait les premiers : quitter tout et suivre Jésus. Ce détachement vous est facile. l’Eglise n’a guère à vous offrir qu’un morceau de pain, que les méchants vous mesurent avec parcimonie et qu’ils menacent de vous retirer : eh bien ! soyez heureux et fiers de ce dénuement apostolique. partagez avec le pauvre qui vient frapper à votre porte, et répétez joyeusement la parole de l’apôtre : habentes alimenta, et quibus legamur, his contenti simus. L’auréole des martyrs ! qui sait ? les jours sont mauvais. il y a quelques années à peine le sang des pontifes et des prêtres coulait dans les rues de Babylone ! qui sait ce que l’avenir, et un avenir prochain vous réserve ? il n’est pas présomptueux de vous dire que nous serez peut-être appelés à donner au Sauveur Jésus le suprême témoignage de l’amour, le témoignage du sang. Pas n’est besoin de venir en chine pour cela, ceux qui sont restés en France, je pourrai peut-être dire en Europe, sont plus sérieusement menacés que ceux qui vivent au milieu des barbares de l’extrême Orient. La civilisation moderne nous a ramenés à la barbarie raffinée. L’auréole des docteurs ! vous y avez droit puisque votre vie se passe à instruire les ignorants, à catéchiser les petits enfants. O humbles curés de campagne, quand vous vous appliquez avec tant de soin faire pénétrer les grands… fin : mystères de la foi dans l’intelligence engourdie des pâtres des champs, au milieu de ce doux et pénible labeur, rappelez-vous la parole des saints livres : qui ad justitiam erudiunt multos, fulgebunt sicut stellae in perpetuas aeternitates. L’auréole des vierges ! pauci capiunt. mais qu’ils sont heureux ceux-là ! ô prêtres ! vous que le Christ vierge a choisis et appelés, puissiez-vous ne jamais déchoir de votre vocation sublime ! Tertullien dit, dans un de ses livres, que, par l’attouchement de la chair immaculée du Christ, le chrétien qui communie demeure dans une chair angélisée, in Christo angelificata caro. et vous, vous communiez tous les jours. votre corps est le tabernacle vivant, le ciboire d’un or très pur, où reposent presque continuellement les espèces eucharistiques, oh ! que vous devez êtres purs ! et combien cette pureté doit vous devenir facile, à vous qui buvez chaque jour à la coupe sacrée qui fait germer les vierges ! vinum germinans Virgines. Si parfois, comme le grand apôtre, vous ressentez les révoltes de la nature, si vous avez peine à porter le fardeau de ce corps de péché, songez à la gloire qui vous attend, à cette auréole de la virginité qu’une seule faute vous fait perdre, contemplez-vous dans le ciel, revêtus de vos aubes, immaculées, et suivant l’agneau, en chantant le cantique des vierges. et vous serez forts pour triompher des mouvements de la chair et des illusions de Satan. Oui tous, et prêtres et fidèles, pensons souvent aux splendeurs de l’éternité bienheureuse qui nous attendent. La vie est si triste, surtout à de certaines heures ! mais, courage. les peines passeront, les épreuves des justes auront un terme, et aussi les triomphes insolents des méchants et des sots. Sans doute, notre tiédeur, notre lâcheté au service de Dieu ne nous permettent guère d’espérer que… fin : tout sera fini à la mort. il nous restera probablement d’autres souffrances et d’autres expiations dans le purgatoire. mais quelque terribles que nos fautes puissent faire ces expiations, elles aussi auront un terme. un jour, à une heure du temps, connue de Dieu seul, une vision d’en haut viendra nous appeler à prendre rang au milieu des bienheureux. Ce rang qui sera ainsi assigné à chacun de nous, est indépendant du plus ou moins de temps que l’on a passé en purgatoire. Il correspond simplement aux mérites acquis. Marie Lataste rapporte, dans ses révélations qu’une jeune novice de sa communauté, étant morte en état de sainteté, au bout de neuf jours seulement, elle lui apparut délivrée du purgatoire et montant au Ciel. A quelque temps de là, mourut une vieille sœur, toute pleine de mérites, mais qui, hélas ! dans le cours d’une longue vie, avait contracté bien des souillures. elle fut condamnée à plusieurs mois d’un rude purgatoire, mais une fois admise dans le ciel, elle fut placée dans un rang bien supérieur à celui de la jeune sœur. Cela est bien facile à expliquer : le mérite acquis est absolument indépendant des fautes que l’on a à expier. Dans le cours d’une longue vie sacerdotale ou religieuse, on peut, on doit acquérir beaucoup de mérites. hélas ! il est d’expérience que l’on contracte aussi bien des dettes ! mais les dettes se payent par une expiation temporaire, au lieu que le plus petit mérite correspond à un nouveau degré de gloire, c’est-à-dire à une récompense éternelle. Travaillons donc avec courage. nous servons un bon Maître. s’il exige de ses débiteurs jusqu’au dernier denier, usque ad nocissimum quadrantem, il récompense ses amis bien au-delà de leurs mérites : merces magna nimis. fin : J’ai fini : j’ai dit les justices de Dieu sur les âmes fidèles, mais négligentes. j’ai dit ses miséricordes, qui, même dans le purgatoire, surpassent ses justices. Voilà deux ans que je commençai ces pauvres pages, le jour de Notre-Dame de la Merci, je les termine aujourd’hui, fête de la Nativité de la très sainte Vierge. O Marie, consolatrice des affligés, je voudrais que vous bénissiez cet humble travail, et celui qui l’a entrepris. Puisse-t-il faire un peu de bien aux âmes ! puisse-t-il me mériter votre protection pour le jour peu éloigné, je pense, où je serai moi-même au séjour des expiations. Si j’ai contribué à ranimer dans quelques-uns le zèle et la prière en faveur des défunts, que les âmes saintes du purgatoire, que j’aurai ainsi contribué à soulager, ne m’oublient pas devant Dieu, et m’obtiennent le pardon de mes nombreux péchés. c’est la seule récompense que j’ambitionne. Fin du Volume
 
Bibliographie
Liste des principaux auteurs qui m’ont servi pour la composition de ce traité : Pour la partie dogmatique : saint Thomas : Somme théologique. sainte Catherine de Gênes : Traité du purgatoire. Le cardinal Bona : Traité du discernement des esprits. Le P. de MunFord, jésuite : De la charité à exercer chez les défunts. Le P. Faber : Créateur et créature.
Pour la partie historique : Les Bollandistes. Ribadeneira : Vie des saints. Marchant : Hortus pastorum. Les chroniques des ordres religieux : Frères Mineurs, Capucins, Carmes, Dominicains, etc. La vie de sainte Madeleine de Pazzi. * La vie de sainte Thérèse, écrite par elle-même. La vie de la bienheureuse Marguerite Marie, d’après les mémoires de la Visitation. La vie de la mère Agnès, par M. de Lantages. La vie de la mère Françoise du saint-Sacrement. Rossignoli : Les Merveilles du purgatoire, traduction de l’abbé Postel. P. Blot : Les Auxiliatrices du purgatoire.


[1][1] Illuminatos cordis oculos. Ephes., I-18.
[2][2] « Tout homme qui se trouve après la mort en état de péché mortel est aussitôt conduit en enfer ». Définition dogmatique du pape Benoît XII, vérité infaillible. L’abbé Louvet s’en tient à cette doctrine, dans sa lettre, mettant en enfer tout homme qui semble mourir sans la grâce. Mais il ne tient pas compte des évènements qui semblent se passer dans la mort elle-même, c’est-à-dire entre ce monde et l’autre. Sainte Faustine y décrit vers 1930 une apparition du Christ glorieux, une parousie qui laisse à tout homme la possibilité de choisir ou de refuser en toute lucidité la grâce.
[3][3] Le Concile Vatican II a montré que cette opinion qui enflammait le zèle apostolique des missionnaires, n’est pas juste : « Dieu propose son salut à tout homme, par un moyen qu’il connaît ». (Gaudium et Spes 22).
[4][4] Traité du purgatoire, VII et VIII.
[5][5] Traité du purgatoire VI.
[6][6] V. Bzovius. Hist. De Pologne, année 0.
[7][7] V. Diario Dominicano, vie de la Bienheureuse, 4 sept.
[8][8] V. Vie de saint Nicolas Tolentino, Surius, 10 sept.
[9][9] Ferd. De Castille, hist. De saint Dominique. IIè partie, liv. I, chap. XXIII.
[10][10] Vie de
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